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19/10/2010

Le centre courtisé par des tartuffes

En politique, l'action est une chose délicate et l'effet boomerang fréquent. En ne rémunérant pas les journées de grève des professeurs, on les incite à pousser les lycéens à manifester à leur place. En organisant un service minimum, on incite les grévistes à employer des moyens d'action très radicaux, blocages en tous genres, à paralyser autrement l'économie nationale. À l'inverse, les excès de mai 1968 ont conduit au raz-de-marée électoral de droite de juin 1968. Les grandes grèves de 1995 ont considérablement affaibli la majorité d'alors, mais elles ont surtout propulsé Le Pen au second tour de l'élection présidentielle de 2002.

Aujourd'hui, on glose sur le calcul fait par la majorité : exciter le désordre pour appeler au retour à l'ordre ? Se poser en père-la-rigueur pour reconquérir l'électorat conservateur effrayé par ses dérapages verbaux et son style bling-bling ?

Je pense qu'en tout cas, le calcul initial a été celui-là : utiliser le mécontentement social pour effrayer l'électorat de centre droit et le ramener dans le giron majoritaire. À l'heure actuelle, d'ailleurs, l'opinion, en milieu centriste, est que la gauche est en mesure de gagner seule en 2012. Mais au fond, est-ce l'essentiel ?

La montée de l'extrême droite en Europe

Nous vivons dans un monde dangereux, la poussée xénophobe aux Pays-Bas et en Suède, deux pays longtemps admirés pour leur tolérance, le regain extrémiste en Autriche, voire en Allemagne, les ratonnades en Italie, sans parler de ce qui se passe aux États-Unis, des extrémistes sanguinaires de tous poils, islamistes et boutefeux de tous genres, tout cela fait de notre époque un moment dangereux, qui évoque les années 1930.

Or, je l'ai noté lors des dernières régionales, le fait symétrique de cette poussée de fièvre ultradroitière, c'est l'enfoncement du centre, en France notamment, mais pas seulement. On pourrait croire que cet effet de vases communicants ne soit qu'apparent, il n'en est rien : en fait, le centre est la seule vraie réponse à l'extrême droite, un rappel à la conscience morale. Oui, il faut le dire et le répéter, les valeurs du centre sont les seules à contrer efficacement celles de l'extrême droite, car la droite et la gauche, et leurs extrêmes, se placent tous dans le même champ sémantique, tandis que le centre se situe dans un tout autre champ sémantique, il déplace le débat, et c'est sa force.

Le centre longtemps moqué

On connaît la raillerie de Marie-France Garaud sur le fait que, pour convaincre les centristes, il suffisait d'agiter le maroquin ministériel. On a longtemps tourné en dérision aussi notre goût de la bonne gouvernance, notre point d'honneur de probité, notre habitude de juger une politique à ses résultats pour l'intérêt général plutôt qu'à ses effets pour un camp ou l'autre. Tout cela, au fond, a toujours fait rigoler les importants, les réalistes, les cyniques, les gens de pouvoir, en somme, qui mesuraient leur taux de satisfaction à l'aune de la cocufication qu'ils nous avaient infligée. Qui agitant les maroquins, qui "plumant la volaille centriste".

En se posant en candidat de la respectabilité, de l'ordre, des grands équilibres financiers, le pouvoir actuel ne fait qu'infliger une nasarde de plus à notre conception des choses, il nous fait un pied-de-nez, un de plus. Un de trop ?

En entendant Mme Aubry jouer de la mandoline sous le balcon de M. Bayrou, mercredi dernier, en employant des expressions qui sont chères à celui-ci, des expressions qui fleurent bon le terreau centriste, j'avoue que j'ai eu un haut-le-cœur. Comment ? Mme Aubry qui est soutenue par M. Delanoë qui donne l'absolution à bon compte à M. Chirac ? En d'autres temps, Lamartine a écrit "La France est élastique". Peut-être, mais tout de même. Jouer à ce point les attrape-tout ne dénote qu'un état de pensée : celui qui vise à prendre le pouvoir à tout prix, ce qui n'est jamais bon signe. Et puis, on l'a vu, de même que Mme Royal était suitée de sa duègne Mélenchon lorsqu'elle fredonnait des chansons galantes sous le balcon de M. Bayrou en 2007, une duègne implacable qui détenait la clef de sa ceinture de chasteté, de même le chœur des duègnes s'est immédiatement employé à couvrir les mots doux de Mme Aubry avec le grincement de ses mâchoires.

Le centre n'est pas entre la droite et la gauche

Les danses du ventre des deux bords ont pour premier but de rassurer leurs propres soutiens sur la nature du centre : le centre est un peu plus à droite que nous, pense la gauche, et un peu plus  gauche que nous, pense la droite. Double erreur.

Bien sûr, je pourrais, en me moquant, dire que la définition du centre est : tous ceux qui ont envie de donner autant de coups de pied au cul à la droite qu'à la gauche. Mais ce ne serait qu'une boutade. Le centre vaut mieux que cela. Il y a, dans notre façon d'être, ce que Raymond Barre avait nommé "une exigence intellectuelle et morale, un désir d'action", non pas la volonté de plaquer une morale sur la vie des gens, mais l'envie de trouver l'éthique de l'action publique, de lui donner du sens. C'est d'ailleurs un point qui rapproche le centre de beaucoup d'écolos, même si ensuite le tri se fait entre les valeurs compatibles des uns et des autres. Nous avons, sur l'éthique et la politique, et sur le contenu des politiques publiques, des visions souvent convergentes, ainsi que sur l'appel à la liberté. C'est sans doute pourquoi une partie des électeurs centristes hésite entre les écolos et les démocrates. Les évolutions récentes et prévisibles vont décanter cette tentation.

La spécificité présidentielle

Bien entendu, les clins d'œil à l'électorat centriste ou aux responsables centristes n'ont qu'une arrière-pensée : la présidentielle de 2012. La droite exige du centre ce qu'elle considère comme un retour au bercail, la gauche s'endort chaque soir au coin du feu en rêvant qu'elle va plumer la volaille centriste. M. Sarkozy, le matin, en se rasant, s'ébaubit de son futur deuxième mandat présidentiel, Mmes Royal et Aubry, en se faisant le maillot, s'imaginent dictant leur loi aux mâles du monde ébahi. 2012 est une musique qui leur trotte sans cesse dans la tête.

Et cependant...

Les valeurs du centre qui sont irréductibles au champ sémantique droite-gauche représenteront, en 2012 comme lors de toutes les élections présidentielles au Suffrage Universel Direct, sous la Ve république, entre 15 et 20 %. Elles auront un candidat et un seul, ce sera le même que la dernière fois, le seul qui soit crédible, le seul qui ait ce profil étrange que réclame la fonction présidentielle.

Sinon, l'extrême droite sera à 20 %.

Et sans doute, alors, si l'extrême droite rebondit, notre monde poursuivra sa glissée aussi lente et inexorable que celle d'un glacier au temps du réchauffement climatique vers l'abîme. Et alors, quand le pire se sera produit, quand nous aurons d'autres barbaries infectes, d'autres génocides, d'autres verduns, au triste compteur de nos ignominies, l'Histoire demandera des comptes à ceux qui, par des propos honteux, ont jeté de l'huile sur le feu de la haine, comme l'a fait le président de la république cet été, à ceux aussi qui, se disant centristes, n'ont pas démissionné pour protester contre ces abus de langage, et à ceux, enfin, qui ont continué à faire bouillir leur petite tambouille dans leurs petites marmites politiques, alors que, de toutes parts, le péril montait.

Notre époque, je le crois, réclame un changement de paradigme, peut-être pas seulement celui que Quitterie, que nous aimons, a évoqué en se retirant du jeu partisan, mais un sursaut, un tunnel salutaire vers l'autre champ sémantique, celui que le centre incarne.

29/11/2008

À quoi sert le Mouvement Démocrate ?

Dans un débat récent ici, sur mon blog, j'indiquais que si le MoDem n'est qu'une machine à gagner des élections, et en particulier une machine à faire gagner l'élection présidentielle par Bayrou, alors le MoDem ne m'intéressait pas. Cette même opinion, je l'ai déjà exprimée dans le passé et j'en ai déjà tiré les conséquences nécessaires : de 2001 à 2004, je suis resté un adhérent distant, ne participant à rien. 2004 a été un moment sympathique, mais c'est l'apparition de Quitterie Delmas en 2005 qui m'a vraiment ramené vers l'engagement politique.

Tout en étant distant, je n'ai pas changé mon vote, ni d'ailleurs mes convictions foncières, mais mon activité a été nulle, parce que je trouve sans le moindre intérêt de consacrer du temps au culte de la personnalité ou à une stratégie dont je ne suis qu'un paramètre (faible).

En réclamant aux adhérents du Modem un esprit "commando", Bayrou a réitéré le choix qu'il avait déjà exprimé du temps de l'UDF : celui d'un appareil voué à lui obéir sans débat, un choix qui a à mon avis accéléré le déclin démographique de la vieille famille centriste et démocrate. Je crois personnellement dans la vertu du débat.

