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29/07/2020

Parution de mon nouveau livre : Pont-l'Abbé, ville de Maîtres

Après avoir étudié l'an dernier la seigneurie de Pont-l'Abbé, je produis un ouvrage sur la ville de Pont-l'Abbé, au centre de cet important fief breton. Il s'agit ici d'un portrait collectif, ce qui n'empêche pas de réfléchir à la genèse et aux origines de cette ville singulière. Un pont, un port, une cour de justice, un château, sont les quatre piliers issus de cette genèse et sur lesquels s'est fondée une identité historique qui a duré pendant toute la période moderne et jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. Je n'ai cependant poussé l'étude que jusqu'à l'an 1739, car c'est le dernier moment où les archives de la seigneurie du Pont manquent de chiffres et de statistiques. Le dernier demi-siècle de cette vieille baronnie mériterait une étude à lui seul, qui aboutirait à un autre de mes ouvrages déjà parus : "Réformer l'Ancien Régime au bout de la Bretagne".
Comme toujours dans mes ouvrages historiques, j'ai inclus de très nombreux documents inédits, en particulier des inventaires après décès recueillis chez toutes les catégories sociales pour la période 1677-1699. Le couronnement réside dans un regroupement de documents maison par maison qui permet un déroulé historique qui remonte parfois loin dans le temps.
La Pérenne, 228 pages, 42 Euros.
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28/05/2020

Qu'à cela ne tienne, Claude

La génération 1968 est décidément frappée par le coronavirus : Henri Weber à gauche, Patrick Devedjian à droite et Claude Goasguen au centre.

Au centre ? Quand on lit les commentaires de la presse, on ne voit nulle part le long passage qu'il fit par le centre et qui forgea, quoi qu'on en pense, son identité politique. Il est vrai que son côté centriste ne se voyait guère, qu'il ne s'entendait pas plus, mais il serait faux de ne pas le distinguer dans la brume des arguties et méandres politiques de sa vie. Selon l'expression qu'il aimait employer, "en réalité" il y avait bien un Claude Goasguen du centre, pensant le centre, voulant le centre et se réclamant du centre, fût-ce avec une grande gueule. Parlez-en à Bernard Stasi si vous croisez son fantôme par un soir de pleine lune. Parlez-en à François Bayrou.

Bon, reconnaissons-le, l'image d'Occident lui a toujours collé à la peau. J'ai connu Claude Goasguen en 1983. Il venait d'être élu conseiller de Paris dans le XIVe arrondissement sous la houlette d'Eugène Claudius-Petit. "Claudius", comme nous l'appelions en employant son surnom de résistance. Le grand Claudius, avec ses yeux de félin, sa moustache épineuse, sa coiffure au carré et ses énervements sanguins.

Claude Goasguen avait été le suppléant de Claudius aux élections législatives de 1978 dans ce même XIVe arrondissement. Il y avait alors trente circonscriptions législatives à Paris. En dehors du ton vif et de la volonté de foudroyer, on se demandait ce qu'il pouvait y avoir de commun entre le vieux résistant et le jeune loup au profil d'aigle et aux cheveux qui hésitaient entre le blond et le gris cendré.

Point commun ? Peut-être Georges Bidault. Claudius avait succédé à Bidault comme député de la Loire et Goasguen avait fait ses premières armes politiques en militant pour l'Algérie française, ce moment où Bidault s'est perdu pour l'Histoire. Bidault, homme d'extraordinaire culture, de haute vision politique, successeur de Jean Moulin à la tête de la résistance intérieure en 1943. Bidault déjà gaullosceptique en 1944 quand, sortant d'une réunion du conseil des ministres présidée par le Général, lorsque son ami Teitgen, admiratif du grand homme de Londres, murmurait "Comment peut-on dire tant de choses avec si peu de mots ?", lui répliquait d'un ton cinglant : "Lucifer était le plus beau des anges". Bidault qui fut à peu près le seul éditorialiste politique à protester contre les accords funestes de Munich et qui fut résistant si tôt que de Gaulle refusa qu'on lui retire sa distinction de Compagnon de la Libération en 1961. Bidault, donc, dont l'ombre vivante planait encore parfois sur le respectable parti auquel j'ai adhéré en 1981 et qui se nommait le Centre des Démocrates Sociaux (CDS), le parti dont Claude Goasguen était membre aussi à cette époque.

Mes amis, plus à gauche dans ce mouvement, me disaient de Claude : "Méfie-toi, c'est le diable, il a commencé à Occident". De fait, il m'arrivait de bavarder avec "le" jeune que Goasguen avait casé dans le bureau exécutif des jeunes du CDS (les JDS) de Paris en 1983, alors présidés par Éric Azière qui est aujourd'hui président du groupe UDI-MoDem au conseil de Paris. Ce jeune homme goasguénien (pas Éric Azière, pour ceux qui lisent trop vite mes papiers), qui avait à peu près mon âge et dont le crâne n'était pas tout à fait rasé (mais presque) était le fils d'un des vice-présidents du CNPF (le MEDEF d'alors).

Il venait du PFN (Parti des Forces Nouvelles), un groupuscule que le FN n'était pas encore parvenu à absorber. Il me confiait, mi-figue mi-raisin, désignant Claude : "Il m'a dit que je devais arrêter mes conneries", ce qui signifiait arrêter de militer chez les zinzins pour passer à une action réaliste et respectable.

Nous avons vu quelquefois ce soldat perdu de l'extrême droite au début de notre modeste action, puis moins, puis plus du tout. Mais il y en avait d'autres (dont il vaut mieux oublier les noms) et l'on disait que Goasguen se spécialisait dans le recyclage des jeunes issus de l'extrême droite. Il incarnait par ailleurs déjà l'aile chiraquienne du CDS et Chirac, piloté par Pasqua, était à la recherche d'une formule reaganienne à défendre en France face à Mitterrand et à Barre. C'était consonant avec le ton volontiers imprécateur et cassant du jeune Goasguen. Bref, à tout cela, je préférais le livre au titre claironnant de Bernard Stasi : "L'immigration, une chance pour la France".

Par ailleurs, ce CDS ne s'était jamais remis d'une profonde fracture qui l'avait divisé en 1969 : Alain Poher, président du Sénat et président de la république par intérim, avait défendu ses chances à la présidentielle destinée à pourvoir à la succession du général de Gaulle démissionnaire. Mais son parti, le Centre Démocrate, avait vu la plupart de ses députés se défiler et refuser de soutenir sa candidature. Emmenés par Jacques Duhamel, ils avaient préféré se porter sur celle de Pompidou.

Un jour, j'ai demandé à Bernard Stasi pourquoi ils avaient fait cela. Il m'a répondu :

"Poher n'avait pas la carrure d'un président de la république".

Pompidou ayant gagné assez largement au second tour contre le valeureux Poher, une scission avait découpé le parti du perdant présidé par Jean Lecanuet. À côté du CD, il y avait désormais le CDP (Centre Démocratie et Progrès), dont faisaient parti les futurs ténors du CDS, notamment Bernard Stasi et Jacques Barrot, mais aussi Claudius. Si j'osais, je rappellerais que c'est le directeur de cabinet de Bidault qui, en 1944, avait présenté Pompidou à de Gaulle. Mais il y eut aussi en 1969 l'arrivée au pouvoir de Chaban-Delmas qui rebattait les cartes.

Quoi qu'il en soit, Goasguen apparut dans ce même CDP, la fraction du centre qui appartenait à la majorité présidentielle pompidolienne. Le groupe Union Centriste du Sénat regroupait deux partis politiques, l'un dans la majorité, l'autre dehors, tout en soutenant le président du Sénat, issu de ses rangs, lequel s'opposait avec force à la même majorité présidentielle et parlementaire. Clarté politique à la française, certes, mais en 1974, les deux partis avaient dû se ressouder sous l'autorité de Jean Lecanuet et les bureaux exécutifs des mouvements de jeunes de ces deux partis s'étaient naturellement rapprochés l'un de l'autre en vue d'une fusion.

Dans le bureau des jeunes du CDP figurait un historien du droit aux dents longues, âgé de 29 ans : notre Claude Goasguen. Son président était l'un des fils du sénateur Cluzel. Ils rejoignirent le nouveau mouvement de jeunes, dénommé JDS, alors présidé par François Bordry, frère de l'un des plus proches collaborateurs d'Alain Poher. Le CD entendait s'assurer tous les postes de pilotage du nouveau parti fusionné : il avait perdu en 1969, mais il avait gagné en 1974.

Les militants issus de l'ancien Centre Démocrate considéraient avec une forme d'hostilité ceux qui venaient du CDP, qu'ils tenaient pour traîtres depuis 1969. Ils disaient "nous avions les militants, eux les cadres", sous-entendant que les cadres, pour sauver leur mise, étaient allés à la soupe, un comportement dont les militants ont en général horreur. Mes amis dans ce CDS venaient pour la plupart du CD et non du CDP, j'adoptais volontiers leurs vues, aimant alors l'orgueilleuse intransigeance de l'esprit militant et n'ayant pas d'idée de carrière en tête.

Tout ceci me conduisait à ne pas prendre contact avec Claude Goasguen, malgré ses origines bretonnes.

Je passe sur les années qui suivirent, qui furent déchirées par la guerre picrocholine des géants du centrisme parisien. La collusion des deux jeunes issus du CDP contre le vieux CD finit par s'emparer de l'immense gouvernail de la multitudineuse fédération parisienne du CDS. On parle de foules dignes de rassemblements du PC chinois à l'époque de Mao. Bref, Claude Goasguen s'était rapproché de Jean-Charles de Vincenti, neveu de Jacques Barrot, et leur alliance avait pris la tête du CDS parisien. Il fallut encore quelques années pour que le plus mordant, Goasguen, parvienne à éliminer son allié devenu rival.

Cela se fit à l'occasion de la campagne présidentielle de 1995. Élu de Paris XVe, Vincenti avait choisi Balladur, qui régnait sur ce XVe, cependant que Goasguen optait pour Chirac qui tenait le reste de Paris. J'avais d'abord éprouvé de l'intérêt pour la candidature de Balladur. Une anecdote m'y avait incité : Balladur faisait partie de la même promotion de l'ENA qu'un frère de mon père qui est mort d'un cancer pendant qu'il y étudiait, longtemps avant ma naissance, et je me demandais si Balladur avait des souvenirs de cet oncle inconnu. Et puis, j'approuvais son engagement de ne pas être candidat à la présidentielle.......... Bref, contre tous mes choix des quinze années précédentes, j'ai choisi Chirac. Un ami m'a fait rencontrer Goasguen en privé fin 1993. Claude m'a dit : "conseiller de Paris, je ne peux pas, mais adjoint au maire je peux". J'ai bredouillé je ne sais quoi sans me rendre compte que je venais de signer la première moitié du pacte qui allait me conduire à devenir en 1995 adjont au marie du XVIe arrondissement de Paris.

Dans un premier temps, j'oubliai Claude : je fis offre de service pour la campagne européenne qui se lançait avec Dominique Baudis et Hélène Carrière d'Encausse. Il y avait deux directeurs de campagne : Jean-Luc Moudenc (aujourd'hui maire de Toulouse) pour Dominique Baudis et Jean-Pierre Raffarin pour Mme Carrère d'Encausse. François Bordry se désista alors qu'il devait diriger l'équipe chargée de répondre au courrier reçu par la liste à son QG établi rue barthélémy dans le VIIe arrondissement. Moudenc m'offrit le poste. Je l'avais aidé à prendre la présidence des JDS peu d'années plus tôt, il m'en remerciait. Je me trouvai donc bombardé chef d'une petite équipe dans cette campagne qui ne fut pas très longue mais où j'eus la joie de retrouver Bernard Stasi. L'équipe se composait de deux assistantes parlementaires venues du Sénat, très sérieuses, et nous pûmes refermer notre bureau la veille du scrutin avec la satisfaction de n'avoir laissé aucun courrier sans réponse complète.

Juste dans la foulée se déroula la campagne présidentielle qui, à l'intérieur du CDS, devait pourvoir à la succession de Pierre Méhaignerie, qui le dirigeait depuis 1982. On me demanda de composer les réponses au courrier des militants que recevait l'équipe de campagne de Bayrou, que je soutenais face à Bernard Bosson. J'avais été reçu par François avec une vingtaine d'autres jeunes cadres, il nous avait demandé :

"Pour qui voterez-vous à la présidentielle l'an prochain ?"

