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18/01/2011

"Ne cédez jamais" (Stiglitz et Georges Frêche)

Le numéro papier de Marianne de cette semaine révèle deux trésors. Le premier est une citation de Madonna (si, si, je vous jure), p 17 : "Sarkozy a trahi le peuple". Le deuxième est une longue et passionnante interview de l'économiste qui pense autrement, Joseph Stiglitz.

Stiglitz conteste la nécessité de la rigueur et affirme que la solution de la crise, en Europe, ne peut être dans l'austérité telle qu'elle est actuellement entreprise. De fait (c'est mon commentaire), d'austérité en austérité, depuis trente ans, nous sommes allés de chute en rechute. Pour Stiglitz, des pays comme le Royaume Uni, la France et l'Italie devraient investir massivement dans l'intelligence et dans la production. De cette façon, ils pourraient surmonter progressivement la crise en plaçant leur croissance au-dessus du service de leur dette. L'Allemagne, en revanche, devrait se montrer solidaire en opérant une relance par la consommation qui profiterait aux économies de ses voisins et partenaires européens.

La première phase du processus décrit par Stiglitz est exactement ce que préconisait Barre : la relance par l'offre. La deuxième (la relance par la conso allemande) est le point faible de son argumentation : les Allemands ont été bien contents de s'appuyer sur la solidarité européenne quand il s'est agi de financer l'énorme coût de leur réunification, mais ils sont très réticents à exercer eux-mêmes cette solidarité comme on l'a vu dans l'affaire grecque.

Cet article doit être lu et relu pour comprendre en quoi l'économie, aujourd'hui, est bien plus politique qu'elle ne l'a été depuis longtemps, et pourquoi les solutions ne sont pas seulement nationales. De fait, la vraie solution, pour renflouer les États, ce serait, comme je l'expliquais voici quelques mois, une taxation sur les mouvements financiers internationaux, limitée à 5% ou 10% pendant trois ans. Cette simple taxe suffirait à ramener l'endettement des États  très en deçà du seuil de remboursement.

Après avoir lu ce numéro de Marianne, j'ai profité de mon passage par Paris pour aller voir le film sur Georges Frêche.

Beaucoup de mes lecteurs vont me trouver masochiste d'être allé me farcir ce condensé de beauferie, mais il se trouve que, comme je l'ai expliqué fin 2009, Frêche était un ami de mon père dans les années 1970, et qu'il me fallait comprendre comment il était devenu ce personnage très sulfureux décrit par notre ami le Faucon.

Visiblement, le film est une opération de com organisée par le publicitaire de Frêche, destinée à ancrer l'idée que Frêche était un homme de gauche, un vrai. Maoïste dans sa jeunesse, engagé contre la uerre d'Algérie, puis tourné vers le social autant que vers le développement économique.

Je pense que le maire du Grau du Roi, Bastide, fut celui par qui mon père connut Frêche au plus tard en 1973. À cette époque, mon père, avec la gauche locale, se battait contre les projets de bétonnage de la côte camarguaise dans la foulée de la Grande-Motte (ces projets sont devenus Port-Camargue après que la droite eut pris le Grau du Roi en 1977). Nous avons passé des vacances très politiques, l'été 1973 à Aigues-Mortes. Dans le film, on entend Frêche se définir comme un écologiste léniniste.

C'est surtout, le long métier politique aidant, un caméléon : quand il reçoit Elkabbach pour une émission de radio dans son bureau de président de la région, à Montpellier, il explique, l'air de rien, que parmi les "grands hommes" de sa future et polémique "place du XXe siècle", il y aura une femme : Golda Meir. de fait, Elkabbach se montre aussitôt chaleureux. Sans doute est-ce son engagement pro-israélien qui a rendu Frêche particulièrement odieux aux Verts qui ont depuis longtemps assumé le fait que leur couleur emblématique soit aussi celle de l'islam militant.

