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18/09/2011

Centre : la voix des rêves oubliés

Un peu de nostalgie, cette année, pour l'Université de Rentrée du Mouvement Démocrate. Et quelques symboles. Elle a lieu dans la presqu'île de Giens, mais je suis hébergé à plusieurs kilomètres de là, dans l'ancien VVF du Pradet où nous avons organisé l'Université d'Été des JDS en 1994. Et, déjà baigné de cette ambiance rétro, j'y ai vu hier Pierre Méhaignerie, absent de la famille centriste depuis dix ans, et aujourd'hui Bernard Bosson et Jean Arthuis, éloignés depuis moins longtemps, et d'anciens amis JDS que je n'avais parfois pas revus depuis quinze ans au moins, comme un retour aux sources collectifs, à sept mois de la présidentielle.

En 1994, Pierre Méhaignerie était encore nominalement président du CDS, Bernard Bosson secrétaire général et candidat à la présidence. Cette Université d'Été fut aussi très particulière pour moi. Je venais de diriger l'équipe qui répondait au courrier de la campagne européenne de l'union UDF-RPR conduite par Dominique Baudis et Hélène Carrère d'Encausse, je restais dans cette atmosphère politique qui m'avait pris mes journées et quelques soirées pendant un mois entier en mai et juin. Début juillet, je vins au siège du CDS, qui est aujourd'hui celui du MoDem, rue de l'Université. L'endroit était désert. Le bureau des JDS, au rez-de-chaussée, était vide en particulier. La secrétaire, Chantal, qui avait été ma secrétaire quand j'avais été délégué national des jeunes, prenait ses vacances en juillet avec une régularité métronomique.

Or je savais que pour le succès de l'Université d'Été, placée traditionnellement fin août, il fallait un courrier postal aux militants début juillet, un autre fin juillet, et enfin un à la mi-août. Sans secrétaire, c'étaient en général les militants qui prenaient cette tâche en charge. Mais de militants, il n'y avait aucun. L'équipe sortante des JDS, conduite par le Toulousain Jean-Luc Moudenc, ne se souciait pas d'organiser une Université d'Été où devait être élue la nouvelle équipe, et l'équipe entrante ne pouvait prendre quoi que ce fût en charge, vu qu'elle n'avait pas encore la main (il me semble qu'il y avait deux listes en concurrence).

J'eus une sorte de réflexe, un mouvement comulsif, je ne pouvais pas supporter cette Université d'Été dont la date et le lieu avaient été annoncés, mais qu'on laissait en friche. Je pris les choses en mains. J'avais déjà organisé deux Université d'Été de bout en bout, en particulier la plus vaste que nous avons eue, à Hourtin en Gironde en 1987. Apparemment, les mots me revinrent sans peine. Ils restaient gravés dans ma tête, j'écrivis en quelques minutes la lettre adressée aux militants, je ne me rappelle plus comment je la signai, sous quel nom, ou si je laissai la signature en blanc, puis je la photocopiai (il me semble qu'il fallait faire une vingtaine de milliers d'exemplaires). Ensuite, il fallait l'expédier. C'est ainsi que, en juillet et août 1994, je parcourus les quelques centaines de mètres qui séparent le siège alors du CDS de l'Assemblée Nationale, chargé de milliers et de milliers de lettres prêtes à l'envoi, que Jean-Christophe Lagarde, alors assistant parlementaire, se chargeait d'expédier aux militants en les faisant passer sous les divers tampons des députés centristes.

Il faisait une chaleur écrasante, je conserve le souvenir intact de ce moment surréaliste où je ne me suis pas demandé qui était le président de quoi, ni si j'avais un quelconque droit ou devoir, mais où j'ai fait sans rien demander à personne ce qui me semblait juste.

Et nous y revoici, dix-sept ans plus tard. Cette Université d'Été du Pradet, en 1994, a été la dernière d'un cycle, la dernière avant que François Bayrou ne devienne à la fois le président du mouvement centriste et son présidentiable, ce qu'il a été sans conteste depuis cette époque. Et dix-sept ans plus tard, c'est là que j'habite pour me rendre, chaque matin, à la dernière Université de Rentrée que François Bayrou préside comme président et présidentiable du mouvement centriste. Dans un an, quoi qu'il arrive, qu'il gagne ou qu'il ne gagne pas, la roue aura commencé de tourner. Je n'y serai d'ailleurs probablement pas, le cycle se refermera pour moi.

