09/06/2011
Gagner la bataille des lettres
Depuis quelques années, depuis l'apparition des générations internet successives, je pense beaucoup à ces jeunes qui témoignent d'une culture personnelle et collective très gourmande, très active, et qui, cependant, ne trouvent pas toujours assez les bons outils pour faire de cette culture l'instrument de liberté qu'elle a pour vocation d'être.
L'apparition d'internet, puis du livre numérique, puis du multimédia, combiné avec la culture des jeux vidéo, le tourbillon des images, des mots, des sons, tout cela est fascinant, et j'ai lu voici quelques jours une interview de l'anthropologue Yves Coppens relatant une expérience qu'il avait faite avec l'un de ses petits-fils, sous forme de zones du cerveau qui s'illuminent sous les scanners selon leur perception des info. Coppens voyait sous ses yeux que les zones du cerveau qui réagissaient aux mêms stimulations n'étaient pas les mêmes chez lui que chez son petit-fils, et que la rapidité de traitement des info devenait fulgurance chez le plus jeune, très au-delà de la différence ordinaire qui sépare deux générations, un cerveau âgé d'un cerveau de jeune ado.
Cette accélération ne peut pas ne pas avoir de conséquence sur notre façon d'écrire la littérature. Au cinéma, l'évolution se mesure à l'envergure des ellipses. C'est-à-dire que, voici cinquante ans, le spectateur ne comprenait pas si on ne voyait pas un personnage descendre de sa voiture, ouvrir sa porte et entrer chez lui. Progressivement, la rapidité de compréhension a permis d'ôter des phases : la sortie de la voiture se résume à l'ouverture de la portière, l'entrée chez soi à une porte qui claque en une fraction de seconde. Avec les nouvelles générations, on le voit très bien dans les dessins animés 3D, il faut aller à toute berzingue.
Certains passages de Flaubert sont devenus difficilement lisibles, parce que trop lents. À l'inverse, Stendhal, qui allait un peu vite pour son époque, devient plus moderne, ou résiste bien. Victor Hugo, lui, combine la lenteur du phrasé et la fulgurance du sens, ce qui lui permet de résister d'une autre manière.
J'évoque Stendhal et Victor Hugo parce que la génération de 1830, dont Hugo a été le porte-drapeau et à laquelle Stendhal s'est aggloméré via Mérimée, est la dernière à avoir dû gagner la grande bataille des lettres, la bataille pour dire la vérité. Cette bataille, ceux qui aiment la littérature la connaissent (un peu trop parfois), c'est la bataille d'Hernani, une bataille de forme sans doute mais, comme disait paraît-il Hugo, la forme, c'est le fond qui affleure.
La littérature, avant Hugo (il y a dans les Contemplations trois très beaux poèmes sur ce sujet), c'était un académisme au service d'une insignifiance. En libérant la poésie, la littérature, du carcan de la forme, la génération de 1830 a rouvert le droit de dire la vérité, qui était enfermé dans les oubliettes et l'enfer de la littérature depuis un temps déjà assez long.
Aujourd'hui, ce combat est de nouveau à gagner. La littérature, les lettres, sont enfermées dans des académismes et dans des préjugés. Quand on songe que le plus prestigieux éditeur parisien, dont le comité de lecture fut longtemps le pré-carré des auteurs, est aujourd'hui progressivement colonisé par les financiers, on a tout compris, on sait tout ce qui se passe, et l'assujettissment des lettres à l'argent, quand il faudrait qu'elles soient consacrées à ce qu'Hugo nommait la pensée.
J'ai écrit dans un précédent article à quel point comptait le travail des écrivains, des philosophes, des historiens, pour révéler ce qui est caché ou oublié dans nos conscience et insconscient collectifs, à quel point ce travail de révélation produisait de la liberté. Le carcan dont souffrent nos lettres nous est donc, j'en suis convaincu, préjudiciable et est l'une des principales explications du malaise de notre Société.
Parmi les instruments nouveaux qu'internet apporte, la livre numérique est celui qui, sans doute, permettra de déverrouiller les carcans avec le plus d'efficacité. J'ai donc décidé de prendre ma plume, heu, non pas du tout, de prendre le clavier de mon Macbook, pour produire un petit roman léger, vif, rapide, rieur, qui puisse contribuer à l'économie du livre numérique, d'une part et, peut-être, à la recherche des moyens nouveaux de la vérité.
Je donnerai donc ici même dans peu de jours les premières pages de ce court texte, et si ce roman très dialogué, très lapîdaire, très moqueur, peut contribuer à des révélations, il ne sera pas tout à fait inutile, ce qui comblera son très modeste auteur.
On y parlera de smartphones, d'internet, de banquiers, de transparence, de vie privée, de "pipoles", et puis d'hommes et de femmes qui s'aiment ou ne s'aiment pas, c'est la vie.
Il restera ensuite à voir comment mettre au mieux ce texte à la disposition de ceux qui voudront le lire. Je souhaite une formule entièrement numérique, et un prix qui soit de 2 ou 3 Euros, pas plus, de façon à ce que ceux qui passeront une heure ou deux dessus n'en soient pas complexés. Bien entendu, la formule sera sans DRM ni fioritures antédiluviennes de cette espèce.
Je signale au passage que, même si nous sommes tous conscients du progrès constitué par le livre numérique, l'un des porte-drapeaux de la culture de l'internet libre, Richard Stallman, vient d'alerter l'opinion sur certains risques dont nous prémunirait le maintien du support papier. Je crois personnellement depuis le début à la coexistence des deux supports, me voici conforté par le pape ou presque.
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Commentaires
J'aime beaucoup ce billet et partage l'essentiel de ton point de vue. Ca me fait plaisir :)
Écrit par : KaG | 09/06/2011
Pdlol! Dslée Hervé pas changé d'avis, zéro soutien à attendre de ma part pour les "combats" internes, pour tout avouer je crois que je vais m'abstenir, un scoop pour moi! Car, les personnes que j'aime sur les listes multiples sont trèèès mal placées et aucun gout pour les coucous avertis.
Bonne nuit
Écrit par : Martine | 09/06/2011
Internet met en valeur les informations et non les textes, ce qui est différent: on s'intéresse au sens, mais assez peu à la forme. Comme tu le dis, les textes littéraires, Flaubert par exemple, paraissent interminables. Mais il n'y a pas qu'Internet qui est en cause: aujourd'hui le roman n'est que l'antichambre du cinéma. Les romans sont souvent écrits pour être transposés au cinéma.
Écrit par : Eric | 09/06/2011
You 'ld all, better forget the way it used to be.
Écrit par : Martine | 09/06/2011
@ Eric
Oui d'une manière générale, l'option marketing l'emporte, et c'est aussi l'une des causes de la perte de la substance particulière par laquelle la littérature libère.
Écrit par : Hervé Torchet | 10/06/2011
"L'option marketing l'emporte" à voir...
Écrit par : Martine | 11/06/2011
Les commentaires sont fermés.