08/06/2017
Morale et politique
La France est depuis longtemps un pays de réseaux. Sous l'Ancien Régime, on n'existait que si l'on appartenait à une corporation, un métier, une jurande, ou à une caste, la noblesse en particulier. Plus récemment, ces réseaux qui strient et cadenassent le territoire ont pris la forme des grandes écoles (énarques, polytechniciens), de cercles plus ou moins sélectifs (Racing Club de France, Rotary, Amicales diverses, francs-maçooneries). Mais tout cela est comme ravalé au second rang. Il semble en effet que, plus encore qu'un pays de réseaux, la France soit devenue un pays de mafias, au premier rang desquelles il faut placer des partis politiques comme LR et le PS.
Ces mafias se défendent dès qu'on s'en prend à elles et se jettent à la gorge du premier responsable politique qui exprime le désir d'introduire de l'éthique dans la vie civique de notre pays. On se souvient de la terrible fin de Pierre Bérégovoy, de celle moins tragique de Cahuzac (qui avait oublié de balayer devant sa porte avant de s'en prendre aux exilés fiscaux), du dérapage incontrôlé de François Fillon, autoérigé en père-la-rigueur pour finir en universel grippe-sou d'argent public, et voici que François Bayrou essuie à son tour la canonade d'une façon que la justice aura à apprécier un jour ou l'autre mais qui, personnellement, me paraît assez éloignée de ce qui est par ailleurs reproché au Front National ou à Richard Ferrand par exemple.
Dans le cas du Front National, il y a une petite vingtaine de députés européens qui mettent rarement les pieds en séance du Parlement Européen, qui n'y signent ni rapports ni interventions publiques, et dont l'activité parlementaire peut donc passer pour nulle. La nullité de cette activité crée comme une présomption d'emploi fictif de leurs assistants parlementaires, car s'il n'y a pas d'activité parlementaire, à quoi peuvent donc être employés les assistants ? À faire des cocottes en papier ? Non bien sûr, ils travaillent pour leur parti. Et disons aussitôt qu'une partie de l'activité d'un parlementaire est nécessairement affectée à son parti politique, car c'est sur une étiquette politique qu'il est élu. Il y a donc une cohérence. Reste à trouver le bon dosage, il semble que la justice soit appelée à l'apprécier. En ce qui concerne le FN, le déséquilibre est manifeste, en ce qui concerne le MoDem, il faudra voir, la parlementaire qui me paraît la plus sur la sellette pourrait être Sylvie Goulard, qui a cependant quitté ce parti. Il faut tout de même inscrire à décharge de ces deux partis la guerre implacable que leur a livrée l'ancien président Sarkozy, et qu'il semble réveiller depuis qu'il s'est rapproché de M. Macron. Rappelons que, héritier des réseaux Pasqua, M. Sarkozy est expert en matière de mafias. M. Hollande aurait dû le savoir, M. Macron devrait en prendre conscience.
Dans le cas Ferrand, il ne s'agit plus du tout de la même chanson. On parle d'enrichissement personnel. Est-il illégal ? y a-t-il abus de confiance non seulement de M. Ferrand, mais de toute l'équipe dirigeante des Mutuelles de Bretagne ? La justice le dira, mais on voit que l'atmosphère de népotisme, de copinage, d'impunité et de mélange des genres trouble profondément l'opinion, au point de susciter un rejet dont le quinquennat actuel pourrait être secoué s'il n'y prend garde.
Et c'est là que nous retrouvons le FN, car si l'affaire des assistants parlementaires va mériter un savant dosage de mesure d'activité, celle de la vente des kits de campagne aux candidats renvoie bien elle aussi à un phénomène d'enrichissement personnel et de pratiques mafieuses.
Les esprits sont donc troublés, l'abstention sera paraît-il massive et la légitimité du pouvoir affaiblie. Or c'est dommage.
Car on nous promet une première vague de moralisation de la politique qui contient des mesures nécessaires, comme la suppression de la Cour de Justice de la République ou l'interdiction d'embauche de la famille (mais quid de la "maîtresse" ou de l'amant ?) par les élus, ainsi qu'un renforcement des mesures contre les conflits d'intérêt.
Disons tout de suite que, dans ce dernier domaine, l'entrée massive de représentants des lobbys dans les cabinets du pouvoir offre un effet-miroir déformant assez curieux, du genre "faites ce que je dis, pas ce que je fais". Il y aura effort de cohérence à fournir pour les troupes de M. Macron.
Au-delà même, il appartient encore au domaine des utopies qu'un avocat ne se fasse pas le porte-parole de sa profession dans l'hémicycle, ni un médecin de la sienne, ni un fonctionnaire du corps même de l'État et de sa logique de pouvoir. Suffirait-il qu'un fonctionnaire soit automatiquement démissionné de la fonction publique lorsqu'il est élu parlementaire, mais cela ne serait-il pas au moins un minimum ?
Enfin, il est un domaine où la loi proposée par M. Bayrou ne semble pas aller assez loin, c'est celui de la pseudo-démocratie locale. On élit dans les communes et dans la plupart des autres collectivités locales des pouvoirs sans contrepouvoirs, et ce sont parfois de véritables potentats qui phagocytent tous les leviers de décision dans leur périmètre, et qui s'assujettissent tout ce qui devrait être indépendant d'eux. Contre cela, qui est un véritable scandale démocratique et mafieux à hauteur d'homme, il n'y a encore rien de prévu, et c'est bien dommage, car la loi à venir est prometteuse.
Pour le reste, et en ce qui concerne cette affaire des assistants parlementaires, qu'une enquête soit diligentée dans tous les partis politiques, et s'il y a des cas que la justice épingle, il me semble que les dirigeants devraient prendre au plus vite l'engagement de rembourser aux parlements concernés les éventuelles sommes indues. En ce qui concerne le MoDem, j'ai la conviction que la structure est globalement honnête.
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Commentaires
En ce qui est de l'honnêteté de la structure du Modem, pour y avoir été adhérente, je ne peux me rallier à votre point de vue. Ou alors, changeons la définition du mot honnêteté dans le dictionnaire. J'y ai été témoin de temps de tricheries, d'injustices et de mépris des adhérents que j'affirme haut et fort mes convictions sur ce point.
Vous semblez excuser volontiers les magouilles des uns et des autres. Le rôle du parlementaire n'est pas de servir son parti. Il est de servir l'intérêt des Français.
Écrit par : Passage | 11/06/2017
Je me permets de vous signaler que le rôle des partis politiques est garanti par la Constitution. Ils concourent à l'expression du suffrage du peuple. Le lien des parlementaires avec les partis politiques est institutionnalisé par le système de financement des partis, puisque les parlementaires, qui se présentent en général sous une étiquette, sont invités, en début de législature, à indiquer à quel parti ils souhaitent que soit versée l'enveloppe annuelle de financement politique qui est prévue par la loi.
On peut critiquer ce système et vouloir revenir aux premières décennies post-révolutionnaires, où tout groupement politique était interdit comme visant à fractionner l'unité de la Nation et à créer une faction, mais l'état du droit est celui que je viens de dire. Le député est donc au mieux placé dans un débat de conscience à trois (l'électeur, le parti, lui-même), au pire à quatre ou plus (s'il est soumis à divers lobbys, ce que la future loi vise à combattre).
Pour le reste, je ne parle pas de fonctionnement intérieur, qui d'ailleurs ne fait plus l'objet de critiques depuis longtemps, mais de rapport à l'argent.
Écrit par : Hervé Torchet | 12/06/2017
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