Un à un, tous les autres répondaient "Balladur", les dix-neuf autres ; parlant le dernier, je dis "non, désolé, moi, c'est Chirac". Et Bayrou, très à l'aise, me fit le petit discours qui annonçait déjà, sept ans à l'avance, "si nous pensons tous la même chose, c'est que nous ne pensons plus rien". Je fus recruté (bénévole) cadre dans son équipe de campagne.

Éric Azière et Marielle de Sarnez me confièrent une pile de discours déjà prononcés par Bayrou en me signalant les habitudes et particularités rhétoriques du candidat (j'ai encore une cassette VHS de cette campagne si ça intéresse quelqu'un). Pendant les longues décades de la campagne interne, je passai environ trois fois par semaine prendre les courriers reçus et remettre les réponses proposées, que je composais en faisant des collages savants des discours du candidat.

Nous avons gagné cette campagne. La veille du vote, dans un tout petit bureau alors que je bavardais avec je ne sais qui, je vis entrer un Bayrou fourbu, le cheveu en bataille et l'œil brillant, proclamant : "Jamais Bosson ne pourra monter si haut". Et c'était vrai, il prononça un discours qui nous parut éblouissant et qui disait ce que nous espérions depuis longtemps, sur ce parti allant de Balladur à Jacques Delors, et que Delors salua aussitôt chez Anne Sinclair. Et le lendemain du vote, dans le même bureau, un poulain de Stasi, JPF, me lança : "un bureau ici ou à la mairie du XVIe ?" Je n'avais pas compris qu'il s'agissait d'une proposition ferme. Je répondis machinalement "à la mairie", qui représentait, c'est vrai, ma préférence d'alors. Aujourd'hui, je regrette de n'avoir pas connu l'atmosphère spéciale d'un cabinet ministériel.

Bref, qui disait élu à Paris disait rencontrer Claude. Je le vis donc dans son bureau d'adjoint de Chirac à la mairie de Paris. Ce n'était pas un adjoint sectoriel, il s'occupait des relations internationales, ce qui, selon ses propres dires, consistait surtout à aller pêcher au gros en Afrique. Il avait déjà sa collaboratrice fidèle, Annie Buhl, que j'ai retrouvée ensuite pendant vingt ans à ses côtés.

Claude m'envoya au RPR local, Gérard Leban, et je pris ma place modestement dans l'équipe de terrain chiraquienne du XVIe arrondissement. À ce moment-là, il pleuvait des cordes gelées et Chirac végétait à 10 ou 12 % dans les sondages. Le départ de campagne ne me rebuta pourtant pas. Je découvrais avec intérêt les méthodes du parti qui gardait, de ce point de vue, les traditions de son époque gaulliste. L'efficacité d'une organisation rodée et disciplinée. Quand un meeting de campagne de Chirac s'annonçait pour 18 heures, à 17 heures 59 la salle était pleine, à 18 heures les portes étaient fermées et les retardataires n'avaient à s'en prendre qu'à eux-mêmes. On était loin du joyeux bordel qu'a toujours été le centre sous ses diverses formes.

Chirac ayant gagné, Goasguen fut désigné ministre de quelque chose. Il avait pris tout l'arrière du bâtiment du ministère de l'Intérieur et certaines directions centrales clefs de ce ministère clef. Il s'en montrait satisfait mais regrettait de n'avoir pas obtenu plus. Moins de xi mois plus tard, il se voyait débarqué en même temps que les "jupettes". Je l'ai longtemps entendu maudire Juppé par la suite. Le débarquement avait un côté mesquin : au bout de six mois d'exercice, les anciens ministres bénéficiaient de certaines prérogatives. N'ayant pas tenu cette durée pleine, Goasuen perdait ces avantages. Par ailleurs, un macho méditerranéen comme lui trouvait humiliant d'entrer dans la cohorte de ces femmes congédiées en même temps que lui et qu'on a surnommées "juppettes". Enfin, n'étant plus ministre, il n'était pas encore parlementaire.

Ce fut l'époque où je le vis le plus souvent. Il nous conviait dans son bureau, en groupe ou en détail, j'étais adjoint au maire du XVIe, il m'entendait parfois avec d'autres élus ; j'avais trente ans, il m'écoutait parfois avec d'autres jeunes plus jeunes. Il parlait peu et testait seulement des arguments qu'il utilisait ensuite dans ses tribunes publiques, au conseil de Paris ou lors des réunions du parti.

En public, il avait une technique oratoire simple : il énonçait ce que ses adversaires disaient (selon lui) et renversait sa phrase avec un tonnant "en réalité" derrière lequel il dénonçait des intentions ou des actions qu'il condamnait ou combattait. Il parlait rarement pour approuver.

En 1997, au moment de la dissolution idiote, je fus de ceux qu'il interrogea. Je lui répondis "Pour toi, ça ira, mais quelle connerie !" Pendant cette courte campagne, il me raconta comment il venait faire les gros bras avec les soutiens de l'Algérie française dans ce même quartier dans les années 1960. Il me parla du général Stehlin, élu dès 1968 dans le XVIe nord, et qui avait été un ami de mon grand-père.

Il fut enfin élu député contre Georges Mesmin qui tenait le siège du XVIe sud depuis 1973.

Vers cette époque, il changea de chef de cabinet. Il se rapprochait de Philippe Douste-Blazy qui poussait contre Bayrou à l'intérieur du parti (devenu entretemps Force démocrate). son nouveau bras droit se nommait Thierry Solère. Celui-ci entendait prendre le plus possible d'autorité sur son patron, c'est logique. Je vis donc moins Claude. Solère me consultait de temps à autre. Par exemple, il me demanda si je croyais qu'un téléphone portable permettrait à Claude d'éviter les écoutes des barbouzes. J'étais à la fois incompétent et sceptique, je le lui dis.

En 1998, René Monory, malade, dut quitter la présidence du Sénat où il avait succédé à Poher. Le RPR s'empara de la présidence de la Haute Assemblée. De ce fait, l'UDF avait vécu. Les libéraux la quittèrent sous la houlette de Madelin et se rapprochèrent de Chirac, cependant que Bayrou conservait une UDF réduite. J'eus à choisir. Je me trouvais dans mon bureau à la mairie du XVIe lorsque Solère me téléphona. Je lui indiquai que si j'avais voulu adhérer au RPR, cela aurait été fait depuis longtemps et que le parti de Madelin me semblait être l'antichambre du RPR à court terme. Une heure plus tard, Claude m'appela en personne. Mais il se contentait de dodeliner comme dans une pagnolade. Il ne trouvait pas d'argument, je crois. Il n'osait pas me proposer une promotion ou quelque chose de consistant. Je n'aurais d'ailleurs rien accepté à ce moment-là.

Trois jours plus tard, ce fut Bernard Stasi qui tenta de me convaincre au cours d'un dîner à la "Poule au pot", restaurant près du siège de Force Démocrate (aujourd'hui du MoDem).

Ce fut donc la fin de quatre années de rapprochement et je n'ai pas de jugement à porter sur ce que Claude a fait depuis.

En 2008; je ne sais pourquoi, j'ai eu envie de me rendre à la mairie du XVIe pour assister à l'élection du maire. Pierre-Christian Taittinger espérait un quatrième mandat, mais Claude lui avait savonné la planche. Désigné par les électeurs, Taittinger fut battu par les élus. Or il avait fait exactement la même chose à son prédécesseur à la mairie, Mesmin, le même que Goasguen avait ensuite battu aux législatives. Sans vergogne, Goasguen se vantait de venger un centriste et de rendre enfin la mairie à un centriste. Ça me semblait excessif. Avec beaucoup de dignité, Taittinger quitta la salle. Seul.

Je n'ai revu Goasguen qu'une fois de près. Il avait demandé à mon frère (sculpteur) d'exposer quelques œuvres à la mairie du XVIe, je crois que c'était en 2011. Nous avons bavardé. pour la corpulence, il ressemblait à Abraracourcix. Moi aussi. Je le sentais sceptique sur l'avenir de Sarkozy, alors président, qu'il soutenait pourtant. Il n'y avait plus de contentieux entre nous, s'il y en avait jamais eu. Il avait ce regard un peu de côté, ce sourire large et mordant. Il me répéta : "Non, pas Occident, mais la Corpo de droit, ce n'était pas si loin, mais ce n'était pas la même chose". Nous n'avions tout de même pas les mêmes valeurs, mais qu'à cela ne tienne : au-delà des idées, le souvenir de beaucoup de bons moments en privé, libre, où il ne disait jamais rien ni de médiocre, ni de stupide. Il y avait chez lui un désir de hauteur qui, à mon avis, n'a jamais été satisfait, et une envie de peser en bien sur le destin de son pays.

Pour nous, Bretons, il faut lui rendre hommage sur un point : avec François Bayrou, lorsque celui-ci était ministre de l'Éducation nationale, il a beaucoup travaillé pour l'amélioration du sort fait par l'administration aux écoles Diwan. Cela ne s'oublie pas.

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22/11/2019

Parution de mon nouveau livre : Histoire Généalogique de Bretagne

J'ai livré en 2015 la biographie de Guy Autret de Missirien. En 2018, j'ai publié le texte du même auteur relatant la tenue de l'arrière-ban de Quimper en 1636, accompagné de ses annotations où il révélait toute l'ampleur de la décision historique prise par le Parlement de Bretagne en enregistrant l'édit royal de convocation dudit arrière-ban. Désormais, le Parlement de Bretagne se posait en gardien des privilèges historiques de la Bretagne sous l'empire de la couronne de France.

Ce nouveau livre va beaucoup plus loin. Il entreprend de réaliser le projet suprême de Guy Autret de Missirien, annoncé en 1640, en 1642 et 1655 : l'Histoire Généalogique de Bretagne.

De quoi s'agit-il ? Matériellement, du tout premier nobiliaire et armorial universel de Bretagne, accompagné d'une Histoire de Bretagne et de la liste des principaux responsables politiques et religieux de Bretagne depuis l'origine. En somme, il s'agit de ce que le Père Anselme de Sainte-Marie fit plus tard pour la couronne de France, augmenté d'un nobiliaire et armorial aussi complet que celui de Pol Potier de Courcy, encore augmenté de généalogies très détaillées de toutes les familles nobles bretonnes.

En somme, si ce projet avait pu voir le jour, il se serait agi d'une véritable encyclopédie historique, prosopographique et généalogique des pouvoirs bretons depuis l'origine et jusqu'au XVIIe siècle inclus. Projet pharaonique et fantastique probablement au-delà des forces de son auteur. Mais projet cohérent, puisque après la disparition de la principauté bretonne vantée par son prédécesseur Bertrand d'Argentré, il fallait établir une nouvelle légitimité bretonne et que cette immense fresque avait pour but d'entourer le Parlement d'une véritable caste prétorienne et de faire ainsi de la noblesse bretonne la gardienne du destin historique de la Bretagne face aux institutions de la Couronne.

J'ai rassemblé tout ce que j'ai pu trouver des textes généalogiques et historiques de Guy Autret de Missirien pour en faire un gros volume de 480 pages de format 25x33 cm, sur papier Rives Tradition 100 g, broché cousu à l'ancienne et relié dans un fort cartonnage. Près de 1000 écussons en couleur émaillent le texte, ainsi que des photos de vitraux héraldiques. Un index de 5000 patronymes et de 3000 toponymes permet de naviguer dans cette foison historique et généalogique.

Les Éditions de La Pérenne, 500 Euros.

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26/05/2019

Mon nouveau livre : "La seigneurie de Pont-l'Abbé de 1223 à 1526"

Pont-l'Abbé fut une importante seigneurie dès le Moyen Âge. L'étude que je viens de faire paraître met nos connaissances à jour sur cette terre éminente de la Cornouaille bretonne. J'y ajoute des chiffres démographiques et sociologiques entièrement inédits et une étude sur le fonctionnement et sur les revenus de cette seigneurie qui devint baronnie en 1493.

Il s'agit aussi de comprendre et aimer le Moyen Âge aussi bien dans ses mentalités que dans ses réalités.

Éditions de La Pérenne, 156 pp, 21x30 cm, nombreuses illustrations, cartes inédites, 39 Euros.

