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14/05/2007

Sarkozy : la tentation bonapartiste.

On avait cru lire et entendre que Nicolas Sarkozy avait l'intention d'établir en France le pouvoir d'une vraie droite à l'anglo-saxonne, une novation intégrale pour notre pays qui, en dehors de Poincaré ou de Pinay, a peu connu cette façon d'envisager la politique.

Or voici qu'on a reconnu dans les dernières déclarations et dans les derniers actes du futur président de la république une tout autre attitude, beaucoup plus française, qu'une partie de la presse étrangère avait identifiée bien avant nous : le bonapartisme.

Qu'est-ce que le bonapartisme ?

Un régime hybride où se mêlent l'autorité et (pour faire simple) l'ambition révolutionnaire ou populiste.

Napoléon Ier, avant de devenir empereur, avait été jacobin et, comme tous ceux qui se congratulaient de l'exécution du roi Louis XVI, il signait ses actes, en 1793, "Brutus Buonaparte" (où Brutus rappelle le meurtre de César).

De la même façon, Napoléon III, avant d'accéder au pouvoir, avait figuré parmi les "carbonari", ces conjurés dont le rôle fut si grand dans le mouvement révolutionnaire et unificateur italien.

Ambition et égalité pour le peuple, donc, mais autorité.

C'est d'ailleurs la philosophie intrinsèque de la Ve république depuis de Gaulle, ce mélange, malgré la parenthèse de plus de trente ans que constitue finalement la période 1974-2007.

On y trouve par exemple la nature plébiscitaire du régime, la référence au référendum pour valider l'action générale d'un chef de l'Etat. Et de fait, le référendum de 2005 visait encore plus Chirac que la constitution européenne (bien qu'il ait abouti, en Sarkozy, en un enterrement de tout projet européen).

Or la combinaison autorité/égalité est l'un des ingrédients ou l'un des ferments du despotisme et c'est seulement par la personnalité (et la vertu !) de ceux qui incarnent un tel régime que celui-ci peut se retenir de basculer du côté de la tyrannie. Rappelons que c'était le reproche adressé à la Ve république par ses premiers détracteurs. La question se pose de nouveau, intacte.

Il reste aussi à savoir comment le nouveau président pourra combiner cette approche française avec ses obédiences américaines.

On a appris que le nouveau secrétaire général de l'Elysée serait le récent ambassadeur de France à Washington et on sait que le nouveau premier ministre sera un homme qui, certes, se réclame du gaullisme social, mais, par ailleurs, a présidé durant plusieurs années une officine (le CASE) chargée de promouvoir en France l'amitié franco-américaine.

Peut-être finalement la solution de cette contradiction se trouvera-t-elle dans la poursuite du modèle berlusconien : Berlusconi avait promis moult réformes toutes plus réactionnaires les unes que les autres ; il n'en a pas fait le dixième mais tout son exercice du pouvoir a consisté à piller l'Etat.

Etant donné l'appétit des amis de Sarkozy, qu'il s'agisse de ses militants, de son entourage ou de ses commettants du Cac 40, on peut gager qu'en tout cas, de ce côté-là, on ne sera hélas pas surpris.

Et Bonaparte ?

Eh bien, le prince Napoléon, lui, se trouvait à la Mutualité pour la fondation du Mouvement Démocrate, donc dans le camp de la liberté plus que de l'autorité.

Vive le Modem !

Commentaires

Et voila... Il fallait bien que cela arrive... Voila un vrai désaccord, concernant l'évocation si attendue, si convenue, si intempestive, du "bonapartisme" vis-à-vis de Sarkozy...

Les idées reçues et les fantasmes hugoliens ont décidément la vie dure. J'ai lu dans le numéro de "Libération" du 7 mai, un article d'un professeur de sciences politiques à l'université de Montpellier, Paul Alliès, dans lequel l'auteur prétend, sans rire, que l'élection présidentielle de 2007 a abouti à un "triomphe du bonapartisme" :
"Cette élection présidentielle pourrait bien être le triomphe absolu du bonapartisme, cette culture politique dont la France ne parvient décidément pas à se défaire. Nicolas Sarkozy en est l'incarnation à lui seul. Il résume jusqu'à la caricature la modernité de cette "société du 10 décembre" qui fit le succès, en 1848, de Napoléon le Petit [sic] : déjà à l'époque, elle ajoutait de la violence symbolique et privée au monopole étatique de la force. Mais la postérité du bonapartisme va bien au-delà des personnes. Elle s'est forgée dans et par les institutions ; pas tant dans l'élection par le chef de l'Etat au suffrage universel direct que dans la concentration exceptionnelle de tous les pouvoirs en ses mains. De ce point de vue, l'histoire de la Ve République restera celle d'une accumulation progressive de puissance d'une seule autorité au prix de la dévitalisation des moindres contre-pouvoirs. Même celui que les journalistes avaient construit est en train de produire par connivence ou servitude volontaire une nouvelle oligarchie. Se refonde ainsi toujours plus l'espace du pouvoir où le centre reste la cité interdite à la société civile tandis que sa périphérie est abandonnée à ses ennemis."