C'est son choix, à chacun d'en tenir compte en conscience. Pour ma part, comme on le sait, je préfère consacrer mon travail politique à Quitterie. D'autres ont pris la tangente.

C'est chez l'un de ceux-ci, Hyarion (passé au PS) que j'ai trouvé un texte qui m'a ouvert à l'idée que la proposition de Ségolène Royal de transformer le PS en fan-club était sérieuse : il faut vivre avec son temps, dit en substance Georges Frêche selon les propos rapportés par Hyarion, et notre temps a besoin de partis politiques qui soient des écuries présidentielles, rien de plus.

Il y a donc bien une opinion commune chez les politiques, chez les gens d'en haut, ceux qui nous gouvernent, que la participation des citoyens est un leurre et que l'adoration est l'état natif du militant politique.

Tant pis pour eux s'ils croient cette folie.

Mais il faut dire qu'ils sont alors moins en situation de critiquer la pratique despotique et discrétionnaire (pour ne pas dire arbitraire) du président Sarkozy, puisque leur conception du pouvoir est en fait la même.

Il y a là, de toute évidence, un constat qui va continuer à éloigner les gens de la politique dont ils seront de plus en plus les spectateurs et non les acteurs, quoi qu'en disent nos responsables politiques qui me semblent plus inconscients que réellement malveillants.

Le discours participatif se dévoilera comme triste farce assez vite.

Pour ma part, ce constat ne signifie pas que je ne soutienne pas Bayrou, il y a un socle programmatique qui nous est propre et que Bayrou, je crois, n'éludera pas s'il est élu et s'il conquiert le pouvoir législatif ensuite : liberté de la presse, indépendance de la justice, bonne gouvernance, saine gestion. Ce constat ne signifie pas non plus que je penche subitement du côté de ceux qui semblent tourner le dos à la logique des partis-croupions : le PS canal historique de Martine Aubry. Non, car on voit que les vieilles marmites ne sont parfois capables que de réchauffer des plats rances et moisis. Mais ce constat fait que je ne perdrai pas mon temps dans des activités vides de sens.

Heureusement, il y a Quitterie Delmas.

02/10/2008

2012 : la dramaturgie se met en place.

On lit, chez Luc Mandret comme dans la presse, que le congrès du PS est joué, que la ligne "historique", fidèle au PS du XXe siècle, est en passe de l'emporter.

La ligne politique du tandem Delanoë-Hollande (véritables Zig et Puce de la gauche) est celle que Delanoë vient d'illustrer à Paris lors des récentes municipales : toute la gauche "de gouvernement" (modèle 1997), rien que la gauche de gouvernement. En quelque sorte, une géométrie réduite aux acquêts.

Dans cet attelage, les Verts, comme désormais à Paris, sont l'alibi d'une politique environnementophobe, productiviste et affairiste, et le MoDem, bien entendu, n'a aucune place.

Le candidat de l'appareil (et des notables) à la présidentielle est issu de cette ligne, probablement Delanoë, bien que celui-ci ne manque pas de petits copains qui ne rêvent que de lui faire le grand soir pour lui prendre le grand jour.

À côté de cette ligne d'appareil va se cristalliser l'hypothèse d'une candidature de Ségolène Royal, endiablée contre les appareils politiques, mais de gauche et toute prête à faire alliance avec ceux qui la boudent. Et par ailleurs une dent personnelle affirmée contre le Mouvement Démocrate.

Ainsi la gauche aura-t-elle peut-être deux candidats crédibles au premier tour de l'élection présidentielle, quels que puissent être les efforts de l'appareil socialiste pour paralyser toute dissidence par l'organisation de primaires où seront invités les non-adhérents (et auxquelles, on s'en doute, la droite s'empressera de participer, à la fois pour semer le trouble dans le PS et pour consolider la confiscation du pouvoir par le tandem UMP-PS). Cela sera si Ségolène Royal y est suffisamment déterminée et si les sondages (hum) lui laissent un espoir d'y triompher.

Troisième candidat se revendiquant de l'anti-sarkozysme : François Bayrou.

L'un de ces trois là, et l'un seulement, sera l'adversaire du second tour de ce qui semble devoir être Sarkozy pour l'UMP.

On voit bien quelle est la proposition qui sera alors faite aux Français : déterminez à la fois le meilleur homme (la meilleure femme) et la meilleure combinaison politique : union multicolore (antisarkozystes de droite, du centre et de gauche), gauche "ouverte" (s'alliant peut-être avec le MoDem), gauche "de grand-papa" (PS et alliés d'avant-hier satellisés).

Les arguments n'y seront pas tous bons, ni tous francs, ni tous sincères, mais in fine, ce sera le débat, si cette hypothèse se confirme. À moins, évidemment, que Ségolène Royal ne "cale", et qu'on se retrouve dans la configuration de 2007, discrédit de Sarkozy en plus.

À l'heure présente, comme l'écrivait un éminent blogueur le mois dernier, il n'y a que quatre candidats suceptibles de gagner la présidentielle de 2012 : Sarkozy, Bayrou, Royal et Delanoë. Et le scénario qui conduit à leur partie de poker menteur se met en place.

18:25 | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : ps, modem, ump, bayrou, sarkozy, royal, delanoë | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

18/12/2007

Les tartuffes ("Mourir pour des idées..." 2).

Il est triste de constater qu'on s'est trompé sur les gens. L'inénarrable Jean-Christophe Lagarde vient de glapir qu'on lui avait massacré son UDF.
 
Que n'est-il venu le dire à la tribune du conseil national de l'UDF qui au mois de mai dernier a voté à la quasi-unanimité la création du Mouvement Démocrate ! Mais non : alors, il avait besoin d'entretenir le flou sur l'investiture, pour qu'on le laisse touiller en paix sa vilaine tambouille de traîtrise. Il nous a donc envoyé son épouse, la sympathique Aude, qui nous a juré, promis craché, qu'il n'avait pas changé et que bien sûr il avait l'intention de "rester".
 
Farceur. Tartuffe.
 
On voit, ici ou là, fleurir des critiques contre l'alliance faite par Bayrou à Bordeaux. Juppé a été condamné pour fait de corruption, tout le monde le sait. Et s'ils critiquent cette alliance au nom de l'éthique, ils critiquent aussi le choix (d'ailleurs discutable) des instances locales du MoDem en Seine-Maritime de soutenir le maire de Rouen Albertini (il est à droite, fi donc ! cela dit, j'espère que Bayrou va s'intéresser à ce cas) et la tentation fortement exprimée par les instances locales du MoDem à Lyon de s'allier avec l'ex-garde des sceaux Perben (il est vrai allié lui-même avec les "millonistes", ce qui est inacceptable à mon avis).
 
Que veulent-ils ? Au nom de la morale, des alliances systématiques du MoDem à gauche.
 
À gauche ? Mais alors, que ne critiquent-ils avec la même éloquence l'investiture donnée par le Parti Socialiste à Henri Emmanuelli qui a, lui aussi, été condamné pour faits de corruption !
 
Farceurs. Tartuffes.
 
Il ne fait aucun doute que les électeurs du MoDem sont sensibles aux principes éthiques. C'est très certainement le coeur de leur engagement ou de leur vote. C'est au nom de ces principes qu'ils ont approuvé le "ni droite ni gauche" qui renvoyait dos à dos les deux systèmes de prévarication. C'est au nom de ces principes qu'ils approuvaient, dans le programme de François Bayrou, la notion de justice indépendante et de troisième pouvoir. C'est au nom de ces principes qu'ils voulaient une limitation plus sévère du cumul des mandats. C'est au nom de ces principes qu'ils voulaient que la presse soit désormais indépendante.
 
Seulement voilà, pour la gauche, indépendant signifie "de gauche".
 
On l'a vu encore récemment, lorsque Ségolène Royal a adressé un mail pressant aux dizaines de milliers de membres (ou ex-membres) de son réseau Désir d'Avenir, pour les engager à soutenir financièrement une initiative qui permet, selon elle, de créer un média enfin indépendant, Mediapart, fondé certes par Edwy Plenel, un vrai journaliste, mais dont la cheville ouvrière, le sypathique Benoît Thieulin, n'est autre que l'ex-directeur de sa netcampagne présidentielle. Ce média est donc indépendant parce qu'il est contrôlé par... ses amis.
 
Farceuse. Tartuffe.
 
En vérité, il faudra bien que les adversaires du sarkozysme s'unissent à un moment ou un autre, de Royal (voire Emmanuelli) à bien des gaullistes pour lesquels Juppé est parfois une référence sinon morale du moins politique, en passant bien sûr par Bayrou et le sémillant MoDem.
 
Il faudra le faire sans sacrifier de principe, cette fois, mais dans le respect de chacune des natures politiques considérées.
 
La gauche ne peut ainsi pas vouloir que le MoDem soit la gauche, car elle y perdrait aussitôt le bénéfice de l'alliance qu'elle ferait. On ne peut s'allier qu'avec ce qui est différent de soi.

09:30 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : politique, MoDem, Bayrou, municipales, PS, Royal, Juppé | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

13/07/2007

Le mécano constitutionnel et la Vie république.



