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26/03/2009

Hadopi : ce que nous ne voulons pas voir sur Internet.

Internet n'est pas un monde uniforme, ni un support univoque : c'est avant tout un support technique et, dans le débat en cours, on l'oublie trop souvent, car nous sommes des militants d'un mode de vie conceptuellement attaché à ce support technique. Pour nous, c'est évident, ce qui compte, c'est l'usage gratuit, gratuit à la fois pour le destinataire et dans les motivations de l'émetteur de contenu. Mais il faut catégoriser les types d'usage des oeuvres de l'art et de l'esprit. Trois catégories dans cette première approche : une transmission gratuite et sans but lucratif, une transmission à but lucratif organisée par une PME, une transmission à but lucratif organisée par un mastodonte.

Que Google rémunère grassement les auteurs ne me choquerait pas, bien au contraire (il ne le fait pas pour le moment, parlez-en à Alain Absire, président de la Société des Gens de Lettres). Qu'une équipe entreprenante découvre une petite niche et s'y taille un revenu modeste (de préférence sous la forme d'une fondation ou assimilé), et qu'elle ait à coeur de veiller à la rémunération des auteurs ne me choque pas non plus.

Mais dès lors qu'il n'y a aucun but lucratif, on se trouve dans le nerf même de l'Internet : la philosophie d'Internet, plus encore que le partage (qui est une valeur morale), c'est la propagation. La circulation gratuite des oeuvres sur Internet est utile à leur commercialisation ailleurs, parce qu'elle les propage. Cette propagation a une part de mystère. J'en parlais hier soir lors de la République des Blogs avec Mathieu, et en définitive, il est apparu que la seule comparaison possible pour illustrer l'influence diffuse d'Internet, ce sont les "réunions tupper-ware" mises au point aux États-Unis dans les années 1950. La propagation à partir de ces petites réunions est exponentielle, par pure capillarité. Le caractère viral d'Internet est cette capillarité, imperceptible, non mesurable, mais réelle, qui a le pouvoir de contaminer le reste de la société au viral internétique.

Donc il n'y a pas d'opposition du gratuit au vénal, les deux se faisant mutuellement la courte échelle.

Et lorsque des profs s'organisent pour faire circuler des textes pédagogiques, lorsque des gamins se balancent des morceaux en MP3 qu'ils trouvent super, franchement, est-ce que ça vaut la peine de déranger la justice pour ça ? N'a-t-elle pas mieux à faire à s'occuper des trafiquants de drogue, par exemple ?

Ce que nous ne voulons pas voir, c'est ce qui risque de se produire : que l'introduction en mode aigu de la notion de droit d'auteur sur Internet y compris dans les échanges gratuits aboutisse à tarir ces échanges gratuits, qui cesseraient forcément de l'être. Et dès lors, les entités lucratives de petite taille, comme cela s'est produit pour les radios libres, seraient elles aussi mangées par les plus grosses, et finalement, on aboutirait au contrôle d'Internet par les géants de l'économie, les mêmes qui contrôlent le reste du monde. C'est cela que nous voulons éviter et c'est la gratuité que nous voulons protéger et favoriser.

Reste à savoir, d'une part, ce qui est rémunéré, d'autre part comment dégager une masse financière et affecter cette masse financière.

Sur la première question, comme le faisait justement remarquer Buildfreedom voici quelques instants sur le blog de Quitterie, pour consolider la gratuité sur Internet, il suffirait d'un régime légal prévoyant un droit commun de gratuité sur Internet, sauf dispositions contractuelles contraires. L'élaboration d'un cadre réglementaire pour éviter que ces contrats contraires ne soient soumis à des logiques léonines relèverait des acteurs traditionnels : par exemple la SGDL pour les oeuvres littéraires, la SACD pour les oeuvres dramatiques (et assimilées), la SACEM pour les oeuvres musicales, l'ADAGP pour les oeuvres picturales, etc., chacun de ces acteurs proposant des dispositions-type sans empiéter sur le pouvoir de contrôle réservé aux juridictions ordinaires des contrats civils.

Ces dispositions contractuelles dérogatoires concerneraient l'usage sur Internet à but vénal, qu'il propose ou non la gratuité pour les utilisateurs finaux. Il s'agirait de souligner le caractère de droit de l'homme de la propriété intellectuelle, et de donner un cadre à l'exercice de ce droit qui soit cloisonné en fonction du type d'usage.

Il est évident que ce principe n'aurait de valeur que s'il aboutissait à une convention de l'OMC ou de l'ONU, universelle en tout cas.

