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25/10/2007

À propos de "la violence de l'amour" de Caroline Thompson.

Nous vivons une époque de synthèse.
 
Oh, je pourrais parler de la synthèse d'une phase d'un demi-millénaire commencée par ce qu'on a nommé les "grandes découvertes" et ponctuée, voici un siècle, par l'aphorisme de Paul Valéry : "le temps du monde fini est commencé". Cette phase se nomme en fin de compte "mondialisation", une connexion de parties du monde et de fractions de l'espèce humaine qui jusque-là s'ignoraient ou se connaissaient peu. Aujourd'hui, même s'il existe des inégalités de connexion, on peut dire que la mise en réseau du monde est très sophistiquée, le maillage commence à être fin, même en Afrique. Et la digestion de ce mouvement est un effort de synthèse.
 
Pourtant, la synthèse dont je veux parler à propos du livre de la psy Caroline Thompson est autre ; elle ne concerne que l'occident, la France en particulier. Elle repose sur la séquence en trois temps qui constituait le plan idéal de nos professeurs de collège et de lycée : thèse, antithèse, synthèse.
 
De quoi s'agit-il ? Voici cinquante ans, l'essentiel des enfants qui venaient en consultation psy (c'est ce que disent les statistiques) le faisaient en raison d'un excès de règles de nature sociale dans le cadre familial. Aujourd'hui, la courbe s'est entièrement inversée : la cause majoritaire est le trop faible encadrement normatif dans la famille. C'est toujours ce que disent les statistiques. Et vient donc le moment de la synthèse où il faut déterminer ce qui doit demeurer de règles et d'autorité pour que tout le monde soit heureux.
 
Disons tout de suite que Caroline Thompson, par ailleurs fille de la cinéaste Danièle Thompson et petite-fille du génial maître du burlesque Gérard Oury, est elle-même consultante dans un cadre beaucoup moins glamour et comique, l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière dans le XIIIe arrondissement de Paris. Elle consulte pour enfants, bardée d'un doctorat de psychologie clinique et d'une psychanalyse réussie (ne me demandez pas dans quelle chapelle). Son livre est tout imprégné de la souffrance des enfants et il a cette valeur de témoignage. Ca tombe bien, car les séquences où elle narre ses consultations (en fardant les identités, on s'en doute) sont le meilleur du livre, d'une langue très épurée, simple comme bonjour, au plus près des faits, presque d'une façon journalistique.
 
Si son message est tiré de son expérience personnelle, il ne peut être critiqué sans réflexion. Or on a envie de la contredire. Quand elle affirme que l'autorité est légitime, que les parents ont le droit et même le devoir de tracer des lignes, de dicter des interdits, j'ai tout le temps envie de refermer le livre, en raison de l'éducation que j'ai reçue. Seulement voilà, il y a la voix de tous ces petits enfants, âgés de quatre ou cinq ans, qui peuplent son livre et qui disent "j'ai mal" et pour lesquels elle défend l'idée que le besoin de bornes est acceptable et qu'on les rendra plus heureux en édictant des normes (qu'ils auront raison de contester) qu'en les laissant dans le flou.
 
Cette fonction structurante de l'interdit parental, en positif comme en négatif, dans l'obéissance comme dans le rejet, est une de ses principales conclusions.
 
Et elle enfonce le clou sur ce qui motive le titre de son essai : l'éducation idéale, longtemps composée de normes et d'autorité, est devenue (autre forme de synthèse) un seul mot : l'amour. Notre société ne donne qu'une injonction pour réussir une éducation : aimer ses enfants. Or, nous dit Caroline Thompson, ça ne va pas du tout. Car l'amour n'est pas un tapis de pétales de roses, l'amour est violent, même et surtout l'amour filial, paternel et maternel. Il y a une part incompressible de violence dans toute affection, dans tout regard aimant. Aimer quelqu'un, c'est par exemple vouloir le conformer à l'interprétation ou à la représentation que l'on s'en fait. Donc se contenter d'aimer, c'est amener l'enfant et ses parents sous la pression de la ressemblance et de la dissemblance, par exemple, c'est refuser que chacun mène sa barque. Eh oui, le paradoxe de la norme, en famille, c'est que son absence ou son insuffisance peut avoir pour aboutissement une moindre liberté. La norme libère, il fallait y penser.
 
Par ailleurs, il n'y a pas d'amour linéaire, ça n'existe pas.L'obsession de l'amour dans l'éducation met toute la famille dans l'obligation d'aimer. Bonheur obligatoire, comme on dit. Tandis qu'en acceptant l'instauration de règles, on permet une respiration qui rend plus libre. On se met plus dans la réalité, où le bon alterne toujours avec le mauvais. Et on finit par s'apercevoir que (comme disait Beaumarchais) "sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur" et que donc sans la liberté de détester il n'est pas de vrai amour ; on replace donc l'amour dans son vrai statut, qui n'est pas le bréviaire de l'éducation.
 
Eh oui, le livre se termine même sur le mot "détester".
 
Mais qu'on se rassure, il est tout de même dédié à sa fille Anna (comme Anna Freud) et à son père...
 
Alors s'il faut réfléchir sur l'autorité, sur la règle, autrement que comme Sarkozy qui n'a rien compris et qui raisonne encore comme dans la première phase (mais le livre ne fait aucune formulation politique), si l'on est à la recherche de la synthèse idéale, on trouvera quelques éléments de réponse dans cet essai, dans le sens de l'autorité.
 
"La violence de l'amour", Caroline Thompson, Hachette Littérature 
 
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(J'ai publié hier cet article sur le site la-librairie.org qui n'a rien de politique).

18:20 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : littérature, psy | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Ne m'en veuillez pas, cher Hervé, à propos d'un sujet grave, dont vous parlez avec gravité, de citer une fois encore Michel Audiard ; mais c'est votre "chapeau" introductif ("nous vivons une époque de synthèses") qui m'a fait irrésistiblement penser à Jane Birkin s'adressant à Jean Carmet dans "Comment réussir dans la vie quand on est c... et pleurnichard" :

"J'étais sûre que t'étais formidable... Je suis pas déçue. Tu m'a loupée comme un chef... T'as pas arrêté de dire des conneries... T'as failli mettre le feu au paddock avec ta cigarette... Tu portes un maillot de corps... Tu gardes tes chaussettes... Y'a même ta maman... Y'a tout !... T'es une synthèse..."

http://fr.youtube.com/watch?v=eiFkuODyg88


Cum grano salis

Écrit par : André-Yves Bourgès | 26/10/2007

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