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07/07/2011

BNF : le fâcheux retour de Google

En apparence, le présent article est contradictoire avec le précédent, où je déplorais les retards français en matière de livre numérique. (Je signale au passage que, pour être complet sur ce dernier sujet, j'aurais dû souligner que le Québec est en avance sur la francophonie européenne). Contradictoire, puisque le protocole annoncé par la Bibliothèque nationale de France (BNF) hier 6 juillet se donne pour objectif avoué d'accélérer la numérisation de ses collections, qu'elle met gratuitement à la disposition du public en ligne sur le site Gallica. Or en fait, ces deux articles sont complémentaires. Voyons pourquoi.

Il est manifeste que le livre numérique est en retard en France, que son développement est bridé par des acteurs trop frileux, et que ce retard finira par être préjudiciable aussi bien à nos lettres qu'aux structures économiques qui les véhiculent, si nous ne réagissons pas. Non seulement les livres numériques de première diffusion sont en retard, mais la numérisation des épuisés l'est aussi. Et c'est d'ailleurs à cause de l'inertie des acteurs économiques concernés que l'initiative de Google, parce qu'elle bouscule les pots de fleurs, est a priori sympathique à ceux qui veulent voir le plus grand nombre possible d'ouvrages à la disposition du plus grand public possible au moindre coût possible. Remettre en circulation les ouvrages délaissés par les éditeurs, c'est une bonne idée. Il y a même des dispositions en cours d'élaboration à l'échelle européenne pour la valorisation de ce qu'on nomme les "œuvres orphelines". Mais pas n'importe comment. Et c'est là que le bât blesse.

Google veut-il remplacer (ou absorber) l'internet entier ?

Il y a d'abord la stratégie de Google. Cette entreprise est née sur une idée géniale et s'est développée sur une image philanthropique, mais l'appui politique dont elle dispose aux États-Unis et sa valorisation financière et boursière l'ont transformée (ou révélée ?) pour ce qu'elle est : une formidable machine à broyer les institutions culturelles et à édifier un monopole redoutable. Google, moteur de recherche hégémonique, s'appuie sur Google Chrome, navigateur en expansion constante, à vocation hégémonique. Et voici que, malgré l'échec de Google Waves, Google se lance dans un réseau social à vocation hégémonique, Google+, dont la première ambition est d'écrabouiller un autre réseau socual hégémonique, Facebook.

L'arrivée de Google sur le marché des réseaux sociaux devrait passer pour une bonne nouvelle, tant la position de Facebook y est dominante, sans vraie concurrence. Je suis inscrit pour ma part sur Linkedin et sur Viadéo, mais je n'y vais presque jamais, mon temps n'est pas extensible, et je suis beaucoup sur Twitter, dont le contrat avec Google vient de s'éteindre. Donc face à Facebook, Google serait une bonne idée. Sauf que ...

Imaginez, avec tout ce que vous faites sur internet, avoir la même entreprise mondiale qui contrôle : vos recherches de navigation, votre navigation proprement dite, et tout votre réseau de relations personnelles, commerciales, sexuelles ... Cela, ce n'est plus de la transparence, ou plutôt c'est la transparence où vous êtes entièrement sous contrôle d'une institution qui, elle, ne vous doit rien, n'a aucune transparence envers vous, une institution qui peut tout sur vous alors que vous ne pouvez rien sur elle. Cela, ce sont les soviets, c'est 1984, c'est l'enfer sur terre. Déjà, vous en subissez bien plus que vous ne le devriez.

C'est pourquoi, lorsque l'hypothèse Google est venue une première fois sur le tapis, j'ai annoncé que, personnellement, je ferais la grève du dépôt légal si on cédait la numérisation des collections de la BNF à un tiers privé quel qu'il soit.

Car (et c'est l'argument décisif à mon avis) le cadre contractuel dans lequel l'opération s'inscrit a pour effet de marchandiser ce qui ne devrait pas l'être : nous ne devons pas consentir à la marchandisation du savoir. Le dépôt légal, depuis bientôt cinq cents ans, a pour but la conservation et la transmission des œuvres de l'esprit. Il est un instrument de la propagation de la pensée, du progrès de l'espèce humaine par le développement de la pensée. Le but du dépôt légal est la conservation des œuvres de la pensée et leur communication au plus grand nombre de ceux à qui elles peuvent être utiles. Ce plus grand nombre se résumait à quelques poignées voici cinq cents ans, ce sont des dizaines de millions d'internautes francophones (entre autres) aujourd'hui, et bien plus demain.

