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27/04/2017

La France est-elle multiculturelle ?

Avant le 1er tour, Emmanuel Macron a souligné qu'il ne voulait pas d'une "France multiculturelle". Qu'entendait-il par là ? Est-ce si simple ?

J'ai déjà eu l'occasion de dire plusieurs fois, sur ce blog qui a célébré discrètement ses dix ans en janvier, mais où je ne m'exprime plus guère, que la référence que le Front National (et d'autres avec et/ou après lui) mettent en avant est un pur mythe : le mythe d'une France uniforme, parlant la même langue, pratiquant les mêmes jeux, s'envoûtant des mêmes contes, obéissant aux mêmes règles. Car jusqu'aux années 1960, sur la majeure partie de notre territoire, l'on parlait très volontiers divers langages et langues locaux, l'on rendait des hommages plus ou moins discrets à des figures spirituelles plus ou moins avérées, mais diverses et locales. On mangeait à l'huile dans le sud, au beurre en Bretagne, à la crème en Normandie, on buvait ici de la bière, là du cidre, plus loin du vin, et ainsi de suite. Bref, la France était une mosaïque de cultures locales. Elle était, profondément et viscéralement, multiculturelle, et si elle a changé depuis une ou deux générations, la télévision en est probablement la cause encore plus que l'exode rural. À fond, multiculturelle.

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Seulement voilà, sur cette lecture historique et sociologique évidente se superpose une lecture plus politique du mot "multiculturel". Et avec elle, l'idée que des mouvements politiques tentent d'imposer des inflexions légales profondes à notre société, et qu'ils le font par le moyen culturel, en justifiant qu'il puisse y avoir des espaces dans notre pays où une autre culture que la nôtre prévaille sur la nôtre. En d'autres termes, ce qu'il s'agit de dénoncer, c'est l'attitude d'élus qui, parfois, pactisent avec les amis du terrorisme prétendu djihadiste. C'est aussi le relativisme culturel qui croit pouvoir s'appuyer sur une victimisation de principe du musulman pour justifier que se créent des poches de flou juridique justifiant in fine un multiculturalisme. Bien entendu, cette dérive, pas plus qu'Emmanuel Macron, je n'en veux, ni au profit de sectes se réclamant de l'islam, ni au profit de communautaristes de tout poil et de toute confession.

Il y a d'ailleurs une difficulté que nous devons affronter enfin, ou que nous devrons affronter bientôt : c'est celle de la religion (ou des religions) dans notre Histoire. Lorsque, dans les années 1970, Jacques Martin, qui ne fréquentait guère les églises, interrogeait les très jeunes élèves de son "École des Fans" sur la localité dont ils venaient, il leur demandait toujours, certain d'une réponse positive : "Il y a une église ? Il y a une boulangerie ?" etc. Je passerai ici sur la disparition des boulangeries et des commerces de proximité dans les petites localités, c'est un problème dont les élus locaux ont pris conscience et qui trouve parfois remède. Revenons à notre clocher.

Maurice Barrès dans "La Grande Pitié des Églises de France", vitupérait contre les élus radicaux (qu'il qualifiait du mot hideux d'"enjuivés") qui démolissaient les sanctuaires de leurs villages. Le ton sur lequel il le faisait ne serait heureusement plus accepté aujourd'hui, et l'argument qui les sous-tendait est devenu particulièrement odieux depuis l'horreur de la Shoah, mais il reste que la société française n'a pas réglé psychanalytiquement son rapport avec ses siècles de christianisme dominant. La diversité des interprétations courantes du mot laïcité en est la preuve, et les arrière-pensées ne sont seulement ni dans le camp clérical chrétien, ni seulement dans le camp ultra-laïque, mais bien aussi dans celui des adversaires du modèle occidental, et en particulier du modèle français de laïcité prise dans son heureux sens de neutralité.

C'est bien là que la phrase de M. Macron prend un sens plus fort : il y a, dans notre monde, une tendance à ravaler les droits humains au rang de pensée occidentale, à laquelle s'opposerait légitimement une "autre pensée", qu'elle soit russe, qu'elle soit wahhabite, qu'elle soit même chiite, qu'elle soit parfois africaine, une "autre pensée" où l'égalité de principe entre les humains (donc entre les sexes) ne serait plus un objectif primordial, voire plus un objectif du tout, où la légitimation des comportements sexuels minoritaires ne serait pas à l'ordre du jour et n'aurait pas vocation à y être jamais. En somme, il n'y aurait pas une seule et unique culture humaine et humaniste, mais plusieurs, il n'y aurait pas un objectif commun de civilisation, mais plusieurs courants qui coexisteraient sans critère de progrès commun.

Et à ce relativisme-là, qui finit par justifier le racisme et la torture, la phrase de M. Macron s'oppose avec une juste rigueur.

Cela ne nous dit pas ce que nous devons conserver du carillon des heures qui rythme la vie des campagnes depuis dix siècles au moins, et dont certains citadins se plaignent en s'installant maintenant à la campagne. Les églises, là où il y en a, sont-elles seulement des vestiges, témoignent-elles encore d'une foi passée ? Que voulons-nous en faire, et quel hommage souhaitons-nous rendre à l'élan de nos aïeux qui les portait si volontiers à ces édifices parfois orgueilleux, parfois exubérants ? Comment insérer notre histoire dans notre vie, et dans notre paysage vivant et actif ?

