14/12/2014
Le mythe d'une France uniculturelle
Il y a déjà des années que des politiciens mal intentionnés et des intellectuels dévoyés occupent des pans entiers de l'espace médiatique avec un débat faussé et pervers où le mythe de l'Âge d'Or est incarné par une France uniculturelle à laquelle on se réfère sans cesse et à laquelle s'opposerait notre époque de plus en plus multiculturelle, ce multiculturalisme évoluant vers une violence endémique et triomphante, promettant notre pays à des lendemains sanglants et à une sorte de "libanisation" au sens où l'on entendait ce mot il y a vingt ans, c'est-à-dire à une descente de la violence jusque dans les tripes de la Société sur fond d'éruption intracommunautaire. Et, dernier avatar des fantasmes, il se préparerait même un "grand remplacement", les Français se voyant remplacés jusqu'au dernier par des barbus sanguinaires et misanthropes.
Il n'y a jamais eu de France uniculturelle. Bien sûr, on peut dire que la France, pendant des siècles, a compté surtout des chrétiens, voire des catholiques, mais ce tissu commun s'habillait d'une mosaïque de nuances. Voici encore cinquante ans, ce qui n'est pas grand chose en termes historiques, on parlait plus les patois ou les langues locales que le français dans la plupart des régions de France. J'ai connu bien des gens qui ne parlaient pas le français, mais seulement la langue bretonne, et qui, pourtant, avaient toujours possédé la nationalité française. Cette nationalité française des Bretons n'allait d'ailleurs pas de soi, puisqu'avant 1789, la Bretagne était "province réputée étrangère", un territoire peuplé d'étrangers de l'intérieur.
Jean Racine, lorsqu'il lui arrivait de "descendre" dans le Midi, disait qu'à partir de Dijon, il ne comprenait plus rien de ce que les gens lui disaient dans les auberges et sur la route. On fêtait en Bretagne des saints dont les Provençaux n'avaient jamais entendu parler. On jouait ici à la soule, là à la galoche, un peu plus loin à la pétanque ou à la boule, et ne parlons pas des fromages qui composaient à eux seuls un maillage de nuances infini. En Normandie, on employait la crème, en Bretagne le beurre, en Périgord la graisse d'oie, en Luberon l'huile d'olive. Toutes ces différences paraissaient aussi insurmontables à la IIIe République que ce que nous voyons de diversité culturelle à notre époque.
Alors, que se passe-t-il ? Mme Polonyi, par exemple, se fonde sur les chocs qu'elle a constatés dans l'école où elle enseignait au début de sa vie d'adulte. Elle en déduit que les sociétés multiculturelles sont plus violentes que les autres, alors même que l'exemple du Liban, sur une longue période, dit l'inverse, et que le symétrique est au contraire démontré par l'Irlande, où la violence entre Irlandais a été d"ordre culturel pendant de nombreux siècles, cependant que les différences culturelles n'y atteignaient pas le seuil de ce que Mme Polonyi qualifierait de "multiculturel".
Dans la cour de récréation, les enfants n'ont pas besoin d'être différents pour se crier et se taper dessus. Ils nous rappellent que nous sommes encore de grands primates. Les différences culturelles ne fournissent que le prétexte de la bagarre qui, elle, appartient à notre substrat intellectuel collectif le plus profond (ce qui ne la rend pas plus nécessaire, d'ailleurs).
Cessons de succomber aux fantasmes et entrons avec courage dans le camp de la vérité. Et s'il y a des gens à qui la France chrétienne manque, ils n'ont qu'à aller dans les églises pour les empêcher de fermer, faute de fidèles.
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