Bretagne, Pont-l'Abbé, Cornouaille

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13/02/2019

Parution de mon nouveau livre : "Plonéour et Lanvern au Moyen Âge"

Nouvelle parution dans ma série des monographies médiévales bigoudènes : "Plonéour et Lanvern au Moyen Âge". Une occasion de découvrir un territoire qui a longtemps eu un prestige très exceptionnel de l'époque gauloise jusqu'aux derniers siècles du Moyen Âge. un haut-lieu guerrier en particulier, où se coudoyaient non moins de 25 manoirs lors de la Réformation des Fouages de 1426.

15 Euros.

 

Bretagne

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05/11/2018

Mon nouveau livre : "Penmarc'h au Moyen Âge"

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Ma collection d'ouvrages sur le destin médiéval des localités du pays bigouden se poursuit par l'aventure extraordinaire des marins de Penmarc'h, qui font figure de baroudeurs et de bâtisseurs d'Europe.

En effet, la fin du Moyen Âge a vu la connexion de l'Europe du sud à l'Europe du nord. Cette connexion est l'un des aspects de ce que nous nommons la Renaissance. Il se trouve que les marins bretons ont joué un rôle immense, plus que majeur, presque hégémonique, dans la connexion nord-sud de la mer du Nord au Portugal, et que, parmi ces marins, ceux de Penmarc'h étaient de loin les plus nombreux.

mon livre s'emploie donc à la fois à prouver ce rôle de bâtisseur d'Europe et à en chercher les racines dans le plus lointain Moyen Âge, tout en éclairant les destins individuels grâce à une masse importante de documents tout à fait inédits et interrogés pour la première fois.

Un sujet très nautique, qui réservera des surprises même aux esprits blasés par une recherche déjà abondante.

 

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29/06/2018

Parution de mon livre sur Fernand Chauvel

Fernand couverture - copie 3.jpgLe Docteur Fernand Chauvel (1868-1953) fut une figure médicale incontournable du Finistère pendant cinquante ans. Il fonda à Quimper en 1902 la clinique Saint-Michel, dont le nom s'éteint ces jours-ci par l'absorption de cet établissement dans un plus grand groupe. Ce fut la première clinique chirurgicale du Finistère, et même la première clinique pasteurienne de Bretagne.

Fernand Chauvel avait en effet été formé par le Dr Émile Roux, cofondateur de l'institut Pasteur avec Pasteur, et par le Professeur Félix Terrier, qui appliqua le premier dès 1890 (à l'hôpital parisien Bichat) les principes de Pasteur et révolutionna ainsi la salle d'opération. Chauvel fut son élève à l'époque même où Terrier mettait ses innovations au point, en 1892-1894.

Fernand Chauvel reçut la Légion d'Honneur dans sa salle d'opération, sur le champ de bataille, en 1918, et fut à la même époque appelé comme membre de ce qui allait devenir l'Académie Nationale de Chirurgie. Après l'armistice, il reçut aussi la Croix de Guerre 1914-18.

Président de l'association des médecins du Finistère pendant tout l'entre-deux-guerres, président aussi du Yacht-Club de l'Odet, médecin des cheminots de Quimper, il fut à cette époque une figure incontournable et s'engagea fermement pour la liberté de culte en 1924, dans ce qu'on a appelé le "réveil des catholiques bretons", lorsqu'il sembla que le Cartel des Gauches s'apprêtait à serrer un nouveau tour de vis contre la pratique religieuse catholique. Il fut soutenu par Ouest Éclair (ancêtre de Ouest France), par la Fédération des Républicains Démocrates, proche du Parti démocrate Populaire du député de Pau Auguste Champetier de Ribes, lors de son élection à la mairie de Combrit en mai 1925.

Il fut même candidat poincariste aux sénatoriales de 1928. Sa profession de foi, publiée par le Progrès de Cornouaille, indique que, catholique, il est attaché à la République, il a servi comme tout le monde pendant la Grande Guerre et ne peut plus supporter que de véritables "lois d'exception" accumulent les brimades contre les pratiquants. Il respecte d'ailleurs toutes les religions et convictions et est ennemi de tous les sectarismes. Il échoua de peu à être élu sénateur.

Il était devenu maire de Combrit en 1925 et est, à ce jour, le maire à avoir occupé le plus longtemps ce siège, puisqu'il y resta jusqu'en septembre 1944. Sous l'Occupation, il réussit à éviter que les jeunes de sa commune ne soient emmenés par le STO pour travailler en Allemagne nazie.

Il est mort en 1953.

Cette année est le 150e anniversaire de sa naissance. C'était le grand-père de ma mère. Je lui ai donc fait ce petit livre hommage.

Éditions de la Pérenne, 12 Euros.

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27/04/2018

Parution de mon nouveau livre : 1636, l'arrière-ban

Il s'agit d'un document tout à fait inédit qui a donné au Parlement de Bretagne un des premières occasions de protéger les privilèges historiques de la Bretagne. C'est aussi une chance  de découvrir un nouvel aspect de l'œuvre de Guy Autret de Missirien, dont j'ai précédemment publié la toute première biographie.

L'arrière-ban de 1636 dans la sénéchaussée de Quimper (Cornouaille, Léon, Morlaix)

800 personnalités ont répondu à la convocation du roi Louis XIII et du cardinal de Richelieu en octobre et novembre 1636. Ils ont déclaré plus de 820 manoirs et lieux nobles issus de tout l'actuel Finistère. 549 notices biographiques et généalogiques, ornées de plus de 450 armoiries étudient ces personnages fidèles au roi et au cardinal.

Ils devaient marcher en guerre contre les Habsbourg (c'est le moment où Richelieu se montre particulièrement retors, qui brime les protestants en France mais les soutient contre l'empire en Allemagne), mais une précaution juridique du Parlement de Rennes protégea les privilèges de la Bretagne et seuls les volontaires allèrent au combat. Ils y furent d'ailleurs nombreux.

Des Annotations publiées par Guy Autret de Missirien en 1637 et rééditées pour la première fois ici permettent de comprendre tous les enjeux de l'événement historique.

On y apprend que les Gardes du Cardinal, plus tard rendus célèbres par Alexandre Dumas, étaient majoritairement bretons et que tous les matelots de l'armée navale, même en Méditerranée, étaient bretons.

Prix public 39 Euros. Les Éditions de la Pérenne

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19/09/2017

Loctudy au Moyen Âge (mon nouveau livre)

Quelques mois après le cinquième tome de la Réformation des Fouages de 1426 (consacré à l'ancien diocèse de Saint-Brieuc), voici mon nouveau livre :

 

Loctudy, Bretagne, Finistère, Moyen Âge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'ancienne paroisse de Loctudy recouvrait un territoire sensiblement différent de l'actuelle commune de Loctudy. Elle a perdu son nord abosorbé en 1790 par Pont-l'Abbé, un morceau à l'ouest pris par Plobannalec, et même une curieuse enclave de Plomeur. Au sud, elle a pris une moitié de l'ancienne paroisse de PLonivel.

Très marqué par le Haut et le moyen Moyen Âge, Loctudy naît sous ce nom voici près d'un millénaire, vers le milieu du XIe siècle, reprenant à son compte des responsabilités administratives jusque-là dévolues à Plonivel dont elle constitue une fraction.

L'ouvrage permet de réfléchir aux anciennes légendes locales, au "roi" Gradlon, et même à l'origine de Quimper.

Pour le Bas-Moyen Âge, il explore une documentation fournie et inédite, dont il produite de nombreuses transcriptions, elles aussi inédites, qui raviront les chercheurs et les généalogistes.

Aux Éditions de La Pérenne, 15 Euros.

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08/06/2017

Morale et politique

La France est depuis longtemps un pays de réseaux. Sous l'Ancien Régime, on n'existait que si l'on appartenait à une corporation, un métier, une jurande, ou à une caste, la noblesse en particulier. Plus récemment, ces réseaux qui strient et cadenassent le territoire ont pris la forme des grandes écoles (énarques, polytechniciens), de cercles plus ou moins sélectifs (Racing Club de France, Rotary, Amicales diverses, francs-maçooneries). Mais tout cela est comme ravalé au second rang. Il semble en effet que, plus encore qu'un pays de réseaux, la France soit devenue un pays de mafias, au premier rang desquelles il faut placer des partis politiques comme LR et le PS.

Ces mafias se défendent dès qu'on s'en prend à elles et se jettent à la gorge du premier responsable politique qui exprime le désir d'introduire de l'éthique dans la vie civique de notre pays. On se souvient de la terrible fin de Pierre Bérégovoy, de celle moins tragique de Cahuzac (qui avait oublié de balayer devant sa porte avant de s'en prendre aux exilés fiscaux), du dérapage incontrôlé de François Fillon, autoérigé en père-la-rigueur pour finir en universel grippe-sou d'argent public, et voici que François Bayrou essuie à son tour la canonade d'une façon que la justice aura à apprécier un jour ou l'autre mais qui, personnellement, me paraît assez éloignée de ce qui est par ailleurs reproché au Front National ou à Richard Ferrand par exemple.

Dans le cas du Front National, il y a une petite vingtaine de députés européens qui mettent rarement les pieds en séance du Parlement Européen, qui n'y signent ni rapports ni interventions publiques, et dont l'activité parlementaire peut donc passer pour nulle. La nullité de cette activité crée comme une présomption d'emploi fictif de leurs assistants parlementaires, car s'il n'y a pas d'activité parlementaire, à quoi peuvent donc être employés les assistants ? À faire des cocottes en papier ? Non bien sûr, ils travaillent pour leur parti. Et disons aussitôt qu'une partie de l'activité d'un parlementaire est nécessairement affectée à son parti politique, car c'est sur une étiquette politique qu'il est élu. Il y a donc une cohérence. Reste à trouver le bon dosage, il semble que la justice soit appelée à l'apprécier. En ce qui concerne le FN, le déséquilibre est manifeste, en ce qui concerne le MoDem, il faudra voir, la parlementaire qui me paraît la plus sur la sellette pourrait être Sylvie Goulard, qui a cependant quitté ce parti. Il faut tout de même inscrire à décharge de ces deux partis la guerre implacable que leur a livrée l'ancien président Sarkozy, et qu'il semble réveiller depuis qu'il s'est rapproché de M. Macron. Rappelons que, héritier des réseaux Pasqua, M. Sarkozy est expert en matière de mafias. M. Hollande aurait dû le savoir, M. Macron devrait en prendre conscience.

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Dans le cas Ferrand, il ne s'agit plus du tout de la même chanson. On parle d'enrichissement personnel. Est-il illégal ? y a-t-il abus de confiance non seulement de M. Ferrand, mais de toute l'équipe dirigeante des Mutuelles de Bretagne ? La justice le dira, mais on voit que l'atmosphère de népotisme, de copinage, d'impunité et de mélange des genres trouble profondément l'opinion, au point de susciter un rejet dont le quinquennat actuel pourrait être secoué s'il n'y prend garde.

Et c'est là que nous retrouvons le FN, car si l'affaire des assistants parlementaires va mériter un savant dosage de mesure d'activité, celle de la vente des kits de campagne aux candidats renvoie bien elle aussi à un phénomène d'enrichissement personnel et de pratiques mafieuses.

Les esprits sont donc troublés, l'abstention sera paraît-il massive et la légitimité du pouvoir affaiblie. Or c'est dommage.

Car on nous promet une première vague de moralisation de la politique qui contient des mesures nécessaires, comme la suppression de la Cour de Justice de la République ou l'interdiction d'embauche de la famille (mais quid de la "maîtresse" ou de l'amant ?) par les élus, ainsi qu'un renforcement des mesures contre les conflits d'intérêt.

Disons tout de suite que, dans ce dernier domaine, l'entrée massive de représentants des lobbys dans les cabinets du pouvoir offre un effet-miroir déformant assez curieux, du genre "faites ce que je dis, pas ce que je fais". Il y aura effort de cohérence à fournir pour les troupes de M. Macron.

Au-delà même, il appartient encore au domaine des utopies qu'un avocat ne se fasse pas le porte-parole de sa profession dans l'hémicycle, ni un médecin de la sienne, ni un fonctionnaire du corps même de l'État et de sa logique de pouvoir. Suffirait-il qu'un fonctionnaire soit automatiquement démissionné de la fonction publique lorsqu'il est élu parlementaire, mais cela ne serait-il pas au moins un minimum ?

Enfin, il est un domaine où la loi proposée par M. Bayrou ne semble pas aller assez loin, c'est celui de la pseudo-démocratie locale. On élit dans les communes et dans la plupart des autres collectivités locales des pouvoirs sans contrepouvoirs, et ce sont parfois de véritables potentats qui phagocytent tous les leviers de décision dans leur périmètre, et qui s'assujettissent tout ce qui devrait être indépendant d'eux. Contre cela, qui est un véritable scandale démocratique et mafieux à hauteur d'homme, il n'y a encore rien de prévu, et c'est bien dommage, car la loi à venir est prometteuse.

