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23/09/2010

L'État impartial

Rarement, on nous aura comme ces dernières semaines entretenus dans un climat d'hystérie collective. Tout semble bon pour nous hérisser de frissons perpétuels. Pourtant, les réalités tenaces parviennent à surnager dans ce flot de bile et de pus qui nous éclabousse du matin au soir et du crépuscule à l'aube.

Société du spectacle, gouvernance du simulacre

Depuis trois ans, nous vivons dans le discours. Depuis trois ans que nous avons élu le président de la république actuel, nous vivons constamment le même cycle : un discours au tambour, des effets de clairon, des chambardements entrecoupés de tohu-bohus, et en fin de compte, des chapelets de montagnes accouchent de kyrielles de souris malingres. Mais le discours, imperméable à la réalité qui le fuit, se prolonge et se déploie comme autrefois la langue de bois, créant une rythmique destinée à mettre en scène et à préparer des points d'orgue qui par leur effet pixellisent peu à peu le déroulant d'un spectacle impressionniste destiné à investir l'imaginaire et l'inconscient du peuple de France.

La logique impérieuse du spectacle se mêle ainsi très intimement avec la technique très subtile du simulacre, l'effet psychologique recherché étant l'inverse de ce qu'il semble être. Le simulacre est de faire croire que l'on satisfait les xénophobes en expulsant des trains entiers d'"Arabes" alors que la majorité des étrangers que l'on renvoie chez eux sont Européens, dont on sait pertinemment qu'ils reviennent assez vite en France, ce qui permet de les réexpulser. Simulacre d'acte, qui contient cependant l'instigation à la haine raciale à l'état brut, masquée. Et finalement, puisque le masque va tomber, on fait comme le voisin italien qui n'en finit plus de mettre en scène ses ratonnades, d'abord contre les Tziganes, puis contre les Africains, la xénophobie d'État servant d'incitateur à la xénophobie de milices.

Simulacre aussi la litanie des réformes, qui ne sont rien de plus que la même vilaine potion pseudo-libérale que celle que tous les gouvernements successifs nous ont servie depuis quinze ans, mais en plus poivrée. Réformes souvent retirées ou même, si j'ose dire, retraites, mais dont il reste tout de même l'amertume dans toutes les bouches. Réforme des retraites, dernière en date, où le simulacre consiste à placer le président en père courage qui agit contre les intérêts installés et pour le bien des comptes publics contre la facilité des dépensiers, ce qui, venant du pouvoir actuel, est quand même l'hôpital qui se moque de la charité.

Simulacre aussi l'implication de l'opposition dans la direction de l'État.

La part du lion, le partage des dépouilles

Au Moyen Âge, parmi les vertus chevaleresques, on plaçait la prodigalité. Que signifiait-elle ? Que le chevalier devait se montrer fastueux, qu'il devait vivre dans le mépris de l'argent, donc dans la dépense d'apparat, et qu'il devait plus prosaïquement veiller à ce que son entourage bénéficie de ses succès, au moins au prorata de ses efforts. en d'autres termes, le chevalier devait avoir le sens du partage du butin. Il se trouve que la politique française est un monde féodal, très pyramidal, où des chefs de clans drainent des clientèles nombreuses dans des offensives qui ne sont pas différentes dans l'esprit de ce qu'étaient les guerres médiévales. À la fin du combat électoral, on se partage le butin. C'est ce que les Américains ont nommé d'un nom désormais vieilli, le "spoil system", le système des dépouilles, qui supposait que le parti vainqueur plaçait des siens à de nombreux postes de direction des administrations publiques.

