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10/11/2013

Comprendre les Bretons

Il ne s'agit pas ici de s'en prendre au président Hollande, ni à sa rivalité avec son premier ministre. Que le président crée un rival à celui-ci en la personne de M. Valls et qu'il soutienne le plus faible des deux selon les principes les plus élémentaires de tactique, sans d'ailleurs avoir l'intention de le soutenir au-delà de l'utilité d'affaiblissement de son rival, tout cela est de la politique à la petite semaine, sans grand intérêt. Il ne s'agit pas non plus de s'en prendre à la visite paniquée du ministre Le Foll dont les effectifs administratifs ne cessent d'augmenter au même rythme que ses administrés agricoles dégringolent. Moins il y a d'agriculteurs, plus il y a de fonctionnaires pour les administrer, sans crainte du ridicule. Non, tout cela, c'est sans importance.

Il y a, en France, un sentiment d'insularité qui monte. L'abandon progressif de la politique d'aménagement du territoire devrait avoir la décentralisation pour relais, d'autant plus qu'en vingt ans, la fonction publique territoriale a gonflé d'un million de salariés. Or il n'en est rien. Les territoires sont livrés à eux-mêmes, au mieux à l'arbitraire de roitelets assis sur des réseaux plus ou moins clientélistes, plus ou moins mafieux, au pire à personne, au vent qui passe, à l'humeur de la météo, au caprice de l'actualité. Sans doute se prépare-t-il une sorte de 6 février 1934 remixé dans de nombreuses régions de l'est français peu habitué à cet abandon.

Dans l'ouest, qui a si fort voté socialiste depuis plus de dix ans, les choses sont différentes. En Bretagne, elles renvoient même à une sorte de fatalité historique. Du temps de ses ducs, le duché a été extrêmement prospère. Sa population représentait 10% du royaume de France, ce qui ferait 6,5 millions d'habitants au lieu de 4 (pour la Bretagne historique) aujourd'hui. Les autorités ducales veillaient à la prospérité et au développement de chaque portion du territoire breton. Avec l'entrée dans le patrimoine de la couronne de France, la province de Bretagne est devenue un territoire périphérique, dont on se méfiait plutôt. Il est inutile de rappeler ici ce que fut le camp de Conlie.

Dans les années 1960, on jugea la région bretonne (amputée entretemps de sa plus grande ville, Nantes, par rétorsion du maréchal Pétain contre les Bretons trop présents à Londres) arriérée. On lui fit des routes à quatre voies et on soutint les initiatives locales de Gourvennec et de quelques autres juloded coopératifs. Tout ceci serait allé mieux et plus vite s'il n'avait pas fallu attendre le bon vouloir de Paris.

La gratuité des quatre-voies était particulièrement réclamée, d'autant plus qu'elle correspond aux franchises routières historiques contenues dans le traité de mariage d'Anne de Bretagne et du roi de France Louis XII. Elles sont logiques, car la Bretagne est matériellement enclavée et son impression d'enclavement va croissant. D'abord, à cause du funeste projet d'aéroport dit de Notre-Dame des Landes, l'une des idées les plus stupides qui ait germé dans l'esprit de nos responsables depuis longtemps, et qui suinte si fort que l'on a du mal à ne pas prononcer le mot de prévarication.

Les petits aérodromes bretons, qui maillent le territoire savent que leur existence est menacée par la naissance du mastodonte dont chacun a compris que la rentabilité à court/moyen terme est plus qu'improbable et qu'il faudra bien renflouer au détriment des autres. Cet ayraultport, comme disent les Bretons, a pour résultat d'accentuer la concentration économique vers l'est de la Bretagne et d'en dépouiller l'ouest. C'est un instrument de désertification humaine. Au passage, comme il vise à créer une ville nouvelle, je note que l'argument utilisé contre l'extension de l'aéroport actuel en zone urbaine est totalement fallacieux.

Outre l'aéroport, il y a le déclin du modèle agro-alimentaire bâti dans les années 1960-70. Où sont passées les marques locales de charcuterie ? Il reste heureusement Hénaff, qui mène en ce moment une politique de développement très hardie, mais on voit bien que la filière agro-alimentaire est minée par des "dents creuses" qui la fragilisent. Et la pêche ne vaut guère mieux. On admet encore assez mal l'idée de la surpêche, Lorient a perdu 90% de son trafic dans les années 1990, les ports bigoudens résistent un peu mieux, mais il paraît que l'on veut leur retirer leur dernière criée, ce qui est totalement absurde et présage une financiarisation accrue du secteur.