Frêche raconte que, dans sa jeunesse, il a milité contre la guerre d'Algérie, mais comme il y a 25000 pieds-noirs à Montpellier, première ville de rapatriés de France selon Wikipedia, il a créé, à la mode stal, une Maison des Rapatriés, visiblement vaste, et voici notre Frêche entonnant devant plusieurs milliers de pieds-noirs "C'est nous les Africains" après leur avoir expliqué, pour les brosser dans le sens du poil :

- C'est vrai, c'est vous qui avez apporté les instituteurs, c'est vous qui avez apporté les médecins, les hôpitaux.

Où ? En Algérie, bien sûr. Dans leur paradis perdu. Un discours (pas totalement faux d'ailleurs) dont les pieds-noirs raffolent. Moisson de voix.

On voit ensuite une succession de mises en scène assez curieuse. La séquence la plus étrange est celle où Frêche, avec le lent appétit d'un ruminant, mâchonne puis avale des post-it en consultant son courrier et les notes qui l'accompagnent.

Il y a enfin les polémiques. J'ai dit ce que je pensais de l'affaire des harkis et je ne change pas mon opinion sur ce point. Mais voir étalée celle des "noirs" de l'équipe de France est autre chose. En fait, ce que Frêche dit est bien moins inacceptable encore que les arguments par lesquels il se défend. Disons qu'il est tout simplement mauvais, parce qu'il ne se rend pas compte de ce que suggère ce qu'il énonce.

La phrase est connue : "Il y a beaucoup trop de noirs dans l'équipe de France". Je crois qu'en fait, la leçon qu'il veut donner est celle de la pugnacité : si vous êtes un jeune footballeur "blanc", vous avez intérêt à vous bouger le cul autant que les "noirs". Au passage pas de racisme chez Frêche. Le Pen est raciste, il croit dans l'inégalité des races. Frêche ne croit pas dans l'inégalité des races : pour lui, si les "noirs" réussissent mieux, ce n'est pas parce qu'ils sont intrinsèquement et collectivement (donc génétiquement) meilleurs, mais parce qu'ils ont la gnaque, ils ont faim de réussir, ils en veulent plus, ils bougent plus.

Ce message de volontarisme serait utile, après tout, s'il n'était pas irrémédiablement gâché par l'argument à peine implicite que les Français sont les "blancs" et les autres des "Français devenus" si l'on ose dire, ou des faux Français, ou on ne sait pas bien quoi. Il y a une forme de bouillie intellectuelle dans ce que dit là Frêche qui n'aboutit qu'à une réflexion communautariste. Inacceptable.

L'une des façons dont il synthétise sa pensée est que "les Français (sous-entendu les "Blancs") ne veulent plus rien foutre". L'idée est de parler comme les gens, de porter leur parole. Mais ici, je pense que Frêche avait tort. Il y a des sujets sur lesquels les politiques, c'est vrai, doivent recoller avec la façon dont les gens s'expriment, mais dans les matières "raciales" ou "communautaires", adopter le ton du plus petit commun dénominateur, c'est forcément encourager le communautarisme, banaliser les arguments haineux et, finalement, faire le lit de Le Pen comme on l'a vu l'été dernier avec le discours du président de la république sur les Tziganes.

Donc alors qu'il voulait dire aux jeunes du centre de formation de son ami Nicollin "Il faut se battre comme des chiens" (sous-entendu "pour réussir") comme il le dit à ses colistiers, il ne fait qu'attiser des préjugés communautaristes et frileux.

Si bien que, de tout ce film, de ce long moment passé à examiner sa façon de fonctionner, on ne retient que l'une de ses toutes dernières phrases, une réponse à un journaliste qui l'interroge :

- J'ai lu Machiavel et Sun-Tzu, vous savez.

- Et ?... fait le journaliste.

- Et... NE CÉDEZ JAMAIS !

C'est ce qu'on peut retenir de positif : un personnage qui ne cède jamais, qui ne s'incline pas, ni contre plus fort, ni devant ses conseillers. C'est lui qui mène la belote. Une forte tête.

