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Mon éditeur a emprunté le nom de sa société à un chevalier-poète breton du Moyen Âge, Guillaume de la Pérenne. Celui-ci est connu pour deux textes datant des années 1380 : la description de l’enterrement de Bertrand du Guesclin et surtout la « Geste des Bretons en Italie », un poème long de plusieurs milliers de vers qui narre les faits et exploits italiens de son chef et de son ami, un grand capitaine, le Breton Sylvestre Budes, sire d’Uzel.
Tout commence à la fin des campagnes espagnoles de du Guesclin.
On sait comment le connétable de France a aidé Henri de Trastamare à écarter l’odieux Pierre le cruel du trône de Castille. À la fin de la campagne, les troupes de du Guesclin, essentiellement bretonnes comme lui, se retrouvent désoeuvrées. Pour des raisons internes à la Bretagne, il leur est difficile d’y retourner. Le roi de France quant à lui cherche par tous moyens à consolider la paix et n’a aucun usage d’une troupe de plusieurs milliers d’hommes cuits et recuits par des années de guerres diverses. On est en 1375. Que vont donc faire les chevaliers et écuyers sans emploi ?
Par chance, nous dit La Pérenne, le sire de Coucy apprend à cette époque la mort sans enfant du frère de son épouse, le duc d’Autriche. Coucy veut réclamer le duché et lève une armée : les Bretons, emmenés par Sylvestre Budes, ont retrouvé un but.
Pour se rendre en Autriche, il faut contourner la Suisse soit par le nord, Bade puis Bavière, soit par le sud, l’Italie. Autant choisir le soleil : Coucy opte pour l’Italie. Voici l’armée franco-bretonne en route vers l’Autriche à travers le Piémont.
Or en route, le sire de Coucy découvre que les Autrichiens, sans l’attendre, se sont donné un nouveau duc. Il devra conquérir son trône ducal s’il le veut vraiment. Coucy sans doute hésite un peu. Puis très vite, il tourne bride et abandonne les Bretons au beau milieu de l’Italie du Nord.
Les voici de nouveau sans mission. Leur chef, Sylvestre Budes, médite le poids de sa fonction. Dans quoi les a-t-il entraînés ? Il se propose au pape Grégoire XI qui leur confie quelques objectifs mineurs.
La chance revient : en 1377, le seigneur de Milan les recrute pour affronter celui de Vérone. La bataille fait rage en Italie à cette époque.
C’est alors que le pape meurt.
Le conclave se réunit à Rome et le peuple romain encercle les cardinaux : il veut que le pape qui désormais réside en Avignon revienne s’établir à Rome. Ou plutôt, les Romains ne laisseront les ecclésiastiques ressortir de leur conclave que s’ils prennent l’engagement que le pape qu’ils vont élire s’installe dans la ville éternelle.
Or les cardinaux sont à la solde du roi de France, qui est très satisfait de voir le pape à sa main en Avignon.
En désespoir de cause, les électeurs assiégés se résignent à désigner l’un d’eux, celui qui souhaite rester à Rome. Folle de joie, la foule emporte l’élu à bout de bras, en triomphe, et il fait ainsi le tour de la cité (d’ailleurs alors modeste).
Soulagés et anxieux, les cardinaux se réunissent de nouveau dès leur sortie de Rome, dans un cadre beaucoup moins prestigieux que les palais pontificaux : dans une auberge. Là, libres de toute pression populaire, ils procèdent à l’élection pour laquelle le roi de France les a mandatés : ils élisent un pape pour Avignon. Le schisme est né.
Le nouveau promu s’adresse aussitôt à la vaste troupe bretonne de Sylvestre Budes, à qui il distribue des sommes importantes. Leur mission : châtier les Romains et évincer l’autre pape. Sans se faire plus prier, les Bretons marchent sur Rome.
Les Romains, apprenant la menace de cette armée, s’arment de tout ce qu’ils peuvent trouver, enfilent casques et cuirasses dans un désordre plus sympathique qu’efficace, et se massent sur un pont qui, de l’extérieur, verrouille l’accès à leur ville.
En quelques minutes, les chevaliers bretons, juchés sur de puissantes montures caparaçonnées de métal, se lancent comme des blindés sur la piétaille. Les habitants de Rome sont bousculés, puis enfoncés, et enfin dispersés. Rien n’empêche plus les guerriers d’entrer dans Rome.
Sylvestre Budes s’empare donc de la cité sans autre combat.
Il s’y régale. Avant d’en ressortir, il laisse une centaine d’hommes dans le château Saint-Ange : celui-ci est garni d’une forte artillerie et est considéré comme une forteresse inexpugnable quand des troupes le défendent. Durant plus d’un an, les hommes de Budes vont pouvoir arroser Rome de boulets meurtriers, à toute heure du jour et de la nuit. Rude punition distribuée par le pape d’Avignon.
Dans le même temps, la troupe s’est installée dans les faubourgs. Périodiquement, elle franchit les portes et vient piller les Romains qui se trouvent ainsi, si j’ose dire, razziés de près.
Mais tout plaisir a une fin : les vivres manquent au château Saint-Ange. Les cent Bretons l’évacuent donc discrètement en une nuit et rejoignent leur chef.
Et c’est alors que Sylvestre Budes commet sa première erreur. Il apprend que les principaux chefs romains vont se réunir un soir dans un certain palais. Il décide de monter un commando et de s’y rendre aussi.
Le groupe entre dans la ville en profitant de la nuit. Il se rend au palais, y trouve les ennemis et les passe tous par le fil de l’épée. Tout semble aller pour le mieux.
Hélas, le piège a été tendu par des Anglais : ils ont laissé les Italiens se faire tuer puis, lorsque Budes ressort, sans doute grisé par son succès et un peu de vin, ils le cueillent.
Voici Sylvestre Budes prisonnier. Il va le rester plusieurs mois.
En fin de compte, le raffinement de ses geôliers va s’exprimer avec cruauté : ils le relâchent. Mais (on juge que les techniques pour neutraliser un adversaire ne datent pas d’hier) ils font courir le bruit qu’ils l’ont « retourné », qu’il a trahi.
En sortant de captivité, Budes rejoint ses troupes qui n’ont pas été payées depuis des semaines. Il décide d’aller réclamer leur solde au pape en Avignon.
En chemin, la colère gronde. Il se résout donc à saisir la première chance qu’il rencontrera. Celle-ci prend la forme du riche cortège d’un cardinal qui, lui aussi, se rend en Avignon. Vaisselle d’or, bijoux, les Bretons retrouvent le sourire.
Pour peu de temps.
À peine arrivé chez le pape, Sylvestre Budes est arrêté : on l’accuse de trahison. La plainte du prélat détroussé s’ajoute bientôt à son acte d’accusation. Cette fois, la coupe (le calice) est plein(e).
Le pape remet le chef breton à la justice temporelle du duc de Bourgogne. Sylvestre Budes est décapité à la hache à Mâcon en 1379, quelques mois avant la mort naturelle de son ami Bertrand du Guesclin.
Voici donc la fin injuste d’un valeureux chevalier. Une occasion de plus de fustiger l’absurdité de la guerre.
Guillaume de la Pérenne, le fidèle lieutenant, l’ami de l’ombre, l’homme qui se souvient, écrit sa « geste » dix ans plus tard et inscrit timidement son beau premier vers :
Une nuit en Italie…
Il faut croire que la colère du pape n’a pas frappé toutes les têtes : son poème, Guillaume de la Pérenne le rédige alors qu’il réside … en Avignon.
Hervé Torchet 2007.