Une fois établi ce cadre, reste l'épineuse question de la perception des droits des auteurs, d'une part, et de la compensation pour les auteurs du principe de gratuité (financement et affectation).

La perception des droits des auteurs dans la partie lucrative de notre sujet est un problème complexe, parce qu'Internet est un phénomène global à l'état natif, qui ignore les frontières. La pratique actuelle n'est pas satisfaisante et les entités énormes qui s'en mettent plein les poches devront apprendre à partager, mais il semble que, là encore, seule une convention mondiale puisse aboutir à ce résultat.

La compensation du principe de gratuité pour les auteurs est un sujet infiniment plus complexe encore, puisqu'il s'étendra progressivement à tous les domaines de l'art et de l'esprit.

Le principe de la licence globale a le mérite de la simplicité : il s'agit en fait d'une taxe forfaitaire, dont la répartition pose des problèmes techniques qui ne paraissent pas insurmontables. En amendement à cette proposition, il faut classer celle de Stallman et Muguet rapportée notamment par Quitterie, qui permettrait aux internautes d'affecter eux-mêmes une partie de l'enveloppe du produit de la taxe qu'ils subissent.

Mais la licence globale a un grave inconvénient : elle renforce la fracture numérique, et devrait être accompagnée d'un effort de baisse des prix des FAI, faute de quoi, on courrait au gouffre.

Enfin, il faut souligner que nombre d'internautes souhaiteraient aujourd'hui que soit expérimenté un autre modèle encore : celui qui autoriserait l'internaute à contribuer financièrement et directement soit auprès d'un artiste, soit auprès d'un label ou d'un lieu de spectacle, etc. Il me semble que la solution la plus simple serait en fait de décréter un moratoire de cinq ans à l'exercice des droits d'auteur sur Internet, et à aider techniquement à la mise en place de ces financements de type associatif, sur le mode du volontariat. On pourrait même imaginer (selon une partie du schéma Stallman-Muguet) une période d'expérimentation avec une option ouverte aux artistes : émarger au mécénat global ou préférer le financement direct par les internautes. Voilà une expérimentation qui aurait de la gueule et nous éviterait de succomber aux oukases du passé contre l'avenir.

En somme : oui à la formule licence/mécénat global(e) à condition que baissent les tarifs des FAI. La gratuité de l'usage des oeuvres sur Internet devrait être le principe et sa vénalité la dérogation soumise au droit ordinaire des contrats civils. Oui à une formule d'expérimentation permettant aux artistes d'opter soit pour la compensation de l'usage gratuit de leurs oeuvres par le fonds du mécénat global, soit pour le financement volontaire et libre par les internautes via un guichet individuel et selon un montant libre.

Commentaires

Du grand n'importe quoi.

Il existe déjà un modèle de licence autorisant le partage gratuit.

Tous les artistes émergents souhaitant favoriser leur viralité peuvent se mettre en licence libre, et dès lors Hadopi ne concernera pas leurs fans, qui pourront continuer d'échanger leurs fichiers MP3.

Il existe déjà sur YouTube des milliers de clips proposés gratuitement et légalement en partage. Même les majors mettent en ligne des clips gratuitement, sur YouTube, MySpace et Dailymotion.

Le cadre existe déjà, pour tous ceux qui veulent le modèle gratuit.

Tous les artistes souhaitant par ailleurs expérimenter la logique du don et du mécenat, peuvent mettre un bouton Paypal sur leur page.

Votre billet est à côté de la plaque: on n'a besoin de rien pour répandre le gratuit, chacun reste libre de donner ses oeuvres en circulation libre.

Vous cherchez juste à camoufler que le problème est celui des artistes qui veulent faire respecter leurs droits, parce qu'ils ont besoin de vivre, donc de gagner de l'argent.

Ce sont eux qui sont lésés, pas les partisans du gratuit, qui sont parfaitement libres de diffuser gratuitement leurs oeuvres.

Et ceux qui ont expérimenté le don via Paypal savent bien qu'ils ne récoltent rien, même les artistes très aimés du public.

Écrit par : X | 26/03/2009

@ X

Non, ce n'est pas celui des artistes : c'est celui des éditeurs musicaux qui actionnent leurs obligés et des défenseurs pavloviens du système des droits d'auteur qui n'ont pas compris la nouveauté du problème.

Écrit par : Hervé Torchet | 26/03/2009

@ Hervé

Demandez donc à Thierry Crouzet, s'il préfère publier son livre directement au public, ou passer par un éditeur:

il n'hésite pas une seconde:

chaque fois qu'il peut, il passe par un éditeur.