Sarkozy l’ubique s’est déplacé sur les terres du président du Sénat pour lancer sa réforme de la constitution.

La pantomime ridicule à laquelle s’est livré le Parti Socialiste en préambule de cette initiative en a renforcé l’impact et lui a conféré une dimension très solennelle et transpartisane : en critiquant le débauchage d’un constitutionnaliste de gauche par la droite, les éléphantômes en ont fait une tentative réelle de transcendance des courants. Leurs cris d’orfraie auraient mieux fait de s’adresser à la politique économique du gouvernement, qui est un événement bien plus redoutable et important pour les Français que l’éventuelle participation d’un vieil éléphant à un aréopage destiné à amuser la galerie.

Car comme d’habitude, les jeux sont faits d’avance pour le futur comité constitutionnel : Sarkozy lui a rédigé une feuille de route sans grand espace de négociation, d’autant moins que c’est Édouard Balladur qui est supposé en prendre la présidence. On peut d’ailleurs s’étonner au passage qu’il faille toujours trouver des comités constitutionnels pour caser les gloires déchues ; c’était la logique du siège automatique et perpétuel des anciens présidents de la république au Conseil constitutionnel (Vincent Auriol et René Coty en 1958), c’était encore le pupitre de Valéry Giscard d’Estaing pour la rédaction du traité constitutionnel européen, c’est enfin le sépulcre de l’homme qui a augmenté l’endettement extérieur de la France de vingt-cinq pour cent en deux ans entre 1993 et 1995 : Balladur.

Sarkozy a prôné la rupture durant sa campagne ; rupture, on ne savait pas bien avec quoi. Avec Chirac en tout cas. Avec de nombreuses habitudes peut-être. Avec la Ve république ? Cet aspect de son programme m’avait échappé, même si j’avais du mal à y trouver des traces de gaullisme.

En vérité, si l’accentuation de la présidentialisation du régime est l’une des deux possibilités qui se présentaient. Elle n’était pas étrangère à la façon dont Bayrou lui-même envisageait le rééquilibrage des institutions pouvant conduire à une Vie république.

Mais dans le projet Bayrou, il n’existait plus d’article 49-3.

Commençons donc par le commencement : faut-il supprimer le premier ministre ? Si l’on n’évacue pas la responsabilité de l’exécutif, il faut conserver le premier ministre : difficile d’imaginer que le président, élu par le peuple, puisse être renvoyé par le parlement. Donc le premier ministre reste. Mais, le président ayant vocation à s’exprimer une fois par an (comme la reine d’Angleterre et, à l’imitation de celle-ci, le président des Etats-Unis) devant le parlement pour un discours programme, l’aura du premier ministre devrait s’estomper.

Signalons au passage le retour du chef de l’État devant le parlement : ce serait la fin d’un tabou qui date de la IIIe république. Après l’utilisation du référendum pour un plébiscite, pratiquée depuis 1958, ce serait le dernier des piliers de la république militante qui tomberait : depuis 1875, le président n’a pas le droit d’entrer au parlement, bannissement supposé protéger l’indépendance de celui-ci.

Le mythe de l’indépendance du parlement ayant disparu depuis longtemps, il n’y a rien là que de tristement logique et significatif de la réalité des institutions ; sous couvert de réhabilitation du parlement, c’est encore une preuve écrasante de son abaissement.

Une dose de proportionnelle dans chacune des chambres du parlement sera utile surtout à la justice et à la diversité de la représentation nationale, pourvu qu’il s’agisse de proportionnelle dans un cadre régional, interrégional ou national et non dans le cadre départemental qui maintiendrait la prédominance de la bipolarisation.

En revanche, l’implication plus directe du président dans le fait majoritaire et parlementaire est la fin pure et simple de la conception gaullienne de la fonction présidentielle. De surcroît, elle risque d’aboutir à la pérennisation de la bipolarisation encore, en renforçant l’argument utilisé contre Bayrou lors de la récente campagne présidentielle : avec qui gouvernerait-il ?

Eh oui, s’il doit traiter avec le parlement, qui acceptera de travailler avec lui ? C’est en fait modifier la nature de l’élection présidentielle, cette rencontre d’un homme et d’un peuple comme aime à le dire Bayrou, et remettre définitivement le président entre les mains des appareils politiques, qui est à proprement parler ce que de Gaulle lui-même appelait la « république des partis ».

Pour le reste, on avait déjà les apparences du despotisme le plus explicite avec la façon dont Sarkozy affirmait son pouvoir gouverné par l’opportunité, la subjectivité et, disons-le, le caprice, voici que l’on commence à constater ce que l’on nomme des effets de cours dans sa gestion (par ailleurs le seul défaut de la structure centrale du MoDem aussi) : il est plus important et légitime d’être secrétaire général de l’Élysée ou épouse du président de la république que d’être ministre, investi par le parlement, pour négocier publiquement avec les chefs d’États étrangers. Bravo…

Bientôt, le chauffeur du président de la république aura plus de pouvoir que le premier ministre, il n’y aura plus qu’à réinstaller Sarkozy à Versailles (sa femme est déjà à la Lanterne, sur le chemin) et le tour sera joué.

Décidément non, tout ça ne ressemble pas à la Vie république, mais plutôt à une seconde restauration ou à un troisième empire… un empire – en pire !

Si au moins tout cela portait une vertu comptable et financière, on pardonnerait tout ; mais étant donné ce qu’on voit, on ne pardonne rien.

Alors, traçons notre sillon MoDem, il en sortira une bonne récolte un jour ou l’autre. Vive la liberté.

07/07/2007

L’inépuisable affaire “Clearstream“.

Il faut ici rappeler la scandaleuse persécution que subit le journaliste Denis Robert, initiateur de l’appel de Genève qui a lancé une campagne solennelle de juges européens contre les systèmes mafieux et contre la corruption.

L’incroyable acharnement qu’il subit de la part de certaines administrations laisse profondément perplexe sur les liens que l’on accuse parfois une partie de nos dirigeants politiques et administratifs d’entretenir avec des réseaux criminels.

Quoiqu’il en soit, c’est bien Denis Robert qui a le premier formulé l’hypothèse que Clearstream, un organisme luxembourgeois de compensation entre établissements bancaires, pourrait couvrir sciemment le blanchiment d’argent frauduleux auquel ses mécanismes financiers seraient employés.

Passons sur l’éventualité que cette même méthode puisse servir aussi aux services secrets de tous bords, ce qui expliquerait une partie de l’animosité de nos hautes sphères, et concentrons-nous sur l’invraisemblable feuilleton politique qu’évoque le nom de Clearstream.

La première période est un Feydeau : accusations mensongères, cris d’orfraie de l’accusé qui a préparé sa contre-attaque à une machination puérile qu’il a éventée dès son origine, portes qui claquent, beaucoup de vent dans les médias, coups de théâtre minuscules indéfiniment montés en épingle, le tout sur fond d’un document qui, dès le premier regard, s’avère un faux grossier.

Le comble du ridicule et de la honte pour notre pays est le moment où les deux principaux membres du gouvernement sont sur le point de se traîner mutuellement en justice et où personne, jamais, ne démissionne, où le parlement, inutile comme d’habitude, se contente de rester spectateur d’une bataille de chiffonniers dégradante.

Puis l’accusation tombant d’elle-même, ne reste que le processus de l’arroseur arrosé : dans la course à l’élection présidentielle de 2007, Dominique de Villepin est accusé d’avoir fomenté de toutes pièces la calomnie contre l’actuel président Sarkozy, alors son compétiteur.

Alors commence une phase plus souterraine, non moins redoutable, où la justice s’acharne contre l’équipe de Villepin, espions distraits, faussaires maladroits, entrepreneurs mythomanes, bref, une sorte de parodie burlesque et grinçante, quelque chose entre Arsène Lupin et Fantômas, jouée par les Branquignols.

Puis, dans la période récente, d’autres perquisitions spectaculaires, au “Canard enchaîné“ notamment (où l’on ne peut s’empêcher de trouver étrange l’obstination de la justice à mettre la main sur les fichiers incriminés de Clearstream), et enfin chez Villepin encore, contraint d’interrompre ses vacances pour venir assister aux investigations des enquêteurs parce qu’on a trouvé chez l’invraisemblable général Rondot de nouvelles preuves mystérieusement gravées dans le disque dur de son ordinateur.

C’est ainsi que l’on voit un Chirac très tendu se présenter à l’église non loin de Nicolas Sarkozy pour s’incliner sur la dépouille mortelle de Claude Pompidou.

06/07/2007

Bretagne : le centre à reconstruire.


Longtemps, le centre fut incarné en Bretagne par Pierre Méhaignerie, le maire de Vitré.

C’était alors, pour le centre, le temps des héritiers : Méhaignerie fils et successeur de son père, Barrot fils et successeur de son père, Bosson fils et successeur de son père, Baudis fils et successeur de son père, et combien d’autres.

Tous ces héritiers sont depuis lors passés à l’UMP.

