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28/03/2017

À J-25, analyse comparative

Dans moins d'un mois aura lieu l'élection présidentielle, un scrutin qui place la France devant ce qu'un grand politicien d'autrefois, Georges Bidault, appelait le "miroir des énigmes". Rarement l'incertitude aura été si grande à la fois sous la plume des observateurs et exégètes et dans la tête des électeurs dont l'indécision ne se résout que très lentement.

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Onze candidats sont aux prises et, en attendant de mieux découvrir les six "petits" dans le prochain débat télévisé, il est désormais possible de dresser un vrai bilan comparatif des cinq "grands", ceux qui ont été invités au premier débat télévisé : Marine Le Pen, François Fillon, Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon et Emmanuel Macron.

Concernant Marine Le Pen, je serai bref. Ses exhibitions répétées en compagnie de figures d el'antisémitisme européen enveloppent sa candidature d'un halo nauséabond, d'autant plus regrettable que ceux qui se réclament d'elle, comme les agriculteurs, comptent parmi les métiers dont la plaint est la plus légitime. Le père donnait, disait-on, de mauvaises réponses à de bonnes questions. La fille fait de même. Le fait qu'elle soit allée se faire adouber par le président Poutine pose d'autres problèmes, que je vais dire dans un instant. Enfin, le programme économique de Mme Le Pen empile les absurdités sur les folies, il ne peut mener notre pays qu'à la déroute et au rétrécissement, ce que je ne veux pas. Elle n'aura pas ma voix, quoi qu'il puisse arriver.

Jean-Luc Mélenchon me rappelle un leader du CDS qui, lors d'un congrès fatidique, en 1994, se présentait à la présidence d'un mouvement qu'il comptait dissoudre aussitôt dans un plus grand, celui de M. Balladur (ce leader fut battu par François Bayrou). En effet, si l'on suit bien M. Mélenchon, il est candidat à inaugurer les chrysanthèmes et expédier les affaires courantes en attendant qu'un assemblée constituante nommée par lui ou élue sur sa convocation (mais selon quel processus aujourd'hui constitutionnel ?) achève la rédaction de la constitution d'une VIe république, que l'on imagine inspirée par un mélange des Soviets et du discours de Ronespierre (mais quel Robespierre ? celui d'avant le pouvoir, tout miel, ou celui du pouvoir, tout fiel et tout sang). Malgré cette modeste ambition formelle, M. Mélenchon affiche programme économique qu'il jure cohérent, ce qui est en soi incohérent, car enfin, veut-il gouverner, ou pas ? Est-il là pour peu de temps en attendant un régime non présidentiel, ou pas ? Tout ceci sent la duperie à plein nez. C'est le brouillard. Enfin, en politique étrangère, lorsque M. Mélenchon a indiqué qu'il ne lui paraissait pas souhaitable que la force de frappe nucléaire française protège les États baltes contre une éventuelle agression russe, M. Mélenchon me semble avoir proféré une infamie. Son amitié pour M. Poutine, moins récompensée que celle de Mme Le Pen par celui-ci, a sur lui les mêmes effets d'égarement. C'est ici le moment de dire ce que je pense de Vladimir Poutine. Sa résistance aux injonctions américaines a parfois été sympathique. La protection qu'il a accordée à Edward Snowden a abouti à sauvegarder une liberté importante. Les États-Unis se conduisent trop souvent en maîtres égoïstes et léonins du monde, la rebuffade de M. Poutine lui assurait la sympathie des amis de la liberté. Mais quand le même M. Poutine pousse cette résistance jusqu'à remettre en cause les principes les plus forts de la démocratie et des droits humains, une limite est franchie. Et son soutien constant aux mouvements racistes européens pose plus qu'un problème. En somme, puisque les États-Unis nous y invitent, nous aurons raison de mettre enfin fin au système de Yalta, mais nous ne devons pas, sous prétexte de nous libérer du joug transatlantique, courir nous revêtir des fers promis par M. Poutine. Nous devons traiter avec lui, la Russie est partie prenante du destin de l'Europe, peut-être plus que les États-Unis, mais chaque peuple européen a droit à la démocratie, au respect de ses frontières et à l'établissement, puis au maintien, des libertés individuelles fondamentales qui sont au cœur de la pensée moderne, et non pas de la pensée occidentale, car certains principes sont universels, faute desquels toute férocité serait permise. Une VIe république inspirée par un ami de M. Poutine ne pourrait donc qu'adopter les traits les plus effrayants et les plus contraires à ce qui a rendu la France grande et utile au destin du monde. De ce fait, M. Mélenchon n'aura certainement pas ma voix non plus, quelles que soient les circonstances.

