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26/11/2015

Le roi Gradlon, victime inattendue d'un changement climatique ?

Au moment où va s'ouvrir la COP21, il faut rendre hommage à Emmanuel Leroy-Ladurie, dont l'ouvrage fondamental paru en 1967 fait le pionnier de la réflexion sur le rôle du climat dans l'Histoire. C'est le même Leroy-Ladurie qui a, le premier, émis l'hypothèse qu'une cause indirecte mais décisive de la Révolution de 1789 ait été l'éruption d'un volcan islandais en 1783. Nous sommes à la veille et dans les prémices d'un changement beaucoup plus ample, beaucoup plus durable, et dont les conséquences sont parfois si imprévisibles qu'elles en deviennent redoutables pour les prochaines générations et les suivantes. Un tel changement peut se retrouver dans l'Histoire passée, et pourrait avoir causé une anecdote qui a engendré l'un des plus grands mythes bretons, celui du roi Gradlon.

L'histoire de Gradlon est connue : il habitait la ville d'Ys, dans la péninsule bretonne. Chaque soir, il fallait fermer à double tour les lourdes portes de la ville pour empêcher la mer montante de submerger la cité. Gradlon conservait la grosse clef fatidique par devers lui. Hélas, sa fille se laissa séduire par un démon, qui voulut l'enlever de la ville et l'entraîner sur son blanc palefroi qui glissait sur les vagues au grand galop. Arriva donc ce qui arriva : la fille de Gradlon subtilisa la clef de son père et, pour rejoindre son fatal amant, elle ouvrit en grand les portes de la ville, qui se trouva aussitôt noyée, et tous ses habitants avec elle, cependant que les amants maléfiques s'enfuyaient en galopant sur l'écume des flots.

Selon la tradition, cette funeste tragédie se déroulait au petit large d'une baie qui en a conservé la mémoire dans son nom : la Baie des Trépassés. On dit que l'on trouve trace de la ville engloutie sous l'eau de la mer, bien qu'aucune étude archéologique sérieuse n'ait été conduite sur ce site pour en élucider la nature et le contenu.

Or il se trouve que les études sur le climat et sur le rivage ont démontré que, de la fin du IIIe siècle à celle du VIIIe siècle, sur nos rivages cornouaillais, la mer se retira à un très bas niveau, découpant une ligne de côte certainement différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. L'ancien archéologue de Quimper, Jean-Paul Le Bihan, note par exemple que le jusant ne soulevait plus l'Odet, la rivière de Quimper, jusqu'aux pieds de l'évêché, comme aujourd'hui, mais plusieurs centaines de mètres en aval seulement.

De ce fait, comme le sol de la Baie des Trépassés est très plan, ce retrait de l'océan dut libérer une immense bande côtière à partir des environs de l'an 300. Deux siècles plus tard, rien n'interdit de penser que l'on ait même oublié cette différence de ligne de rivage, et que l'on ait installé une ville au milieu de ce qui paraissait être une plaine sablonneuse de bord de mer. Puis l'eau commença à monter et, vers l'an 800, le rivage pouvait avoir retrouvé son niveau de l'an 200, noyant au passage les installations trop basses.

1920px-303_Baie_des_Trépassés_vue_du_nord.JPG

Cette chronologie coïncide avec la liste des anciens comtes de Cornouaille qui nous est parvenue via des sources postérieures à l'an mil. Le roi Gradlon, qui y mourut, pourrait donc avoir bel et bien vécu dans le VIIIe siècle et avoir subi avec son peuple la fragilité des digues qu'il avait cru pouvoir opposer à la montée inexorable des océans due à un changement climatique profond. Au-delà du mythe, sa mésaventure nous permet de toucher du doigt ce qui attend demain nombre de villes côtières si les efforts consentis aujourd'hui lors de la COP21 ne sont pas suffisants. Comme toujours, le mythe révèle ce qu'il cache le mieux : la vérité.

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