18/03/2009
L'information entre Moyen Âge et Réforme.
Comme le Salon du Livre s'achève aujourd'hui, le temps des bilans commence, je vais faire quelques notes pour en tirer mes propres enseignements et organiser mon stock vidéo en quelques sujets.
Dès à présent, j'ai envie de donner mon opinion sur ce qui est à l'évidence la préoccupation centrale du monde économique et politique à propos de la circulation de l'info et de la connaissance sur Internet : le concept de "validation". Je l'ai entendu aussi bien au sujet des encyclopédies (la critique de Wikipedia) que des info en ligne (blogs et autres médias).
La "validation", c'est l'autre nom du "contrôle". Il s'agit d'une info dûment contrôlée, comme on contrôle les billets dans le train. Évidemment, parce que nous avons mauvais esprit, nous pensons que cette info "contrôlée" (dans le sens d'"évaluée") est aussi "contrôlée" (dans le sens d'"assujettie"). L'idée que les médias traditionnels sont soumis à des logiques de pouvoir qui ont plus de rapport avec la propagande qu'avec l'info est certainement à l'origine du succès qu'a connu Internet dans l'affaire du traité européen en 2005 : les gens étaient persuadés qu'on leur mentait et ont cherché sur Internet (dont personne ne se méfiait) la preuve de ce mensonge, les arguments qui le démontraient.
Si l'on doit chercher ce qui est entendu par les tenants de l'ordre actuel (qui défendent ce concept de "validation"), il faut y voir une évaluation de forme et de fond qui est supposée faire du professionnel (journaliste p ex) le garant de la fiabilité de l'info. L'incompréhension vient du fait que c'est ce statut de professionnel qui justifie la suspicion, parce qu'il contient, avec la dépendance matérielle, les compromissions subies par le journaliste sous la pression des logiques de pouvoir politiques et économiques.
Ce qui m'a frappé en écoutant les débats qui tournaient autour de ce sujet que l'on sent lancinant parce qu'il sape les fondements du système ancien, c'est qu'ils aboutissaient à un concept théologique : la "médiation".
La médiation, pour l'Église catholique, c'est le fondement même de l'Église. Le Christ assume une médiation vers la Père et l'Église assume une médiation vers le dieu trinitaire. Dans le concept catholique, on ne va vers Dieu qu'à travers la médiation de l'Église dont c'est la mission centrale. Et la Réforme, c'est l'accès direct du fidèle au divin, à travers en particulier l'accès à la bible.
Les médias, comme leur nom l'indique, sont des entités de médiation. Ils trouvent une pierre brute, en laquelle ils voient une info. Leur boulot est de ciseler cette pierre pour la proposer en produit fini au public. Cette transformation du brut en fini est leur médiation.
Mais de même que le rôle de l'Église n'était pas réellement tenable, le rôle de la médiation journalistique ne l'est pas non plus. Car la mission du journaliste n'est pas en fait de raffiner l'info : c'est que le citoyen l'ait. Dès lors que le citoyen est assez grand pour la comprendre par lui-même, le rôle médiateur du journaliste, qu'il le veuille ou non, s'efface, le besoin de raffinage est moindre. Cela ne signifie pas qu'il n'y aura plus de journalistes professionnels, mais que le champ de leur compétence se déplace, qu'il s'approfondit dans certains domaines et qu'il disparaît dans d'autres. Et on voit bien pourquoi les sites qui se bornent à débiter de la dépêche AFP (comme Orange.fr) ont un tel succès : ils fournissent l'info au plus près des faits. Si le citoyen conteste la sélection d'info, il va chercher autre chose, et c'est peut-être là, dans cette fonction d'aiguillage et d'interprétation, que, comme les blogs, les journalistes trouveront de nouveaux beaux jours en plus de ce qui devrait être le coeur de leur métier : l'enquête.
Selon la phrase de Victor Hugo que j'ai placée en exergue (et qui vaut aussi bien pour la connaissance que pour l'info), dès lors que "tous ont accès aux lumières du savoir, alors le temps est venu de la démocratie". On comprend qu'il soit difficile aux journalistes d'admettre que, désormais ,"tous ont accès aux lumières du savoir", et que si les gens ne l'ont pas, cet accès, le monopole du décryptage n'est plus dans les spécialistes, mais qu'il se trouve dans la société civile incarnée notamment par les blogs, comme cela était difficile à l'Église d'admettre que les fidèles étaient assez grands pour lire la bible eux-mêmes. Une fois que ce fait sera intégré à leur mode de raisonnement, l'articulation entre les différents moyens de gestion de la connaissance et de l'info sera plus évidente.
Pour le moment, on en est à l'étape préliminaire, entre le modèle médiéval et celui de la Renaissance, entre Moyen Âge et Réforme.
03:20 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : médias, information, blogs | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Bien d'accord, les vrais journalistes sont les reporters, pas les éditorialistes et autres chroniqueurs qui font plus de la propagande que de l'explication. Ceci dit je n'irai pas jusqu'à affirmer que les dépêches de l'AFP sont factuelles et neutres...
Écrit par : florent | 18/03/2009
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