En France, le vieux principe de continuité de l'État, l'enracinement d'ailleurs de l'État dans le fait administratif, dans les anciens rouages de la chancellerie royale, a longtemps entravé ou estompé ce principe des dépouilles. Mais en vérité, les effets de réseau ont pesé sur les administrations publiques à toutes les époques. Sans remonter très loin, on se souvient de l'automne 1981, où certains dirigeants socialistes n'hésitaient pas à invoquer les mânes robespierristes en s'exclamant "Il ne suffit pas de dire que des têtes vont tomber, il faut dire lesquelles et quand". Les têtes en question étaient celles de chefs d'entreprises et surtout de hauts fonctionnaires des administrations d'État. Passons aussi sur les trains de nominations des temps chiraquiens, tout cela est bien connu, les dernières innovations en ce domaine ont concerné la magistrature, qui a vu une placardisation invraisemblable et honteuse de hauts magistrats sous la férule de Mme Dati, garde des sceaux qui a masqué ses manœuvres du tintamarre de sa joaillerie, simulacre très place Vendôme.

Mais si l'on peut voir dans tout cela le signe d'un discret système des dépouilles à la Française, c'est ailleurs qu'il faut chercher la réalité de ce système. Dans les affaires qui ont choqué l'opinion publique dans les années 1990 (et qui remontent aux années 1980), on a vu ce qui doit être considéré comme le vrai système des dépouilles à la Française : dans l'affaire des marchés truqués d'Île de France, par exemple, tous les partis politiques de l'époque émargeaient. Dans l'affaire Elf, tous les partis politique émargeaient. Tous oui, mais inégalement. Celui des partis qui détenait le pouvoir de décision était en effet un peu (voire beaucoup) plus égal que les autres, il se réservait la part du lion, c'est ainsi que le chef de razzia partage le butin, en se servant d'abord.

C'est ainsi, et en ce sens, qu'il faut voir l'association de l'opposition aux décisions de l'État, comme la traduction institutionnelle d'éventuels mouvements d'invisibles, la prodigalité du lion n'oubliant pas de récompenser le simulacre d'adversaire, se donnant la posture d'un simulacre d'union nationale.

Autant le dire tout de suite, la société politique dont je rêve depuis toujours est l'exact inverse de cette boursouflure de faux semblants crapoteux et malsains.

L'État au service du bien public

Il serait un peu long de détailler les différents sens de l'expression "État impartial". Disons en synthèse que c'est un État qui ne sert que le bien public, les intérêts communs, qui certes ne s'interdit pas d'arbitrer entre les intérêts particuliers, mais qui le fait non seulement dans l'équité et dans la justice, mais aussi et surtout dans la neutralité, avec le bien public pour seul autre guide, ce qui doit être une façon de nommer la république.

Franchement, au milieu des turpitudes du pouvoir actuel, cette idée est diablement rafraîchissante, comme un espoir de vivre ensemble.

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Commentaires

Pour toi, Hervé, une association d'oppositions au gouvernement aboutirait invariablement, inconditionnellement, à un partage du butin ?!

Pas sûr. Il existe réellement des politiques qui ont déjà fait leurs preuves, dont la probité est indéniable et dont la seule ambition est le bien public. Dans tous les partis. Grâce à eux, les "invisibles" -comme tu les nommes- pourraient être enfin démasqués et écartés des postes-clef.
Il faut juste avoir bien identifié au préalable les deux groupes et les pointer du doigt tous les deux : les premiers pour les amener à la lumière (et donc aux manettes de l'état) et les seconds pour remplacer leurs manettes dorées par… des menottes plombées (et si possible les mettre bien entendu à l'ombre !).
Ce n'est pas insurmontable. Il suffit de faire des primaires dans chaque parti politique en expliquant bien l’objectif. Gageons qu’à l’UMP ce n’est pas Sarko qui sera choisi. Gageons qu’au PS, ce ne sera pas forcément quelqu’un de médiatiquement connu qui sera désigné.

Samedi soir, j’ai écouté André Chassaigne invité de Ruquier. C’était je crois sa première apparition télévisée. J’ai été conquise par son discours honnête et sans détour. Mélenchon, un homme au parcours intéressant, me semble œuvrer plus pour lui-même. Chassaigne pour le bien public. Il a de plus grandes chances d’être préféré à la tête du Front de Gauche.

Écrit par : Françoise Boulanger | 04/10/2010

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