Méhaignerie, lorsqu’il dirigeait la formation centriste (CDS) dans l’UDF, s’employait à noyauter la Bretagne. Le résultat de ses efforts fut … la disparition progressive du centre de la carte électorale bretonne, sauf dans son propre département, l’Ille-et-Vilaine où, au contraire, ce furent les gaullistes qui perdirent sans cesse du terrain.

Au moment où Méhaignerie quitta le centre pour passer à droite, le centre était majoritaire à lui seul en Ille-et-Vilaine.

Mais l’addition de ce centre et de la droite dans l’UMP fait qu’aujourd’hui, le département est … à gauche.

Il y a donc beaucoup à reconstruire et une vraie place pour le MoDem.

En vérité, ce qui a perdu Méhaignerie, c’est probablement l’argent, l’affaire de la construction du pont de l’île de Ré quand il était ministre de l’Équipement, et plus encore les curieux flux financiers qu’il a organisés avec l’argent de son parti, qui lui ont valu condamnation par la justice, une condamnation amnistiée avant même son prononcé.

Le côté sympathique du personnage résidait dans son rêve d’inventer une formation politique rien que pour la Bretagne. Il voulait en effet un parti régional, dans la logique agro-catho des héritiers du MRP, sans affiliation à une formation parisienne.

Il n’est pas parvenu à ce résultat, mais a désormais la haute main sur l’UMP bretonne.

Aujourd’hui, il ne reste plus qu’une poignée de députés de cette formation. Deux en Ille-et-Vilaine sont d’anciens centristes : lui-même et le maire de Saint-Malo, René Couanau. Un aussi dans le Morbihan est le vétéran de l’Assemblée Nationale, non le plus ancien mais le plus vieux : Loïc Bouvard, un ancien d’Air France père de six enfants (on dit qu’il ne s’est fait réélire que pour transmettre sa circonscription à un plus jeune UMP plus à droite). Dans le Finistère, les deux députés UMP restants sont plus à droite aussi, comme les autres du Morbihan. Il n’y en a aucun dans les Côtes d’Armor.

En Loire-Atlantique, département de la Bretagne historique, on se rappelle que Michel Hunault vient de passer au Nouveau Centre.

Les résultats électoraux du MoDem ont déçu en général après le beau score réalisé par François Bayrou dans la région. Douze ou treize pour cent ont été ici des scores courants pour des candidats du MoDem. Quelques-uns ont fait moins, comme Isabelle Le Bal à Quimper, d’autres ont brillé plus, comme Michel Canévet, maire et conseiller général, qui atteignait déjà dix-huit et demi lorsque Bayrou culminait à six virgule huit, et qui s’est haussé jusqu’à dix-neuf et demi. Bien entendu, mention spéciale pour Thierry Benoît, l’unique député métropolitain du MoDem hors des Pyérénées-Atlantiques.

Pour les municipales, il faudra trouver de bons candidats mais le terrain est prometteur : nombreuses sont les petites communes où Bayrou est arrivé en tête au premier tour de la présidentielle.

Dans les principales villes, l’électorat du MoDem sera décisif et tout le jeu pour les candidats consistera à coller au plus près de ces électeurs. L’effort ne sera pas toujours faible, en particulier pour une partie des anciens cadres de l’UDF habitués à vivoter comme force d’appoint de l’UMP : ils devront jouer leur carte jusqu’au bout sans tabou et ce sera pour eux une révolution culturelle qu’on leur souhaite de pouvoir assumer.

Il faudra donc leur fournir un outil programmatique simple et puissant, des valeurs fortes à défendre et à incarner.

Nantis de ces calculs et de leur score, ils devraient faire monter une génération nouvelle dans les conseils municipaux et produire un ou deux sénateurs en complément de Philippe Nogrix, à moins que Sarkozy ne réforme l’élection du Sénat d’ici là, mais comme on dit, ceci est une autre histoire.

05/07/2007

Vu de Bretagne.

Vue de Bretagne, l’actualité parisienne est lointaine.

Ici, l’offensive du pouvoir contre les gendarmes prend un tour très local : on ferme deux gendarmeries au motif de leur vétusté.

Bien entendu, le tissu social en souffre : encore des services publics qui désertent la campagne, ces deux postes de gendarmes se trouvaient dans les dernières parties vraiment rurales du Finistère.

On commente aussi le choix du rectorat pour l’implantation de l’IUFM : ce sera Brest et non Quimper. Le grand port militaire n’en finit plus de profiter de la présidence du département pour déshabiller le chef-lieu rival.

Le grand sujet qui a fait la une est surtout la création du parc régional maritime au large des côtes, autour des îles d’Ouessant et de Sein. Repoussée jusqu’après les élections pour ne pas effaroucher une population que l’on croit hostile au projet, cette initiative satisfait les amis de la nature maritime et inquiète tous les autres en menaçant le prix des terrains, une réalité à laquelle on est très sensible sur les côtes où les tarifs commencent à devenir intéressants.

Voilà donc quelques nouvelles d’ici.
 
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04/07/2007

Lefebvre Utile (LU) et parlement inutile (PI).

L’annonce de la vente des biscuiteries LU à un géant américain le jour même du discours d’investiture de François Fillon rappelle que Nicolas Sarkozy a de nombreux cadeaux à faire à ses commanditaires américains.

Il arrive que certains hommes de pouvoir vendent leur âme au diable pour leur carrière mais l’âme que Sarkozy a vendue, c’est la nôtre, celle de la France.

Quoiqu’il en soit, on est forcé de reconnaître que Fillon ne déçoit pas : il est aussi ennuyeux que prévu.

Sa phrase sur le couple présidentiel doit pratiquement être prise au premier degré. D’une part, parce que Fillon a été introduit en politique par Joël Le Theulle, homosexuel très explicite, mais aussi parce que c’est à une véritable démonstration par l’exemple de toutes les théories psychologiques que les deux hommes (Sarkozy et lui) se livrent depuis le 6 mai : tout masochiste cherche son sadique, tout sadique cherche son masochiste et les deux se sont incontestablement trouvés, Fillon le masochiste et Sarkozy le sadique.

En témoigne d’ailleurs la facétie qui a consisté à envoyer Fillon faire sa première visite officielle en compagnie du député Christian Vanneste qui a été condamné pour propos homophobes.

Après Sarkozy et Cécilia, Royal et Hollande, voici donc le troisième couple diabolique de l’année : Sarkozy et Fillon. Astiquez vos cuirs et vos latex.

Au milieu de cette danse des sept voiles, François Bayrou, le pouce gauche toujours dans le plâtre, a paru s’ennuyer ferme lors de la séance du vote d’investiture. La couverture de sa présence par la télévision a été sans surprise non plus : nulle.

Qu’a-t-il fait ? Qu’a-t-il voté ? Pas un mot. Ses sept millions d’électeurs jugeront.

On a en revanche revu l’inénarrable Maurice Leroy, toujours aussi inspiré, expliquer avec son aplomb habituel que le premier ministre a été désigné pour appliquer la politique pour laquelle sa majorité a été élue.

Il ne cherche pas à être bien noté par le petit président de la république inspirateur universel de toutes les politiques, celui-là. Sans doute pour tenter de garder notre sympathie mais c’est curieux, quand il parle, je n’ai plus envie de rire, c’est comme pour Santini, quelque chose ne passe pas.

Hollande, lui, m’a piqué mon mot : omniprésident. J’aurais dû le déposer à l’INPI.

Oh, je les plains, les députés. Ils n’ont jamais été aussi factices, jamais aussi réduits à leur fonction de super-élu local. Le parlement est élu pour obéir, ils le savent. Peut-on monter au calvaire sans pleurer ?

Les grands groupes financiers, eux, se frottent les mains : ils s’apprêtent à traire le PI. La France est bien leur vache à lait.

La préparation de la naissance du MoDem devrait nous consoler. Espérons.

01/07/2007

Jean-Luc Moudenc : comment ne pas perdre la mairie de Toulouse.

Jean-Luc Moudenc est issu d’un milieu modeste. Lorsque j’ai fait sa connaissance, en 1986, il résidait à Toulouse, chemin de Ramelet-Moundi, Les Toulousains jugeront.

Il a adhéré au Centre des Démocrates Sociaux en 1977. Il était alors âgé de seize ou dix-sept ans.

Ce parti avait été créé l’année précédente par la réunion du Centre Démocrate de Jean Lecanuet et du Centre Démocratie et Progrès (CDP) de Jacques Duhamel. Le CDP était issu d’une fraction du Centre Démocrate (essentiellement des parlementaires) qui, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1969, avait rejoint le camp de Georges Pompidou contre le propre candidat du Centre Démocrate, Alain Poher.

Lecanuet, qui avait entre-temps tenté l’aventure du Mouvement Réformateur avec les Radicaux de Jean-Jacques Servan Schreiber, avait pris en 1976 la présidence du nouveau parti et prendrait celle du nouveau conglomérat englobant aussi les Radicaux, les Sociaux-Démocrates et les Républicains Indépendants, l’année suivante : ce serait l’Union pour la Démocratie Française (UDF).

Lorsque j’ai fait sa connaissance, dans l’été 1986 donc, en Ardèche lors d’une Université d’Été, Jean-Luc Moudenc était déjà silencieux et compassé comme un cardinal. Il adoptait le ton qui fait qu’on le croit toujours à mi-voix. Ce qui frappait en lui était son nez.

