Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

17/02/2009

Guadeloupe : l'a-t-il vraiment fait ?

Dans une précédente note, je relatais les bonnes relations que j'ai eues pendant six ans avec un personnage qui partageait le même bureau que moi à la mairie du XVIe et qui était adjoint au maire du XVIe en même temps que moi, fin d'une longue carrière essentiellement administrative : le préfet Bolotte. Il est mort peu de temps après que je l'ai mentionné dans une première note.

C'était un homme d'abord charmant, politesse à l'ancienne, léger snobisme, humour pince-sans-rire, profond cynisme sans doute, et un peu de vanité il faut le dire. Il était grand et, ayant bien passé les soixante dix ans, non pas voûté, mais incliné physiquement à droite. Quand il rigolait, il lissait sa petite moustache clairsemée. Le jour où Claude Goasguen lui a remis la cravate de commandeur de la Légion d'Honneur, à la mairie, Bolotte était comme un paon : il rejoignait le grade atteint par son père dans le même ordre républicain.

C'est après la mort de Bolotte que j'ai appris la terrible accusation qui pesait sur lui : il était préfet de Guadeloupe en mai 1967, lorsqu'une répression terrible a fait entre soixante et deux cents morts dans ce département. On dit que c'est lui qui a donné blanc-seing aux CRS.

Lorsque j'ai connu ces faits qui lui étaient imputés, j'en suis resté pantois, blessé. Je savais qu'auparavant, Bolotte avait joué un rôle dans la bataille d'Alger. Je me souvenais de ce qu'il disait de la guerre d'Algérie : "la grande erreur, ça a été de laisser le droit de vie ou de mort à des sergents". Cette phrase m'avait fait frissonner, je ne voyais pas que ce fût mieux de laisser ce droit sur les prisonniers à des officiers. Mon père était officier du contingent en Algérie et il a participé pendant neuf mois à la bataille d'Alger.

Je me souvenais aussi de conversations à propos de Papon. J'évoquais l'horreur de Charonne et d'événements connexes. Il m'expliquait le dispositif policier et, sans excuser, rappelait le contexte, indiquait que Papon n'avait pas donné d'ordre mais avait choisi de fermer les yeux sur le désir de ses troupes policières de se venger. L'intention venait de la base.

Et en Guadeloupe ?

Et lui, Bolotte, qu'avait-il choisi ?

On ne peut pas imaginer personnage moins sanguinaire d'aspect, il avait l'air un peu paperassier, toujours plongé dans des masses de documentation parce qu'il était en charge des questions financières et de ce qui concernait l'urbanisme et les permis de construire pour le maire, ce sont des domanes très techniques où son expérience administrative faisait merveille. Cet homme pouvait-il avoir donné l'ordre aux CRS de tirer à balle réelle ?

On dit que l'habit ne fait pas le moine. Une de mes ancêtres un peu ballottée par la Révolution a écrit, pensive, sur un coin de feuille, en l'an VI ou VII : "minimum ne credere colori", "croire le moins possible à la couleur", en quelque sorte "se fier le moins possible à la couleur des choses".

Depuis que je sais ce dont on accuse Bolotte, je ne peux pas m'empêcher d'imaginer sa grosse rosette de commandeur de la Légion d'Honneur comme un tache de sang sur le revers de sa veste.

11:19 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : antilles, 1967, pierre bolotte | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Vous trouverez dans ce texte notre histoire, à nous peuple guadeloupéen au moment ou M. BOLOTTE était le préfet de notre île lors des affrontements du 26 &27 mai 67.

La crise qui secoue les Antilles ravive des plaies toujours pas cicatrisées. En mai 1967, 80 à 200 manifestants furent tués par la police française dans les rues de Pointe-à-Pître. Souvenirs, souvenirs.

De 80 à 200 morts dans les rues de Pointe-à-Pitre. La Guadeloupe n’a pas oublié les événements de mai 67. L’une des revendications actuelles des grévistes de Guadeloupe est de demander une commission d’enquête indépendante sur les événements des 26 et 27 mai 1967 au cours desquels, en plein pouvoir gaulliste, de 80 à 200 manifestants furent tués par la police française dans les rues de Pointe-à-Pître. « Les gens ont encore peur quarante ans après. Ils voudraient être sûr qu’ils ne risquent rien à témoigner »explique le Dr Michel Numa, 76 ans, ancien militant indépendantiste qui était en prison à Paris au moment du massacre.

