18/11/2008
Bal tragique à Thionville : 577 morts.
En décidant de faire observer une minute de silence par les 577 députés de l'Assemblée nationale pour la mort du député Demange, l'UMP a transformé un fait-divers tragique en affaire politique.
Autant dire tout de suite que je n'approuve en rien les qualificatifs d'assassin, ni même de meurtrier, que j'ai vu fleurir sur la Toile. En vérité, personne n'est capable de dire si l'homme qui a tué l'a fait en ayant sa raison, ou s'il l'a fait dans un état de démence, même momentanée. D'un point de vue pénal, non seulement il est innocent (puisqu'il ne peut être ni jugé ni condamné), mais en plus, il est impossible de dire s'il aurait été coupable.
Heureusement pour les fils de sa victime, la responsabilité civile, elle, n'a pas besoin de l'"intention criminelle" pour établir une causalité et ouvrir droit à indemnisation, ça ne remplace pas une mère, mais c'est déjà ça.
Revenons un instant sur la fonction exonératrice de responsabilité pénale qu'a la démence. Le principe de droit est simple et existe depuis plus de deux mille ans, car il figurait déjà en toutes lettres dans le droit romain : pour qu'un acte devienne délictueux ou criminel, il faut que celui ou celle qui le commet ait l'intention de commettre non seulement l'acte, mais le délit ou le crime que va produire l'acte. Il y a là une condition d'intention, l'anima, qui est cardinale. S'il n'y a pas l'anima, il n'y a ni crime ni délit. Ce qui appelle deux remarques : la première, c'est que l'absence de discernement est exonératoire. L'enfant en bas âge et l'imbécile sont incapables pénalement (ils le sont d'ailleurs civilement, sauf pour certaines formes de responsabilité qu'il est un peu long d'énumérer). La deuxième remarque : la démence est tout aussi exonératoire, puisqu'elle fausse le discernement, elle est incompatible avec la formation et avec la formulation d'une intention.
C'est justement parce qu'il s'attaquait à ce fondement historique (et deux fois millénaire) du droit de la responsablité pénale, que le gouvernement a été critiqué lorsqu'il a voulu criminaliser les déments.
Et c'est donc un paradoxe de voir les mêmes qui fustigeaient cette dérive, qui aujourd'hui, jettent du meurtrier ou de l'assassin à la face du député mort Demange, même un avocat et blogueur aussi éminent et remarquable que Maître Éolas, c'est tout dire.
Cela étant, quand le même Maître Éolas s'en prend à la majorité, la même qui a voulu criminaliser les déments, au motif que, par sa minute de silence, elle honore un homme que par ailleurs elle déclarerait coupable, il a raison.
Car c'est la même majorité qui invoque à tout instant le droit des victimes, et qui, par sa minute de silence, insulte les deux victimes vivantes que sont les enfants de la morte.
Une dernière remarque, qui ne doit pas donner à penser que j'envisage une seule seconde une thèse complotiste : je trouve singulier que cette histoire arrive juste au moment où Noir Désir (Bertrand Cantat) fait son retour. Il y a de curieuses collisions de l'actualité.
En tout cas, c'est bien la minute de silence qu'il fallait fustiger, merci Quitterie.
16:04 | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : demange, ump, blogosphère, quitterie delmas | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
À défaut de pouvoir parler de meurtrier ou d'assassin, quel mot utiliserais-tu ?
Cela dit "en l'absence de discernement" comme tu dis, il resterait à expliquer comment le député est arrivé au domicile de la victime avec un flingue ...
Est-il bien raisonnable de faire tant de billets sur un fait divers aussi dramatique ? La dépression supposée, la violence conjugale, le crime passionnel, ça fait déjà beaucoup non ? Faut-il vraiment en rajouter sur le non-cumul des mandats ou les interprétations politiques ? Je trouve ça un peu indécent. La minute de silence a-t-elle bien le sens qu'on lui prête ?
Écrit par : Pierre S | 18/11/2008
Une question que l'on peut se poser : comment cet homme était-il en possession d'une arme à feu ?
Ne s'agit-il pas déjà là, sinon d'un crime, du moins d'une grave infraction à la loi ?
Écrit par : Joseph | 18/11/2008
Hervé >>> "Bal tragique à Thionville : 577 morts."
Excellent titre... ;-)
Amicalement, :-)
Hyarion, l'anarcho-monarchiste.
Écrit par : Hyarion | 18/11/2008
Est ce que ce moment de recueillement laïc en l’occurrence, qu'est la minute de silence, signifiait elle forcément à la mémoire de ou en hommage à?
Ne s’agissait- il pas pour les députés de répondre sur le moment par le silence à un drame qui laisse sans voix, un vide, un blanc pour créer une transition et passer à l’ordre du jour car la vie suit son cours ?
Chacun s'engouffre dans ce blanc, ce vide, ce silence et y va de son interprétation que son émotion, sa culture, ses croyances animent.
Écrit par : 1cognita | 18/11/2008
Si je puis oser, "BALLE tragique" eut été plus une accroche encore pertinente, cher Hervé :-)
Écrit par : bertin | 19/11/2008
Ne pas utiliser le terme "meurtrier"? Sur mon blog, je l'ai utilisé précisément parce qu'il s'agit d'un meurtre (donner la mort sans préméditation) et non d'un assassinat (id. avec préméditation). Il y a bel et bien meurtre puisque cet homme a apparemment tué une femme.
Sinon, d'accord avec toi: la minute de silence est très malvenue.
Nicolas
Écrit par : Nicolas Vinci | 21/11/2008
@ Nicolas :
Si l'assassinat est bien un meurtre prémédité, alors il me semble qu'on peut qualifier homicide d'assassinat, puisque le meurtrier est arrivé au domicile de sa victime avec une arme à feu.
Écrit par : pierre s | 21/11/2008
@ Pierre S
Mais il était peut-être dans un état de démence.
Écrit par : Hervé Torchet | 21/11/2008
Peut-être Hervé, ou peut-être pas.
Il me semble que la folie nous rassure d'une certaine façon, car c'est une explication... rationnelle. Mais statistiquement, dans les cours d'assises, les crimes passionnels et les violences conjugales qui tournent mal sont rarement jugés dans ce sens, en considérant l'irresponsabilité des auteurs qui auraient perdu la tête.
Ce n'est qu'une observation statistique car bien sûr, il est trop tard pour soumettre le député Demange à une expertise psychiatrique. On n'en saura rien. Mais il est monté chez sa victime avec une arme à feu, c'est établi.
Écrit par : pierre s | 21/11/2008
@ Pierre S
Principe général et fondamental du droit pénal : "le doute profite à l'accusé".
Écrit par : Hervé Torchet | 21/11/2008
En l'occurrence, il ne l'est pas, accusé...
Écrit par : pierre s | 21/11/2008
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