Cela fait sans doute partie des questions qui hantent les campagnes où le vote extrémiste domine ces jours-ci. Outre la disparition des acteurs familiers de l'ancienne république (le curé, l'instituteur, le postier), il faut y retrancher de plus en plus le paysan, en voie d'extinction rapide. Et donc, si nous disons que nous ne voulons pas d'un multiculturalisme, c'est évidemment à cette population-là aussi, celle que hante l'idée d'une déculturation historique, que nous nous adressons. Hélas, nous ne le faisons qu'avec des mots. Si demain, nous ne sommes pas capables de changer les faits, ces mots seront vains et, un jour ou l'autre, la majorité se fera de ce que nous refusons aujourd'hui. Je veux dire par là que si par exemple nous ne sommes pas capables de dire que la financiarisation de l'agriculture nous déplaît, et que nous sommes à même d'y remédier pour maintenir le réseau d'une agriculture familiale dynamique, nos mots ne seront que de belles paroles, trop fragiles remparts contre les idées que nous combattons. Je veux dire par là aussi que si nous ne sommes pas en mesure de comprendre l'espace géographique français d'aujourd'hui et d'en moderniser le parcours et la fluidité, ni d'en équilibrer l'activité, si nous ne sommes pas capables de comprendre que la petite ville ne fait pas vivre son arrière-pays, mais que c'est l'inverse qui est vrai, nous irons droit dans le mur, quels que soient l'âge et l'intelligence de notre capitaine national.

Mais il faut tout de même avouer que la France reste et restera multiculturelle. Un pays qui s'étend sur la Polynésie aussi bien que sur l'Amazonie, et dont le rivage est baigné aussi bien par l'Océan Indien que par le ressac de Terre-Neuve ne peut prétendre n'avoir qu'un seul air à son violon. C'est notre richesse, même si nous savons que comme nos ancêtres communs, les Gaulois, les Français, où qu'ils soient, et quelle que soit leur origine ethnique réelle, n'ont peur que d'une chose : que le ciel leur tombe sur la tête.

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03/04/2017

La culture française

Il n'y a pas de culture française comme les nazis croyaient (ou feignaient de croire) qu'il pût y avoir une culture "aryenne". En ce sens, il n'y a pas de culture française dont il faudrait rechercher une éventuelle pureté par je ne sais quelle épuration, forcément ethnique, excluant successivement et conjointement les juifs, les tziganes, les Maghrébins, les "sangs-mêlés", les homosexuels, les gauchers, les rouquins, ou qui que cela fût. Sur ce point, nous trouverons facilement un consensus parmi les gens de bonne volonté qui réfléchissent à la France d'aujourd'hui.

Cependant, il y a la francophonie et la culture française écrite, facilement identifiable par le fait que ses productions sont faites originellement en langue française. Ce critère linguistique nous met d'ailleurs immédiatement en présence d'une première difficulté, car la littérature d'expression française qui n'émane pas d'auteurs français, ni même résidant en France, est légion. Et il y a des auteurs français qui se sont principalement exprimés en latin, en philosophie surtout. Mais enfin, Victor Hugo, c'est bien un morceau d'une culture qui ne peut avoir d'autre nom que française, de même qu'Alexandre Dumas. Et d'ailleurs, nous savons toute l'aura que ces deux auteurs ont donnée à la France dans le monde, eux qui ont parlé de la France principalement. Culture française, oui, mais finalement érigée à un rang universel.

Peut-on être français et universel à la fois ? Peut-on être particulier et universel à la fois ? Il y a là un très vieux débat pour lequel je ne prendrai cependant pas le temps de réveiller Aristote et Platon. Quoi de plus anglais que Shakespeare ? quoi de plus universel ? Quoi de plus russe que Dostoïevsky ? quoi de plus universel ? Qu'un ensemble d'auteurs français puisse finir par constituer une culture littéraire française n'est pas un artifice de langage, même s'ils sont devenus universels. On retrouve du Corneille chez Victor Hugo et du Racine chez Lamartine. Il y a de l'Hugo chez Rostand et du Lamartine chez Proust. Il y a aussi du Stendhal chez Proust, et du Balzac chez Zola (fils d'immigré italien), et du Zola chez Simenon (belge d'ailleurs). Ce réseau temporel ou intemporel constitue une réalité d'abord facile, la littérature française, qui s'insère naturellement et heureusement dans l'ensemble plus large de la littérature francophone.