On pouvait croire que Rostand avait écrit sa pièce Cyrano pour lui. Son appendice nasal le précédait partout de très loin.

Nanti de cette excroissance, Moudenc promenait son sourire sénatorial et sa silhouette calme au milieu d’une escouade de ses jeunes, dans une atmosphère très gaie et plutôt folle.

Doué pour les conquêtes de structure, il s’était constitué un réseau d’amis et d’affidés en prenant le contrôle de la mutuelle toulousaine des étudiants de droite et du centre. Il s’agissait du système SME-, concurrent minoritaire de la puissante MNEF.

Les SME, contrairement à la MNEF, formaient un réseau d’entités indépendantes regroupées selon un principe confédéral : le vrai pouvoir y était local. Je me souviens de la SMEREP, la mienne, celle des étudiants parisiens, mais on connaissait aussi la SMEBA, la SMESO etc.

À travers sa SME, il bénéficiait donc d’une logistique et d’une hiérarchie capable de détecter et de fidéliser des militants.

En 1984, Moudenc avait rencontré un jeune chirurgien, Philippe Douste-Blazy, qui faisait partie des talents prometteurs du jeune centre toulousain.

La ville était tenue par le vieux Pierre Baudis. Lorsque je notais que c’était un centriste presque historique, puisqu’il gouvernait sous cette étiquette dans les années 1960, Jean-Luc me corrigeait : Baudis roulait pour le centre républicain, et non pour le centre démocrate, et cette nuance changeait tout, car sous-entendu dans démocrate, il fallait lire démocrate-chrétien. Jean-Luc Moudenc s’épanouissait dans un milieu démocrate-chrétien, forcément minoritaire dans une ville longtemps marquée par le radicalisme.

En 1986, au congrès de Metz, nous élûmes notre bureau national des jeunes centristes (JDS). Deux listes se confrontaient : l’une, conduite par Éric Azière qui aujourd’hui gère les investitures pour Bayrou, l’autre menée par un autre Toulousain, Jean-Luc Forget, celui-là même qui vient de se présenter  sous l’étiquette MoDem contre Moudenc aux législatives toulousaines.

Sans figurer sur la liste d’Azière, j’y étais affilié, car il avait été prévu que je prendrais les fonctions du permanent de la structure sous la casquette de Délégué général national.

Il devint assez vite évident que nous allions gagner. Que non seulement nous allions gagner, mais que notre victoire serait écrasante (elle l’a été : 83%).

C’est alors que l’unique député jeune du parti, un certain François Bayrou, est intervenu auprès de nous : il ne supportait pas que, alors que nous militions tous dans le même mouvement, défendant les mêmes idées, nous puissions en venir à l’affrontement du suffrage. Il voulait DÉJÀ faire travailler ensemble des gens qui s’opposaient les uns aux autres.

Il demandait donc que nous fusionnassions les deux listes en une seule.

Le nombre de candidats était fixe et le scrutin prévoyait la victoire entière d’une liste bloquée. Autrement dit, Bayrou voyait juste : si nous voulions intégrer les autres à nos travaux, il fallait le faire avant le vote car après, ce serait trop tard.

Seulement le nombre de candidats sur chaque liste était limité et pour faire entrer l’un d’eux, il fallait aussi que l’un des nôtres s’effaçât. Et logiquement, puisque la tête de l’autre liste était toulousaine, il fallait que ce fût notre Toulousain qui lui cédât la place.

Jean-Luc Moudenc se retrouvait donc sur la sellette.

Les amis d’Azière se réunirent, votèrent, et décidèrent de maintenir leur liste telle quelle, de rester solidaire et d’aller au vote. C’était un signe d’amitié pour Moudenc.

Et c’est ainsi que j’ai fait partie de la même équipe de jeunes que lui pendant plusieurs années.

Lorsqu’Éric Azière, atteint par la limite d’âge, dut se retirer en 1991, je participai à diverses réunions qui précédèrent la candidature de Jean-Luc à la présidence des jeunes centristes, sans d’ailleurs m’y impliquer trop ouvertement en raison de la situation interne de la fédération de Paris : le candidat adverse de Moudenc n’était autre que Jean-Manuel Hue, aujourd’hui adjoint au maire du XVe arrondissement de Paris et alors président des jeunes centristes parisiens (j’étais son vice-président).

Jean-Luc Moudenc fut élu et cette position lui permit d’affermir ses bases toulousaines : il devint conseiller général, l’un des adjoints en vue de Baudis.

Il se présentait comme un conseiller très proche de celui-ci. Lors de la campagne européenne de 1994, Baudis codirigeait la liste d’union UDF-RPR avec Hélène Carrère d’Encausse.

Un hasard m’a amené à postuler pour rendre service à l’équipe de campagne et Jean-Luc, qui était le collaborateur politique attitré de Baudis, ne manqua pas l’occasion de me renvoyer l’ascenseur du soutien que je lui avais exprimé trois ans plus tôt.

Je devins ainsi le chef ( !) de l’équipe qui répondait au courrier reçu par les candidats.

C’était un poste politique, assez en vue, un geste élégant de sa part.

J’avais d’ailleurs une bonne image de Baudis, dont la belle-sœur et assistante parlementaire avait été une de mes chaleureuses relations à l’époque où j’avais moi-même été assistant.

Je m’engageai donc à fond dans cette campagne en oubliant qu’elle souffrait de la proximité avec la prochaine présidentielle. Et je fus reconnaissant envers Jean-Luc, dont je n’oublie pas la fidélité.

Quoiqu’il en fût, je mesurais tout ce qu’il faisait pour Baudis.

Il avait aussi contribué à l’élection de son ami Douste-Blazy à la mairie de Lourdes. L’un des jeunes toulousains, Thierry Dupuis, s’était même retrouvé chef de cabinet de Douste. Au moment d’une sombre affaire de parking et de pots de vin, Thierry Dupuis, que je connaissais bien et qui, c’est vrai, avait toujours été sujet à des états d’âme, fut retrouvé mort, et l’enquête conclut qu’il s’était suicidé d’un coup de fusil de chasse.

On sait quelles ont été les autres raisons qui ont poussé Douste à quitter Lourdes pour revenir à Toulouse ; la première de celles-ci était le départ de Baudis, empêtré dans une sombre histoire par des accusations lancées par une prostituée, histoire à laquelle j’avoue n’avoir pas cru un instant étant donné d’autres échos que j’avais sur Baudis.

Bref, Baudis partant, il lui fallait un remplaçant, Douste ne se sentait plus bien à Lourdes, ville d’ailleurs petite pour ses vastes appétits, et hantée par un personnage dérangé dont l’obsession consistait à lui planter un poignard entre les omoplates pour une raison qu’on a toujours ignorée.

Douste se voyait bien à Toulouse et Moudenc fut l’artisan de l’opération.

Il y gagna encore en influence locale.

Et quand Douste-Blazy, ministre, dut démissionner, Moudenc devint maire.

Je l’ai croisé pendant la récente campagne présidentielle, sur le point de rencontrer Bayrou. Il m’a paru figé, imprégné par la solennité, le copain s’effaçait derrière le magistrat municipal. Il est devenu une personnalité et se conduit comme tel. La fonction fait l’homme.

Il me confia alors le bonheur que représentait pour lui l’exercice de ce mandat de maire, pour lui, l’enfant d’une famille modeste.

Il ajouta que, désormais, son plus grand rêve, c’était de “continuer“.

Mais sur son blog, durant la campagne législative, j’ai lu que lorsqu’un de ses administrés l’interrogeait pour savoir si “en se rasant le matin“ il songeait à devenir ministre, Jean-Luc laissait clairement paraître son désir d’escalader cette marche-là.

Encore aurait-il fallu qu’il devînt député.

Or dans cette ville, Toulouse, Toulouse qui a longtemps voté à gauche aux présidentielles et qui tolérait que Baudis se fût rapproché de la droite parce que c’était Baudis, dans cette ville, donc, la gauche est redevenue majoritaire.

Jean-Luc Moudenc semble ne l’avoir pas compris.

Sa fidélité à l’UMP qu’il a rejointe en abandonnant ses amis centristes est devenue contreproductive.

Il aurait sans doute dû le comprendre avant l’élection. Mais il était si absorbé par l’idée d’empêcher Douste de revenir, qu’il ne l’a pas vu.

Il en sort évidemment affaibli.

On dit même que Baudis voudrait reprendre sa mairie.

Alors ? Quelle autre solution avait-il, Jean-Luc ?

Sans doute se rapprocher de Bayrou. Jouer l’option centriste pour endiguer les deux tentations. Or il n’est pas allé aussi loin.

Résultat : il risque perdre sa ville. Mauvaise pioche. Ce serait dommage pour lui.

29/06/2007

Devedjian traite Comparini de "salope".

Pris par le temps, je glisse seulement le lien avec le blog de Guy Birenbaum qui évoque cette affaire images à l'appui :

http://birenbaum.blog.20minutes.fr/

28/06/2007

Faut-il partir en vacances ?

