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24/06/2010

Retraites, dette publique, justice et temps futurs.

La question des retraites concerne la grande majorité des résidents français (qui ne sont pas tous français). Disposer d'un revenu décent après la fin de sa carrière est un souhait évident. Le tout n'est pas seulement d'avoir du temps libre, encore faut-il pouvoir en profiter.

Pour financer les retraites des anciens actifs, la France a fait le choix déjà ancien du système dit "par répartition", où ce sont les actifs qui, par leurs cotisations, assument directement la retraite des anciens salariés. Ce système est bon dans deux cas en particulier : d'abord, si la croissance du revenu disponible moyen permet de limiter le poids proportionnel des cotisations sur les revenus salariés, si le fils gagne plus que le père, il lui est plus facile de payer une retraite assise sur un salaire qui était moindre. Ensuite, si les générations nouvelles sont suffisamment nombreuses pour que, là encore, le poids marginal des cotisations ne soit pas excessif.

Dans la période que nous connaissons, les problèmes récurrents du système de retraite français devrait être compensé par le fait que le départ des classes nombreuses de l'après-guerre (les "baby-boomers") en retraite, s'il alourdit la charge du versement des pensions, doit permettre en revanche d'augmenter la masse des cotisations en réduisant le chômage des classes plus jeunes, qui sont moins nombreuses. Un effet de vases communicant devrait créer un ensemble de cercles vertueux.

Il se trouve que tel n'est pas le cas. Un ensemble de circonstances bloque la baisse du chômage, alors que le poids des pensions croît. Un effet de ciseau accélère les déséquilibres comptables.

Une partie des analystes, à gauche notamment, chiffre tous ces déséquilibres et propose une solution simple pour y remédier : la hausse des cotisations. Une hausse assez modique suffirait à financer les désquilibres constatés. Mais évidemment, la réponse patronale est connue : qui dit hausse des cotisations dit augmentation des délocalisations, on perd donc en cotisants ce qu'on gagne en cotisations. Cette hypothèse de hausse des cotisations ne serait donc viable que si d'autres mesures fiscales pénalisaient (notamment pour leur impact environnemental) les transports de marchandises au long-cours. Toute la question de la mondialisation et de la libéralisation du commerce international est là, puisque l'introduction d'une clause environnementale dans les règlements de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est un vœu encore très lointain, et la taxation du commerce au long-cours est encore considérée comme une mesure simplement protectionniste, donc prohibée.

Voilà un des enjeux de l'affaire, assez sous-jacent.

La question démographique

Noua avons la chance, en France, de vivre de plus en plus vieux. On ne mélangera pas les statistiques d'espérance de vie et de durée moyenne de vie, mais quel que soit le bout par lequel on prenne ce sujet, on trouvera la même réalité : notre vie s'allonge. Disons pour schématiser que, lorsque l'âge de la retraite a été fixé à soixante ans, voici trente ans, nous vivions en moyenne soixante-dix ans. Aujourd'hui, nous vivons dix ans de plus. Ce sont donc dix ans de pension supplémentaire qu'il faut financer.

De surcroît, dans les générations qui partaient alors en retraite, les salariés n'étaient pas aussi nombreux qu'aujourd'hui : il y avait encore beaucoup de paysans et de commerçants de la France des villages, des gens qui n'émargeaient pas au régime général (et qui avaient d'ailleurs souvent de très petites pensions, compensées par un taux d'épargne considérable). La France d'aujourd'hui est une France des salariés, retraités par excellence du système général.

C'est pourquoi le déficit du régime général de retraite est présenté comme ayant des causes structurelles, auxquelles il faut apporter des remèdes structurels. De là l'idée d'allonger à la fois la durée de cotisation nécessaire pour prétendre à une pension à taux plein et la durée moyenne de cotisation. L'argument démographique est d'ailleurs le plus difficile à réfuter.

Au vu du fonctionnement actuel de notre système de retraite, c'est en fait à une refondation qu'il faudrait procéder, reprendre les principes qui ont guidé les fondateurs de 1945 et les confronter aux statistiques actuelles. Combien de salariés ont actuellement les annuités suffisantes pour prétendre à une retraite dans un avenir proche ? Quelle sera la masse des pensions dans cinq, dix, quinze, vingt ans, au regard des droits déjà constitués et de la projection démographique ? Toutes ces statistiques sont très faciles à calculer, Gérard Filoche, l'un des spécialistes (socialiste) de ces questions, avance par exemple le chiffre que la durée moyenne des cotisations au moment de la retraite est aujourd'hui de trente-six annuités et demie. Donc des estimations très précises sont possibles.

On pourrait donc établir le système pour une génération entière, les trente ans qui viennent, par exemple en recourant au système innovant de la retraite "à points", qui permet de prendre en compte les différents aspects d'une carrière (notamment la justement célèbre "pénibilité").

Ce n'est pas le choix fait actuellement par la majorité. À sa décharge, il faut dire que les enjeux comptables prennent des allures redoutables, qu'on pourrait qualifier de "double peine" pour les salariés âgés de moins de cinquante ans.