Pour le reste, et en ce qui concerne cette affaire des assistants parlementaires, qu'une enquête soit diligentée dans tous les partis politiques, et s'il y a des cas que la justice épingle, il me semble que les dirigeants devraient prendre au plus vite l'engagement de rembourser aux parlements concernés les éventuelles sommes indues. En ce qui concerne le MoDem, j'ai la conviction que la structure est globalement honnête.

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27/04/2017

La France est-elle multiculturelle ?

Avant le 1er tour, Emmanuel Macron a souligné qu'il ne voulait pas d'une "France multiculturelle". Qu'entendait-il par là ? Est-ce si simple ?

J'ai déjà eu l'occasion de dire plusieurs fois, sur ce blog qui a célébré discrètement ses dix ans en janvier, mais où je ne m'exprime plus guère, que la référence que le Front National (et d'autres avec et/ou après lui) mettent en avant est un pur mythe : le mythe d'une France uniforme, parlant la même langue, pratiquant les mêmes jeux, s'envoûtant des mêmes contes, obéissant aux mêmes règles. Car jusqu'aux années 1960, sur la majeure partie de notre territoire, l'on parlait très volontiers divers langages et langues locaux, l'on rendait des hommages plus ou moins discrets à des figures spirituelles plus ou moins avérées, mais diverses et locales. On mangeait à l'huile dans le sud, au beurre en Bretagne, à la crème en Normandie, on buvait ici de la bière, là du cidre, plus loin du vin, et ainsi de suite. Bref, la France était une mosaïque de cultures locales. Elle était, profondément et viscéralement, multiculturelle, et si elle a changé depuis une ou deux générations, la télévision en est probablement la cause encore plus que l'exode rural. À fond, multiculturelle.

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Seulement voilà, sur cette lecture historique et sociologique évidente se superpose une lecture plus politique du mot "multiculturel". Et avec elle, l'idée que des mouvements politiques tentent d'imposer des inflexions légales profondes à notre société, et qu'ils le font par le moyen culturel, en justifiant qu'il puisse y avoir des espaces dans notre pays où une autre culture que la nôtre prévaille sur la nôtre. En d'autres termes, ce qu'il s'agit de dénoncer, c'est l'attitude d'élus qui, parfois, pactisent avec les amis du terrorisme prétendu djihadiste. C'est aussi le relativisme culturel qui croit pouvoir s'appuyer sur une victimisation de principe du musulman pour justifier que se créent des poches de flou juridique justifiant in fine un multiculturalisme. Bien entendu, cette dérive, pas plus qu'Emmanuel Macron, je n'en veux, ni au profit de sectes se réclamant de l'islam, ni au profit de communautaristes de tout poil et de toute confession.

Il y a d'ailleurs une difficulté que nous devons affronter enfin, ou que nous devrons affronter bientôt : c'est celle de la religion (ou des religions) dans notre Histoire. Lorsque, dans les années 1970, Jacques Martin, qui ne fréquentait guère les églises, interrogeait les très jeunes élèves de son "École des Fans" sur la localité dont ils venaient, il leur demandait toujours, certain d'une réponse positive : "Il y a une église ? Il y a une boulangerie ?" etc. Je passerai ici sur la disparition des boulangeries et des commerces de proximité dans les petites localités, c'est un problème dont les élus locaux ont pris conscience et qui trouve parfois remède. Revenons à notre clocher.

Maurice Barrès dans "La Grande Pitié des Églises de France", vitupérait contre les élus radicaux (qu'il qualifiait du mot hideux d'"enjuivés") qui démolissaient les sanctuaires de leurs villages. Le ton sur lequel il le faisait ne serait heureusement plus accepté aujourd'hui, et l'argument qui les sous-tendait est devenu particulièrement odieux depuis l'horreur de la Shoah, mais il reste que la société française n'a pas réglé psychanalytiquement son rapport avec ses siècles de christianisme dominant. La diversité des interprétations courantes du mot laïcité en est la preuve, et les arrière-pensées ne sont seulement ni dans le camp clérical chrétien, ni seulement dans le camp ultra-laïque, mais bien aussi dans celui des adversaires du modèle occidental, et en particulier du modèle français de laïcité prise dans son heureux sens de neutralité.

C'est bien là que la phrase de M. Macron prend un sens plus fort : il y a, dans notre monde, une tendance à ravaler les droits humains au rang de pensée occidentale, à laquelle s'opposerait légitimement une "autre pensée", qu'elle soit russe, qu'elle soit wahhabite, qu'elle soit même chiite, qu'elle soit parfois africaine, une "autre pensée" où l'égalité de principe entre les humains (donc entre les sexes) ne serait plus un objectif primordial, voire plus un objectif du tout, où la légitimation des comportements sexuels minoritaires ne serait pas à l'ordre du jour et n'aurait pas vocation à y être jamais. En somme, il n'y aurait pas une seule et unique culture humaine et humaniste, mais plusieurs, il n'y aurait pas un objectif commun de civilisation, mais plusieurs courants qui coexisteraient sans critère de progrès commun.

Et à ce relativisme-là, qui finit par justifier le racisme et la torture, la phrase de M. Macron s'oppose avec une juste rigueur.

Cela ne nous dit pas ce que nous devons conserver du carillon des heures qui rythme la vie des campagnes depuis dix siècles au moins, et dont certains citadins se plaignent en s'installant maintenant à la campagne. Les églises, là où il y en a, sont-elles seulement des vestiges, témoignent-elles encore d'une foi passée ? Que voulons-nous en faire, et quel hommage souhaitons-nous rendre à l'élan de nos aïeux qui les portait si volontiers à ces édifices parfois orgueilleux, parfois exubérants ? Comment insérer notre histoire dans notre vie, et dans notre paysage vivant et actif ?

Cela fait sans doute partie des questions qui hantent les campagnes où le vote extrémiste domine ces jours-ci. Outre la disparition des acteurs familiers de l'ancienne république (le curé, l'instituteur, le postier), il faut y retrancher de plus en plus le paysan, en voie d'extinction rapide. Et donc, si nous disons que nous ne voulons pas d'un multiculturalisme, c'est évidemment à cette population-là aussi, celle que hante l'idée d'une déculturation historique, que nous nous adressons. Hélas, nous ne le faisons qu'avec des mots. Si demain, nous ne sommes pas capables de changer les faits, ces mots seront vains et, un jour ou l'autre, la majorité se fera de ce que nous refusons aujourd'hui. Je veux dire par là que si par exemple nous ne sommes pas capables de dire que la financiarisation de l'agriculture nous déplaît, et que nous sommes à même d'y remédier pour maintenir le réseau d'une agriculture familiale dynamique, nos mots ne seront que de belles paroles, trop fragiles remparts contre les idées que nous combattons. Je veux dire par là aussi que si nous ne sommes pas en mesure de comprendre l'espace géographique français d'aujourd'hui et d'en moderniser le parcours et la fluidité, ni d'en équilibrer l'activité, si nous ne sommes pas capables de comprendre que la petite ville ne fait pas vivre son arrière-pays, mais que c'est l'inverse qui est vrai, nous irons droit dans le mur, quels que soient l'âge et l'intelligence de notre capitaine national.

Mais il faut tout de même avouer que la France reste et restera multiculturelle. Un pays qui s'étend sur la Polynésie aussi bien que sur l'Amazonie, et dont le rivage est baigné aussi bien par l'Océan Indien que par le ressac de Terre-Neuve ne peut prétendre n'avoir qu'un seul air à son violon. C'est notre richesse, même si nous savons que comme nos ancêtres communs, les Gaulois, les Français, où qu'ils soient, et quelle que soit leur origine ethnique réelle, n'ont peur que d'une chose : que le ciel leur tombe sur la tête.

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03/04/2017

La culture française

Il n'y a pas de culture française comme les nazis croyaient (ou feignaient de croire) qu'il pût y avoir une culture "aryenne". En ce sens, il n'y a pas de culture française dont il faudrait rechercher une éventuelle pureté par je ne sais quelle épuration, forcément ethnique, excluant successivement et conjointement les juifs, les tziganes, les Maghrébins, les "sangs-mêlés", les homosexuels, les gauchers, les rouquins, ou qui que cela fût. Sur ce point, nous trouverons facilement un consensus parmi les gens de bonne volonté qui réfléchissent à la France d'aujourd'hui.

Cependant, il y a la francophonie et la culture française écrite, facilement identifiable par le fait que ses productions sont faites originellement en langue française. Ce critère linguistique nous met d'ailleurs immédiatement en présence d'une première difficulté, car la littérature d'expression française qui n'émane pas d'auteurs français, ni même résidant en France, est légion. Et il y a des auteurs français qui se sont principalement exprimés en latin, en philosophie surtout. Mais enfin, Victor Hugo, c'est bien un morceau d'une culture qui ne peut avoir d'autre nom que française, de même qu'Alexandre Dumas. Et d'ailleurs, nous savons toute l'aura que ces deux auteurs ont donnée à la France dans le monde, eux qui ont parlé de la France principalement. Culture française, oui, mais finalement érigée à un rang universel.

Peut-on être français et universel à la fois ? Peut-on être particulier et universel à la fois ? Il y a là un très vieux débat pour lequel je ne prendrai cependant pas le temps de réveiller Aristote et Platon. Quoi de plus anglais que Shakespeare ? quoi de plus universel ? Quoi de plus russe que Dostoïevsky ? quoi de plus universel ? Qu'un ensemble d'auteurs français puisse finir par constituer une culture littéraire française n'est pas un artifice de langage, même s'ils sont devenus universels. On retrouve du Corneille chez Victor Hugo et du Racine chez Lamartine. Il y a de l'Hugo chez Rostand et du Lamartine chez Proust. Il y a aussi du Stendhal chez Proust, et du Balzac chez Zola (fils d'immigré italien), et du Zola chez Simenon (belge d'ailleurs). Ce réseau temporel ou intemporel constitue une réalité d'abord facile, la littérature française, qui s'insère naturellement et heureusement dans l'ensemble plus large de la littérature francophone.

Pourquoi en serait-il autrement des autres arts majeurs ? Il y a une peinture flamande, un Quatrocento italien, le popart américain, les experts des ventes publiques parlent d'"école française' de tel siècle, pourquoi n'y aurait-il pas, pour chacun des arts, un fil tendu à travers les siècles, auquel seraient suspendues les œuvres une à une, et qui, cahin caha, constituerait un style, une façon, quelque chose de collectif attaché à l'œuvre, ce qui n'empêcherait pas un dialogue avec l'universel et que menacerait sans cesse la tentation d'une recherche de pureté ? L'école littéraire française romantique se réclamait de Shakespeare et de Walter Scott, ce qui ne l'empêcha pas de produire une expression qui, aux yeux du monde entier, traduit l'un des meilleurs aspects de ce que l'on aime dans la culture française. Pourquoi en serait-il autrement de Poussin, Le Nain, Watteau, Fragonard ? Le siglo de oro espagnol a produit la figure du Cid, qui a inspiré à Corneille l'une de ses pièces les plus françaises.  Pourquoi en serait-il autrement ? Pourquoi la peur de céder à la tentation de l'épuration conduirait-elle à casser le thermomètre de l'étude scientifique artistique ?

La musique française a été profondément changée par la Révolution. Avant la Révolution, on prononçait la langue d'une façon plus chantante qu'après. et cela donna Lulli (il est vrai italien), Charpentier, Rameau. Depuis, la prononciation est de plus en plus terne et de plus en plus sourde. Et cela a donné successivement Berlioz, Offenbach (il est vrai allemand), Gounod, Bizet, pour finir en Ravel, Debussy, Poulenc et quelques autres sans vouloir oublier Boulez. Écoles françaises successives, couleur musicale identifiable, liée à la langue. Il y a du Charpentier chez Bizet et du Rameau chez Gounod. Je pourrais ajouter du Debussy chez Kosma, mais ceci est une autre histoire.

Oui, il y a une culture française, dans tous les arts majeurs, elle existe. Elle ne résume ni ce qui a été et est produit en France, ni ce qui a été et est produit par des francophones, mais c'est l'une des données de la matière art, au même titre que beaucoup d'autres, et selon des règles et des mécanismes très tortueux.