Pourquoi en serait-il autrement des autres arts majeurs ? Il y a une peinture flamande, un Quatrocento italien, le popart américain, les experts des ventes publiques parlent d'"école française' de tel siècle, pourquoi n'y aurait-il pas, pour chacun des arts, un fil tendu à travers les siècles, auquel seraient suspendues les œuvres une à une, et qui, cahin caha, constituerait un style, une façon, quelque chose de collectif attaché à l'œuvre, ce qui n'empêcherait pas un dialogue avec l'universel et que menacerait sans cesse la tentation d'une recherche de pureté ? L'école littéraire française romantique se réclamait de Shakespeare et de Walter Scott, ce qui ne l'empêcha pas de produire une expression qui, aux yeux du monde entier, traduit l'un des meilleurs aspects de ce que l'on aime dans la culture française. Pourquoi en serait-il autrement de Poussin, Le Nain, Watteau, Fragonard ? Le siglo de oro espagnol a produit la figure du Cid, qui a inspiré à Corneille l'une de ses pièces les plus françaises.  Pourquoi en serait-il autrement ? Pourquoi la peur de céder à la tentation de l'épuration conduirait-elle à casser le thermomètre de l'étude scientifique artistique ?

La musique française a été profondément changée par la Révolution. Avant la Révolution, on prononçait la langue d'une façon plus chantante qu'après. et cela donna Lulli (il est vrai italien), Charpentier, Rameau. Depuis, la prononciation est de plus en plus terne et de plus en plus sourde. Et cela a donné successivement Berlioz, Offenbach (il est vrai allemand), Gounod, Bizet, pour finir en Ravel, Debussy, Poulenc et quelques autres sans vouloir oublier Boulez. Écoles françaises successives, couleur musicale identifiable, liée à la langue. Il y a du Charpentier chez Bizet et du Rameau chez Gounod. Je pourrais ajouter du Debussy chez Kosma, mais ceci est une autre histoire.

Oui, il y a une culture française, dans tous les arts majeurs, elle existe. Elle ne résume ni ce qui a été et est produit en France, ni ce qui a été et est produit par des francophones, mais c'est l'une des données de la matière art, au même titre que beaucoup d'autres, et selon des règles et des mécanismes très tortueux.

Comme je suis contre l'idée d'épuration, je n'oublie rien de ce qui compose cette unité apparente. Qu'y a-t-il de plus français qu'Astérix, dont les auteurs étaient pour l'un (Goscinny) originaire d'Europe centrale et élevé en Argentine et, pour l'autre (Uderzo), fils d'immigré italien ? Qu'y a-t-il de plus français que les "sangs-mêlés" Piaf et Mouloudji ? Ou que les Italiens Montand, Reggiani, Ventura ? Ou que les films de Costa-Gavras coécrits avec Georges Semprun, l'un né en Grèce, l'autre n'ayant jamais renoncé à sa nationalité espagnole ? Tout ceci participe à un tohu-bohu d'où émane, aux yeux du scientifique, et aux yeux de l'observateur extérieur, une culture française.

Ce débat n'aurait, au fond, d'importance que théorique si la France n'avait pas une mission historique et si elle n'avait pas l'heureuse habitude de vouloir défendre un rang parmi les nations. Sa mission d'émancipation de l'esprit humain a produit une pièce de théâtre qui, à mon avis, reste unique au monde, le Tartuffe de Molière. Son habitude de défendre son rang a fait comprendre à De Gaulle que, dans le monde issu de la Seconde Guerre Mondiale, la culture constituait un outil de rayonnement considérable. À son époque, le marché mondial parisien des arts majeurs conservait encore un rang sans égal. Depuis, par l'effort des Américains conjugué à celui des Britanniques, l'épicentre du marché s'est déplacé à New-York et à Londres.

Or ce déplacement s'est fait par volonté politique. Les Américains ont empilé les millions de dollars pour promouvoir leur popart, jusqu'à l'écœurement, pour écraser le monde sous la supériorité de leur culture, dont on pourrait discuter la pertinence, mais c'est un autre sujet. Pourquoi le popart ? parce qu'on voit immédiatement ce qu'il a de manifestement américain des années 1950-60, les néons, le fluo, la rutilance, le plastique, l'utilisation même d'icones de la culture populaire (popculture pour popart) américaine, comme Marylin Monroe et James Dean. Tout cela parlait de l'Amérique au monde. De Gaulle l'avait compris et en voulait autant pour la France, et eut la chance que notre école de cinéma lui en donnât un instrument très efficace puiqu'elle régna sur les années 1960 et 1970.

Mais la France, riche d'outils anciens dans beaucoup d'autres domaines comme la peinture, cherche toujours des outils nouveaux dans ces domaines. Il suffit de dénombrer les cars de touristes venus retrouver les canotiers de Renoir et la Sainte-Victoire de Cézanne pour comprendre ce que je veux dire.

En ce sens, il est donc du devoir d'un gouvernement qui voudrait promouvoir la France de la doter des attributs de rayonnement essentiels qui sont ce que l'on nomme une culture française, non pas un reflet ethnique de je ne sais quel fantasme, non plus une exploitation du mythe du béret et de la baguette, mais quelque chose qui parle de l'essentiel, qui décrive l'instant en frappant l'époque du marteau de l'intemporel, qui métamorphose le futile en crucial et le divertissant en bouleversant. C'est à la fois une pépinière et un fantasme qu'il faut avoir, l'envie de dire le plus important et l'instrument pour que ce dit soit la foudre.

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