Générations en conflit

La génération d'aujourd'hui, les jeunes actifs, et les un peu moins jeunes, sera celle qui devra payer à la fois les retraites des plus âgés et la dette que les mêmes plus âgés auront creusée pendant leur vie active. Si l'on voulait être juste, il faudrait défalquer du montant des pensions une part du remboursement de la dette, puisque celle-ci a été creusée pour maintenir le revenu de ces plus âgés durant leur vie active, et que non seulement ils en ont mieux vécu qu'ils n'auraient dû, mais en outre, ils se sont artificiellement octroyés des revenus supérieurs à ce qu'ils aurait dû être et c'est sur la base de ces revenus gonflés de dette qu'est calculée leur pension. S'ils avaient fait moins de dette collective, leur revenu aurait été moindre, et leur pension moins lourde à leurs successeurs.

Cependant, on voit bien que, si cette idée est juste, on ne peut pas l'appliquer comme ça. Personne ne le tolérerait. D'autant moins d'ailleurs, que d'autres injustices bien plus grandes encore ont grevé à la fois la vie des salariés et les comptes publics, amenant la quasi-totalité des pays développés (et des autres) au bord de la faillite.

La dette

Il faudrait trancher le nœud gordien et effacer les dettes des états envers le système financier privé. Du même coup, on dégonflerait la bulle spéculative qui ruine les états par les deux bouts. C'est en partie l'idée de ceux qui prônent de laisser filer l'inflation, puisque l'inflation est bonne pour le débiteur et néfaste au créancier. Seulement, les créanciers sont aussi les petits pensionnés, et on sait que les plus faibles sont toujours les premières victimes des poussées inflationnistes.

On devra donc faire face à la dette, collectivement.

Il est évident que les gens seraient prêts à faire des concessions pour cela. Mais on voit bien qu'un concept a fait irruption dans le débat qui mêle la dette et les retraites : justice, la justice. La droite affirme que son projet de réforme est juste, la gauche le taxe d'injuste.

Le fait de déplacer mécaniquement le double curseur de durée de cotisation et d'âge de départ à la retraite, réforme la plus paresseuse et la moins imaginative qui puisse être, est-il juste ou injuste ? Et de quel curseur parle-t-on ? Voilà l'enjeu du débat.

Il est improbable que, aujourd'hui, en ce jour de manifestation, des foules immenses arpentent le bitume : les syndicats s'y présentent en ordre dispersé et ne font acte de présence que pour éviter de se voir doublés par leur base. Savoir tuer un mouvement social est le premier talent d'un syndicat français qui se respecte.

Et la résignation, sans doute, a fort gagné les esprits. Depuis vingts ans, la droite et la gauche ne cessent de développer le même projet, par touches successives, qui restreint les espoirs des travailleurs. Ce n'est qu'une étape supplémentaire. Une fois de plus, on recule, on s'abandonne à ded logiques comptables illusoires. Une note d'espoir cependant : même si le projet actuel est injuste (ce qui se révélera progressivement par le débat, car à l'heure actuelle, les choses ne sont pas claires, on manque d'éléments précis), il n'empêchera pas, dans un avenir aussi proche que possible, une véritable refondation, durable.

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Commentaires

Bien beau et bien bel article !

(à ceci près qu'amha la logique comptable n'est pas "illusoire". Elle est juste insuffisante).

Petite observation aussi sur "l'introduction d'une clause environnementale dans les règlements de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est un vœu encore très lointain"

Au contraire, la jurisprudence "Shrimp/Turtle" de l'OMC ouvre (très sciemment de la part de l'OMC) un boulevard aux Etats pour imposer des sanctions en cas de pratiques anti-environnementales, à condition que le dommage soit global : chaque Etat a le droit de dégrader son propre environnement. Mais pas de mettre en danger une espèce protégée, même si elle ne vit que sur son territoire. A fortiori, il n'a pas le droit de mettre en danger le climat mondial.

Il reste deux difficultés : 1) technique : arriver à calculer de façon valide le coût du dommage, pour imposer une sanction correspondante ; 2) politique : aucun Etat, ni l'Union européenne, n'ose aujourd'hui sortir de flingues de ce calibre.

Cf. ce qu'en dit Joseph Stiglitz, qui a fait de son mieux pour faire connaître cette jurisprudence qui a déjà, je crois, plus de 5 ans : http://demsf.free.fr/index.php?post/2009/11/30/que-la-mondialisation-marche

L'OMC autorise un pays victime de pratiques anticoncurrentielles à imposer des sanctions commerciales au pays qui lui cause ce tort. Un pays cause du tort aux autres dès que son agriculture ou son industrie réduisent la biodiversité mondiale. L'OMC a donné raison aux Etats-Unis contre la Thaïlande, parce que l'activité des pêcheurs de crevette thaïlandais tuait certaines espèces de tortues en péril. Cette jurisprudence doit maintenant bénéficier aux pays signataires du protocole de Kyoto : un pays qui, comme les Etats-Unis, ne fait pas payer à ses industries leurs émissions de gaz à effets de serre, les subventionne ainsi aux dépens de l'atmosphère, donc de façon contraire aux règles de l'OMC.

Écrit par : FrédéricLN | 28/07/2010

Les commentaires sont fermés.