Le calendrier est parfois un ennemi intraitable.
 
Pour le parlement, l'automne est essentiellement consacré à la discussion budgétaire. La mise en application de la LOLF ne change rien sur ce point. Et après les vacances de Noël éclatera le tonnerre de la campagne municipale qui, comme une pluie drue, s'abattra sur toutes les parties du territoire avec au moins autant d'intensité que l'élection présidentielle ; il n'y a que deux personnes importantes en France : le maire et le président de la république.
 
Donc pour enclencher des réformes, étant donné que la fin du printemps a été mangée par les inutiles élections législatives, il ne reste que l'été.
 
Là comme ailleurs, on peut écrire "Bayrou l'a rêvé, Sarkozy l'a fait" : Bayrou avait annoncé qu'il infligerait un été laborieux aux parlementaires pour lancer les nouveautés. Sarkozy a suivi ce conseil.
 
Pourtant, l'été est la plus mauvaise période pour adopter des réformes importantes : le parlement légifère dans l'indifférence, voire l'ignorance, au lieu de s'appuyer sur l'opinion publique pour réléchir et consulter. Et quand les réformes douloureuses réveillent les rhumatismes du peuple, à l'automne, la grogne est terrible contre ceux qui sont aussitôt accusés d'avoir statué en catimini et à la dérobée.
 
Oui, on ne fait pas de bonnes réformes impopulaires l'été.
 
Et il peut paraître léger que ceux qui font profession de vigilance contre ces décisions désertent leur poste pour s'éloigner qui vers le soleil, qui vers la campagne, qui vers l'horizon : en l'absence des citoyens ordinaires, les veilleurs de la société civile et des partis politiques deviennent de véritables surveillants, des matons ou des officiers de quart, astreints à tour de garde. L'abandon de poste est puni du peloton d'exécution en temps de guerre.
 
Mais voilà : l'année a été longue et rude et la saison prochaine sera chargée. On n'est pas d'acier. Il faut savoir se reposer.
 
C'est donc dans l'indifférence et la solitude que les réformes les plus cruciales seront votées.
 
Pour ma part, je quitte Paris pour la Bretagne et pour un temps indéterminé : je vais y développer le quatrième tome de la Réformation des Fouages de 1426, publication fleuve que j'ai entreprise en 2001 ; ce nouveau volume concernera l'ancien diocèse de Léon qui, de la mer à Morlaix à l'est et Landerneau au sud, englobait la place forte de Brest.
 
Je prends le train demain sans avoir l'idée d'une date de retour : le travail commande.
 
Je m'efforcerai durant l'été d'alimenter mon blog en textes politiques et littéraires (et historiques).
 
Bonnes vacances à ceux qui partent en juillet ou août.

27/06/2007

L'omniprésident fomente la révolution.

Du temps où Édouard Balladur était premier-ministre de cohabitation et Nicolas Sarkozy ministre du budget, il suffisait qu'un intérêt catégoriel se manifestât pour qu'aussitôt, les lacets de la bourse de l'État se déliassent et que la manne se déversât sur l'intérêt offusqué.
 
Au début, il s'agit d'intérêts notoires, de grandes catégories professionnelles, de métiers nombreux : marins-pêcheurs, vignerons et autres ; avec les mois, on vit montrer les dents des catégories de plus en plus anecdotiques, de plus en plus confidentielles, mais qui, à elles toutes, représentèrent une population de plus en plus nombreuse. C'est ainsi qu'en deux ans de ce gouvernement, l'endettement extérieur de l'État augmenta de vingt-cinq pour cent.
 
Voici que le même Sarkozy, devenu président de la république, rechausse ses souliers catégoriels.
 
Il a décidé de transformer ses ministres en porte-serviettes, en ornement théâtral : c'est lui, et lui seul, qui mène la négociation avec les partenaires sociaux. On l'a bien vu avec la loi sur les universités, on le reverra bientôt à tout propos et hors de propos : le style ne trompe pas, l'homme se répète.
 
Or les catégories ne s'y trompent pas : voici qu'une intersyndicale ultra-représentative des journalistes vient de demander à rencontrer le président de la république pour évoquer avec lui les atteintes croissantes à la liberté de la presse.
 
C'est en vérité inouï.
 
On comprend bien que les journalistes, dont l'info est le métier, aient très vite compris la réalité de l'organisation du pouvoir. Mais qu'ils n'aient même pas imaginé ni feint de s'adresser d'abord à un ministre ou au premier ministre, qu'ils n'aient même pas esquissé le geste d'expédier d'abord une lettre ouverte au président de la république, tout cela est le signe d'un déplacement sismique des frontières intérieures de l'État.
 
Il n'y a pas si longtemps qu'on voyait des jeunes en grève dans un collège ordinaire d'une ville comme les autres demander à rencontrer leur ministre comme s'il avait été le commissaire du coin ou le vendeur de pizzas.
 
On verra bientôt les mêmes jeunes exiger, au milieu de n'importe quel mouvement social, de rencontrer le président de la république. Forcément, puisque le président va recevoir à l'Élysée de plus en plus de représentants de catégories de plus en plus réduites.
 
Cette élévation du niveau des revendications est de nature prérévolutionnaire. Elle est l'un des mécanismes qui ont conduit des États-Généraux à la Révolution française.
 
Alors posons la question : Sarkozy est-il révolutionnaire ?
 
Si c'est le cas, ce sera comme Pétain : dans le sens d'une révolution nationale.

26/06/2007

MoDem : l'horizon municipal.

Le MoDem se cristallise peu à peu, département par département, ville par ville. Parti des intello oblige, l'effervescence programmatique est à son comble autour des fameuses "valeurs" du nouveau mouvement.
 
Plutôt des anti-valeurs, d'ailleurs, puisqu'elles ont pour point commun de situer l'être humain au-dessus de toute valeur et la vénalité comme moyen au mieux du progrès matériel qui n'est pas une fin (ni une faim) en soi.
 
Pourtant, l'horizon qui attend la nouvelle armée des démocrates n'a rien de si élevé : la bataille municipale compte plus de débats de carrefours que de métaphyisque, c'est son destin.
 
Or il ne fait aucun doute que ces élections municipales seront un rendez-vous essentiel pour les militants nouveaux : tous les chiffres, même les plus pessimistes, montrent que le MoDem pèsera sur le premier tour, qu'il aura donc la possibilité de maintenir ses listes au second, soit pour une altière solitude, soit en vue d'une fusion avec un camp ou l'autre.
 
Le signal envoyé par Françoise de Panafieu à Marielle de Sarnez aujourd'hui en marge du Conseil de Paris indique avec clarté que les deux camps sont motivés.
 
Même entre 5 et 10%, les listes MoDem auront encore la faculté de fusionner ainsi pour le second tour.
 
Il y aura donc énormément d'élus MoDem après les prochaines élections municipales.
 
À coup sûr.
 
Quoique.
 
Les électeurs du MoDem, on l'a compris, ne seront guère enthousiastes devant la tambouille politique s'ils n'y trouvent pas leur pitance de propos nobles et de renouvellement.
 
Eh oui, le renouvellement des acteurs et des pratiques, thème central de la ligne éditoriale de Quitterie Delmas. On le taxe parfois de naïf ou de puéril ; et pourtant, les dernières élections l'ont démontré : ces souhaits de renouvellement sont ceux de toute la nouvelle génération d'électeurs, ceux parmi lesquels Bayrou a recueilli 26% des suffrages.
 
Il faut donc leur donner ce qu'ils attendent à juste titre : de vraies raisons de voter. Intégrité, environnement, renouvellement, pluralisme, justice... Et bien d'autres.
 
Quitterie Delmas se prépare à partir pour ses quartiers d'été avec une malle entière de livres, tous plus savants les uns que les autres. Objectif : sa ligne éditoriale de la saison prochaine.
 
Attendons-nous à y trouver les thèmes qui permettront aux MoDem de mettre le feu aux poudres de nos villes et de nos campagnes. 

25/06/2007

Pour comprendre le pouvoir : "Les grandes familles" de Maurice Druon.

Maurice Druon n'est pas un dangereux anarchiste, c'est le moins que l'on puisse dire. Homme de droite, conservateur, cultivant l'autorité, il a régné durant de longues années sur l'Académie française qui, comme chacun sait, n'est pas le royaume des progressistes. Comme l'écrivait Victor Hugo : "Les quarante fauteuils et le trône au milieu" (c'est un alexandrin).
 
Druon a une chance paradoxale dans la vie : être le neveu de l'immense journaliste et écrivain de talent qu'a été Joseph Kessel, dont j'ai parlé ici même. C'est avec Kessel que, dans l'exil londonien de la France Libre, il rédige l'inoubliable "Chant des partisans" sur lequel Anna Marly colle une musique rythmée et martiale. "Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines, ami entends-tu le cri sourd du pays qu'on enchaîne..." sont des paroles pour tous les temps.
 
Plus tard, Druon publie quelques romans, dont "Les Rois maudits" qui ont enchanté mon adolescence après que leur adaptation télévisée eut émerveillé mon enfance.
 