En contraignant les éditeurs à déposer leurs œuvres, on édifie depuis un demi-millénaire un monument collaboratif de la pensée. Cette contrainte a une unique contrepartie : l'intérêt général, non seulement celui de la France, mais celui de toute l'espèce humaine. En autorisant la BNF à concéder une "exploitation" (le mot est dans le projet) forcément commerciale de cette œuvre de quinze ou vingt générations d'auteurs, de philosophes, de scientifiques, d'historiens, on la transforme, on la dénature. On fait de la BNF la propriétaire de cette œuvre, ce qu'elle n'est pas, car elle n'en est que la dépositaire, la gardienne.

Oh je sais bien qu'on va couiner que la pression sur l'Euro est forte, qu'il faut faire des économies budgétaires, mais je répondrai, avec calme : "quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage".

Le faux argument budgétaire

Je pourrais commencer par un argument polémique, puisque le chiffre annoncé pour toute la numérisation de la BNF, 150 millions, n'est que la moitié de ce qui a été donné, par le fait du prince, au seul Bernard Tapie. Mais laissons de ce côté cet effet facile.

Car il est évident qu'on nous ment, dans cette affaire. La BNF indique que sa priorité est le développement de la ressource "Europeana". Pourquoi pas ? Ou plutôt non : pourquoi ? On ne comprend pas bien. Actuellement, Europeana est un réseau de bibliothèques en ligne (dont Gallica), dont le contenu est essentiellement dû aux numérisations de Gallica. Dans ces conditions, le développement d'Europeana est surtout celui de Gallica et tout va bien. Mais pas du tout : un grand nombre de partenaires de la BNF dans Europeana a choisi de se vendre à Google comme l'explique très bien ce papier modéré de S.I.Lex, conservateur à la BNF. De ce fait, le développement d'Europeana est celui ... de Google.

Le modèle auquel il faudrait souscrire est celui d'un réseau de bibliothèques des États-Unis qui ont créé un hangar virtuel commun pour y entasser les numérisations effectuées par Google pour leur compte. Europeana deviendrait ce hangar virtuel. Ah bon, mais combien coûterait ce hangar virtuel ? et (question judicieuse de S.I.Lex) qui paierait ?

Ne serait-on pas en train de détourner une dotation dont la vocation devrait être de permettre à Gallica de numériser elle-même ses collections ? Dans quel but ? Financer sur fonds publics la conservation de numérisations réalisées par Google ? Mais alors, l'économie budgétaire réalisée en ne numérisant pas nous-mêmes nos collections fondrait comme neige au soleil, tout absorbée dans la conservation des numérisations d'autrui. Qui plus est, les collections de numérisations seraient à l'entière discrétion de Google. Rappelons-nous le jour où Amazon, ayant eu maille à partir avec un auteur, a effacé une œuvre sur la tablette même du client. Et si, après-demain, pour on ne sait quel différend commercial (puisqu'il faut parler ainsi), Google décide, d'un clic, d'effacer tous les contenus des beaux hangars virtuels ? Nous serons comme Perrette devant son pot au lait : nous avions nos 150 millions, nous avions nos collections à numériser. Mais maintenant, nous n'avons plus les 150 millions, et non seulement nous avons toujours nos collections à numériser, mais d'autres, eux, les ont déjà numérisées et s'en servent. Alors nous serons, comme un autre pauvre personnage de La Fontaine, Gros-Jean comme devant.

Cela ne doit pas être. Nous ne devons pas l'accepter : ni la marchandisation des collections de la BNF, ni le détournement de fonds publics au bénéfice de Google. La seule bonne solution, c'est que la BNF fasse elle-même ses numérisations, le plus vite possible, et qu'elle donne ensuite la plus large diffusion gratuite aux œuvres numérisées. Et si l'on doit parler d'usage commercial, le seul que je puisse imaginer, c'est que la BNF joue auprès des éditeurs la Mouche du Coche pour la numérisation et la mise à la disposition du public dans les conditions et règles courantes des œuvres orphelines ou abandonnées. Cela, ce serait juste.

Pour le reste, n'oublions pas que, s'il peut arriver que des œuvres d'art soient des marchandises, le savoir n'est pas une marchandise. La pensée n'est pas une marchandise.

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Commentaires

Tu as bien fait de dire que la BNF n'est que la dépositaire et non la propriétaire des oeuvres qu'elle détient.