C'est lorsqu'il ne trouve pas d'éditeur qu'il s'en passe, contraint et forcé. Il sait ce qu'il perd.


Et c'est ainsi pour tous les auteurs.

Tous les musiciens, dès qu'ils le peuvent, signent avec une production.

Le travail de l'éditeur, comme celui du producteur, est immense.

A tous les niveaux.

Tous les grands artistes ont reconnu ce qu'ils devaient à leurs éditeurs et producteurs.


On peut toujours rêver d'une autre répartition, dire que le producteur gagne trop, mais c'est davantage un combat syndicaliste, qu'une remise en cause du concept de droit d'auteur.


Un très bon résumé ici:

"L’écrivain américain Stephen King a tenté l’expérience de vendre directement ses livres en ligne. Devant l’échec complet de sa tentative, il est revenu vers son éditeur…

Cette idée reçue provient d’une méconnaissance du métier et de la valeur ajoutée de l’éditeur. Plutôt discret et en retrait derrière ses auteurs, l’éditeur a pourtant un rôle crucial : il sélectionne et « labellise » les œuvres en les intégrant dans un catalogue, un fonds, une marque reconnus par les lecteurs ; il apporte une contribution intellectuelle (« création éditoriale ») importante ; enfin il s’engage à exploiter commercialement les œuvres de manière continue (vente de livres, de droits dérivés, etc.).

Comme l’a dit Marcel Gauchet lors du colloque « Livre 2010 » organisé par le CNL en 2007, l'impression d’un accès direct infini aux informations via Internet est trompeuse : même à l’ère d’Internet, l’on ne peut se passer d’intermédiaires, que ce soient les éditeurs ou les libraires… "

Écrit par : Défense et illustration du métier d'éditeur | 26/03/2009

@ Défense etc

J'ai créé la société d'édition de mes livres bretons, aucun éditeur n'ayant le métier ou le courage de se lancer dans le type d'ouvrages que j'imaginais. Sur un chiffre d'affaires que je vais évaluer à 45000 Euros la première année pour un volume vendu plus de 200 Euros, comme auteur, je gagnerais autour de 4500 Euros, ou 14000 si j'obtenais d'être rémunéré sur la totalité du tirage dont un tiers est vendu dans cette première année. Comme éditeur, sachant que je vends surtout en marketing direct et 20 à 25 % via des libraires (mais sans diffuseur), je vais gagner plus de 20000 Euros sur cette même première année, cinq fois plus, sans compter la valeur du stock que j'écoule dans les années suivantes. Quelle est la bonne solution ?

Seulement voilà : pour arriver à ce résultat rentable, il faut beaucoup de travail, de l'imagination et un travail de réseau, toutes choses que Crouzet n'a pas forcément le temps ou le désir de faire.

Je précise que depuis le début, en 2001, je suis présent sur Internet, non pas pour vendre des livres, mais pour fournir gratuitement des infos exclusives aux internautes.

Je ne critique en rien le travail des éditeurs, mais les diffuseurs sont trop gourmands, les grandes surfaces confisquent le marché. Le marché impose aujourd'hui, par son organisation, un comportement à Crouzet, rien ne dit que ce serait le cas si le marché était organisé autrement. L'accès direct au consommateur est un principe qui permet une meilleure rémunération de l'auteur et de l'éditeur. La question de la communication reste centrale, mais les "produits littéraires" seront moins bien servis sur Internet que les vrais livres, et pour les vrais livres, l'auteur peut grouper une communauté autour de lui, c'est un travail de fond, de longue distance.

La répartition de la valeur moyenne d'un livre est la suivante (merci Wildemann pour un lien ce matin), selon le Syndicat National de l'Édition : le livre valant 10 Euros, il y a en moyenne 1 Euro pour l'auteur (en pratique, les contrats varient de 7,5 % à 15 %), 1,5 Euro pour l'éditeur (la structure d'édition, qui n'est donc pas très rentable dans ce schéma), 1,5 Euro pour l'imprimeur (y compris le pré-press càd la compo), 1,7 Euro pour le diffuseur, 3,8 Euros pour le libraire et 0,5 Euro pour l'État. Ce sont les chiffres donnés par le SNE. En fait, Grasset diffuseur (p ex) prend 60 % aux éditeurs qu'il diffuse et les libraires ont plus souvent 30 % que 38, les libraires indépendants sont d'ailleurs en voie de disparition, au profit des Maisons de la Presse et de Bertelsmann qui, silencieusement, rachète des libraires de taille moyenne un par un. Et bien sûr, les FNAC, Leclerc et autres absorbent une part croissante du marché, sans parler des rayons livres des super et hyper.

