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01/07/2007

Jean-Luc Moudenc : comment ne pas perdre la mairie de Toulouse.

Jean-Luc Moudenc est issu d’un milieu modeste. Lorsque j’ai fait sa connaissance, en 1986, il résidait à Toulouse, chemin de Ramelet-Moundi, Les Toulousains jugeront.

Il a adhéré au Centre des Démocrates Sociaux en 1977. Il était alors âgé de seize ou dix-sept ans.

Ce parti avait été créé l’année précédente par la réunion du Centre Démocrate de Jean Lecanuet et du Centre Démocratie et Progrès (CDP) de Jacques Duhamel. Le CDP était issu d’une fraction du Centre Démocrate (essentiellement des parlementaires) qui, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1969, avait rejoint le camp de Georges Pompidou contre le propre candidat du Centre Démocrate, Alain Poher.

Lecanuet, qui avait entre-temps tenté l’aventure du Mouvement Réformateur avec les Radicaux de Jean-Jacques Servan Schreiber, avait pris en 1976 la présidence du nouveau parti et prendrait celle du nouveau conglomérat englobant aussi les Radicaux, les Sociaux-Démocrates et les Républicains Indépendants, l’année suivante : ce serait l’Union pour la Démocratie Française (UDF).

Lorsque j’ai fait sa connaissance, dans l’été 1986 donc, en Ardèche lors d’une Université d’Été, Jean-Luc Moudenc était déjà silencieux et compassé comme un cardinal. Il adoptait le ton qui fait qu’on le croit toujours à mi-voix. Ce qui frappait en lui était son nez.

On pouvait croire que Rostand avait écrit sa pièce Cyrano pour lui. Son appendice nasal le précédait partout de très loin.

Nanti de cette excroissance, Moudenc promenait son sourire sénatorial et sa silhouette calme au milieu d’une escouade de ses jeunes, dans une atmosphère très gaie et plutôt folle.

Doué pour les conquêtes de structure, il s’était constitué un réseau d’amis et d’affidés en prenant le contrôle de la mutuelle toulousaine des étudiants de droite et du centre. Il s’agissait du système SME-, concurrent minoritaire de la puissante MNEF.

Les SME, contrairement à la MNEF, formaient un réseau d’entités indépendantes regroupées selon un principe confédéral : le vrai pouvoir y était local. Je me souviens de la SMEREP, la mienne, celle des étudiants parisiens, mais on connaissait aussi la SMEBA, la SMESO etc.

À travers sa SME, il bénéficiait donc d’une logistique et d’une hiérarchie capable de détecter et de fidéliser des militants.

En 1984, Moudenc avait rencontré un jeune chirurgien, Philippe Douste-Blazy, qui faisait partie des talents prometteurs du jeune centre toulousain.

La ville était tenue par le vieux Pierre Baudis. Lorsque je notais que c’était un centriste presque historique, puisqu’il gouvernait sous cette étiquette dans les années 1960, Jean-Luc me corrigeait : Baudis roulait pour le centre républicain, et non pour le centre démocrate, et cette nuance changeait tout, car sous-entendu dans démocrate, il fallait lire démocrate-chrétien. Jean-Luc Moudenc s’épanouissait dans un milieu démocrate-chrétien, forcément minoritaire dans une ville longtemps marquée par le radicalisme.

En 1986, au congrès de Metz, nous élûmes notre bureau national des jeunes centristes (JDS). Deux listes se confrontaient : l’une, conduite par Éric Azière qui aujourd’hui gère les investitures pour Bayrou, l’autre menée par un autre Toulousain, Jean-Luc Forget, celui-là même qui vient de se présenter  sous l’étiquette MoDem contre Moudenc aux législatives toulousaines.

Sans figurer sur la liste d’Azière, j’y étais affilié, car il avait été prévu que je prendrais les fonctions du permanent de la structure sous la casquette de Délégué général national.

Il devint assez vite évident que nous allions gagner. Que non seulement nous allions gagner, mais que notre victoire serait écrasante (elle l’a été : 83%).