Stratégiquement, il procède d'une façon très simple : il bétonne ses positions (en l'occurrence les fédérations socialistes de la région qu'il préside) dont il s'assure un contrôle absolu, et il attend qu'on l'attaque. Oh, il n'attaque jamais le premier. Peut-être agite-t-il sournoisement un petit chiffon rouge pour attirer l'œil de ses adversaires, mais il ne prend jamais l'initiative de la guerre. Solidement protégé par sa ligne Maginot, il attend qu'on l'attaque et, dès qu'on l'attaque, il bombarde sans sortir de la protection imperméable des positions bétonnées à l'avance. Une stratégie extrêmement simple et efficace. Résultat : 55% en triangulaire au second tour, une victoire impériale. En chemin, une règle simple : "Ne cédez jamais".

Et le plys effrayant dans tout cela est qu'on n'a jamais évoqué, durant la campagne, ce qu'il avait fait ou non pour sa région, la qualité de sa politique, ses choix initiaux, ses succès et ses échecs. Tout cela a été balayé par la transformation du scrutin en référendum pro- ou anti-Frêche. On n'a pas évoqué non plus les raisons qui ont fait que le Faucon est plus que sévère à son encontre, le système Frêche et ses soutiens.

Finalement, tout s'est cristallisé sur les "grands hommes du XXe siècle", l'anecdote et la marotte.

Donc un week-end contrasté, de la sagesse de Stiglitz à la gargantuesque folie de Frêche. Une journée à Paris, quoi.

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Commentaires

Très franchement, Mr Torchet,
Je me souviens, de vos interventions trèèès énervées Jean Bouin, puis très rassurantes
Je me souviens aussi des serres d'Auteuil
Me prendriez-vous, pour une clown à vot' service ?
Suis et ai toujours été très lucide.
Bon courage

Écrit par : Martine | 18/01/2011

Salut Hervé
Intéressant ton histoire : tu es décidément une vraie mine. J'ai tweeté ton article pour l'édification des masses twittonautes...
Je trouve que tu devrais installer un compteur en temps réel sur ton blogue, ce serait pas mal de jeter un oeil sur les arrivées sur ton blogue.
Ton blogue est de qualité : avec une stratégie adaptée, tu pourrais faire connaître davantage tes idées et tes analyses.

Écrit par : l'hérétique | 18/01/2011

@l'Hérétique

Mon blog n'est plus guère visité, ni d'ailleurs alimenté. Le doter d'un compteur en temps réel ne me paraît pas urgent, d'autant moins d'ailleurs que je n'ai pas de frustration sur la fréquentation. Vient qui veut. Quand je produisais trois notes par jour, pour faire du monde, j'ai eu entre 200 et 300 visiteurs par jour. Mais je préfère consacrer mon temps à mes travaux historiques et bloguer quand j'ai vraiment qq chose à dire. Si les gens s'y intéressent, tant mieux, je dois être seulement autour de 100 v.u. quand je donne une note, moins d'une fois par semaine. Voilà pour les stat, qui ne m'obsèdent pas.

Écrit par : Hervé Torchet | 19/01/2011

Georges Frêche est mort juste avant d'avoir réalisé son dernier rêve ou accompli sa dernière hallucination : transformer la cité balnéaire de Carnon en Montpellier plage ... On l'aime ou on l'aime pas mais pour qui connait la ville, faut f=voir comment il l'a transformé.

Écrit par : Orange Sanguine | 19/01/2011

Georges Frêche nous a quitté et on parle toujours de lui, l'homme a laissé une trace profonde chez les Français

Écrit par : Belote | 23/01/2011

J'ai l'impression (c'est juste une impression) que Joseph Stiglitz confond la situation économique de l'Europe avec celle des Etats-Unis, retardés par des années ou décennies de sous-investissement dans les infrastructures.

En Europe, je vois mal quels magnifiques cercles vertueux de croissance n'attendent, pour démarrer, que quelques milliers de milliards de dépense publique supplémentaire. Je suis peut-être bigleux ?...

Écrit par : FrédéricLN | 17/02/2011

@ FLN

Stiglitz décrit une synergie entre l'investissement des uns et la relance des autres. Son analyse, fondée sur la solidarité, me semble au contraire très au fait des réalités européennes.

Écrit par : Hervé Torchet | 17/02/2011

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