Quoi qu'il en soit, on voit que la conception et le marketing ne dépassent pas 30 % de la valeur du livre vendu, 40 % en comptant la fabrication, tout le reste va à la filière de diffusion. Dès lors que l'auteur a la possibilité (via un réseau p ex) de zapper la diffusion, il récupère beaucoup. Incidemment, je trouve piquant que Crouzet, militant de la longue traîne, soit attentif au tirage de ses livres.

Il faut se rappeler que, dans la première moitié du XXe siècle, certains auteurs et éditeurs, qui parfois en ont bien vécu, ont été libraires-éditeurs, un concept qui n'est plus guère possible aujourd'hui que par Internet.

Péguy l'était (mais peu heureux), José Corti, l'éditeur plus heureux de Gracq, est historiquement une librairie. Je pourrais citer d'autres cas, comme Vrin, mais je craindrais d'égarer les lecteurs qui n'en ont jamais entendu parler.

Écrit par : Hervé Torchet | 27/03/2009

Le Vrin de la place de la Sorbonne ?

"tout le reste va à la filière de diffusion. Dès lors que l'auteur a la possibilité (via un réseau p ex) de zapper la diffusion, il récupère beaucoup. Incidemment, je trouve piquant que Crouzet, militant de la longue traîne, soit attentif au tirage de ses livres."

Crouzet ne parle pas que du tirage.

Il parle du travail de l'éditeur pour aider à la conception du livre, et pousser à tenir une date. Cela compte aussi.

En musique, le son d'un musicien change, lorsqu'il change de producteur.

Dans le cinéma, des producteurs ont littéralement porté des films de bout en bout, que les réalisateurs auraient abandonné, livrés à eux-mêmes.

Ce travail de "coach" est crucial.


Pour ce qui est de l'argent, votre exemple est celui d'une niche très spécialisée.

Vous créez des livres qui sont à peu près sans concurrence sur le sujet.

Votre difficulté, c'est de trouver les fans du sujet.

C'est à la fois difficile, parce que le sujet est très pointu, et relativement facile, parce qu'il est tellement original qu'il a sa marque propre, s'impose sans concurrence.

Un auteur dans un domaine moins spécialisé, avec plus de concurrence, aura plus de mal à exister en tant que marque, à se faire reconnaître.

Enfin, tout votre calcul financier, repose sur le respect du droit d'auteur.

Si les chinois copient vos livres, et les diffusent sur Internet au quart du prix, tout votre plan financier s'écroûle.

Vous devez inclure dans votre prix de vente, le temps passé à créer le contenu.

Un copieur devra juste inclure le prix matériel de la copie. il sera forcément plus compétitif que vous.

Vous démontrez l'importance de la protection du droit d'auteur. L'importance d'interdire à un copieur de vendre votre travail sans payer le prix de la création de contenu.

Écrit par : X | 27/03/2009

@ X

Ce débat n'est en rien politique. Vous avez détourné le sujet pour en faire un à votre portée. Dsl, j'ai mieux à faire que le ping-pong de vos hargnes.

La suppression du pouvoir des plus puissants acteurs du marché est un formidable acquis d'Internet. Pour certains auteurs, ce sera l'éditeur et son filtre qui n'est pas innocent. Pour le petit éditeur, ce sera le diffuseur et sa gourmandise. Pour l'un comme l'autre, ce sera la grande distribution et sa manie de la focalisation sur un certain formatage. Je n'ai rien à dire de plus sur ce sujet, trouvez-vous d'autres souffre-douleur.

Écrit par : Hervé Torchet | 27/03/2009

Et oui: ce qui vous gêne, c'est que toute étude de cas concret va à l'encontre des propositions politiques générales et utopistes des anti-systèmes.

Alors on préfère ne pas parler du cas concret, et comme tout rousseauiste on préfère "oublier les faits", pour s'en tenir à des généralités vagues, des "généralités politiques", même si aucun cas concret ne fonctionne.

Je ne discute pas avec vous à titre privé. Mais vous émettez des attaques politiques contre le système, sur un site public, je réponds à ces attaques.

C'est bien de louer la démocratie participative, encore faut-il l'accepter quand elle se traduit par des commentaires contradictoires.

La démocratie participative, ce n'est pas crier tous ensemble contre Sarkozy.

C'est aussi dire à Hervé Torchet, sur son propre blog, qu'il y a contradiction entre ses propositions politiques générales et sa pratique concrète des choses.

Vous vivez du droit d'auteur protégé par la société de droit.

Écrit par : X | 27/03/2009

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