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20/02/2015

DSK : complice de la saumure

Alors que l'on nous annonce de toutes parts une relaxe triomphale pour l'accusé Dominique Strauss-Kahn dans sa deuxième affaire hôtelière, celle du Carlton qui a succédé à celle du Sofitel, il faut avouer (et faute avouée est à moitié pardonnée) que ce mot triomphale qui, en grec signifierait triple nombril, laisse un goût amer.

Il ne s'agit nullement de juger ici le principe d'une vie sexuelle débridée, à un, à deux, à trois, à quatre ou à plus. Quoique. Brassens a chanté "Sitôt qu'on est plus de quatre, on est une bande de cons", ce qui lui permettait de conclure qu'"au faisceau des phallus, on verra pas le mien". Non, sérieusement, du moment que l'affaire ne concerne que des adultes consentants, elle leur appartient. L'amertume est ailleurs.

Je pense d'abord à la France, qui a failli se retrouver avec ce qu'on ne peut plus nommer autrement qu'un pauvre type à sa tête, une espèce de faune dominé par des besoins charnels frénétiques qui, en réalité, le plongeaient forcément dans une sorte d'hystérie masculine. Un faune brutal, ne sachant pas entendre les désirs de ses partenaires et se livrant sans limite à ses propres penchants qui l'aveuglaient. Une brute qui réussissait à faire crier grâce et à arracher des larmes de souffrance à ces femmes si courageuses et si blasées et cuirassées que sont les prostituées de bas étage dont il faisait son ordinaire aux États-Unis comme en France.

Comment ? Lui ? Il ne savait pas que c'étaient des prostituées ? Mais que l'on relise ce qui s'écrivait partout, dans tous les journaux, au moment de l'affaire du Sofitel : à New-York, les prostituées ne voulaient plus se rendre à ses invitations. Et leurs "employeurs" ne voulaient plus les lui envoyer en mission, car elles revenaient trop abîmées. Abîmées par son sens de la fête, bien entendu. Pourquoi personne n'a-t-il rappelé ces faits ?

C'est peut-être que, finalement, nous avons eu pitié. Pitié, parce qu'il a paru pitoyable, ce grand homme si longtemps redouté. Il a fini par admettre que ses goûts dépassaient les limites de la rudesse ordinaire, et que cela pouvait ne pas plaire à tout le monde. Oui, nous avons eu l'impression que ses yeux s'ouvraient. Peut-être sortira-t-il de ce procès plus libre au sens psychanalytique qu'il n'y est entré. Peut-être y a-t-il exorcisé une ancienne douleur. Laquelle ?

Cet homme se pensant si viril aimait-il être marié à une femme si riche qu'elle pouvait lui offrir dix fois chacune des choses les plus folles qu'il ait osé imaginer ? A-t-il subi l'humiliation de se sentir inférieur à elle par le pouvoir et même (on n'en serait pas surpris) par l'intelligence ? Se vengeait-il sur ces autres femmes, en les dominant pour oublier qu'il n'était pas le plus fort chez lui ? Peu importe, finalement. On pense cependant aussi à Anne Sinclair, qui aurait tant aimé être celle qui ferait élire le premier président juif de France. Il y a dans tout cela les ressorts de la tragédie qui l'a emporté sur eux.

L'amertume vient aussi de cette impression qui ne nous quittera plus de sitôt que la justice, en France, n'est pas l'instrument neutre, indépendant et impartial que nous aimerions qu'elle fût. Plusieurs mois avant l'affaire du Sofitel, des courriels anonymes circulaient qui appâtaient sur le goût de DSK pour les partouzes, occasions pour lesquelles il lui arrivait de louer des péniches sur la Seine, et auxquelles on voyait souvent participer des filles trop jeunes, voire beaucoup trop jeunes.

Quelqu'un préparait l'opinion à la chute qui guettait l'homme du FMI. Il le pressentait lui-même, ce qui ne l'empêcha pas de tomber au Sofitel dans le piège qu'on lui tendait. Mais ce piège l'écartait d'un autre, celui du Carlton. D'une affaire crapoteuse et minable à l'autre, il se laissait balloter dans les prétoires par une main (ou plutôt deux mains séparées) qui instrumentalisaient la justice à des fins politiciennes. L'affaire du Carlton, au milieu de la campagne présidentielle de 2012, eût été une tornade qui eût emporté sans rémission la candidature de DSK dans la géhenne. Une curieuse main providentielle a sauvé la France d'un second mandat sarkozyste en multipliant sur le fragile DSK les tempêtes judiciaires. Strauss-Kahn fut en quelque sorte, et à son corps pour une fois défendant, le bouc-émissaire, la victime sacrificielle, non pas de l'élection de François Hollande, mais de l'interruption de la dérive politique profonde qu'imposait le sarkozysme buissonnier à notre pays. Il y a là évidemment un tiroir secret dans notre amertume.

Donc s'il fut un bouc-émissaire, une victime sacrificielle, on pourrait considérer qu'il a assez payé, au propre comme au figuré. Non, je ne crois pas, cependant, que nous en soyons là. Dans ce procès, comme d'habitude, les lampistes trinquent et les politiques s'en sortent. On a pourtant lu qu'il y avait bel et bien eu viol, encore une fois, de la part de DSK. Et, comme je l'ai dit plus haut, sa posture du "je ne savais pas qu'elles étaient prostituées" ne tient pas une seule seconde. D'ailleurs, dans le monde de l'échangisme, les prostituées sont (si j'ose dire) du "matériel" courant.

Oui, les politiques, les puissants, ceux qui se connaissent de près, qui se rencontrent, qui s'envoient des émissaires, qui dînent dans les mêmes restaurants et servent dans les mêmes corps, tous ceux-là s'en sortent, toujours, ils troquent une victoire dans un procès contre une victoire dans un autre, une relaxe ici, un renvoi en cour d'appel là, et tout le monde est content. Tout le monde ? Non, car nous, qui ne sommes pas de ces gens de si haut, nous pleurons l'indépendance encore perdue de notre pouvoir judiciaire qui nous semble partout éclater. Éclater en sanglots.

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Commentaires

Hervé, jamais je n'ai lu une analyse aussi magnifique ! Tu es le Victor Hugo de notre époque. Merci, oui, un immense merci pour ton regard si bienveillant, si respectueux, pour nous les femmes.

Écrit par : Françoise Boulanger | 20/03/2015

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