Comme je suis contre l'idée d'épuration, je n'oublie rien de ce qui compose cette unité apparente. Qu'y a-t-il de plus français qu'Astérix, dont les auteurs étaient pour l'un (Goscinny) originaire d'Europe centrale et élevé en Argentine et, pour l'autre (Uderzo), fils d'immigré italien ? Qu'y a-t-il de plus français que les "sangs-mêlés" Piaf et Mouloudji ? Ou que les Italiens Montand, Reggiani, Ventura ? Ou que les films de Costa-Gavras coécrits avec Georges Semprun, l'un né en Grèce, l'autre n'ayant jamais renoncé à sa nationalité espagnole ? Tout ceci participe à un tohu-bohu d'où émane, aux yeux du scientifique, et aux yeux de l'observateur extérieur, une culture française.

Ce débat n'aurait, au fond, d'importance que théorique si la France n'avait pas une mission historique et si elle n'avait pas l'heureuse habitude de vouloir défendre un rang parmi les nations. Sa mission d'émancipation de l'esprit humain a produit une pièce de théâtre qui, à mon avis, reste unique au monde, le Tartuffe de Molière. Son habitude de défendre son rang a fait comprendre à De Gaulle que, dans le monde issu de la Seconde Guerre Mondiale, la culture constituait un outil de rayonnement considérable. À son époque, le marché mondial parisien des arts majeurs conservait encore un rang sans égal. Depuis, par l'effort des Américains conjugué à celui des Britanniques, l'épicentre du marché s'est déplacé à New-York et à Londres.

Or ce déplacement s'est fait par volonté politique. Les Américains ont empilé les millions de dollars pour promouvoir leur popart, jusqu'à l'écœurement, pour écraser le monde sous la supériorité de leur culture, dont on pourrait discuter la pertinence, mais c'est un autre sujet. Pourquoi le popart ? parce qu'on voit immédiatement ce qu'il a de manifestement américain des années 1950-60, les néons, le fluo, la rutilance, le plastique, l'utilisation même d'icones de la culture populaire (popculture pour popart) américaine, comme Marylin Monroe et James Dean. Tout cela parlait de l'Amérique au monde. De Gaulle l'avait compris et en voulait autant pour la France, et eut la chance que notre école de cinéma lui en donnât un instrument très efficace puiqu'elle régna sur les années 1960 et 1970.

Mais la France, riche d'outils anciens dans beaucoup d'autres domaines comme la peinture, cherche toujours des outils nouveaux dans ces domaines. Il suffit de dénombrer les cars de touristes venus retrouver les canotiers de Renoir et la Sainte-Victoire de Cézanne pour comprendre ce que je veux dire.

En ce sens, il est donc du devoir d'un gouvernement qui voudrait promouvoir la France de la doter des attributs de rayonnement essentiels qui sont ce que l'on nomme une culture française, non pas un reflet ethnique de je ne sais quel fantasme, non plus une exploitation du mythe du béret et de la baguette, mais quelque chose qui parle de l'essentiel, qui décrive l'instant en frappant l'époque du marteau de l'intemporel, qui métamorphose le futile en crucial et le divertissant en bouleversant. C'est à la fois une pépinière et un fantasme qu'il faut avoir, l'envie de dire le plus important et l'instrument pour que ce dit soit la foudre.

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28/03/2017

À J-25, analyse comparative

Dans moins d'un mois aura lieu l'élection présidentielle, un scrutin qui place la France devant ce qu'un grand politicien d'autrefois, Georges Bidault, appelait le "miroir des énigmes". Rarement l'incertitude aura été si grande à la fois sous la plume des observateurs et exégètes et dans la tête des électeurs dont l'indécision ne se résout que très lentement.

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Onze candidats sont aux prises et, en attendant de mieux découvrir les six "petits" dans le prochain débat télévisé, il est désormais possible de dresser un vrai bilan comparatif des cinq "grands", ceux qui ont été invités au premier débat télévisé : Marine Le Pen, François Fillon, Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon et Emmanuel Macron.

Concernant Marine Le Pen, je serai bref. Ses exhibitions répétées en compagnie de figures d el'antisémitisme européen enveloppent sa candidature d'un halo nauséabond, d'autant plus regrettable que ceux qui se réclament d'elle, comme les agriculteurs, comptent parmi les métiers dont la plaint est la plus légitime. Le père donnait, disait-on, de mauvaises réponses à de bonnes questions. La fille fait de même. Le fait qu'elle soit allée se faire adouber par le président Poutine pose d'autres problèmes, que je vais dire dans un instant. Enfin, le programme économique de Mme Le Pen empile les absurdités sur les folies, il ne peut mener notre pays qu'à la déroute et au rétrécissement, ce que je ne veux pas. Elle n'aura pas ma voix, quoi qu'il puisse arriver.

Jean-Luc Mélenchon me rappelle un leader du CDS qui, lors d'un congrès fatidique, en 1994, se présentait à la présidence d'un mouvement qu'il comptait dissoudre aussitôt dans un plus grand, celui de M. Balladur (ce leader fut battu par François Bayrou). En effet, si l'on suit bien M. Mélenchon, il est candidat à inaugurer les chrysanthèmes et expédier les affaires courantes en attendant qu'un assemblée constituante nommée par lui ou élue sur sa convocation (mais selon quel processus aujourd'hui constitutionnel ?) achève la rédaction de la constitution d'une VIe république, que l'on imagine inspirée par un mélange des Soviets et du discours de Ronespierre (mais quel Robespierre ? celui d'avant le pouvoir, tout miel, ou celui du pouvoir, tout fiel et tout sang). Malgré cette modeste ambition formelle, M. Mélenchon affiche programme économique qu'il jure cohérent, ce qui est en soi incohérent, car enfin, veut-il gouverner, ou pas ? Est-il là pour peu de temps en attendant un régime non présidentiel, ou pas ? Tout ceci sent la duperie à plein nez. C'est le brouillard. Enfin, en politique étrangère, lorsque M. Mélenchon a indiqué qu'il ne lui paraissait pas souhaitable que la force de frappe nucléaire française protège les États baltes contre une éventuelle agression russe, M. Mélenchon me semble avoir proféré une infamie. Son amitié pour M. Poutine, moins récompensée que celle de Mme Le Pen par celui-ci, a sur lui les mêmes effets d'égarement. C'est ici le moment de dire ce que je pense de Vladimir Poutine. Sa résistance aux injonctions américaines a parfois été sympathique. La protection qu'il a accordée à Edward Snowden a abouti à sauvegarder une liberté importante. Les États-Unis se conduisent trop souvent en maîtres égoïstes et léonins du monde, la rebuffade de M. Poutine lui assurait la sympathie des amis de la liberté. Mais quand le même M. Poutine pousse cette résistance jusqu'à remettre en cause les principes les plus forts de la démocratie et des droits humains, une limite est franchie. Et son soutien constant aux mouvements racistes européens pose plus qu'un problème. En somme, puisque les États-Unis nous y invitent, nous aurons raison de mettre enfin fin au système de Yalta, mais nous ne devons pas, sous prétexte de nous libérer du joug transatlantique, courir nous revêtir des fers promis par M. Poutine. Nous devons traiter avec lui, la Russie est partie prenante du destin de l'Europe, peut-être plus que les États-Unis, mais chaque peuple européen a droit à la démocratie, au respect de ses frontières et à l'établissement, puis au maintien, des libertés individuelles fondamentales qui sont au cœur de la pensée moderne, et non pas de la pensée occidentale, car certains principes sont universels, faute desquels toute férocité serait permise. Une VIe république inspirée par un ami de M. Poutine ne pourrait donc qu'adopter les traits les plus effrayants et les plus contraires à ce qui a rendu la France grande et utile au destin du monde. De ce fait, M. Mélenchon n'aura certainement pas ma voix non plus, quelles que soient les circonstances.

François Fillon non plus. Cela, pour une double cause. D'abord, il a repris la course à l'échalote avec l'extrême droite lancée par M. Sarkozy, une course à l'échalote dont l'effet invariable est de légitimer les idées les plus sulfureuses du Front National. Cette faute politique, qui a pris un tour historique, suffirait à me dissuader de voter pour lui, autant que sa volonté de défendre la déchéance de nationalité, le déshonneur qui a définitivement discrédité MM. Hollande et Valls, mais il faut tout de même dire un mot de son programme économique et social. Un mot le résume : la purge. Des économies massives dans les dépenses publiques, un nouveau coup de massue sur les classes moyennes par un transfert tout aussi massif de charges des entreprises sur les ménages, tout cela ne peut produire qu'un nouveau ralentissement de l'économie française, alors même qu'elle sort à peine de près de dix années de stagnation. En somme, la politique économique de M. Fillon, si elle aurait probablement été justifiée en 2012, ne l'est plus en 2017. En 2012, nous n'avions plus du tout de croissance, il y avait le choix entre la méthode de cheval (préconisée par M. Bayrou plus que par M. Sarkozy officiellement soutenu par M. Fillon) et la méthode homéopathique défendue par M. Hollande. Le choix fut fait de ce dernier et de sa stratégie. Elle nous paraissait insuffisante et, de fait, n'a agi qu'avec un grand retard, mais aujourd'hui, elle commence à porter de premiers fruits. Il y a donc une double raison de refuser la politique proposée par M. Fillon/ Première raison, elle engagerait la France dans un processus de "stop and go" comparable à ce qui détruisit tout à fait l'économie britannique dans les années 1960. Deuxième raison, les citoyens ont besoin de lisibilité à dix ans. Pour pouvoir consommer et investir, ils ont besoin d'anticiper sur les politiques publiques. Tant qu'ils redoutent des embardées dans un sens ou dans l'autre, ils surthésaurisent comme on le constate. Dès lors qu'ils sont capables de dessiner des bornes autour des variations possibles de la dépense publique et de la pression fiscale, ils peuvent programmer les dépenses et, de ce fait, l'économie retrouve de la liquidité et de l'efficacité. C'est ce qui fait que le programme économique de M. Fillon qui, sur le papier, a beaucoup de bons côtés (au milieu de plusieurs inutiles férocités cependant), est en fait contracyclique et inadapté à la situation actuelle de la France. Cela ne pourrait m'empêcher de voter pour lui si, par ailleurs, ses références sociétales ne le conduisaient là où je ne le suivrai jamais.

Benoît Hamon, qu'en dire, sinon que l'on se demande ce qu'il fait là et qu'il incarne jusqu'à la caricature l'absurdité du processus des primaires ?

Reste donc Emmanuel Macron. Son programme économique et social combine la continuité et l'accélération des réformes nécessaires, il protège la conjoncture d'un excès de rigueur tout en maintenant la pression sur la dépense publique, il se soucie du portemonnaie des classes moyennes motrices de l'économie sans négliger de poursuivre l'allègement des charges qui pèsent sur les entreprises. À travers la suppression de la taxe d'habitation pour huit foyers sur dix, il offre des liquidités nouvelles à beaucoup de ménages et amorce un processus destiné à rogner les inégalités territoriales. Enfin, sans ouvrir l'hypothèque d'un changement de régime, il remet en cause beaucoup de situations acquises. Il opère une synthèse et propose une perspective de politiques de réformes consensuelles et durables favorables à l'anticipation des ménages. Bien sûr, il a aussi ses défauts, et je comprends que des électeurs s'interrogent sur l'éventualité d'aller voter, mais il me semble que, de tous les cinq principaux programmes, celui de M. Macron me paraît à la fois le plus équilibré et le plus innovant.

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20/03/2017

Dans cinq semaines, une nouvelle France ?

Le choix d'Emmanuel Macron de tenir à Reims son discours cadre sur la culture en vue de son éventuel quinquennat présidentiel a permis de mesurer à quel point sa pensée avait évolué depuis une phrase trop lapidaire qu'il avait prononcée quelques jours plus tôt. Gageons que le soutien de François Bayrou, et la garantie qu'il implique, et l'exigence qu'il impose, n'a pas été pour rien dans ce rapide chemin de Damas. De Damas à Reims.

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Reims, pour tous les amateurs d'Histoire de France, c'est le lieu fondateur. C'est là que la France est renée en 1945, en obtenant la première reddition allemande. C'est là qu'elle est renée à elle-même pendant huit siècles dans le moment mystique du sacre royal et de la sainte onction. Le roi est mort, vive le roi. C'est là surtout qu'elle est née le jour où Clovis fit alliance avec l'évêque de Rome.