Enfin, comme ultime recours, on leur propose un modèle touristique qui ne tient aucun compte de la météo très capricieuse de la pointe bretonne. Il y a donc, chez les Bretons, l'impression très forte d'une incompréhension publique. Et l'écotaxe les renvoie à leur statut péninsulaire et périphérique, à quoi ils ne peuvent rien. 

Ah, et j'oubliais le fait qu'un tiers des exploitations agricoles a disparu en peu d'années. Les agriculteurs se sentent stigmatisés d'une façon injuste, car la mission sociale qui leur est donnée, celle de nourrir la population, ils la remplissent avec les instruments de leur époque, bons et mauvais, ceux de la concurrence.

Que faut-il faire, en Bretagne ? Il faut d'abord des investissements privés, et je crois que les Bretons sont capables de se mobiliser pour cela. Il faut aussi, là comme ailleurs, laisser un peu la bride sur le cou aux artisans qui n'en peuvent plus de contraintes administratives et fiscales. Je connais des cas de ceux à qui l'on refuse l'étalement d'un redressement consécutif à une erreur de déclaration d'heures de travail. Ces clémences élémentaires font totalement défaut et, pour les administrations, il semble que les artisans restent un ennemi à abattre. Il faut aussi cesser de stigmatiser l'agriculture intensive, qui fait des pieds et des mains pour s'améliorer, et l'aider au contraire à faire face aux nouvelles concurrences, en particulier allemande et brésilienne. Il faut aussi aider hardiment au développement de l'agriculture paysanne et aux cycles courts, qui sont en grande harmonie avec le principe d'un développement touristique. Il faut enfin moderniser le désenclavement de la Bretagne, non pas en construisant un stupide aéroport géant à ses portes, mais en y améliorant les communications en tenant compte de la péninsularité et de la périphéricité de cette région, ainsi que de ses privilèges historiques.

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02/11/2013

La Bretagne et ses "bonnets rouges"

Il est assez curieux que le motif immédiat de la révolte bretonne actuelle soit l'écotaxe. Cet impôt, tel qu'il est organisé, ressuscite les fermiers généraux en concédant la collecte de  l'impôt au privé. On est donc en fait plutôt dans une situation 1789 que dans une situation 1675, mais de toutes façons, comparaison n'est pas raison. Voici quelques mots de cette "révolte des bonnets rouges" sous Louis XIV.

Il s'agissait de la création d'un taxe dite "du papier timbré". Dorénavant, les instruments juridiques devraient être passés sur un papier spécial, comportant un chiffre officiel. Cepapier, bien entendu, est un monopole d'État, et donc, pour passer devant un notaire, il faut désormais payer non seulement le notaire, l'insinuation de l'acte, la délivrance d'un extrait par le greffe compétent, mais aussi, et d'abord, payer un papier assez onéreux.

Or on instrumente beaucoup, en Bretagne, au XVIIe siècle, et en particulier dans les milieux populaires. On y trouve un moyen de sécurité juridique et un moyen de résister au pouvoir, que celui-ci soit royal ou seigneurial. C'est à l'envers la même logique qui fera brûler les titres féodaux en 1792.

Les Bretons se soulèvent aussitôt contre cette nouvelle taxe, une de trop. Les privilèges historiques de la province devraient prémunir la population contre ces innovations, ils ne l'ont pas fait. Parmi ces privilèges, rappelons-le, les franchises routières et l'absence de gabelle, l'impôt traditionnel et lourd sur le sel.

C'est en Pays bigouden que la révolte fiscale est la plus vive. Certains ultras en profitent pour créer une petite république paysanne. Mais la répression menée par le représentant du roi, le duc de Chaulnes, est terrible, on pend des paysans jusque sur les arbres des bords des chemins. Le tandem Ayrault-Hollande ira-t-il jusque-là ? Il est vrai qu'avec Ayrault, maire de Nantes qui voulait ignorer que sa ville fût historiquement bretonne, on peut s'attendre à tout.

Mais quoi qu'il arrive cet après-midi, la solution du problème breton sera pendante. Le modèle agroalimentaire bâti dans les années 1960-70 est épuisé, il faut en trouver un autre, qui fasse sans doute la part belle au produit et au producteur. Il faut cesser de nourrir les poulets avec des tourteaux de soja transgénique, par exemple. Et j'avoue que le souvenir que j'ai d'avoir vu les cochons (une demi-douzaine) quitter leur porcherie pour manger des châtaignes ou des glands tombés de l'arbre, des petites prunes noires pendant aux branches, cela me manque un peu.

Doux croit avoir trouvé sa solution dans un investisseur lointain, mais il est plus probable que, comme dans les années 1960, la solution monte du terrain.

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