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03/04/2017

La culture française

Il n'y a pas de culture française comme les nazis croyaient (ou feignaient de croire) qu'il pût y avoir une culture "aryenne". En ce sens, il n'y a pas de culture française dont il faudrait rechercher une éventuelle pureté par je ne sais quelle épuration, forcément ethnique, excluant successivement et conjointement les juifs, les tziganes, les Maghrébins, les "sangs-mêlés", les homosexuels, les gauchers, les rouquins, ou qui que cela fût. Sur ce point, nous trouverons facilement un consensus parmi les gens de bonne volonté qui réfléchissent à la France d'aujourd'hui.

Cependant, il y a la francophonie et la culture française écrite, facilement identifiable par le fait que ses productions sont faites originellement en langue française. Ce critère linguistique nous met d'ailleurs immédiatement en présence d'une première difficulté, car la littérature d'expression française qui n'émane pas d'auteurs français, ni même résidant en France, est légion. Et il y a des auteurs français qui se sont principalement exprimés en latin, en philosophie surtout. Mais enfin, Victor Hugo, c'est bien un morceau d'une culture qui ne peut avoir d'autre nom que française, de même qu'Alexandre Dumas. Et d'ailleurs, nous savons toute l'aura que ces deux auteurs ont donnée à la France dans le monde, eux qui ont parlé de la France principalement. Culture française, oui, mais finalement érigée à un rang universel.

Peut-on être français et universel à la fois ? Peut-on être particulier et universel à la fois ? Il y a là un très vieux débat pour lequel je ne prendrai cependant pas le temps de réveiller Aristote et Platon. Quoi de plus anglais que Shakespeare ? quoi de plus universel ? Quoi de plus russe que Dostoïevsky ? quoi de plus universel ? Qu'un ensemble d'auteurs français puisse finir par constituer une culture littéraire française n'est pas un artifice de langage, même s'ils sont devenus universels. On retrouve du Corneille chez Victor Hugo et du Racine chez Lamartine. Il y a de l'Hugo chez Rostand et du Lamartine chez Proust. Il y a aussi du Stendhal chez Proust, et du Balzac chez Zola (fils d'immigré italien), et du Zola chez Simenon (belge d'ailleurs). Ce réseau temporel ou intemporel constitue une réalité d'abord facile, la littérature française, qui s'insère naturellement et heureusement dans l'ensemble plus large de la littérature francophone.

Pourquoi en serait-il autrement des autres arts majeurs ? Il y a une peinture flamande, un Quatrocento italien, le popart américain, les experts des ventes publiques parlent d'"école française' de tel siècle, pourquoi n'y aurait-il pas, pour chacun des arts, un fil tendu à travers les siècles, auquel seraient suspendues les œuvres une à une, et qui, cahin caha, constituerait un style, une façon, quelque chose de collectif attaché à l'œuvre, ce qui n'empêcherait pas un dialogue avec l'universel et que menacerait sans cesse la tentation d'une recherche de pureté ? L'école littéraire française romantique se réclamait de Shakespeare et de Walter Scott, ce qui ne l'empêcha pas de produire une expression qui, aux yeux du monde entier, traduit l'un des meilleurs aspects de ce que l'on aime dans la culture française. Pourquoi en serait-il autrement de Poussin, Le Nain, Watteau, Fragonard ? Le siglo de oro espagnol a produit la figure du Cid, qui a inspiré à Corneille l'une de ses pièces les plus françaises.  Pourquoi en serait-il autrement ? Pourquoi la peur de céder à la tentation de l'épuration conduirait-elle à casser le thermomètre de l'étude scientifique artistique ?

La musique française a été profondément changée par la Révolution. Avant la Révolution, on prononçait la langue d'une façon plus chantante qu'après. et cela donna Lulli (il est vrai italien), Charpentier, Rameau. Depuis, la prononciation est de plus en plus terne et de plus en plus sourde. Et cela a donné successivement Berlioz, Offenbach (il est vrai allemand), Gounod, Bizet, pour finir en Ravel, Debussy, Poulenc et quelques autres sans vouloir oublier Boulez. Écoles françaises successives, couleur musicale identifiable, liée à la langue. Il y a du Charpentier chez Bizet et du Rameau chez Gounod. Je pourrais ajouter du Debussy chez Kosma, mais ceci est une autre histoire.

Oui, il y a une culture française, dans tous les arts majeurs, elle existe. Elle ne résume ni ce qui a été et est produit en France, ni ce qui a été et est produit par des francophones, mais c'est l'une des données de la matière art, au même titre que beaucoup d'autres, et selon des règles et des mécanismes très tortueux.

Comme je suis contre l'idée d'épuration, je n'oublie rien de ce qui compose cette unité apparente. Qu'y a-t-il de plus français qu'Astérix, dont les auteurs étaient pour l'un (Goscinny) originaire d'Europe centrale et élevé en Argentine et, pour l'autre (Uderzo), fils d'immigré italien ? Qu'y a-t-il de plus français que les "sangs-mêlés" Piaf et Mouloudji ? Ou que les Italiens Montand, Reggiani, Ventura ? Ou que les films de Costa-Gavras coécrits avec Georges Semprun, l'un né en Grèce, l'autre n'ayant jamais renoncé à sa nationalité espagnole ? Tout ceci participe à un tohu-bohu d'où émane, aux yeux du scientifique, et aux yeux de l'observateur extérieur, une culture française.