En ce temps, il ne restait plus que deux évêques fidèles à celui de Rome : celui de Tours et celui de Reims. Tous les autres, dans la vaste Europe issue de la désagrégation de l'empire romain, obéissaient à des princes ariens. Non pas aryens, mais ariens, du nom de l'hérésie née d'un personnage nommé Arius. Au centre de ce débat entre Ariens et Romains se situait la clef de la pensée occidentale moderne : le rapport entre la religion et le pouvoir politique. Chez les Ariens, le politique commandait le religieux. Rétablir Rome, c'était ôter le religieux de l'obéissance au politique. Telle fut la mission de Clovis, et telle la vocation de la France depuis, quoi que l'on en pense, et malgré des régressions et des reniements : veiller à ce que le religieux n'obéisse pas au politique, non plus que le politique au religieux. En cela, le choix de Reims répondait parfaitement à l'objectif de définir la culture française, qui est la France elle-même, par l'incarnation autant que par la voix.

Bien sûr, il n'est pas question de résumer la France, ni son Histoire, ni sa culture, à ce fil droit tendu à travers les siècles, et qui traverse les noms que j'ai déjà évoqués dans le passé (dans mon article intitulé "Une autre histoire de la laïcité" ici même), ceux de Fulbert de Chartres, de Pierre Abailard, de Thomas d'Aquin, de Descartes, de Voltaire, d'Aristide Briand. Mais toujours, si l'on cherche, l'on trouvera, au cœur de la construction de la France et de sa culture, l'une des fibres dont ce fil est tressé.

Guitry disait par exemple que le théâtre était né dans les églises avant de s'en détacher, ce que les églises ne lui avaient jamais pardonné. "Rivalité de métier", résumait-il avec l'un de ses sourires goguenards.

Non qu'il ne puisse y avoir d'art et de culture dans le religieux. Il arrivait au grand laïc qu'était Prosper Merrimée de se laisser bouleverser par une fresque romane d'une église poitevine. Et aujourd'hui encore, cela peut se produire, quelle que soit la religion. Mais la France fait partie des pays qui ont érigé le droit au blasphème en droit humain, et le droit de ne pas croire en prérogative inaliénable et imprescriptible de l'humain. Elle en fait partie et, sans doute, elle fut parmi les premiers, sinon le premier.

L'instrument de tout cela, le fer de lance de la pensée des Lumières contre l'obscurantisme, c'est le français, langue d'ambition cosmique. partout où le français est connu, le droit au profane et à la profanation est reconnu, ou a légitimité pour l'être. Avec lui, le principe d'égalité des conditions humaines. C'est sans aucun doute pourquoi l'on prête à Albert Camus la belle citation "Ma patrie, c'est la langue française", parce que notre langue porte en elle l'insoumission à la fatalité et la révolte contre ce qui n'est pas conforme à ce qui devrait être.

Entendu, me direz vous, mais la France, par son Histoire, par ses forfaits, a perdu la légitimité pour porter ce message que sa langue suppose. Nous avons commis des fautes, il est vrai, et nous le savons. Et nous le disons, mais beaucoup d'autres pays, et beaucoup d'autres cultures, ont commis des forfaits souvent aussi grands, et bien peu le savent, et encore moins le disent.

Nous avons pratiqué l'esclavage. C'est vrai. Au temps de Charlemagne, il restait beaucoup d'esclaves dans ce qui n'était plus la Gaule et qui n'était pas encore tout à fait la France. Puis nous avons découvert, nos aïeux l'ont fait, que cet esclavage était une abomination. Il fallut encore des siècles pour que nous triomphions de nos propres faiblesses, mais nous pûmes l'abolir. Au XIVe siècle, il ne se pratiquait plus du tout en France, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, alors qu'il était courant en Afrique et dans le monde arabe, par exemple.

Puis l'oubli s'empara de nous, nous recommençâmes à pratiquer l'esclavage, et il fallut de nouveaux siècles pour triompher de nous-mêmes. Pendant ces siècles, nous achetâmes, mot horrible, des humains, en particulier en Afrique, où l'esclavage restait endémique, et où, il faut le rappeler, ces esclaves étaient souvent non pas razziés, mais achetés à d'autres Africains.

Enfin, nous triomphâmes de nouveau de nous-mêmes. Mais en Afrique, et dans le monde arabe, l'esclavage demeurait souvent endémique. La piraterie et l'esclavagisme algérois furent le premier terrain d'une éradication de l'une et de l'autre. Oui, nous avons eu tort de développer le colonialisme, sans aucun doute, mais où en serait l'esclavage, en Afrique et dans le monde arabe, si nous ne l'avions pas fait ? C'est cette complexité du monde et cet entrelacs intime du bien et du mal dans le fait historique et dans l'acte politique qui résument l'enseignement que nous a donné notre longue expérience historique.

C'est d'eux aussi que nous tentons de convaincre nos partenaires européens et occidentaux, d'abord, puis toute la communauté mondiale ensuite. C'est à cette expérience millénaire collective enfin que nous invitions à adhérer les étrangers que le choix, le sort ou le malheur conduisent à envisager d'être français.

Et cela, sans être dupes de ce que la France, ni la culture française, n'ont jamais été. Par exemple, il n'y a guère que cinquante ans, et encore, que tout les Français parlent français. Dans les régions, on préférait souvent les patois ou langues qui ont construit la nôtre. Et ce disant, on se doute que je plaide pour la langue bretonne aussi, en même temps que pour une image de la France diverse, articulant à la fois une culture unique et des culture diverses, une culture française et des cultures d'esprit souvent étranger. Dans ce tohu-bohu de la clameur des cultures de notre Histoire, ce qui fit toujours l'unité de cette multitude dirimée, c'était le fil tendu depuis Clovis et que, d'une main ferme, nous ne devons jamais perdre, celui sans lequel la France ne serait plus la France.

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22/02/2017

S’il fallait regretter d’avoir fait de la politique

La décision de François Bayrou de s’associer à la démarche d’Emmanuel Macron m’a surpris. Je n’ai aucune estime pour M. Macron dont les propos et agissements n’ont, jusqu’ici, aucun trait sympathique. Cet homme marié à une femme qui pourrait être sa mère et qui dit que la France doit aimer tous ses enfants me paraît enfermé dans un Œdipe mal résolu. Je suis surpris, déçu, un peu sonné, et cela m’encourage à me détourner enfin complètement de ce monde politique dans lequel je suis entré sur un malentendu en 1981 et qui, depuis cette époque, n’a cessé de se détériorer à mes yeux. Au fond, c’est peut-être moi qui lui suis de mauvais conseil et peut-être s’améliorera-t-il du fait que je m’affairerai à l’Histoire et à la littérature, activités ô combien plus grandes, ô combien plus utiles.

La déchéance récente de François Fillon m’avait déjà fort secoué. Voilà un homme qui continue à se réclamer de la mémoire de Philippe Séguin alors que par toute son activité personnelle des vingt-cinq dernières années, il a contredit ce qui reste l’un des deux ou trois apports majeurs de feu Séguin à notre vie publique : la loi de moralisation et de financement public de l’activité politique. Rappelons les faits.

Dans les années 1980, il n’existait aucune façon officielle de financer les partis politiques, autre que les cotisations de leurs militants, une somme notablement et notoirement rendue insuffisante par l’inflation des dépenses de campagnes. En 1985, lorsque j’ai commencé à découvrir les rouages de la machinerie, quatre ans après mon adhésion au CDS, parti de Lecanuet et de Bernard Stasi, le « permanent » du CDS qui s’occupait des jeunes du CDS (les JDS), avec le titre de secrétaire général adjoint, Éric Azière (aujourd’hui président du groupe UDI-MoDem du conseil de Paris), était en principe l’assistant parlementaire d’un sénateur du Rhône nommé Pierre Vallon. Il ne mettait jamais les pieds au Sénat mais me disait de temps à autre qu’il devait enfin rédiger un rapport pour ce sénateur, de façon à ne pas apparaître occuper un emploi en réalité fictif. En fait, le sénateur faisait faire son travail par son équipe lyonnaise (il était aussi président du Conseil Général du Rhône, ou quelque chose comme ça) et n’avait pas besoin d’un assistant à Paris. Le poste d’Azière servait à financer le parti.

C’était après tout presque normal. il n’y avait aucun moyen de financement, il fallait faire avec les moyens du bord et, parti dans l’ensemble honnête, le CDS ne bénéficiait guère des largesses du président Bongo ni de quelques milliardaires en mal de soutien politique. Le trésorier de l’époque, Parenty, en fut même de sa poche lorsqu’il fallut sauver le parti de la faillite juste après 1981. On est loin de ce qu’on a constaté par la suite. Je passe sur le pont de l’île de Ré et sur les belles affiches offertes en 1990 par Bouygues aux dirigeants du CDS qui y figuraient individuellement de trois quarts, sur fond du siège de Bouygues à Boulogne, dirigeants qui n’étaient autres que Pierre Méhaignerie, feu Jacques Barrot, feu Bernard Stasi et … Jean Arthuis, un homme si neuf et si propre qui soutient maintenant Emmanuel Macron. je passe aussi sur les tripatouillages postérieurs des comptes bancaires du CDS (avec passage par Luxembourg) qui aboutirent à un procès où l’expert-comptable Arthuis ne craignit pas de passer pour encore plus incompétent que malfaisant car, trésorier adjoint du parti (logique pour un expert-comptable), il se sauva de la condamnation en invoquant le fait qu’il n’avait jamais mis le nez dans lesdits comptes dudit parti. Encore plus incompétent, dis-je, et, qui plus est, occupant un poste fantôme dans un organigramme d’ailleurs postiche, mais laissons là toutes ces digressions et revenons à notre sujet.

On l’a remarqué, les pratiques des années 1980 sont celles auxquelles François Fillon s’adonnait encore récemment, dans les années 2000 et 2010, malgré la loi de financement lancée par Séguin (faisant suite à celle de Rocard) qui ont rendu toutes ces pratiques non seulement illégales, mais immorales. C’est cela qui est reproché à M. Fillon, non seulement par l’opinion publique entière, mais par tous ceux qui éprouvaient de l’estime pour lui, dont je suis.

Il m’en vient une nausée que j’ai déjà connue. C’était en 1994 : lors de la campagne présidentielle, les vannes des prébendes publiques étaient grand ouvertes par les balladuriens. Je revois tous les visages des responsables jeunes du parti à cette époque. Ils disaient tous la même chose : « Que veux-tu ? » C’était le moment de demander, on titularisait fort dans la fonction publique, à la SNCF, dans les conseils d’administrations de certaines entreprises publiques pour les plus notables d’entre nous. Cette rageuse curée, qui n’a rien à envier à celle que Zola a décrite, sauf l’envergure des sommes en jeu, me donnait la nausée et ne fut pas étrangère à mon ralliement au camp chiraquien où l’on ne me promettait rien.

Masochisme, allez-vous me dire. Sans doute, puisque je suis resté accroché encore plus de vingt ans aux destinées de ce centre. Mais pas seulement le masochisme : il y avait aussi et surtout, je l’ai déjà écrit, la personnalité attachante de Bernard Stasi, le plus brillant des dirigeants du CDS, le seul qui marquait de l’intérêt pour la culture. Stasi est mort depuis longtemps, mais nous le pleurons toujours. Il avait ses défauts, même moraux, mais le bilan de ce qu’il apportait aux débats était considérablement positif. C’est sans aucun doute par attachement à son parcours que je me suis fourvoyé dans ce monde politique dans lequel je n’avais rien à faire et qui, en dehors de lui, m’a fait rencontrer des personnages et personnalités parfois sympathiques, mais surtout un océan de médiocrité satisfaite et vénéneuse.

Lors de cette campagne de 1994-95, je venais de vendre un appartement que j’avais acheté dans le XVIe arrondissement de Paris dix ans plus tôt avec l’assurance-vie de mon père décédé à l’âge de quarante-huit ans. Fort de cette somme que je croyais infinie, j’ai pu me faire élire sur la liste de Pierre-Christian Taittinger à la mairie du XVIe où j’ai été adjoint au maire de 1995 à 2001. Malgré les amicales suggestions de mon maire, j’ai toujours refusé d’y prendre quelque commission que ce fût dans les (modestes) affaires dont j’avais à traiter. Résultat : au bout de six ans de mandat, la somme que je croyais infinie avait fondu presque jusqu’à zéro.