Tout avait débuté deux mois plus tôt. Le 20 mars 1967, à Basse-Terre, préfecture de l’île, un riche marchand « blanc pays », lance son chien sur un artisan noir. Révolté par cet acte digne de l’apartheid, le peuple de Basse-Terre laisse libre cour à la colère accumulée depuis longtemps. Durant trois jours, les 20, 21 et 22 mars 1967, Basse-Terre est en émeute. Dans un appel au calme, le préfet déclare comprendre la colère populaire et jure que cet acte raciste sera puni. Mais contrairement aux promesses, les émeutiers seront condamnés à de fortes peines de prison. Fin du 1er acte.
« QUAND LES NÈGRES AURONT FAIM, ILS REPRENDRONT LEUR TRAVAIL »

Deux mois plus tard, à Pointe à Pitre, le 26 mai 1967, jour de commémoration de l’abolition de l’esclavage, 5000 ouvriers du bâtiment sont en grève pour une augmentation de salaire de 2%. Le délégué patronal, un certain Brizard aurait lancé aux grévistes : « Quand les nègres auront faim, ils reprendront leur travail ». Une manifestation s’organise. Face aux CRS rassemblés devant la chambre de commerce, les manifestants lancent des pierres et des bouteilles. La police tire immédiatement tuant Jacques Nestor, Militant du Groupe d’Organisation Nationale de la Guadeloupe (GONG). Selon Michel Numa, les ordres du préfet Bolotte, captés sur la fréquence de la préfecture disent aux officiers CRS : « Faites usage de toutes vos armes ».

Les deux jeunes ouvriers Taret et Tidas sont tués ainsi qu’un promeneur. La population et notamment les jeunes du lycée Baimbridge, révoltée, afflue le lendemain vers le centre de Pointe-à-Pitre. Des véhicules sont brûlés, les boutiques de la rue Frébault, principale rue commerçante de Pointe-à-pitre, sont incendiées et pillées. Plusieurs policiers sont blessés à coup de pierres et de sabre. Le bruit court qu’une armurerie a été dévalisée. Le préfet désarme les policiers noirs et fait appel à des gendarmes mobiles de Martinique et de France. Sous la direction du commissaire de police Canales et du capitaine CRS Rupin, policiers et « képis rouges » se livrent à la « chasse au nègre ». Arrêtés au hasard, des personnes sont exécutées dans les locaux de la gendarmerie de Morne Niquel. Des dizaines de personnes sont blessées, dont certaines mutilées à vie comme Solange Coudrieux. « On enjambait les cadavres dans la sous-préfecture », assure un témoin qui craint encore de donner son nom.

Le bilan de ces deux journées de répression n’est toujours pas connu car de nombreuses familles ont inhumé secrètement leurs défunts et caché leurs blessés de peur des représailles. La presse de métropole a parlé de « sept morts et certainement plus ». Le nombre exact s’approcherait vraisemblablement de 85 victimes. C’est le chiffre reconnu voici une vingtaine d’années par l’ancien ministre socialiste des DOM-TOM Georges Lemoine. Chez les Guadeloupéens on parle de 200 morts.
VERS UNE COMMISSION D’ENQUÊTE ?

Le gouvernement français profita des événements pour liquider le mouvement nationaliste Guadeloupéen incarné alors par le G.O.N.G. et l’Association générale des Étudiants Guadeloupéens (A.G.E.G). De nombreux militants furent arrêtés. Certains, pris en flagrant délit, furent condamnés à de lourdes peines de prison ferme. Vingt-cinq autres, accusés d’avoir participé aux manifestations, furent incarcérés à Basse-Terre et seront jugés en avril 68. Enfin, Vingt-cinq militants Guadeloupéens, dont Michel Numa furent enfermés à la prison de la Santé, accusés d’atteinte à l’intégrité du territoire.

Pour les Guadeloupéens, le travail de mémoire n’a pas été fait. Chaque année, les 26 et 27 mai, les militants qui se souviennent se rendent à la préfecture pour demander la création d’une commission d’enquête, pendant que les élus Guadeloupéens observent un silence remarqué. Il est vrai qu’à l’époque, ils avaient signé un texte rendant les manifestants responsables du massacre.

Il a fallu trente ans pour que l’on reconnaisse le massacre des Algériens jetés à la Seine par la police de Maurice Papon le 17 octobre 1961. Le préfet Bolotte, comme par un fait du sort, est mort le 27 mai 2008. Combien de temps faudra-t-il encore pour que justice soit rendue, même symboliquement aux victimes noires des événements de mai 67 ?

Écrit par : devouton | 05/06/2010

Les commentaires sont fermés.