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20/03/2017

Dans cinq semaines, une nouvelle France ?

Le choix d'Emmanuel Macron de tenir à Reims son discours cadre sur la culture en vue de son éventuel quinquennat présidentiel a permis de mesurer à quel point sa pensée avait évolué depuis une phrase trop lapidaire qu'il avait prononcée quelques jours plus tôt. Gageons que le soutien de François Bayrou, et la garantie qu'il implique, et l'exigence qu'il impose, n'a pas été pour rien dans ce rapide chemin de Damas. De Damas à Reims.

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Reims, pour tous les amateurs d'Histoire de France, c'est le lieu fondateur. C'est là que la France est renée en 1945, en obtenant la première reddition allemande. C'est là qu'elle est renée à elle-même pendant huit siècles dans le moment mystique du sacre royal et de la sainte onction. Le roi est mort, vive le roi. C'est là surtout qu'elle est née le jour où Clovis fit alliance avec l'évêque de Rome.

En ce temps, il ne restait plus que deux évêques fidèles à celui de Rome : celui de Tours et celui de Reims. Tous les autres, dans la vaste Europe issue de la désagrégation de l'empire romain, obéissaient à des princes ariens. Non pas aryens, mais ariens, du nom de l'hérésie née d'un personnage nommé Arius. Au centre de ce débat entre Ariens et Romains se situait la clef de la pensée occidentale moderne : le rapport entre la religion et le pouvoir politique. Chez les Ariens, le politique commandait le religieux. Rétablir Rome, c'était ôter le religieux de l'obéissance au politique. Telle fut la mission de Clovis, et telle la vocation de la France depuis, quoi que l'on en pense, et malgré des régressions et des reniements : veiller à ce que le religieux n'obéisse pas au politique, non plus que le politique au religieux. En cela, le choix de Reims répondait parfaitement à l'objectif de définir la culture française, qui est la France elle-même, par l'incarnation autant que par la voix.

Bien sûr, il n'est pas question de résumer la France, ni son Histoire, ni sa culture, à ce fil droit tendu à travers les siècles, et qui traverse les noms que j'ai déjà évoqués dans le passé (dans mon article intitulé "Une autre histoire de la laïcité" ici même), ceux de Fulbert de Chartres, de Pierre Abailard, de Thomas d'Aquin, de Descartes, de Voltaire, d'Aristide Briand. Mais toujours, si l'on cherche, l'on trouvera, au cœur de la construction de la France et de sa culture, l'une des fibres dont ce fil est tressé.

Guitry disait par exemple que le théâtre était né dans les églises avant de s'en détacher, ce que les églises ne lui avaient jamais pardonné. "Rivalité de métier", résumait-il avec l'un de ses sourires goguenards.

Non qu'il ne puisse y avoir d'art et de culture dans le religieux. Il arrivait au grand laïc qu'était Prosper Merrimée de se laisser bouleverser par une fresque romane d'une église poitevine. Et aujourd'hui encore, cela peut se produire, quelle que soit la religion. Mais la France fait partie des pays qui ont érigé le droit au blasphème en droit humain, et le droit de ne pas croire en prérogative inaliénable et imprescriptible de l'humain. Elle en fait partie et, sans doute, elle fut parmi les premiers, sinon le premier.

L'instrument de tout cela, le fer de lance de la pensée des Lumières contre l'obscurantisme, c'est le français, langue d'ambition cosmique. partout où le français est connu, le droit au profane et à la profanation est reconnu, ou a légitimité pour l'être. Avec lui, le principe d'égalité des conditions humaines. C'est sans aucun doute pourquoi l'on prête à Albert Camus la belle citation "Ma patrie, c'est la langue française", parce que notre langue porte en elle l'insoumission à la fatalité et la révolte contre ce qui n'est pas conforme à ce qui devrait être.

Entendu, me direz vous, mais la France, par son Histoire, par ses forfaits, a perdu la légitimité pour porter ce message que sa langue suppose. Nous avons commis des fautes, il est vrai, et nous le savons. Et nous le disons, mais beaucoup d'autres pays, et beaucoup d'autres cultures, ont commis des forfaits souvent aussi grands, et bien peu le savent, et encore moins le disent.

Nous avons pratiqué l'esclavage. C'est vrai. Au temps de Charlemagne, il restait beaucoup d'esclaves dans ce qui n'était plus la Gaule et qui n'était pas encore tout à fait la France. Puis nous avons découvert, nos aïeux l'ont fait, que cet esclavage était une abomination. Il fallut encore des siècles pour que nous triomphions de nos propres faiblesses, mais nous pûmes l'abolir. Au XIVe siècle, il ne se pratiquait plus du tout en France, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, alors qu'il était courant en Afrique et dans le monde arabe, par exemple.

Puis l'oubli s'empara de nous, nous recommençâmes à pratiquer l'esclavage, et il fallut de nouveaux siècles pour triompher de nous-mêmes. Pendant ces siècles, nous achetâmes, mot horrible, des humains, en particulier en Afrique, où l'esclavage restait endémique, et où, il faut le rappeler, ces esclaves étaient souvent non pas razziés, mais achetés à d'autres Africains.

Enfin, nous triomphâmes de nouveau de nous-mêmes. Mais en Afrique, et dans le monde arabe, l'esclavage demeurait souvent endémique. La piraterie et l'esclavagisme algérois furent le premier terrain d'une éradication de l'une et de l'autre. Oui, nous avons eu tort de développer le colonialisme, sans aucun doute, mais où en serait l'esclavage, en Afrique et dans le monde arabe, si nous ne l'avions pas fait ? C'est cette complexité du monde et cet entrelacs intime du bien et du mal dans le fait historique et dans l'acte politique qui résument l'enseignement que nous a donné notre longue expérience historique.

C'est d'eux aussi que nous tentons de convaincre nos partenaires européens et occidentaux, d'abord, puis toute la communauté mondiale ensuite. C'est à cette expérience millénaire collective enfin que nous invitions à adhérer les étrangers que le choix, le sort ou le malheur conduisent à envisager d'être français.

Et cela, sans être dupes de ce que la France, ni la culture française, n'ont jamais été. Par exemple, il n'y a guère que cinquante ans, et encore, que tout les Français parlent français. Dans les régions, on préférait souvent les patois ou langues qui ont construit la nôtre. Et ce disant, on se doute que je plaide pour la langue bretonne aussi, en même temps que pour une image de la France diverse, articulant à la fois une culture unique et des culture diverses, une culture française et des cultures d'esprit souvent étranger. Dans ce tohu-bohu de la clameur des cultures de notre Histoire, ce qui fit toujours l'unité de cette multitude dirimée, c'était le fil tendu depuis Clovis et que, d'une main ferme, nous ne devons jamais perdre, celui sans lequel la France ne serait plus la France.

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