C'est la dernière

Que se passera-t-il ? Nul ne peut le dire. On voit ici les spéculations sur l'avenir qui passent par des chemins très divers. On aime bien, apparemment, le "barrisme de gauche" de François Hollande, on note quelques phrases intelligentes de Jean-François Copé ou de Valérie Pécresse, Jean Peyrelevade se plaint de ne plus pouvoir trouver des parasols fabriqués en France et annonce qu'il votera Valls aux primaires du PS, Méhaignerie couve en mère câline les retrouvailles prochaines du mouvement centriste orchestrées par Jean Arthuis, très en verve, par Bernard Bosson qui rappelle qu'il a été un des tout premiers JDS de la première Université d'Été avec Bayrou, à Port-Cros, en 1976, et par François Bayrou. On compte les voix des sénateurs renouvelables la semaine prochaine, Jean-Jacques Jégou, sénateur renouvelable du Val-de-Marne, a l'air un peu triste, Jacqueline Gourault, renouvelable dans le Loir-et-Cher, fait une campagne acharnée et ne s'est pas déplacée pour l'Université de Rentrée, on lui envoie tous nos vœux, comme à Denis Badré et Jean-Marie Vanlerenberghe, entre autres. Michel Godet nous a fait hier un festival de mauvais esprit revigorant et d'idées à contre-sens réjouissantes, il se rappelait la campagne de Barre, le travail avec Rocard et Méhaignerie, 1993, les temps déjà anciens.

L'un des grands débats à distance porte sur la TVA sociale, le bébé de Jean Arthuis, que Godet et quelques autres combattent en soulignant qu'elle pénalise les familles nombreuses, à quoi Arthuis répond par cet argument énorme : quand on achète des produits importés, en quoi contribue-t-on au financement de la protection sociale ? En aucune façon. C'est imparable, il a raison. Méhaignerie a cherché la formule de compromis en évoquant la possibilité de création d'un nouveau taux intermédiaire de TVA (sous-entendu : de façon à ne pas pénaliser les familles pauvres et nombreuses). Bref, on y travaille, il y a des sophistications à inventer, mais le principe pourrait trouver un consensus.

Quelques bruits de couloirs témoignent de la solidité de la candidature Bayrou. Un optimisme prudent et modeste règne. Si Bayrou gagne, cela signifiera probablement une refonte en profondeur du paysage politique, un nouveau souffle pour les institutions et un bouleversement dans les habitudes les plus ancrées.

Thomas Clay, directeur de campagne d'Arnaud Montebourg dans la campagne des primaires du PS, est venu aujourd'hui parler de VIe république, dire des choses fort justes qui ont rencontré une grande approbation, mais il (et son candidat) n'attache(nt) pas assez d'importance à la proportionnelle, qui est la clef-de-voûte du bouleversement institutionnel voulu par Bayrou. C'est drôle, en pensant à Montebourg, me revenait cette phrase que je disais voici quelques mois, à un moment où ni l'un ni l'autre n'étaient d'actualité : ce que Méhaignerie avait de mieux, c'était sa fille, Laurence, et ce que Montebourg avait de mieux, c'était sa femme, Hortense. Et voilà qu'Hortense n'est plus la femme de Montebourg, et que Laurence (que j'ai vue pour la dernière fois en 1994 dans le bureau de Bayrou au ministère de l'Éducation Nationale, le soir de la victoire) a désapprouvé, paraît-il, la venue de son père à Giens. Tout se perd.

Hier soir, nous avons eu un moment particulièrement émouvant avec le président du Parti Démocrate Progressiste tunisien, M. Najib Chibi (j'espère que je n'écorche pas son nom), qui nous a fait vivre de l'intérieur les quelques semaines, les quelques mois, de la révolution qui a projeté son pays dans la démocratie. Son parti, selon les sondages, talonne les islamistes, et il ne lui manque que quelques fractions pour espérer placer ce parti démocrate en tête des suffrages de l'assemblée constituante. M. Chibi a été modeste pour évoquer les deux grèves de la faim d'un mois qu'il a dû faire contre certaines mesures iniques ou illégales du régie Ben Ali. Vingt ans d'oppression, d'emprionnements, de privations, il incarne à lui seul la liberté enfin trouvée de son peuple.

Autre moment particulièrement émouvant (parfois bouleversant) aujourd'hui autour de Dominique Versini, ancienne directrice du SAMU social, qui a été surtout la dernière défenseure des enfants avant l'absorption de cette fonction par celle de défenseur des droits. Bayrou a été le seul à défendre le poste supprimé, en vain. Mme Versini a tenu la salle en haleine pendant une bonne heure, debout, petite, à son micro, vêtue d'orange des pieds à la tête, témoignant d'histoires d'enfants souvent déchirantes.

Débats de grande qualité

Hier la table ronde écolo autour de Bennahmias, Wehrling, Patrici Gallerneau toujours éloquente contre le funste projet de Notre-Dame des Landes (2000 hectares de terres agricoles sacrifiés pour une lune périmée), et le suppléant du député UMP de Marseille Guy Tessier, venu présenter le projet de Parc National des Calanques, et en guest-star Arnaud Gossement, éloquent et pertinent.

Ce matin, éducation, avec notamment des syndicalistes du SNALC et du SNES, et Jean-Paul Brighelli, prof, nègre et blogueur, et Paule Constant, Goncourt 1998. Comme toujours, la grande compétence et la passion de Bayrou pour ces questions cruciales.