C’est alors que l’unique député jeune du parti, un certain François Bayrou, est intervenu auprès de nous : il ne supportait pas que, alors que nous militions tous dans le même mouvement, défendant les mêmes idées, nous puissions en venir à l’affrontement du suffrage. Il voulait DÉJÀ faire travailler ensemble des gens qui s’opposaient les uns aux autres.

Il demandait donc que nous fusionnassions les deux listes en une seule.

Le nombre de candidats était fixe et le scrutin prévoyait la victoire entière d’une liste bloquée. Autrement dit, Bayrou voyait juste : si nous voulions intégrer les autres à nos travaux, il fallait le faire avant le vote car après, ce serait trop tard.

Seulement le nombre de candidats sur chaque liste était limité et pour faire entrer l’un d’eux, il fallait aussi que l’un des nôtres s’effaçât. Et logiquement, puisque la tête de l’autre liste était toulousaine, il fallait que ce fût notre Toulousain qui lui cédât la place.

Jean-Luc Moudenc se retrouvait donc sur la sellette.

Les amis d’Azière se réunirent, votèrent, et décidèrent de maintenir leur liste telle quelle, de rester solidaire et d’aller au vote. C’était un signe d’amitié pour Moudenc.

Et c’est ainsi que j’ai fait partie de la même équipe de jeunes que lui pendant plusieurs années.

Lorsqu’Éric Azière, atteint par la limite d’âge, dut se retirer en 1991, je participai à diverses réunions qui précédèrent la candidature de Jean-Luc à la présidence des jeunes centristes, sans d’ailleurs m’y impliquer trop ouvertement en raison de la situation interne de la fédération de Paris : le candidat adverse de Moudenc n’était autre que Jean-Manuel Hue, aujourd’hui adjoint au maire du XVe arrondissement de Paris et alors président des jeunes centristes parisiens (j’étais son vice-président).

Jean-Luc Moudenc fut élu et cette position lui permit d’affermir ses bases toulousaines : il devint conseiller général, l’un des adjoints en vue de Baudis.

Il se présentait comme un conseiller très proche de celui-ci. Lors de la campagne européenne de 1994, Baudis codirigeait la liste d’union UDF-RPR avec Hélène Carrère d’Encausse.

Un hasard m’a amené à postuler pour rendre service à l’équipe de campagne et Jean-Luc, qui était le collaborateur politique attitré de Baudis, ne manqua pas l’occasion de me renvoyer l’ascenseur du soutien que je lui avais exprimé trois ans plus tôt.

Je devins ainsi le chef ( !) de l’équipe qui répondait au courrier reçu par les candidats.

C’était un poste politique, assez en vue, un geste élégant de sa part.

J’avais d’ailleurs une bonne image de Baudis, dont la belle-sœur et assistante parlementaire avait été une de mes chaleureuses relations à l’époque où j’avais moi-même été assistant.

Je m’engageai donc à fond dans cette campagne en oubliant qu’elle souffrait de la proximité avec la prochaine présidentielle. Et je fus reconnaissant envers Jean-Luc, dont je n’oublie pas la fidélité.

Quoiqu’il en fût, je mesurais tout ce qu’il faisait pour Baudis.

Il avait aussi contribué à l’élection de son ami Douste-Blazy à la mairie de Lourdes. L’un des jeunes toulousains, Thierry Dupuis, s’était même retrouvé chef de cabinet de Douste. Au moment d’une sombre affaire de parking et de pots de vin, Thierry Dupuis, que je connaissais bien et qui, c’est vrai, avait toujours été sujet à des états d’âme, fut retrouvé mort, et l’enquête conclut qu’il s’était suicidé d’un coup de fusil de chasse.

On sait quelles ont été les autres raisons qui ont poussé Douste à quitter Lourdes pour revenir à Toulouse ; la première de celles-ci était le départ de Baudis, empêtré dans une sombre histoire par des accusations lancées par une prostituée, histoire à laquelle j’avoue n’avoir pas cru un instant étant donné d’autres échos que j’avais sur Baudis.

Bref, Baudis partant, il lui fallait un remplaçant, Douste ne se sentait plus bien à Lourdes, ville d’ailleurs petite pour ses vastes appétits, et hantée par un personnage dérangé dont l’obsession consistait à lui planter un poignard entre les omoplates pour une raison qu’on a toujours ignorée.