François Fillon non plus. Cela, pour une double cause. D'abord, il a repris la course à l'échalote avec l'extrême droite lancée par M. Sarkozy, une course à l'échalote dont l'effet invariable est de légitimer les idées les plus sulfureuses du Front National. Cette faute politique, qui a pris un tour historique, suffirait à me dissuader de voter pour lui, autant que sa volonté de défendre la déchéance de nationalité, le déshonneur qui a définitivement discrédité MM. Hollande et Valls, mais il faut tout de même dire un mot de son programme économique et social. Un mot le résume : la purge. Des économies massives dans les dépenses publiques, un nouveau coup de massue sur les classes moyennes par un transfert tout aussi massif de charges des entreprises sur les ménages, tout cela ne peut produire qu'un nouveau ralentissement de l'économie française, alors même qu'elle sort à peine de près de dix années de stagnation. En somme, la politique économique de M. Fillon, si elle aurait probablement été justifiée en 2012, ne l'est plus en 2017. En 2012, nous n'avions plus du tout de croissance, il y avait le choix entre la méthode de cheval (préconisée par M. Bayrou plus que par M. Sarkozy officiellement soutenu par M. Fillon) et la méthode homéopathique défendue par M. Hollande. Le choix fut fait de ce dernier et de sa stratégie. Elle nous paraissait insuffisante et, de fait, n'a agi qu'avec un grand retard, mais aujourd'hui, elle commence à porter de premiers fruits. Il y a donc une double raison de refuser la politique proposée par M. Fillon/ Première raison, elle engagerait la France dans un processus de "stop and go" comparable à ce qui détruisit tout à fait l'économie britannique dans les années 1960. Deuxième raison, les citoyens ont besoin de lisibilité à dix ans. Pour pouvoir consommer et investir, ils ont besoin d'anticiper sur les politiques publiques. Tant qu'ils redoutent des embardées dans un sens ou dans l'autre, ils surthésaurisent comme on le constate. Dès lors qu'ils sont capables de dessiner des bornes autour des variations possibles de la dépense publique et de la pression fiscale, ils peuvent programmer les dépenses et, de ce fait, l'économie retrouve de la liquidité et de l'efficacité. C'est ce qui fait que le programme économique de M. Fillon qui, sur le papier, a beaucoup de bons côtés (au milieu de plusieurs inutiles férocités cependant), est en fait contracyclique et inadapté à la situation actuelle de la France. Cela ne pourrait m'empêcher de voter pour lui si, par ailleurs, ses références sociétales ne le conduisaient là où je ne le suivrai jamais.

Benoît Hamon, qu'en dire, sinon que l'on se demande ce qu'il fait là et qu'il incarne jusqu'à la caricature l'absurdité du processus des primaires ?

Reste donc Emmanuel Macron. Son programme économique et social combine la continuité et l'accélération des réformes nécessaires, il protège la conjoncture d'un excès de rigueur tout en maintenant la pression sur la dépense publique, il se soucie du portemonnaie des classes moyennes motrices de l'économie sans négliger de poursuivre l'allègement des charges qui pèsent sur les entreprises. À travers la suppression de la taxe d'habitation pour huit foyers sur dix, il offre des liquidités nouvelles à beaucoup de ménages et amorce un processus destiné à rogner les inégalités territoriales. Enfin, sans ouvrir l'hypothèque d'un changement de régime, il remet en cause beaucoup de situations acquises. Il opère une synthèse et propose une perspective de politiques de réformes consensuelles et durables favorables à l'anticipation des ménages. Bien sûr, il a aussi ses défauts, et je comprends que des électeurs s'interrogent sur l'éventualité d'aller voter, mais il me semble que, de tous les cinq principaux programmes, celui de M. Macron me paraît à la fois le plus équilibré et le plus innovant.

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20/03/2017

Dans cinq semaines, une nouvelle France ?

Le choix d'Emmanuel Macron de tenir à Reims son discours cadre sur la culture en vue de son éventuel quinquennat présidentiel a permis de mesurer à quel point sa pensée avait évolué depuis une phrase trop lapidaire qu'il avait prononcée quelques jours plus tôt. Gageons que le soutien de François Bayrou, et la garantie qu'il implique, et l'exigence qu'il impose, n'a pas été pour rien dans ce rapide chemin de Damas. De Damas à Reims.

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Reims, pour tous les amateurs d'Histoire de France, c'est le lieu fondateur. C'est là que la France est renée en 1945, en obtenant la première reddition allemande. C'est là qu'elle est renée à elle-même pendant huit siècles dans le moment mystique du sacre royal et de la sainte onction. Le roi est mort, vive le roi. C'est là surtout qu'elle est née le jour où Clovis fit alliance avec l'évêque de Rome.

En ce temps, il ne restait plus que deux évêques fidèles à celui de Rome : celui de Tours et celui de Reims. Tous les autres, dans la vaste Europe issue de la désagrégation de l'empire romain, obéissaient à des princes ariens. Non pas aryens, mais ariens, du nom de l'hérésie née d'un personnage nommé Arius. Au centre de ce débat entre Ariens et Romains se situait la clef de la pensée occidentale moderne : le rapport entre la religion et le pouvoir politique. Chez les Ariens, le politique commandait le religieux. Rétablir Rome, c'était ôter le religieux de l'obéissance au politique. Telle fut la mission de Clovis, et telle la vocation de la France depuis, quoi que l'on en pense, et malgré des régressions et des reniements : veiller à ce que le religieux n'obéisse pas au politique, non plus que le politique au religieux. En cela, le choix de Reims répondait parfaitement à l'objectif de définir la culture française, qui est la France elle-même, par l'incarnation autant que par la voix.