En ce qui concerne le "pouvoir" ou la "surveillance" de Google, dont le seul but ne semble être que le profit (au contraire de Wikipédia dont tu n'as pas parlé, cela m'a étonnée !), je l'ai subi encore tout dernièrement. Il y a 4 mois, en voulant chercher quelques précisions sur une maladie bien spéciale pour un ami, on m'a proposé un médicament spécifique. Alors que je n'avais fait aucune recherche de traitement. Encore maintenant j'ai pratiquement toujours ce même médicament qui apparait lors de toutes mes recherches. Pour une seule requête... c'est très énervant !

Ta conclusion est tout simplement magnifique et résume notre condition humaine ! Aucune personne ne peut appartenir à une autre personne, car sa pensée pourra toujours aller là où elle le veut.
Et cependant nous "vendons" nos créations issues de la pensée elle-même. Paradoxal.

Écrit par : Françoise Boulanger | 08/07/2011

Tiens j'ai une question pour les littéraires qui est hors sujet mais que je me suis posée plusieurs fois : Comment s'appellent les noms qui ne changent pas d'orthographe qu'ils soient masculins ou féminins ? Comme "enfant", "dépositaire" ou "propriétaire" par exemple. Oui, ça me revient parce que je viens de les employer.

Et la seconde question est donc le corollaire : existe-t-il une liste complète de ces noms ?

J'ai toujours trouvé dommage de ne pas avoir un terme pour dire à la fois "homme" et "femme". Nous avons "un ou une enfant" et "un ou une adulte". Mais juste "un humain", "un" bébé, "une" personne, "un" individu, des gens intelligents et donc masculins qui deviennent hélas féminins si elles sont de sottes gens (épithète placé avant)...

Voilà, c'était la question du soir. ;-)

Écrit par : Françoise Boulanger | 08/07/2011

Il me semble que Facebook a une vraie propriété, une vraie valeur marchande par le biais de son annuaire, recensant combien de millions de personnes aujourd'hui inscrites dans le monde? Bien sûr, si du jour au lendemain tout le monde mettait fin à son profil Facebook, il n'en resterait plus rien. Ou alors il ne resterait que des éléments dont l'exploitation serait totalement illégale (même si aujourd'hui des fois, on peut se demander si...).

Puisque tu parles de Google, hors extensions, il ne s'agit que d'un moteur de recherche. Un moteur de recherche qui vaut des milliards. Et en cela on est en plein coeur d'une entreprise purement virtuelle: je ne connais pas le bilan financier de Google, je ne m'y suis jamais intéressé mais j'aimerais le voir. J'aimerais voir le chiffre en bas, celui qui comptablement décrète d'une valeur de base d'une entreprise... Parce que je ne vois pas comment on pourrait arriver à ces milliards alors qu'il n'y a aucun contenu concret.

Ce n'est pas étonnant qu'une entreprise comme Google veuille s'approprier du contenu, parce que dans son bilan il ne doit pas y avoir grand chose. Ces entreprises du net qui vivent du buzz et de la publicité sont excessivement fragiles et profitent seulement d'une "bulle" qui fait d'elles leur vraie valeur, jusqu'à ce que la bulle éclate.

Et si la bulle vient à éclater, tout serait fini... Il suffit que du jour au lendemain un moteur de recherche plus performant vienne supplanter Google, et Google ne vaudra quasiment plus rien.

Je crois que ce sont ces préoccupations qui font que Google veut aujourd'hui se diversifier et assoir sa valeur sur des choses qui "existent" plutôt que sur du virtuel.

Maintenant, que Google veuille "piller" la BNF, qui comme tu le rappelles n'est pas propriétaire des droits d'auteurs, est une facilité disons guère étonnante, mais pour le moins suspecte...

D'autant plus qu'un livre, ça se lit sur papier et pas sur un écran. C'est peut-être ma vision rétrograde des choses, mais je crois ne pas être le seul à tenir à cet axiome.

Écrit par : JF le démocrate | 08/07/2011

@ Françoise

Je peux très facilement répondre à ta question, en toute amitié: dans notre grammaire, le masculin l'emporte toujours sur le féminin. C'est pourquoi on dit "un bébé" et non pas "une bébé".

C'est juste la conséquence d'une espèce de loi naturelle qui veut que... Bon allez je m'arrête là! :)))

Bien amicalement.

Écrit par : JF le démocrate | 08/07/2011

Google le plus grand moteur de recherche dans le monde de l'internet et de la nouvelle technologie. Mais on constate des fois que Google exagère, même dans la modération de contenu. Il faut tout de même montrer plus de flexibilité concernant les sites qui n'ont pas de bon contenu. Affaire à suivre !

Écrit par : expressmut | 03/10/2011

ah les jolies et les de-illusion de ce tres cher google

Écrit par : hotel tour eiffel | 26/04/2013

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