En tant que démocrate, je ne peux qu'être d'accord avec l'auteur en ce qui concerne la menace pesant sur le pluralisme médiatique et le danger que constitue, en ce début de XXIe siècle, la concentration de tous les pouvoirs en quelques mains. Mais, une fois encore, en sachant ce que je sais sur le bonapartisme, je ne peux que désapprouver le parallèle fait par Paul Alliès entre Sarkozy et "Napoléon le Petit", c'est-à-dire Napoléon III, car on ne peut que comparer que ce qui est véritablement comparable. Mais bien que j'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de souligner, sur mon blog, le caractère absurde, sur le plan historique, de toute comparaison de Sarkozy avec Napoléon Ier ou avec Napoléon III, j'ai décidément la désespérante impression de parler dans le vide. La comparaison du sarkozysme avec le bonapartisme, disparu à la fin du XIXe siècle, mais que l'on ne cesse d'invoquer de façon trop souvent intempestive pour attaquer Sarkozy, est tout aussi absurde. Le fait est que les républicains bien-pensants persistent à vouloir employer les mêmes vieilles recettes pour construire leurs critiques, quand lesdites recettes sont, au mieux maladroites, au pire complètement à côté des clous. Ayant assez longuement étudié le bonapartisme et les élections plébiscitaires qui y sont associées, je crois pouvoir - modestement - me permettre de dire que Nicolas Sarkozy n'est pas Napoléon III, et que ses idées n'ont pas grand-chose à voir avec le bonapartisme - qui, du reste, n'était ni une droite, ni une gauche, ni d'ailleurs un centre. Ceux qui disent et écrivent cela illusionnent les citoyens, et s'illusionnent eux-mêmes.
Le fait est, cependant, que la dernière élection présidentielle a, par certains côtés, pu donner l'impression que l'on avait affaire à un électorat français semblable à celui du temps de Napoléon III, à savoir un électorat à la politisation encore incomplète, et faiseur de roi - ou d'empereur - par "la seule tyrannie des souvenirs", pour reprendre l'expression employée par l'historien François Furet. En 2007, les électeurs sarkozystes ont donné l'impression, assez aberrante pour tout démocrate de progrès, de voter, en effet, comme ceux de 1848 ou de 1851 : ils ont, d'une part, voté pour la propriété, contre la pression fiscale incarnée à leurs yeux par la République, contre le "gouffre béant du socialisme" selon l'expression employé par le catholique Montalembert en décembre 1851 ; le nom de Louis-Napoléon Bonaparte (futur Napoléon III, et neveu de Napoléon Ier) était, en 1848, le seul nom qui fut connu et populaire alors en France, mais la tyrannie des souvenirs n'a pas, cette fois-ci, été celle de la légende napoléonienne, mais celle des évènements, déjà anciens, de mai 1968, source de désordre socio-économique et de dépravation morale aux yeux de beaucoup de sarkozystes, dont Sarkozy lui-même n'a pas manqué d'entretenir les préjugés, y compris dans les derniers jours de sa campagne.