Bien sûr, il n'est pas question de résumer la France, ni son Histoire, ni sa culture, à ce fil droit tendu à travers les siècles, et qui traverse les noms que j'ai déjà évoqués dans le passé (dans mon article intitulé "Une autre histoire de la laïcité" ici même), ceux de Fulbert de Chartres, de Pierre Abailard, de Thomas d'Aquin, de Descartes, de Voltaire, d'Aristide Briand. Mais toujours, si l'on cherche, l'on trouvera, au cœur de la construction de la France et de sa culture, l'une des fibres dont ce fil est tressé.

Guitry disait par exemple que le théâtre était né dans les églises avant de s'en détacher, ce que les églises ne lui avaient jamais pardonné. "Rivalité de métier", résumait-il avec l'un de ses sourires goguenards.

Non qu'il ne puisse y avoir d'art et de culture dans le religieux. Il arrivait au grand laïc qu'était Prosper Merrimée de se laisser bouleverser par une fresque romane d'une église poitevine. Et aujourd'hui encore, cela peut se produire, quelle que soit la religion. Mais la France fait partie des pays qui ont érigé le droit au blasphème en droit humain, et le droit de ne pas croire en prérogative inaliénable et imprescriptible de l'humain. Elle en fait partie et, sans doute, elle fut parmi les premiers, sinon le premier.

L'instrument de tout cela, le fer de lance de la pensée des Lumières contre l'obscurantisme, c'est le français, langue d'ambition cosmique. partout où le français est connu, le droit au profane et à la profanation est reconnu, ou a légitimité pour l'être. Avec lui, le principe d'égalité des conditions humaines. C'est sans aucun doute pourquoi l'on prête à Albert Camus la belle citation "Ma patrie, c'est la langue française", parce que notre langue porte en elle l'insoumission à la fatalité et la révolte contre ce qui n'est pas conforme à ce qui devrait être.

Entendu, me direz vous, mais la France, par son Histoire, par ses forfaits, a perdu la légitimité pour porter ce message que sa langue suppose. Nous avons commis des fautes, il est vrai, et nous le savons. Et nous le disons, mais beaucoup d'autres pays, et beaucoup d'autres cultures, ont commis des forfaits souvent aussi grands, et bien peu le savent, et encore moins le disent.

Nous avons pratiqué l'esclavage. C'est vrai. Au temps de Charlemagne, il restait beaucoup d'esclaves dans ce qui n'était plus la Gaule et qui n'était pas encore tout à fait la France. Puis nous avons découvert, nos aïeux l'ont fait, que cet esclavage était une abomination. Il fallut encore des siècles pour que nous triomphions de nos propres faiblesses, mais nous pûmes l'abolir. Au XIVe siècle, il ne se pratiquait plus du tout en France, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, alors qu'il était courant en Afrique et dans le monde arabe, par exemple.

Puis l'oubli s'empara de nous, nous recommençâmes à pratiquer l'esclavage, et il fallut de nouveaux siècles pour triompher de nous-mêmes. Pendant ces siècles, nous achetâmes, mot horrible, des humains, en particulier en Afrique, où l'esclavage restait endémique, et où, il faut le rappeler, ces esclaves étaient souvent non pas razziés, mais achetés à d'autres Africains.

Enfin, nous triomphâmes de nouveau de nous-mêmes. Mais en Afrique, et dans le monde arabe, l'esclavage demeurait souvent endémique. La piraterie et l'esclavagisme algérois furent le premier terrain d'une éradication de l'une et de l'autre. Oui, nous avons eu tort de développer le colonialisme, sans aucun doute, mais où en serait l'esclavage, en Afrique et dans le monde arabe, si nous ne l'avions pas fait ? C'est cette complexité du monde et cet entrelacs intime du bien et du mal dans le fait historique et dans l'acte politique qui résument l'enseignement que nous a donné notre longue expérience historique.

C'est d'eux aussi que nous tentons de convaincre nos partenaires européens et occidentaux, d'abord, puis toute la communauté mondiale ensuite. C'est à cette expérience millénaire collective enfin que nous invitions à adhérer les étrangers que le choix, le sort ou le malheur conduisent à envisager d'être français.

Et cela, sans être dupes de ce que la France, ni la culture française, n'ont jamais été. Par exemple, il n'y a guère que cinquante ans, et encore, que tout les Français parlent français. Dans les régions, on préférait souvent les patois ou langues qui ont construit la nôtre. Et ce disant, on se doute que je plaide pour la langue bretonne aussi, en même temps que pour une image de la France diverse, articulant à la fois une culture unique et des culture diverses, une culture française et des cultures d'esprit souvent étranger. Dans ce tohu-bohu de la clameur des cultures de notre Histoire, ce qui fit toujours l'unité de cette multitude dirimée, c'était le fil tendu depuis Clovis et que, d'une main ferme, nous ne devons jamais perdre, celui sans lequel la France ne serait plus la France.

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