Depuis quinze ans et la fin de cette période municipale, j’ai fait beaucoup de livres, j’ai mené des études de plus en plus approfondies, qui ont révélé de plus en plus la réalité bretonne du Moyen Âge, mais tout cela ne m’a pas enrichi, au contraire, et l’attachement stupide que je marquais pour le parcours de mes anciens amis (qui, eux, continuaient à vivre plus ou moins largement du système) continuait même à me coûter. Au bout du compte, j’avoue qu’un peu d’amertume ne me semble pas injustifié, bien que je commence enfin à croire que mon travail scientifique inlassable apporte une utile lumière sur notre Histoire, Et, vous ne devinerez jamais : j’en suis presque à regretter la campagne de Balladur, à regretter qu’il ne se trouve plus personne pour me demander : « qu’est-ce que tu veux ? » car je crois qu’enfin, j’accepterais une bonne planque pour considérer en sûreté la chute prochaine de notre époque qui penche chaque jour un peu plus vers ce que décrivaient ces vers insurpassables de Victor Hugo :

« Il secoue un flambeau
qui, sous ses pieds dans l’ombre éblouissant la haine,
Éclaire tout à coup le fond de l’âme humaine ».

Cette haine, c’est celle que l’argent éprouve pour l’humain, et dont la bataille décisive s’annonce. Ou pas.

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À propos de mon nouveau livre

Voici la couverture de mon nouveau livre.

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Il s'agit du cinquième volume d'une collection que j'ai commencée en 2001 et qui édite le plus ancien recensement des foyers bretons conduit dans les années 1426 et suivantes sur décision du duc de Bretagne Jean V, à l'époque de la Bretagne libre. Après les anciens diocèses (alors à la fois circonscriptions religieuses et circonscriptions politiques et administratives) de Cornouaille, de Tréguier, de Saint-Malo et de Léon, il étudie celui de Saint-Brieuc, qui inclut le Goëlo, le Penthièvre et une partie du Porhoët.

C'est un document sociologique exceptionnel, certainement unique en Europe pour cette période, où sont données souvent, outre l'identité du chef de famille, des précisions telles que l'état de santé, le niveau de revenu, la profession, et autres. Le but est d'établi le niveau de taxation de chaque paroisse par un impôt d'origine normande que l'on nomme le "fouage". Le fouage normand est resté à peu près forfaitaire depuis sa création au XIe siècle, mais le fouage breton, instauré seulement en temps de paix en 1365, est calculé sur une logique progressive dès au moins les années 1420, ce qui signifie que plus on a de revenu, plus on paie un fouage élevé, mesure juste évidemment pondérée par le fait que les plus riches, c'est-à-dire les nobles et leurs métayers directs, ne paient aucun fouage, un privilège heureusement compensé en partie par le fait que les plus pauvres n'en paient pas non plus. En somme, il est payé sur une base progressive par les classes moyennes, ce qui nous renvoie à la situation de l'impôt à notre époque.

Les chiffres, calculés par paroisse, permettent de dresser des cartes géographiques de l'impôt et, donc, de la richesse de revenu des classes moyennes, pondérée par la densité de population au kilomètre carré. Un ensemble de cartes statistiques permet ainsi de se faire une idée précise de la sociologie de cette partie de la Bretagne. Des documents jusqu'ici inédits font découvrir le poids déjà important des tissages de Lamballe et de Quintin, qui prendront leur plein essor au XVIIe siècle, deux cents ans plus tard.

Comme les nobles y sont traités à part, c'est aussi l'occasion de rédiger le plus ancien nobiliaire universel de Bretagne, d'y ajouter des réflexions héraldiques du plus haut intérêt, où se dégage peu à peu un trait majeur : le poids des événements politiques du XIIIe siècle dans les règles d'adoption d'armoiries aux XIVe et XVe siècles.

Le tout est illustré de nombreuses photos de monuments médiévaux et, en fin de volume, de cahiers en couleur regroupant près de 470 écus de familles nobles recensées dans ce document, plus d'une sur deux, ce volume étant d'ailleurs celui de tous les records parce que les nobles y recensés sont plus de 1400, contre 750 en Cornouaille, 900 en Tréguier, 1000 en Saint-Malo par exemple.

En cette année de Brexit, il m'a paru pertinent de demander à Michael Jones, professeur émérite à l'université de Birmingham, spécialiste du pouvoir breton de cette époque, de retracer les relations de la Bretagne et de l'Angleterre dans les derniers siècles du Moyen Âge et leur impact sur ce document. Le Royaume-Uni est le plus vieil et plus universel allié de la France, ce qui, d'ailleurs, ne devrait pas conduire son chef de gouvernement à recevoir des candidats à l'actuelle élection présidentielle, une ingérence inacceptable à mon avis.

Paru aux Éditions de la Pérenne, 480 pages et une carte hors texte, 420 Euros.

 

 

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11/01/2016

13 novembre : les doutes légitimes, barbouzes et policiers

On l'a oublié un peu vite, mais les attentats du 13 novembre et leurs suites immédiates ont laissé de violents doutes sur l'attitude des services spéciaux et d'une partie de ceux de la police. Les détails que la presse a fait connaître permettent désormais une synthèse qui alourdit encore la critique et qui ne peut que la lester de suspicion.

En amont de l'attentat, il est à noter que les choix successifs des gouvernements français ont abouti à la présence d'agents spéciaux français dans tous les camps syriens, sauf sans doute celui de Daech. Le financement initial de cette organisation par l'Arabie Séoudite et par le Qatar, tous deux alliés de la France quoique rivaux entre eux, rend plus que probable l'envoi d'agents des services à ce Daech débutant. Il y a d'ailleurs fort à penser qu'il s'agissait d'agents de la DGSE, car on a constaté que, dans ce qu'on a nommé un peu vite le "printemps arabe", la DGSE était apparue dans le camp des contestataires, cependant que, le plus souvent, la DCRI soutenait les régimes en place. Les liens de la DCRI (devenue entre-temps DGSI) avec le régime syrien ont été confirmés récemment par Bernard Squarcini, fondateur de la DCRI, lorsqu'il a expliqué qu'Assad avait voulu lui faire passer la liste des terroristes de Daech opérant en France, liste qui aurait été refusée par le premier ministre Valls. La DGSE, de son côté, a formé de nombreux adversaires du régime syrien, dont certains sont ensuite passés à Daech pour diverses raisons qu'il n'importe pas de détailler ici.

Or voici que nos oreilles, répandues aux quatre vents du conflit syrien, n'ont pas été capables d'y organiser une collecte d'information sur les activités des terroristes en France. Qui peut le croire ? Il est vrai que, dans les semaines qui ont précédé les attentats, la DGSE était surtout concentrée sur l'exfiltration de pilotes en République Dominicaine.

Plus près des attentats eux-mêmes, on sait que des alertes ont été adressées à la France, notamment par l'Irak, avec des précisions de dates qu'il était au moins possible de prendre au sérieux. Ces alertes ont été ignorées, et si peu prises au sérieux que, le soir même des attentats, le standard d'alarme de la police n'a pas répondu à un témoin qui, pendu au fil pendant deux heures, n'a cessé de tenter de joindre une vigie. Il n'y avait que trois policiers de garde au poste et une douzaine d'astreinte dans le quartier. Quand Thomas Guénolé, chroniqueur sur RMC, a souligné ces faits dans sa revue de presse, il a été aussitôt mis à pied et congédié, sans que l'on sache d'ailleurs avec clarté si c'était la direction de RMC, le ministre, ou les deux à la fois, qui avait ainsi sanctionné sa clairvoyance. Comme chantait feu Béart "Le premier qui dit la vérité, il sera exécuté".

Passons sur d'autre détails bizarres et venons-en à l'intervention de Saint-Denis. Les premières images que nous en avons vues étaient celles d'une jeune femme qui criait aux policiers du RAID, par la fenêtre : "C'est pas mon copain ! Vous me laissez sortir ?" Et elle paraissait appeler au secours. On ne peut entièrement reprocher aux policiers d'avoir pris cet appel au pied de la lettre, car ils pouvaient supposer un subterfuge pour se rapprocher d'eux et pour se faire exploser près d'eux.

Cependant, force est de constater que la version, devenue officielle par les communiqués qu'en fournit le rigoureux procureur Molins, n'est plus du tout satisfaisante. On y lit que les terroristes, présentés comme retranchés dans un véritable Fort Chabrol, disposaient en tout et pour tout d'une arme de poing, un browning, destiné à contenir dix balles, et qui en contenait neuf. Les terroristes auraient donc tiré, au plus, un projectile, auquel la police aurait répliqué par non moins de cinq mille tirs, une gigantesque pétarade, totalement gratuite.

Une pétarade d'autant plus délirante que pas un des terroristes n'a reçu le moindre de ces innombrables plombs. Si l'on a bien lu, les hommes sont morts de l'explosion d'une ceinture piégée par l'un d'eux (à quel moment ? ce n'est pas dit) et la pauvre fille qui voulait sortir a péri, étouffée ou écrasée, sous les gravats, aussi horriblement que certaines victimes de ses lugubres amis.

On ne sait plus, du coup, comment le chien est mort, mais ce n'est plus qu'un détail. Car subitement, cette interminable fusillade à sens unique nous rappelle l'exécution du truand Mesrine par les troupes du commissaire Broussard, le même commissaire Broussard qui a créé le RAID, ce RAID qui a tiré sans fin dans les rues de Saint-Denis, RAID dont le premier chef fut Ange Mancini, tout récemment encore chargé de la coordination du renseignement français, et aujourd'hui chargé de divers barbouzages africains au groupe Bolloré, Bolloré ultime soutien de Nicolas Sarkozy.

L'apparition du nom d'un politique nous renvoie à l'affaire Merah de 2012, dont les liens avec la DCRI avaient paru troubles aux observateurs, et dont les zones d'ombres se multipliaient dès lors que l'on tentait de clarifier une chronologie précise.

Nous voici donc avec un plateau politique compliqué : la DGSE qui a failli dans la collecte de renseignements et qui, dans le même temps, s'affichait avec Jean-Marie Le Pen à travers certains de ses agents dans l'affaire dominicaine. La DGSI toujours proche d'Assad par certains de ses éléments, et rappelant que, dans le passé, elle avait fait le pont entre le SAC et la police nationale dans l'affaire dite du groupe "Honneur de la Police". Cette même DGSI dont certains courants demeurent proches de Nicolas Sarkozy. Enfin, puisqu'il y a eu faute du ministre Cazeneuve, l'on ne peut manquer de s'interroger sur la chronologie de novembre : comme en janvier, la cote de confiance du président Hollande a bénéficié des attentats. Seulement, en janvier, cette cote était retombée avant les élections départementales, trop tôt pour servir au scrutin. Cette fois, en novembre, les attentats sont tombés à une date telle que leur effet dopant sur la cote du président a eu un impact sur les élections.

La question est donc évidente : et si tout cela était calculé ? Et si, en offrant sur un plateau sa réforme constitutionnelle au camp sarkozyste, le président Hollande n'avait fait que matérialiser un pacte, un pacte faustien conclu entre tous ces acteurs ? C'est plus que difficilement imaginable, c'est évidemment délirant, et cependant, nous sentons bien une main invisible dans tout cela.

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Or si l'on ne veut pas mettre les hommes en cause, c'est une structure qu'il faut critiquer, une technostructure, celle de la police nationale. C'est elle qui doit maintenant s'expliquer sur les principaux dysfonctionnements de l'affaire. Tant que cela ne sera pas fait, nous invoquerons le doute légitime à chaque fois que l'on proposera de mettre en cause le moindre élément de notre état de droit.

 

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07/01/2016

Déchéance : comment fabriquer des ennemis de l'intérieur

La déchéance de nationalité pour tous ou pour les binationaux, voilà deux options. J'ai dit hier pourquoi et en quoi la déchéance pour tous, en ce qu'elle ouvrait la possibilité de créer des apatrides, constituait une trahison de l'une des plus généreuses utopies de l'après-guerre, François Bayrou et Manuel Valls ont d'ailleurs rejeté cette hypothèse, le premier au nom d'un illogisme manifeste, le second au nom des engagements internationaux de la France. Voici maintenant pourquoi la déchéance des binationaux représente une faute historique dont les conséquences sont incalculables.