Ainsi, je ne nie pas que l'on puisse faire, sur certains points, des comparaisons entre les différents comportements électoraux à travers l'histoire, mais comparaison n'est pas raison. Certes, je suis interpellé par les troublantes similitudes entre le vote bonapartiste de 1848 et 1851 et le vote sarkozyste en 2007, au point que j'en viens à me demander sérieusement si la politisation des citoyens français, phénomène commencé au plus tard en 1848 et poursuivi sous Napoléon III puis sous la IIIe République, a bien été complètement achevée en ce début du XXIe siècle. Mais pour autant, je me garde bien de faire des amalgames faciles : ce n'est pas parce que les électeurs votent dans tel sens que le président élu est un nouveau Napoléon III ou que le régime en place est de nature bonapartiste. Je ne nie pas le caractère autoritaire du régime de Napoléon III, surtout à ses débuts, mais la situation de la France des années 1851-1870 était tout de même sensiblement différente de celle d'aujourd'hui : ne l'oublions pas. Les Français sont censés, depuis, avoir progressés en matière de politisation et de pratiques démocratiques. Je rappelle, du reste, que Louis-Napoléon Bonaparte a été élu président de la République à l'âge de 40 ans, au suffrage universel masculin, et choisi par 74 % des votants, soit 56 % des inscrits, face à cinq autres candidats, dès le premier tour. Rien de comparable, bien entendu, avec l'élection de Sarkozy, élu à 52 ans, au deuxième tour, avec environ 53 % des voix contre une candidate, au suffrage universel masculin et féminin. Pour l'anecdote, on notera que, d'une certaine manière, avec son idée de service minimum, notamment dans les transports, Nicolas Sarkozy s'apprête à plus ou moins remettre en cause le droit de grève alors que, sur le principe, c'est Napoléon III qui fut, en son temps, le seul souverain d'Europe à le dépénaliser, en 1864. Quant au régime de la Ve République, il ressemble un peu, sur le plan institutionnel, au Second Empire parlementaire tel qu'il existait à la veille de la guerre franco-prussienne de 1870 et de l'effondrement du régime de Napoléon III du seul fait de la défaite, mais il est absurde de vouloir en faire un régime bonapartiste, surtout au vu de la façon pour le moins parcimonieuse et pusillanime avec laquelle les successeurs du général de Gaulle ont utilisés, par exemple, le référendum, équivalent du plébiscite du XIXe siècle. Sarkozy a annoncé qu'il ne consultera pas les Français par référendum au sujet d'un nouveau projet de constitution européenne : une telle attitude semble bien peu bonapartiste, vis-à-vis du principe de la consultation populaire pour les grands changements en matière constitutionnelle...
Que l'on arrête donc de voir du bonapartisme partout, là où il n'y a que des évènements qui sont, avant tout, propres à notre époque. Du reste, Sarkozy a beau être un amoureux de la Corse, berceau de la famille Bonaparte, il est, à mon avis, tout à fait inapproprié, aux yeux de l'histoire, d'oser comparer le destin du nouveau président de la République avec celui de Napoléon Ier : Nicolas Sarkozy de Nagy-Bocsa ne lui arrivera jamais à la cheville, quoique l'on en dise... Ce que je retiens, en tout cas, c'est que les citoyens français sont censés avoir fait le long apprentissage de la démocratie au XIXe siècle, sous la IIe République, sous le Second Empire de Napoléon III, et sous la IIIe République, mais que l'on peut se demander si tout cela à véritablement abouti à quelque-chose quand on voit pour qui ils ont aujourd'hui voté, en ce début du XXIe siècle... Sur la forme, en ce qui concerne le principe de la participation électorale, le progrès démocratique est incontestable, mais sur le fond, en ce qui concerne les motivations et le choix de vote, on peut franchement s'interroger...

