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26/09/2011

L'échec éthique du sarkozysme

La forte poussée de la gauche, hier, aux élections sénatoriales, a prouvé une exaspération venue tout droit de ce qu'on a nommé en son temps du mot malheureux de "la France d'en bas". Les petits maires, les élus ruraux. Cet électorat, ces quelque soixante dix mille élus des territoires, passe pour voter en principe à droite, c'est la France paysanne, catholique, conservatrice. Or cette France-là, réputée inamovible, vient de franchir le pas de préférer des élus de gauche à des élus de droite. Pourquoi ?

Il y a d'abord une cause directe : le lobby des départements a frappé. La droite organisait la mort des départements, les départements (une institution née en 1790) se sont défendus, becs et ongles, et ils ont gagné. La victoire de la gauche au Sénat enterre probablement la réforme territoriale voulue par le pouvoir actuel. Et s'il a fallu recourir à la gauche pour le faire, c'est d'abord parce que le Sénat n'a pas joué son rôle dans le processus de cette réforme, il n'a pas défendu les territoires, les collectivités locales, il leur a préféré la discipline partisane. Le résultat est là : la défaite, cuisante. Défaite donc d'abord du président du Sénat, qui n'a pas su résister au pouvoir politique, à ses amis. S'il a fallu recourir à la gauche, c'est aussi parce que le Centre n'a pas su se donner d'expression propre dans cette élection, il n'y avait pas d'alternative au binôme droite-gauche, sauf dans une poignée de départements ou de circonscriptions, où l'on a d'ailleurs vu des succès parfois inattendus et prometteurs pour ceux qui croient que la discipline est l'ennemie de la bonne gouvernance.

Il y a aussi, sans doute, une cause sociologique. Je pense que dans beaucoup d'endroits comme ceux que je connais en Bretagne, les communes rurales ne sont plus les mêmes que jadis, l'installation de citadins a modifié leur sociologie politique en profondeur, les bobos aiment la campagne, mais ils votent à gauche pour la majorité d'entre eux. Peut-être cette nouvelle ruralité citadine, cette "rurbanité", a-t-elle joué aussi son rôle.

Mais il en faut certainement plus pour avoir déshinibé la France territoriale au point de lui faire préférer la gauche à ses habitudes conservatrices. Ce plus, c'est certainement dans l'éthique du pouvoir sarkozyste qu'il faut le chercher, dans l'idéologie d'une faction qui s'est emparée des instances politiques de la droite et dont les principes philosophiques sont les plus abominables que nous ayons connus depuis l'instauration de la démocratie et de la république. Et là encore, le Sénat, temple de l'esprit républicain, n'a pas su jouer son rôle de résistance.

Le pouvoir sarkozyste pense que l'être humain est conditionné et condamné ou sauvé par sa génétique. On naît pauvre, on est pauvre dans sa tête, dans ses fibres, il ne sert à rien qu'on aille à l'école, on est génétiquement pauvre, donc crétin. Le pouvoir sarkozyste pense qu'on naît criminel et qu'on ne peut échapper aux lois de la génétique. Le pouvoir sarkozyste pense qu'être né dans une bonne caste donne légitimité pour se montrer indifférent au sort des pauvres et des fragiles. Bref, la liste serait longue des errements éthiques d'un pouvoir dont la culture inégalitaire est si forte qu'elle confine à la légitimation des thèses eugénistes et autres, et je me retiens de ne pas atteindre le point Godwin, mais chacun comprend, je crois, ce que je veux dire.

Il reste cependant que le Sénat se trouve devant une problématique inédite : lui qui a toujours été le refuge des courants politiques écartés de l'Assemblée Nationale par le scrutin majoritaire se voit en passe de constater l'écrasement de sa diversité politique par l'effet du scrutin proportionnel, qui joue ici le rôle inverse de celui qu'il a joué là, par une mécanique qui mériterait étude. La bipolarisation progresse au Sénat comme ailleurs. Il faudrait d'ailleurs se demander si les départements où le scrutin reste majoritaire sont bien ceux où la diversité politique subsiste, comme le suggère l'exemple de la Mayenne et de Jean Arthuis.

Or la constitution d'une majorité homogène, qui semble profilée par le vote de dimanche, ne pourrait avoir que l'effet d'écarter le Sénat de son rôle territorial et de l'enfermer dans la discipline partisane, dont l'échec de la majorité de droite vient pourtant de démontrer la nocivité. Il n'y a qu'une porte très étroite pour échapper à cette erreur, symétrique de la précédente. Remettons-nous en à la sagesse des sénateurs pour éviter cet écueil et conserver leur liberté.

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Commentaires

Excellent.
(j'ai eu un peur quand j'ai lu "France paysanne et catholique", mais ensuite j'ai compris que ce n'était qu'une base de réflexion et non pas ta vision du monde rural actuel.)

Écrit par : GuillaumeD | 26/09/2011

L'ironie veut sans doute pour le lobby des départements et pour lui-même que le sénateur centriste qui a fait passer la réforme des collectivités ait été réélu dans la Marne au premier tour... A quelle discipline partisane va-t-il maintenant se plier ? ;-)

Écrit par : Mapie | 26/09/2011

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