Douste se voyait bien à Toulouse et Moudenc fut l’artisan de l’opération.

Il y gagna encore en influence locale.

Et quand Douste-Blazy, ministre, dut démissionner, Moudenc devint maire.

Je l’ai croisé pendant la récente campagne présidentielle, sur le point de rencontrer Bayrou. Il m’a paru figé, imprégné par la solennité, le copain s’effaçait derrière le magistrat municipal. Il est devenu une personnalité et se conduit comme tel. La fonction fait l’homme.

Il me confia alors le bonheur que représentait pour lui l’exercice de ce mandat de maire, pour lui, l’enfant d’une famille modeste.

Il ajouta que, désormais, son plus grand rêve, c’était de “continuer“.

Mais sur son blog, durant la campagne législative, j’ai lu que lorsqu’un de ses administrés l’interrogeait pour savoir si “en se rasant le matin“ il songeait à devenir ministre, Jean-Luc laissait clairement paraître son désir d’escalader cette marche-là.

Encore aurait-il fallu qu’il devînt député.

Or dans cette ville, Toulouse, Toulouse qui a longtemps voté à gauche aux présidentielles et qui tolérait que Baudis se fût rapproché de la droite parce que c’était Baudis, dans cette ville, donc, la gauche est redevenue majoritaire.

Jean-Luc Moudenc semble ne l’avoir pas compris.

Sa fidélité à l’UMP qu’il a rejointe en abandonnant ses amis centristes est devenue contreproductive.

Il aurait sans doute dû le comprendre avant l’élection. Mais il était si absorbé par l’idée d’empêcher Douste de revenir, qu’il ne l’a pas vu.

Il en sort évidemment affaibli.

On dit même que Baudis voudrait reprendre sa mairie.

Alors ? Quelle autre solution avait-il, Jean-Luc ?

Sans doute se rapprocher de Bayrou. Jouer l’option centriste pour endiguer les deux tentations. Or il n’est pas allé aussi loin.

Résultat : il risque perdre sa ville. Mauvaise pioche. Ce serait dommage pour lui.

Commentaires

Belle plongée dans l'historique du maire de Toulouse où j'ai découvert de nombreuses choses mais je reste plus circonspect sur la conclusion.
Pour que Moudenc perde Toulouse, il faudrait encore que quelqu'un d'autre la gagne et la capacité à s'unir des barons du PS local n'a rien à envier aux guéguerres que connait ce parti au niveau national. L'age de Malvy et l'anonymat relatif de Cohen font que je ne crois que très moyennement à un futur rose pour la ville du même nom.

Reste donc l'hypothèse Baudis. Mais sous quelle etiquette ? Le MoDem sur Toulouse aux dernières législatives, c'est 9.38%. Même s'il n'y a pas forcément là de quoi faire une majorité, avec une figure telle que Baudis qui est incontestablement le choix No1 des toulousains, tout serait possible...
Par ailleurs, je ne crois pas à une alliance UMP-Modem pour les municipales toulousaines. Ce serait un suicide politique pour le Modem local dont les voix au second tour des législatives se sont quasi-unanimement reportées sur les candidats PS.

Reste donc que, en l'état actuel, si l'on exclut le retour de Baudis, la dispersion des voix PS, bien aidée par un modem qui, même en partant seul, pourrait être au second tour (seuil à 10%) profiterait à l'UMP et donc à Moudenc, probable tête de liste.
Certes, le PS a fait un grand chelem aux législatives en Haute-Garonne. Certes, sur la ville de Toulouse, au 2nd tour des législatives le PS bat l'UMP 56.4 contre 43.6. Il ne faudrait pour autant pas oublier le 1er tour où l'UMP est en tête avec près de 35% et le PS derrière avec 32.5% : les 10% du Modem seront, ici comme ailleurs, décisifs.

Écrit par : Oaz | 01/07/2007

very interristing!

Écrit par : ahbon | 02/07/2007

Oaz > Au second tour des législatives, les centristes ont plutot voté a gauche pour proteger le pluralisme a l'assemblée. Structurellement le MoDem c'est 50% de centre-gauche, 50% de centre-droit.
En fonction des realites locales, je pense ne pas trop m'avancer si des alliances se font parfois a droite, parfois a gauche, si le MoDem en fait le souhait.