Si le prince Napoléon rejoint le Mouvement Démocrate, j'en serais bien heureux, car cela ne pourra que confirmer que le bonapartisme est mort avec le siècle de Napoléon Ier et de Napoléon III, et que seuls subsistent aujourd'hui des comportements électoraux particulièrement aberrants en ce début de XXIe siècle.

Cordialement,

Hyarion, citoyen démocrate.

Écrit par : Hyarion | 15/05/2007

Sans vouloir m'imposer dans votre débat de spécialistes es Bonapartisme, j'aimerais approfondir avec vous cette partie de l'analyse : "Or la combinaison autorité/égalité est l'un des ingrédients ou l'un des ferments du despotisme et c'est seulement par la personnalité (et la vertu !) de ceux qui incarnent un tel régime que celui-ci peut se retenir de basculer du côté de la tyrannie. Rappelons que c'était le reproche adressé à la Ve république par ses premiers détracteurs. La question se pose de nouveau, intacte."
De Gaulle n'avait peut-être plus l'âge d'entamer une carrière de dictateur, ce n'est pas le cas de Nicolas le Petit. Quelque soient ses intentions ou ses tentations absolutistes dont je ne préjugerais pas, il vient selon moi depuis quelques jours de créer quelques jurisprudences dans l'attitude présidentielle en 5ème République. La première - sa volonté affichée et déclarée de choisir le premier ministre mais aussi tous les membres du gouvernement. La deuxième - l'examen de fin d'année de chacun des ministres qui enlève au premier ministre la responsabilité de ces choix d'équipe et de la validité de l'action gouvernementale. La troisième - dans les accords électoraux avec les députés UDF cette demande de vote en aveugle qui inféode l'assemblée à devenir une chambre d'enregistrement des budgets et décisions gouvernementales (qui au vu des deux premières jurisprudences...). Et il n'en est qu'à son premier jour de mandat. Son grand référendum et le seul qui lui paraisse essentiel, c'est l'élection présidentielle au suffrage universel direct, il l'a répété à satiété avant même d'être président. La question est bien celle de la personnalité et de la personnalisation du pouvoir au coeur des bonapartismes et malheureusement pour nous de la 5ème.
La vertu ( a la Berlusconi) ne sera que le noyau amer sur le gâteau. Pour le moment, l'apparence nouveau riche semble lui suffire, il semble moins concret que Berlusconi sur le sujet. On lui prête le yacht et Le Fouquet's. Il flirte avec l'électorat lepéniste mais il ne fait pas d'accord avec Le Front national. Ses amis dirigent les médias mais lui ne posséde pas de chaine télé.
Le temps reste un facteur déterminant pour ce type de personnalité. Comme pour le bonapartisme, l'évolution de ce type de personnalité réactive et de sa politique va se fonder sur les affrontements qu'ils aura à surmonter, plus ils seront violents, plus lui-même se montrera violent. L'attitude de François Bayrou plutôt modéré, mais dans la vigilance institutionelle m'apparaît comme la plus raisonnable.

Écrit par : nef | 16/05/2007

@ Hyarion

Merci de ta longue explication ; il est vrai que l'analyse historique ne peut pas conduire à assimiler à un Napoléon, mais je me borne à ce type particulier de comportement politique dont le nom classique est bonapartisme. Ce n'est pas un débat historique, mais une alarme politique.

@ nef

Bien dit.

Écrit par : Hervé Torchet | 16/05/2007

Bonjour,

La véritable confiscation du droit de vote des députés de la future majorité présidentielle est une grave atteinte à la Constitution qui stipule :
"Art. 27. - Tout mandat impératif est nul. Le droit de vote des membres du Parlement est personnel."

Je suis surpris que tous les juristes et surtout les constitutionalistes de France n'enfourchent pas, à cette occasion, leurs grands chevaux...

Sur le débat du bonapartisme, je cite :
"le Corps législatif n’incarne pas la souveraineté populaire, puisque seul l’empereur représente la Nation. En effet, Napoléon a été élu président de la République, puis plébiscité en tant qu’empereur et renforce sa légitimité par son usage régulier du plébiscite. L’empereur jouit donc du prestige d’une double légitimité, à la fois populaire, et aussi dynastique puisqu’il est l’héritier de l’empereur Napoléon Ier. Cela lui permet de maintenir une apparence démocratique, alors qu’en réalité, le second Empire dans sa phase autoritaire est bien le pouvoir d’un seul homme, entre les mains duquel est concentré l’essentiel du pouvoir. En effet, l’empereur gouverne au moyen des 4 chambres. Les ministres et députés sont nommés par l’empereur ce qui lui permet de s’entourer d’alliés soumis, respectueux de l’impulsion particulière du chef de l’Etat, tandis que le Corps Législatif élu ne dispose pas de pouvoir réels. C’est le césarisme démocratique, c’est à dire un gouvernement fort qui tire sa légitimité de la souveraineté nationale au moyen du suffrage universel. En effet, celui-ci est restauré par l’abrogation de la loi du 31 mai 1850; cependant la procédure des candidats officiels, c’est à dire choisis par l’empereur et seuls habilités à faire campagne permet au chef de l’état d’orienter les choix politiques de l’électorat à sa guise."

http://perso.orange.fr/david.colon/Sciences-Po/page33.htm

Écrit par : André-Yves Bourgès | 17/05/2007

La difficulté avec une définition du régime Sarkozy comme "bonapartiste" c'est que cela voudrait dire qu'il a décidé de changer radicalement le mode de domination (en tout cas c'est comme cela que je le comprendrais) et donc que la réponse de la résistance doit également changer de nature.
Mais Sarkozy (qui va attaquer très durement l'Etat providence, les services publics, les droits des travailleurs) voudraient le faire avec le mode de domination actuel. C'est à dire légitimité électorale, collaboration des directions syndicales pour calmer la température sociale etc. Certes, il a un discours beaucoup plus combatif et il ne se limite pas aux méthodes d'une tribu politicienne traditionnelle, mais je crois vraiment que l'époque n'a pas changé.

Il y aura des luttes très dures, j'espère. Il faut avant tout je crois organiser une gauche radicale unie.

JM

Écrit par : John Mullen | 23/05/2007

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