On a dit qu'il ne les avait pas rédigés seul ; il a rétorqué que le travail de ses nègres était si mauvais qu'il avait dû tout récrire. Peu importe.
 
Il sort aussi un étrange et charmant livre écolo pour enfant, "Tistou les Pouces verts" dont j'ai un exemplaire qu'il m'a dédicacé lors d'une vente de charité du PEN club en 1973.
 
Outre la saga des "Rois maudits" (avec son arrière-plan symbolique lié aux Templiers), son roman le plus important est "Les grandes familles".
 
Quand on lit le titre, on entend Herriot parler des "Deux cents familles". Il s'agit par exemple des Wendel, les fonderies, liés à l'ancien patron du Medef, le baron Sellières, mais aussi à l'épouse de l'ancien président Giscard d'Estaing née Anne-Aymone de Brantes, et encore aux Missoffe, dont la trace la plus visible pour un Parisien attentif à la politique est Françoise de Panafieu, née Missoffe.
 
On est ici dans ce qu'Arletty, dans un film dialogué par Jeanson, aurait appelé "la haute". Haute finance, haute administration, grande presse instrumentalisée, manoeuvres boursières brutales, rapacités de toute nature, exploitation de tous les rouages du pouvoir à fin personnelle, culture de la manipulation, mise en coupe réglée de la société par les sociétés, usage altier de la particule.
 
La sphère du pouvoir. Le vrai pouvoir. Celui de l'argent.
 
"Les forces de l'argent"... Quand Mitterrand prononçait ces mots dans un discours, on savait qu'il avait atteint le sommet de son éloquence. Il détestait l'argent ... des autres.
 
L'argent, la vraie puissance. L'argent qui achète, corrompt, asservit, avilit tout. Je revoyais hier soir la pièce "Volpone" adaptée par Jules Romain de Ben Johnson, auteur classique anglais. La hideur de l'argent s'y étale, sa puissance sur les âmes, surtout quand elles sont faibles.
 
En ce temps où l'argent redevient légitime, où s'enrichir est de nouveau le but de l'existence humaine, en ce temps où la Sarkozye se définit comme le royaume dont le prince est l'argent, il est urgent de relire "Les grandes familles".
 
Elles sont aux commandes. 

24/06/2007

L'Europe sans le peuple.

Le principal défaut de la construction européenne est devenu patent dans les années 1990 : tout l'édifice reposait sur un ensemble de décisions parlementaires. De tous les traités constitutifs de l'Union européenne, un seul avait été adopté par référendum (et quel référendum...) : celui de Maestricht.
 
L'abstention croissante lors des élections du parlement européen manifestait le désintérêt du peuple pour la chose bruxelloise.
 
À vrai dire, cette désaffection choquait surtout en France, car les autres pays de l'Europe ont peu la pratique du référendum et s'en remettent volontiers à des solutions parlementaires.
 
Pourtant, l'idée française du besoin d'enracinement de l'Europe dans le suffrage universel faisait son chemin avec celle de la supranationalité. De toute évidence, si l'on voulait progresser dans le regroupement des souverainetés, il faudrait bien y associer les peuples.
 
On s'engagea alors dans un processus lourd de plusieurs référendums ponctuant l'adoption de l'ambitieux traité constitutionnel européen (TCE) par les parlements de certains états. Le Royaume-Uni devait fermer le bal référendaire ; l'adoption par les vingt-quatre autres états se changeait alors en couteau sous la gorge des Britanniques, sommés de se soumettre ou de se démettre, c'est-à-dire d'approuver ou de se retirer de l'Europe.
 
Ce chantage n'effrayait personne. Il échoua : le référendum français et, dans la foulée, celui des Pays-Bas, se soldèrent par deux non sonores.
 
On pourra gloser longtemps sur les raisons de ce double refus mais on se souvient qu'à l'époque, les études d'opinion montraient que les référendums suivants seraient difficiles aussi, notamment en Pologne.
 
Seul le Luxembourg sauva l'honneur, mais de justesse. Le signe devenait accablant : si un pays aussi profondément européen que le Luxembourg renâclait à ce point à approuver le nouveau texte, c'est qu'il devait avoir tous les défauts.
 
Il les avait : trop long, trop obscur, trop ambigu, trop charabia, trop dispersé, il ne pouvait être approuvé que du bout des lèvres et les adversaires de la construction européenne avaient beau jeu de lui découvrir toutes les tares car, étant donné son obscurité, personne n'était vraiment à même de les contredire, pas même le coordinateur des travaux de sa rédaction, le Français Giscard d'Estaing, qui invoquait pour toute défense un "pourquoi voulez-vous que nous ayons fait un mauvais texte ?" qui résonnait comme un aveu de faiblesse.
 
Et pourtant non, le TCE n'avait pas tous les défauts.
 
Il avait une qualité, une qualité essentielle que l'on a oubliée : il reprenait l'ensemble des traités fondateurs et les soumettait d'un coup au référendum.
 
C'était toute la construction européenne que le peuple se voyait alors invité à valider d'un coup.
 
Or il l'a rejetée. En bloc. Il a dit non à tout.
 
C'était le risque.
 
Il n'a pas été assumé.
 
Qui pis est, il est aujourd'hui nié : on se félicite de voir repris, nous dit-on, dans le nouveau traité abrégé (le "best-of" du TCE) l'essentiel des dispositions institutionnelles contenues dans le défunt traité.
 
Pourquoi pas ? Il en est de bonnes.
 
Mais on entend aussi qu'il n'est plus question de référendum et que les mêmes choix que le peuple a rejetés, le parlement du peuple va les adopter contre lui.
 
Peut-on décrire plus grand scandale politique ?
 
Alors il faut le dire : je suis pour la construction européenne, à fond. Je suis pour que nous bâtissions une grande fédération d'États nations (comme dit Delors) qui jouera un très grand rôle dans l'édification des institutions mondiales et dans l'organisation d'un monde plus équitable et plus humain.
 
Mais il ne peut être question de continuer à échafauder sans se préoccuper des fondations. Or les fondations, c'est le peuple. Le peuple doit s'exprimer.
 
Je sais bien que la récente campagne présidentielle donne l'impression que la colère du peuple est matée, que le fleuve populaire est rentré dans son lit après vingt ans de crue, que la crétinisation des esprits faibles est de retour et que son efficacité touche au zénith.
 
Je sais bien tout cela.
 
Je sais aussi que l'hyperactivité du président donne l'impression que tout va aller mieux, que les gens vont avoir envie de recommencer à travailler, à s'activer pour lui ressembler. Que par conséquent l'économie va s'éveiller de sa léthargie, d'autant plus qu'on annonce une hausse du pouvoir d'achat pour 2007 (3,2%).
 
Mais tout cela est un trompe-l'oeil. Il n'y a pas de démocratie sans le peuple et les frustrations qu'il subit dans les périodes d'effervescence économique et d'opulence, il les fait lourdement payer dans les moments de stagnation.
 
Que l'on s'en souvienne aujourd'hui pour n'être pas surpris demain. 

23/06/2007

Difficile naissance du MoDem.

La vieille UDF meurt dans la peine.
 
L'argent y manque. La campagne présidentielle a coûté plus que le remboursement de l'État, les locaux se désertifient.
 
Jeudi après-midi, rue de l'Université, le silence régnait. C'est jeudi. J'y suis. Il y règne.
 
On murmure des chiffres sur le trou béant des finances du parti. On constate le départ de salariés, comme Okan, l'un des veilleurs du site Bayrou.fr. On dit que la compression de personnel sera forte.
 
On croise cependant, ce jeudi, la bonhommie penchée de Marie-Amélie Marcq, l'experte ès médias des bayrouistes depuis plus de dix ans ; non loin d'elle (et dans la cour quand le temps le permet), la silhouette caractéristique et le front plissé d'Ophélie Rota, attentive devant son écran d'ordinateur.
 
Plus loin, on ne peut serrer la main de Stéphane Thérou, un survivant comme moi de l'équipe des jeunes centristes d'Éric Azière à la fin des années 1980, parce qu'on l'a déjà fait dans la rue devant le conservatoire municipal : il sortait bavarder avec un ami.
 
On trouve cependant le profil concentré de Stéphane Nicolas, directeur de services devenus fantomatiques, un jeune, grand, réservé mais solide. Il lève les yeux de sa page et montre sa préoccupation dans son sourire.
 
À côté de lui, la brune Karine a l'air fatigué. Une autre qui devrait être là passe désormais son temps à bavarder dans le vestibule.
 
Un peu plus loin, Pierre-Emmanuel Portheret, ex-secrétaire du groupe UDF de l'Assemblée nationale, lit un journal devant un écran d'ordinateur. 
 
Tout au fond, affectant l'air serein tout en rangeant ses dossiers avec méthode, Éric Azière souffle : pour une fois dans l'année, il passe une après-midi sans que son téléphone sonne.
 
Il classe les fiches des candidats aux législatives et des résultats.
 
En quelques mots, il me donne quelques indications sur ce qu'il sait de la situation politique interne de l'UDF devenant MoDem.
 