Écrit par : Thibault | 02/07/2007

@Hervé : je reconnais là ton talent d'historien, merci !

@Oaz et Thibault : ce qui me frappe, c'est qu'on oublie la volonté des Toulousains... pour privilégier une logique d'alliance, au risque de compromission. Je précise ma pensée : Le Modem est un mouvement de CITOYENS ACTIFS (cf. http://wikim.tiwan.org/1), et le but principal du Mouvement démocrate sera la naissance et la promotion d’une génération politique (http://wikim.tiwan.org/7).
Alors, avec de tels principes directeurs, n'y aurait t'il pas sur place, des personnalités nouvelles, sensibles au MoDem, capables de relever le défi de s'infiltrer dans le face à face droite gauche ? N'oublions pas la "dose" de proportionnelle des élections municipales !

Cordialement, François.

Écrit par : François (L'Imprévu...) | 02/07/2007

Merci pour cette très intéressante rétrospective sur la politique toulousaine. J'en redemande d'ailleurs. ;-)

Écrit par : oG | 02/07/2007

très intéressant, merci Hervé.

Écrit par : MIP | 02/07/2007

@Thibault,
Dire que "Structurellement le MoDem c'est 50% de centre-gauche, 50% de centre-droit" me parait assez restrictif et un peu trop globalisant. Les réalités locales sont peut être plus nuancées.

@François,
Je souscris tout à fait à ces principes directeurs mais je reste assez circonspect pour le cas particulier de Toulouse, du moins en ce qui concerne la prochaine échéance. Dans le fond, quels que soient les choix exprimés au cours des diverses élections, ils sont toujours loin des extremes : Toulouse reste historiquement une ville assez "centriste". La marge de manoeuvre du MoDem comme autre chose qu'un "appoint" m'y semble donc assez réduite.
Par ailleurs, il faut noter que les structures UDF y sont restées très fidèles à Bayrou. Cela va immanquablement donner une coloration au MoDem différente de ce qu'elle pourrait être dans d'autres endroits où les mêmes structures se sont beaucoup plus UMPisées.

Écrit par : Oaz | 03/07/2007

Excellent ! Je suis ravi d'avoir appris quelques trucs car je suis héraultais à la base.
Par contre, une chose me parait limite: quand tu évoques son nez... Si on pouvait éviter les oreilles de Bayrou, le menton de Balladur et la taille de Sarkozy, ce serait bien, non ?
Je précise autre chose pour les gens qui ne seraient pas toulousains: il y a, à mon avis, un intérêt à relire ce billet plusieurs fois, car il y a d'autres infos ;-) mais limites aussi, mais drôles !

Écrit par : Jeune MoDem 31 | 03/07/2007

Francois et Oaz > Bien entendu, le Mouvement Démocrate affiche une ligne politique différente et clairement identifiée, pronant le civisme, la citoyenneté, l'esprit d'entreprendre et la solidarité.
Influencé par le radicalisme et le républicanisme modéré, son objectif sera de convertir l'essai aux élections municipales. Fort de ses adhérents, anciennement UDF pour les uns, anciens PS et Verts pour d'autres, voire nouveaux militants attirés par l'idée du civisme en politique.

La question des alliances vient bien entendu au second plan. Mais je me permets de réaffirmer le positionnement central du MoDem dans l'échiquier politique français. Positionnement qui se veut une alternative au clivage gauche/droite, sans verser dans un cote ni dans l'autre. Mais qui chercher à puiser les bonnes idées pratiques, républicaines et civiques, là où elles sont, sans notion partisane.

Écrit par : Thibault | 03/07/2007

Hervé,
C'est bien d'être en Bretagne, mais tu as raté la réunion des adhérents d'Ile de France rue de l'Univerité.
C'était très intéressant et productif. Je pense que maintenant cela va bouger, dans le bon sens !

Écrit par : Michel Hinard | 04/07/2007

@Thibault

Tout à fait d'accord avec toi. D'ailleurs FB a rappelé ce soir que nous ne nous positionnons pas au centre, à droite ou à gauche. Nous devons défendre avant tout que nous sommes Démocrates !

Écrit par : Michel Hinard | 04/07/2007

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