Puis Sylvie Goulard sur la dette et l'Europe, avec Peyrelevade et Delpla, un peu de sagesse dans un monde de brutes et le retour de la politique de l'offre, et en écho, le soir, Jean-Claude Casanova, qui nous remémore toujours Raymond Barre que nous regrettons si fort, et qui remet quelques pendules à l'heure en puisant d'infinies statistiques dans un numéro de The Economist. Sur la Grèce, il rappelle au passage les privilèges curieux de l'Église grecque, qui est richissime et qui ne paie pas d'impôts dans un pays qui coule ... Casanova tempère un peu les ardeurs de Bayrou sur notre capacité de redresser vite la barre économique, les équilibres sont fragiles.

Puis autour de Nathalie Griesbeck, la révolte des parlements, je veux dire la fronde des juristes, le directeur de Montebourg évoqué plus haut, Philippe Bilger, le seul avocat général qui soit aussi blogueur, et qui annonce que son blog va devenir particulièrement saignant dans quinze jours, car lui-même prendra sa retraite de la magistrature, Christophe Regnart patron du syndicat majoritaire des magistrats USM, et Pierre Albertini, professeur de droit public et ancien député. L'immense, intense, viscéral, mécontement orageux des magistrats et du monde judiciaire contre la culture de la violation des lois entretenue par le pouvoir actuel, à l'exception du garde des sceaux, Michel Mercier, dont Bayrou défend l'action avec succès.

La foule

On annonce 1200 inscrits pour le week-end, 2000 personnes au moins pour le discours final, et j'avoue qu'on se marche un peu dessus, mais l'organisation est presque aussi impeccable que si je l'avais assumée moi-même (meunon, je blague, elle est parfaite). Les blogueurs sont là, les anciens blogueurs UDF, ceux de 2006, ceux de 2007, pardon pour les liens, il est tard, Chantal Portuese, Françoise Boulanger, Frédéric Lefebvre-Naré, Cédric Augustin, Jérôme Charré, et j'en oublie évidemment.

Ce soir, apparition d'Azouz Begag, tout sourire comme à l'accoutumée.

Un clin d'œil aux Bretons, en particulier l'eurodéputée Sylvie Goulard et Erwan Balanant, adjoint au maire de Quimperlé et blogueur de plus en plus occasionnel.

J'assiste à cette fin de cycle, qui annonce sans doute de grands moments, avec la nostalgie que j'ai dite, revoir Méhaignerie, Bosson, Christophe, Cyrille, et d'autres fantômes sympathiques, là précisément, dix-sept ans plus tard, me fait baigner dans la brume de Brocéliande, ici, à Giens, et me remémore une jolie exepression de Châteaubriand, la "voix des rêves oubliés". Ils sont venus, les rêves oubliés, se rappeler à nous. Châteaubriand ajoutait : "chagrin d'un songe". Non, le songe, la rêverie, la nostalgie, ne nous causent pas de chagrin, ce soir, car nous avons trop d'espoir. Le seul chagrin n'est pas celui d'avoir revu ceux que nous avions presque oubliés (en pensant encore à Bernard Stasi, qui n'est pas remplacé), mais de n'avoir pas encore revu ceux qui nous manquent à chaque instant. Mais ceci est une autre histoire, comme on dit.

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Commentaires

"... J'eus une sorte de réflexe, un mouvement compulsif, je ne pouvais pas supporter cette Université d'Été dont la date et le lieu avaient été annoncés, mais qu'on laissait en friche. Je pris les choses en mains..."
N'étais-tu pas là le fameux automoteur dont parlait François Bayrou en 2007 ?!

"Dans un an, quoi qu'il arrive, qu'il gagne ou qu'il ne gagne pas, la roue aura commencé de tourner. Je n'y serai d'ailleurs probablement pas, le cycle se refermera pour moi."
Oui mais "quoi qu'il arrive", tu n'es pas incapable de continuer à oeuvrer par tes billets humanistes ! Nous serons là pour te les réclamer.

Merci à toi -et à FrédéricLN !- pour cette relation si détaillée. J'y étais mais n'ai pas pu en écouter autant que toi.
Par contre ayant assisté aussi au discours de Dominique Versini, je confirme l'émotion ressentie par tous. Oui, ce poste de défenseur des enfants est à restituer au plus vite. Il y a urgence.

Écrit par : Françoise Boulanger | 19/09/2011

Une très belle note, comme d'habitude. En effet, il flottait dans l'air de cette Université de rentrée cet aspect de retour aux sources avec toutes ces retrouvailles. En même temps, on sent que cet air sert un nouveau départ. L'an prochain, ce sera une autre aventure, quoi qu'il arrive.

Écrit par : Jérôme | 20/09/2011

Merci Hervé ! quelle relation, comme l'écrit Françoise Boulanger (dont je partage la remarque automotrice)... quelle mise en relation de tous ces jours, ces personnes, ces résistants ou moins résistants, ces gens d'hier et, je l'ai senti aussi pour presque tous, de demain et d'après-demain.

Le temps perdu ne se rattrape plus, le temps futur est à écrire.

Écrit par : FrédéricLN | 21/09/2011

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