La conquête de l'Algérie fut rendue nécessaire en 1830 par la persistance des activités de piraterie et d'esclavagisme pratiquées à Alger et autour. Mais sa suite n'alla pas de soi, c'est le moins que l'on puisse dire, il y eut diverses périodes dont l'historique n'est pas le sujet, non plus que celui de la Guerre d'Algérie pour laquelle mon père a été décoré en octobre 1958 de la Croix de la Valeur Militaire, une sorte de Croix de Guerre.

Ce qui est certain, et qui importe pour le présent article, c'est qu'au début de ce qu'on a nommé la "bataille d'Alger", moment clef de la guerre en question, la population algéroise alors qualifiée du vilain mot d'"indigène" était largement favorable à la France. Des boutefeux jusqu'auboutistes commirent alors la faute de renoncer au droit commun pour mettre fin aux attentats qui endeuillaient toute la population algéroise sans distinction d'origine. En vertu de "pouvoirs spéciaux" (tiens, tiens) votés en mars 1956, on confia à l'armée et au général Massu en 1957 le soin d'éradiquer ce terrorisme.

Or l'armée (on ne me verra pas ici dire du mal de l'armée française, dont chacun connaît les qualités) n'avait pas, dans son arsenal, les instruments tactiques nécessaires pour la mission qui lui était confiée par des politiciens totalement déboussolés et empressés de se débarrasser d'un pouvoir qui les dépassait totalement (voir ce que j'écrivais hier sur ce sujet). L'armée gagna certes cette bataille d'Alger, mais cette victoire se transforma en défaite, car elle nous fit perdre finalement la guerre.

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Non pas la Guerre d'Algérie, qui a été perdue le jour où, en 1960, les Soviétiques annoncèrent soutenir officiellement le FLN, mais la guerre pour appliquer la paix conclue par de Gaulle et le FLN en 1962. En effet, cette paix représentait probablement la meilleure issue possible compte tenu des forces en présence : des centaines de milliers de Français d'Algérie restaient chez eux paisiblement et les liens institutionnels forts demeuraient entre le nouveau pays et la France, ce qui n'était pas si loin de l'hypothèse évoquée un siècle plus tôt par Napoléon III.

Hélas, cet arrangement fut bousculé aussitôt par les jusqu'auboutistes des deux camps, ce qui aboutit à la célèbre formule "La valise ou le cercueil" et tout le côté positif des liens historiques profonds a été perdu, au désavantage des deux pays, mais surtout à celui des "pieds-noirs" et de la France. Dans ce moment précis de bascule se révéla la faute commise d'envoyer l'armée et de perdre ainsi la sympathie d'une population pourtant favorable. "Oderint me cives dum timeant", cela ne marche qu'en vase clos, pas dans un monde ouvert, le recours à l'armée suscita crainte, certes, mais haine surtout, et cela se fit en traitant toute la population algéroise d'origine (quel vilain mot décidément) "indigène" en suspecte. À force d'injustes soupçons et de brimades, ils sont devenus hostiles.

Or c'est exactement l'engrenage auquel nous expose le principe de déchéance de nationalité pour des binationaux. On comprend qu'il ne s'agit pas d'une critique absolue qui serait vraie en tous temps, mais que hic et nunc (désolé pour Mme Belkacem qui n'aime pas le latin), le principal effet de cette déchéance de nationalité est la brimade et la stigmatisation, puisque chacun, même ses auteurs, s'accorde à reconnaître que son efficacité contre le terrorisme est tangentielle à zéro. Pour des binationaux (pas tous, c'est vrai), et principalement des binationaux que leur autre nationalité rattache à des pays de tradition ou d'histoire musulmane, l'effet d'image n'est pas du tout tangentiel à zéro : ils ne sont subitement plus des Français à part entière, mais des Franco-Algériens ou des Franco-Tunisiens, etc., ce qui n'est pas la même chose que d'être considérés comme entièrement français.

Il y a donc des milliers de gens qui sont sur le fil du rasoir jusqu'ici, hésitant entre un camp ou l'autre, et que cette provocation va faire basculer peu à peu dans le camp des ennemis de la France. C'est cet engrenage qui, pourrait transformer une lutte antiterroriste en véritable guerre civile, dont les conséquences et la durée sont incalculables. Toute guerre, outre sa propre monstruosité, porte en elle, des suites d'affaiblissement et de dépopulation.

Que l'on me comprenne : je sais bien, comme tout le monde, qu'il y a, en France, des milliers de gens qui n'aiment pas la France telle qu'elle est et qui voudraient la transformer en charialand. Contre eux, les moyens légaux du droit commun seraient suffisants si l'État s'en donnait les moyens, notamment en recrutant plus de juges spécialisés et en ne se privant pas des compétences longuement et durement acquises de spécialistes comme Marc Trévidic. Mais il y a d'autres milliers et milliers de gens qui ne songent même pas à détester la France, alors même que nos ennemis les y incitent. Par cette provocation, nous donnons des armes à nos ennemis pour nous fabriquer d'autres ennemis de l'intérieur, une armée bien plus grande encore que celle que nous redoutons. C'est pourquoi ce principe de déchéance de nationalité, tel qu'il est présenté, est supérieurement dangereux et, de ce fait, inacceptable, alors que l'instauration d'une indignité nationale, dont les effets sont très puissants et la symbolique considérable, fournirait un outil de très bonne qualité.

Hélas, il semble qu'au sommet de l'État, les couloirs du pouvoirs soient hantés par d'obscurs boutefeux en quête de Guerre Sainte, alimentés aussi bien par l'extrême droite française que par des puissances étrangères, à un point tel qu'il semble que prêcher la raison et l'apaisement soit désormais voué à la plus glaciale inutilité. Vox clamans in deserto. Pourvu que, cette fois, on m'entende.

06/01/2016

La France vers un régime autoritaire ?

Le président Hollande a annoncé au Congrès, le 14 novembre dernier, une double constitutionnalisation : celle de l'état d'urgence, à peu près dans les termes actuels de la loi de 1955, et celle du principe de déchéance de nationalité pour les binationaux, cette dernière restriction étant destinée à ne pas ouvrir de cas d'apatridie, mais désignant en fait les binationaux issus de l'immigration en provenance d'Afrique du Nord comme tous coupables potentiels, et tous de nationalité française incomplète.

L'interdiction faite aux États de créer des apatrides par déchéance de nationalité est l'une des utopies anti-hitlériennes de l'après-guerre : Hitler avait usé et abusé de la déchéance de nationalité, celle-ci se voyait donc associée à raison à l'infamie hitlérienne et au mécanisme juridique et politique des chambres à gaz. Déchoir quelqu'un de sa dignité aboutissait à lui ôter un élément crucial de sa dignité d'être humain, quels qu'aient été les traités chargés d'organiser la prise en charge des apatrides. La déclaration universelle des droits de l'Homme de l'ONU posa comme principe-clef de l'organisation nouvelle du monde la prohibition de la possibilité pour les États de priver leurs nationaux de nationalité. Il y eut une convention de l'ONU en 1961, que la France, encore empêtrée dans la guerre d'Algérie, signa mais ne ratifia pas et une convention européenne, dans le cadre du Conseil de l'Europe, conclue en novembre 1997 et signée par la France en 2000 (mais jamais ratifiée non plus) qui posait que "Tout homme a droit à une nationalité".

On le voit donc, la lutte contre l'apatridie et contre le principe de la déchéance de nationalité est de la même nature que la lutte pour l'abolition de la peine de mort : il s'agit d'un progrès de civilisation. Et c'est contre ce progrès de civilisation que, pour une raison obscure, le président Hollande a décidé de faire légiférer le pouvoir constituant français. En d'autres temps, il en eût été couvert de honte et d'opprobre par la gauche mais celle-ci réagit dans un mélange de confusion et de trouble qui aboutit à un véritable concours Lépine des justifications les plus abjectes du principe de déchéance de nationalité. C'est un véritable tohu-bohu au milieu duquel on croit distinguer trois tendances à gauche : ceux qui suivront M. Hollande à tout prix, ceux qui invoqueront la clause de conscience quoi qu'il arrive, et enfin ceux qui attendent de voir comment le vent tourne et comment leur gamelle s'emplit. In fine, l'on peut envisager que, lâchement, beaucoup d'opposants au principe de déchéance de nationalité s'abstiennent comme Ponce Pilate, ce qui leur permettra de prétendre qu'ils ont eu le courage de ne pas le voter, mais qui n'empêchera pas cette disposition historiquement rétrograde d'entrer dans la constitution, car à droite, l'on aura peut-être le courage de s'abstenir aussi, mais il est improbable que l'on aille au-delà.

Or cette situation d'un troupeau de Ponce-Pilate laissant sacrifier les principes essentiels au nom d'une hypothétique efficacité sécuritaire et militaire, nous la connaissons bien. Le dernier siècle nous en a donné deux fois le spectacle. La première fois, cela aboutit au vote de confiance au maréchal Pétain, la deuxième à l'investiture de de Gaulle après les journées algériennes de mai 1958. Oui, ces élus, chargés de défendre le peuple et l'état de droit, qui courent au sauve-qui-peut, qui jettent les principes éthiques à la Seine, et qui se dépêchent de se débarrasser du pouvoir pour retomber dans leur médiocrité, nous les connaissons. En 1940, ils investirent un pouvoir qui se voulait autoritaire et antirépublicain. En 1958, ils ouvrirent la voie à un régime républicain, dont il ne s'agit pas ici de soupeser qualités et défauts, mais dont la nature autoritaire est bien connue elle aussi.

L'on pourrait remonter à la Deuxième République, qui, au fond, finit un peu de la même façon, dans Cavaignac, puis dans Louis-Napoléon.

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Il est donc légitime de se poser cette question : l'incapacité et la médiocrité manifeste de notre classe politique, puis l'abandon de l'essentiel auquel elle se livre, sont-ils les signes avant-coureurs d'un nouveau passage par la case d'un régime autoritaire ? Nous le saurons bientôt.

04/01/2016

Mes vœux par Victor Hugo

En guise de vœux, un texte un peu amer de Victor Hugo qui décrit assez bien la médiocratie que nous subissons : c'est extrait de "Melancholia" dans les Contemplations. Le poème débute par "Un homme de génie apparaît" et, plus loin :

 

Il apporte une idée au siècle qui l’attend ;
Il fait son œuvre ; il veut des choses nécessaires,
Agrandir les esprits, amoindrir les misères ;
Heureux, dans ses travaux dont les cieux sont témoins,
Si l’on pense un peu plus, si l’on souffre un peu moins !
Il vient. — Certe, on va le couronner ! — On le hue !
Scribes, savants, rhéteurs, les salons, la cohue,
Ceux qui n’ignorent rien, ceux qui doutent de tout,
Ceux qui flattent le roi, ceux qui flattent l’égout,
Tous hurlent à la fois et font un bruit sinistre,
On le siffle. Si c’est un poète, il entend
Ce chœur : « Absurde ! faux ! monstrueux ! révoltant ! »
Lui, cependant, tandis qu’on bave sur sa palme,
Debout, les bras croisés, le front levé, l’œil calme,
Il contemple, serein, l’idéal et le beau ;
Il rêve : et, par moments, il secoue un flambeau
Qui, sous ses pieds, dans l’ombre, éblouissant la haine,
Éclaire tout à coup le fond de l’âme humaine ;
Ou, ministre, il prodigue et ses nuits et ses jours ;
Orateur, il entasse efforts, travaux, discours ;
Il marche, il lutte ! Hélas ! l’injure ardente et triste,
À chaque pas qu’il fait se transforme et persiste.

(....)

Il va semant la gloire, il recueille l’affront.
Le progrès est son but, le bien est sa boussole ;
Pilote, sur l’avant du navire il s’isole ;
Tout marin, pour dompter les vents et les courants,
Met tour à tour le cap sur des points différents,
Et, pour mieux arriver, dévie en apparence ;
Il fait de même ; aussi blâme et cris ; l’ignorance
Sait tout, dénonce tout : il allait vers le nord,
Il avait tort ; il va vers le sud, il a tort ;
Si le temps devient noir, que de rage et de joie !
Cependant, sous le faix sa tête à la fin ploie,
L’âge vient, il couvait un mal profond et lent,
Il meurt. L’envie alors, ce démon vigilant,
Accourt, le reconnaît, lui ferme la paupière,
Prend soin de le clouer de ses mains dans la bière,
Se penche, écoute, épie en cette sombre nuit
S’il est vraiment bien mort, s’il ne fait pas de bruit,
S’il ne peut plus savoir de quel nom on le nomme,
Et, s’essuyant les yeux, dit : « C’était un grand homme ! ».

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