25/07/2008
Ma B.A. 103.
Je suis passé sous les drapeaux sur la piste de la base aérienne 103, à Cambrai, et j'ai défilé en uniforme dans les rues de Cambrai le 11 novembre 1987, devant une foule d'ailleurs clairsemée.
La fermeture annoncée de la base aérienne de Cambrai m'a remémoré les deux mois que j'y ai passés pour mes classes de service militaire fin 1987. J'y suis arrivé en octobre (classe 87/10) et y suis resté jusqu'en décembre, où j'ai été affecté d'abord au détachement de Creil (une ancienne base aérienne à moitié désaffectée rattachée à Cambrai), puis à la B.A. 117, en fait l'état-major de l'armée de l'air, boulevard Victor dans le XVe arrondissement de Paris, où j'ai potassé des questions de droit à la direction du personnel militaire de l'armée de l'air (DPMAA).
Les classes, à Cambrai, ont été un moment assez désagréable : il faisait froid, on ne faisait rien de bien intéressant, apprendre à marcher au pas n'est pas une activité épanouissante, même sur des chants rythmés.
La base aérienne était alors située dans la campagne, environnée de champs très verts, au milieu d'une plaine très dégagée, sans doute pour éviter l'espionnage. Les bâtiments où nous étions casernés dataient du début des années 1950, ils avaient été bâtis par les Américains comme dans de nombreuses bases aériennes récupérées par l'armée française lorsque la France a décidé de cesser de siéger au commandement intégré de l'OTAN en 1966. Les avions étaient de vieux Mirage, des Mirage 4 je crois, qu'on entendait vrombir le matin et à certaines heures. Je dois dire qu'à aucun instant on ne nous a fait approcher de l'un de ces monstres. On ne nous en parlait guère. C'est plus tard, dans les bureaux de la DPMAA, que les colonels, tous pilotes, s'amusaient à raconter des anecdotes de vols quand ils venaient à la bibliothèque juridique où j'étais basé.
En revanche, à la B.A. 103, on ne se privait pas de nous exhiber le matériel vétuste supposé équiper l'armée d'alors : des mitrailleuses datant de la guerre de 14, dont il fallait dévisser le canon pour le faire refroidir dans l'eau après quelques tirs, les pistolets mitrailleurs MAT 49 (Manufacture d'Armes de Tulle, 1949), d'affreuses pétoires qui avaient sévi en Indochine et en Algérie notamment, et si on était bien sage (cela m'est arrivé une fois), on pouvait toucher le FAMAS (je crois que cela correspond à Fusil Automatique de la Manufacture d'Armes de Saint-Étienne), modèle 1970, un bijou, très léger, moins robuste qu'une kalachnikoff ou qu'un M16, mais bien plus précis, jusqu'à 200 mètres, nous expliquait-on. Au champ de tir, j'ai fait carton plein avec cet outil de haut vol, mais le sous-off, en clignant de l'oeil, m'a noté pour un tir bien plus moyen en m'expliquant qu'avec le carton que je venais de faire, en cas de guerre je me retrouverais en première ligne, et qu'il préférait m'éviter ça. J'ai trouvé son argument très pertinent et je n'ai pas protesté contre sa "correction".
Le personnel civil et militaire était très local, du moins jusqu'aux grades de sous-officiers. Il est évident que la fermeture de la base sera un véritable drame pour nombre d'entre eux et, si ceux que j'ai connus ont dû pour beaucoup prendre leur retraite depuis, je pense à leurs successeurs qui doivent vivre un effrayant déchirement.
On aura beau me dire ce qu'on veut sur la réorganisation d'efficacité, sur les recentrages, je n'oublierai jamais que, lorsque nous avons fait nos marches d'entraînement de dix ou vingt kilomètres à pied autour de la base, dans la campagne, dans les champs automnaux, nous avons placés nos pas dans ceux des centaines de milliers d'hommes qui ont péri sur cette frontière lors de la guerre de 14. Je n'oublierai jamais que si, durant bien des décennies, nous avons laissé des bases militaires près de la Belgique et près de l'Allemagne, ce n'était ni contre la Belgique, ni contre l'Allemagne, mais pour tenter de réparer la perte incomparable subie par ces régions frontalières lors du premier conflit mondial.
Fermer ces bases, dissoudre ces régiments, désaffecter ces casernes, quelques mois à peine après la mort du dernier poilu, c'est véritablement refermer le livre de la guerre de 14, sceller le tombeau, tourner la clef dans la serrure et la jeter dans un fossé.
Pourtant, la guerre de 14, c'est celle qui nous a enseigné que, comme l'a chanté Mouloudji, "les guerres sont des bêtises, le monde en a assez". En cessant d'honorer les morts de 14, c'est notre propre sagesse que nous choisissons de bâillonner. Sur fond d'un monde ouvert à tous les dangers, où les tensions identitaires sont chaque jour plus fortes, où les marchands de canon sont sans cesse plus avides de jeter de l'huile sur le feu de la haine qui couve, renoncer à la mémoire sonne comme un symbole, un terrible symbole.
Des milliers de soldats, des dizaines de milliers d'emplois, tout un flot d'hommage que nous versions, année après année, sur les régions martyres, sur les cicatrices des tranchées de Verdun, tout cela disparaît sous le coup d'un pouvoir pour qui l'arme s'écrit weapon et la paix death.
Que les hommes d'aujourd'hui n'oublient pas cependant la plus affreuse des guerres et la leçon qu'elle a donnée à leurs pères. Les victoires de demain doivent être emportées contre la pauvreté et le malheur et non contre d'autres humains.
Et les régions martyres ne se doivent pas se sentir délaissées : elles ne l'ont pas mérité.
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