Ce débat n'aurait, au fond, d'importance que théorique si la France n'avait pas une mission historique et si elle n'avait pas l'heureuse habitude de vouloir défendre un rang parmi les nations. Sa mission d'émancipation de l'esprit humain a produit une pièce de théâtre qui, à mon avis, reste unique au monde, le Tartuffe de Molière. Son habitude de défendre son rang a fait comprendre à De Gaulle que, dans le monde issu de la Seconde Guerre Mondiale, la culture constituait un outil de rayonnement considérable. À son époque, le marché mondial parisien des arts majeurs conservait encore un rang sans égal. Depuis, par l'effort des Américains conjugué à celui des Britanniques, l'épicentre du marché s'est déplacé à New-York et à Londres.

Or ce déplacement s'est fait par volonté politique. Les Américains ont empilé les millions de dollars pour promouvoir leur popart, jusqu'à l'écœurement, pour écraser le monde sous la supériorité de leur culture, dont on pourrait discuter la pertinence, mais c'est un autre sujet. Pourquoi le popart ? parce qu'on voit immédiatement ce qu'il a de manifestement américain des années 1950-60, les néons, le fluo, la rutilance, le plastique, l'utilisation même d'icones de la culture populaire (popculture pour popart) américaine, comme Marylin Monroe et James Dean. Tout cela parlait de l'Amérique au monde. De Gaulle l'avait compris et en voulait autant pour la France, et eut la chance que notre école de cinéma lui en donnât un instrument très efficace puiqu'elle régna sur les années 1960 et 1970.

Mais la France, riche d'outils anciens dans beaucoup d'autres domaines comme la peinture, cherche toujours des outils nouveaux dans ces domaines. Il suffit de dénombrer les cars de touristes venus retrouver les canotiers de Renoir et la Sainte-Victoire de Cézanne pour comprendre ce que je veux dire.

En ce sens, il est donc du devoir d'un gouvernement qui voudrait promouvoir la France de la doter des attributs de rayonnement essentiels qui sont ce que l'on nomme une culture française, non pas un reflet ethnique de je ne sais quel fantasme, non plus une exploitation du mythe du béret et de la baguette, mais quelque chose qui parle de l'essentiel, qui décrive l'instant en frappant l'époque du marteau de l'intemporel, qui métamorphose le futile en crucial et le divertissant en bouleversant. C'est à la fois une pépinière et un fantasme qu'il faut avoir, l'envie de dire le plus important et l'instrument pour que ce dit soit la foudre.

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Commentaires

Eh bien Hervé, je suis très contente que ton billet ait peut-être permis à François Bayrou de mieux s’expliquer. Je pense qu’il t’a lu et ton premier paragraphe en particulier est un argument essentiel pour dire le caractère universel de la culture française sous toutes ses formes. Merci à toi.

Extrait (à partir de 14:30 sur la vidéo) de l’interview de ce matin sur BFMTV :

« - Jean-Jacques Bourdin : François Bayrou, un dernier sujet à aborder avec vous, parce que ça a été beaucoup commenté sur les réseaux sociaux et ailleurs : est-ce que vous avez dit que la culture française n’existait pas ?

- François Bayrou : On se connaît depuis des années. La culture française, c’est le combat de ma vie. La langue française, c’est le combat de ma vie. La littérature française, c’est le combat et l’engagement de ma vie. Cette idée de la langue française et de la francophonie, c’est le combat de ma vie. Ce que j’ai dit, peut-être de manière assez peu explicite, c’est que quand on entre dans le domaine de l’art, la musique, la peinture, l’architecture, l’art est universel. La vocation de l’art, ce n’est pas nationaliste, c’est universel. Lorsqu’on réfléchit une seconde, avec ce que l’on sait de l’histoire, aux dérives et aux drames qu’on a connus, quand certains ont voulu au XXème siècle nationaliser l’art, expliquer qu’il y avait un art allemand, par exemple, vous voyez qu’essayer d’enfermer l’art dans les frontières nationales, c’est se tromper. La langue est par définition la culture française, la littérature française, la culture et la littérature francophones.


- La France est un pays multiculturel ?

- Non, je ne sais pas d’où vient cette idée de multiculturalisme dans votre affirmation. Pour moi, la France est un pays qui, heureusement, par sa langue a un puissant moyen d’intégration et un puissant moyen de rayonnement. Regardez par exemple la place de la francophonie en Afrique, la place de la francophonie dans le monde, le fait qu’Haïti qui n’est pas en France soit un puissant affluant de la littérature française. Cela devrait être notre fierté. Et puis pour le reste, il y a des artistes français, des peintres français, des sculpteurs français, des architectes français, qui participent à la vie universelle de leur art. »

https://www.dailymotion.com/video/x5hbv5r_francois-bayrou-invite-de-bourdin-direct-sur-bfmtv-050417_news

Écrit par : Françoise Boulanger | 05/04/2017

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