Il me parle des Alsaciens, de Jacqueline Gourault. Il réfléchit. Je fais état de la réunion des sénateurs. On n'en connaît pas encore le résultat complet, mais on sait que quinze sur trente-deux ont voté une motion de synthèse exprimant leur identité de droite. Ces gens sont centristes depuis trente ans et, au bout de trente ans, découvrent qu'ils sont de droite.
 
Ah, pauvres Lecanuet, Poher, Abelin, Diligent et quelques autres, comme vous devez les plaindre, vos fils et vos frères perdus.
 
Que sera l'avenir du groupe centriste du sénat autour de Michel Mercier ? Pas encore d'info.
 
En refluant vers la sortie, le crâne plissé et chauve de Didier Nicolas, le veilleur des fichiers, se présente à moi, moins souriant que d'ordinaire. L'un de mes livres est posé sur son bureau. Il me le signale amicalement.
 
Je ne monte pas au deuxième étage : depuis que Quitterie n'y est plus, je n'en fais plus l'effort.
 
En repartant, dans la cour, Dominique Le Pennec lâche pour une fois sa cigarette et son téléphone et nous échangeons une chaleureuse poignée de mains.
 
Et les autres ? Où sont-ils ?
 
Où est la ruche extraordinaire de l'élection présidentielle ? Que reste-t-il du rêve ? Où ont-ils tous disparu ?
 
Voilà ce que j'ai vu et pensé jeudi. Deux ou trois jours plus tôt, il y avait un peu plus de monde, ou plutôt quelques-uns qui n'y étaient plus jeudi quand ceux de jeudi ne s'y trouvaient pas tous à ce moment-là.
 
Ils ont mérité leurs vacances. Pour ceux qui en prennent et qui reviendront en septembre après les Assises de la Démocratie.
 
Pour les autres, bon vent. Ne vous éloignez pas trop. 

L'Europe engluée pour sept ans.

Pour son deuxième sommet institutionnel en quelques semaines (après celui du G8), la chancelière allemande Angela Merkel ne voulait pas d'échec. Il lui fallait couronner sa présidence tournante de l'Union europénne par un accord sur le mini-traité chargé de remplacer le défunt traité constitutionnel européen.
 
C'est fait.
 
Hélas.
 
De tout le dispositif, deux ou trois aspects seulement ont fait l'objet de longs commentaires, retenons-en deux : la répétition de la formule "concurrence loyale et non faussée" et la pondération des votes dans les instances intergouvernementales de l'Union.
 
Sur la "concurrence non faussée", j'avoue trouver le débat surréaliste. On trouve l'Europe trop libérale, alors qu'elle ne l'est pas assez. On fait reculer les formules qui prémunissent contre les favoritismes étatiques (donc contre la corruption) au motif qu'elles sont trop libérales, alors qu'elles ne le sont pas assez.
 
Il y a en effet deux problèmes en Europe, qui sont les deux extrémités du même bâton.
 
Le premier, c'est le libéralisme : il est érigé comme moteur de la construction. On ne l'oublie pas, pour l'inspirateur Monnet, les nations européennes ne se sont jamais fait la guerre pour autre chose que pour servir leurs intérêts ou ceux des castes économiques qui les dirigeaient.
 
Par conséquent, interpénétrer les marchés, les fusionner en un seul, faire des intérêts de plusieurs nations l'intérêt commun de plusieurs nations, tout cela était vertueux et prometteur de paix. Promesse tenue : l'ouverture du marché unique rend la paix inéluctable entre les Européens et il n'y aura pas de recul sur ce point.
 
Mais les mécanismes du libéralisme sont récupérés contre celui-ci par de grands groupes d'intérêts qui pèsent sur les institutions de l'Union comme sur celles des États membres ; détournement du lobbyisme à fin mercantile. Au lieu de combattre le libéralisme, il vaudrait donc mieux en réclamer plus, de façon à ce que les institutions de Bruxelles aient pour but prioritaire en ce domaine, une vraie "concurrence loyale et non faussée", c'est-à-dire où le petit ait autant de chance que le grand.
 
À l'autre extrémité du bâton, il y a en effet trop de libéralisme : il faut sauvegarder certaines activités monopolistiques comme services publics, c'est légitime.
 
Or sur ce point comme sur le premier, le mini-traité n'apporte pas grand chose.
 
En revanche, sur la pondération, il opère des modifications.
 
Seulement voilà : ces modifications ne seront opérationnelles qu'en 2012 et ... 2014, soit dans sept ans !
 
Depuis 2005 et l'échec des référendums, il aura donc fallu neuf ans pour sortir de l'impasse ! Neuf ans sans aucune intiative institutionnelle nouvelle.
 
Car on ne s'y trompe pas : en se fixant ce rythme de tortue asthmatique, l'Europe a pris acte d'une pause très profonde dans la dynamique de la construction européenne.
 
Dorénavant, tout est figé pour sept ans. 

22/06/2007

Une interview de Daniel Carton par Quitterie Delmas sur AgoraVox.

Quitterie Delmas a souhaité interroger le journaliste Daniel Carton sur son dernier livre, qui retrace la récente campagne présidentielle sous un angle inhabituel, dans la foule, parmi les électeurs, loin de l'atmosphère frelatée de la sphère politico-journalistique.
 

21/06/2007

L'Europe des fantômes.

La perspective d'adoption d'un traité dit "simplifié" pour sortir de l'impasse institutionnelle dans laquelle l'Europe végète depuis le printemps 2005 ne soulève guère de passion en France.
 
Depuis l'échec du traité constitutionnel européen (TCE), l'Europe est un fantôme, un squelette qui pourrit dans les oubliettes. Tout le monde s'en fiche.
 
Triste abandon de l'idéal d'union des peuples.
 
Il ne nous reste que nos égoïsmes. Égoïsmes de riches contents d'économiser sur les droits de succession, égoïsmes de pauvres heureux qu'on désigne des boucs émissaires encore plus pauvres qu'eux, coupables d'être, selon l'expression de Brassens reprise par Maxime Le Forestier, "nés quelque part".
 
Nous combattons les délocalisations avec la même ferveur que, voici vingt ans, nous exigions des transferts de technologie vers le Tiers-Monde pour permettre à celui-ci de se développer. Nous n'avons pas donné nos technologies, ils les ont conquises. Aujourd'hui, ils ne nous doivent rien et les emplois vont chez eux. Bel exemple de l'efficacité de l'égoïsme.
 
Et pour l'Europe, combien étions-nous à contempler, les yeux embués, les pioches qui, pan par pan, démolissaient le mur de Berlin ? Quel bonheur, alors, de savoir l'Europe orientale enfin libre.
 
Mais quant il a fallu passer à la caisse pour aider cette liberté retrouvée, oh, mais vous n'y pensez pas.
 
C'est Daniel Cohn-Bendit qui, avec sa netteté d'expression caractéristique, a alors glapi contre les États "radins". Car le non français à l'Europe, c'est aussi celui de l'enfant gâté de l'Europe, la France qui, pendant des décennies, a été la première à bénéficier de la manne européenne.
 
Nous étions bien contents, alors, de recevoir. Et la construction européenne était si populaire...
 
Mais quand le flux s'est inversé, quand notre pays est devenu contributeur net au budget de l'Europe, quand il s'est agi de faire pour eux ce que d'autres (l'Allemagne et les Pays-Bas surtout) avaient fait pour nous, fi donc ! Non, non et renon. Il n'y avait plus de France.
 
Non est alors devenu le nom de la France et nous le portons comme un stigmate.
 
Notre hyperprésident peut bien se promener avec son mini-traité à la main, nous n'en sommes que plus vils et plus ridicules.
 
Bien sûr, faute de mieux, il faudra bien l'approuver en attendant mieux ; mais encore faudrait-il que d'autres l'approuvent aussi.
 
Car la réalité que nous connaissons aujourd'hui est la même que celle à laquelle auraient dû réfléchir ceux qui ont voté non au TCE : l'Europe, on ne peut pas la faire seul. Il faut être six, neuf, dix, douze, quinze, vingt-cinq, vingt-sept, bref, il faut que tous les Européens veuillent la faire aussi.
 
Et quand on leur claque la porte sur les doigts avec un "non" sonore, il faut s'attendre à ce qu'ils nous fassent ensuite un peu la sourde oreille.
 
Il n'y a pas si longtemps, dans une grande indifférence de la campagne présidentielle française, fut célébré le cinquantième anniversaire du traité de Rome qui a enclenché la mutation institutionnelle de l'Europe.
 
Je pense aujourd'hui à tous ceux qui sont morts, aux millions de morts de toutes les guerres qui, peut-être, lorsqu'on a enfin parlé de paix et de travail commun, ont pu croire leur sacrifice utile à la sagesse des nations.
 
Je pense aux fondateurs, à Gasperi, à Adenauer, à Monnet, à Schuman, à Deniau, rédacteur du traité de Rome mort si peu de temps avant l'anniversaire.
 
Je pense au cortège des fantômes.
 
Le drapeau de l'Europe est tombé. Il gît dans la poussière.
 
Il faut le relever : l'Europe a un grand rôle à jouer pour un monde plus équitable, plus humain et plus libre.