Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/03/2015

La culture, pour résister

L'attentat de Tunis, peu de temps après les destructions spectaculaires commises par le  soi-disant "État islamique" dans des musées irakiens, projette une ombre grimaçante sur le crétinisme militant revendiqué par l'ancien président Sarkozy et sur la décision qu'il a prise, seul, de détruire l'État libyen. Les armes jetées alors sur ses ordres au hasard du désert libyen ne sont pas étrangères à celles qui viennent de tuer au Bardo, à Tunis. Sa folie barbare produit dans cette affaire des conséquences d'une redoutable cohérence, un bain de sang et une estocade contre la culture.

En face, on attendrait une lueur élémentaire d'intelligence et de tact, le sens de la répartie et le bon choix des réponses. Espérons que les Tunisiens se sortiront de cette nouvelle épreuve, c'est un peuple résistant qui se construit un nouveau destin. Faisons-lui confiance. Le gouvernement français, en revanche, nous accable en ce moment précis.

Tout d'abord, cette sempiternelle et inutile réforme du collège, alors que c'est dans le primaire, avant le collège, que l'essentiel se joue, et qu'un élève qui sort du primaire sans maîtriser ni la langue française ni les fondamentaux du calcul perd la plupart de ses chances devant les étapes suivantes. Au fond, cette péripétie ne mérite qu'un haussement d'épaules, un de plus en attendant le sursaut. Seulement voilà que s'y cache la stupidité la plus malfaisante : l'affaiblissement, une fois de plus, des langues anciennes. Nos élèves sombrent, enfonçons-les. Tout cela au nom des intentions les plus mielleuses pour les pauvres petits choux. L'égalitarisme contre l'égalité, le nivellement par l'ignorance, la fabrication patiente et glaciale d'un peuple sans mémoire, sans culture, sans horizon, purement assujetti à la logique du nombre.

Ce peuple-là, forgé par des décennies d'école ratée, est capable de voter pour le Front National. Nous le voyons, ces jours-ci. Il ne réclame pas l'égalité, il veut de l'inégalité, toujours plus, et toujours plus pour lui, en particulier, car en votant ainsi, ce qu'il réclame, ce sont des privilèges, des privilèges pour lui, rien que pour lui, des passe-droit. Foin de la République, il n'en connaît ni les grandes dates ni les grands principes. Foin du bon sens, on ne lui a fourni que de la bouillie mentale en exemple, et des généreux sentiments qui ne l'ont mené nulle autre part que dans l'impasse. On l'a plongé dans le brouillard de l'ignorance, il y cherche non pas de la lumière, mais une meute à rejoindre pour s'y tailler un petit royaume chimérique, et pour emplir sa panse. L'égalitarisme contre l'égalité. Comme disait Victor Hugo, "Tous hurlent à la fois et font un bruit sinistre".

Oui, nous le voyons bien, l'ennemi est partout différent, mais il est partout le même. Les salafistes, le FN, c'est le même combat. Ce combat qui veut asservir l'esprit humain a forcément pour premier ennemi la culture. La culture qui éduque, qui donne de la distance sur l'événement, qui apprend à ne pas se laisser guider par la première émotion, mais que l'on est plus fort lorsque l'on est raisonnable, et plus perspicace lorsque l'on dispose de vocabulaire et de références. La culture qui exalte le beau, le beau qui n'est pas partout le même mais qui, partout, rend répugnants les bains de sang. La culture qui élève le cœur et qui fait de l'homme un citoyen, et du citoyen un artiste, un créateur, un bâtisseur de plus.

Il n'y a pas que les salafistes et le FN. Souvent, l'on est confronté à la logique fruste de responsables politiques exclusivement matérialistes. Pour eux aussi, la culture est a priori un ennemi. Les programmes archéologiques ralentissent les réalisations urbanistiques et réduisent la profitabilité des promotions immobilières. Tout ça sont des vieilleries, poussière sur poussière. Les artistes sont incontrôlables. Ce sont des Roms, au fond, des valetailles de romanichels, des traîne-patin et des crève-misère, un peu voleurs de poules, un peu rouges en leur for intérieur. Pas assez bourgeois, pas convenables, pas guidés par l'argent comme tout le monde. Suspects.

Dans les années 1970, la ville de Quimper, effrayée par les lendemains de 1968, refusa l'installation de l'université finistérienne sur son territoire. Négligeant pour une fois sa rivalité séculaire avec Brest, elle laissa ce dangereux foyer de sédition se créer dans cette autre ville. Aujourd'hui, quarante ans après, le bilan est désastreux et les matérialistes eux-même le comprennent. Il n'y a pas besoin d'être grand clerc. Par exemple, les études historiques ont démontré qu'au XVIIe siècle, ce qui fit l'essor de Quimper, ce ne fut pas seulement son tribunal, mais son collège des jésuites, vers lequel des élèves affluaient par centaines venus d'un peu partout, et qu'il drainait vers elle. Dans une ville de 7000 habitants, 1000 élèves au collège (qui n'était pas alors obligatoire), cela faisait combien d'emplois ? Combien pour les nourrir ? Combien pour leur fournir des livres ? Et de l'encre ? Et des vêtements ? Et combien de ces élèves, ensuite, garderaient la nostalgie de cette ville où ils avaient grandi au monde ? Quel réseau d'influence formeraient-ils à son profit ? La culture d'aujourd'hui, ce sont les emplois de demain. En refusant l'université il y a quarante ans, Quimper a scellé pour une durée indéterminée, mais déjà bien entamée, son enlisement économique.

Mais revenons aux autres, aux salauds, à Sarkozy, à BHL, aux salafistes, au FN, à toute cette clique sanguinaire et cupide. Il n'y a pas à chercher beaucoup pour comprendre que leur ennemi, c'est la culture. N'importe qui a lu l'essentiel de Victor Hugo, de Balzac, l'Histoire des Girondins de Lamartine, l'Argent et la Curée de Zola, les Thibault de Martin du Gard, Vol de Nuit de Saint-Exupéry, l'Éducation européenne et la Promesse de l'Aube de Gary, le Livre de ma Mère d'Albert Cohen, la Peste de Camus, des poèmes de Césaire et la Tragédie du Roi Christophe, n'importe qui a vu la Règle du Jeu et la Grande Illusion de Renoir, les Mémoires d'un Tricheur de Guitry, la Belle et la Bête de Cocteau, Nuit et Brouillard de Resnais, le Président et Mille Milliards de Dollars de Verneuil, n'importe qui a cherché son chemin dans un tableau de Poussin ou de Manet, n'importe qui écoute de temps à autre un morceau de Mozart, sera imperméable à leurs foutaises et pourra leur réserver tout ce qu'ils méritent : un bras d'honneur.

Dans ce monde agité, fébrile, dangereux, nous n'avons donc rien de plus nécessaire à faire que de lire, de courir les musées, de hanter les cinémas et les théâtres. C'est cela qui est indispensable, ce superflu sans lequel nous ne sommes que de la chair à obscurantisme. Contre la puissance de l'argent, de la régression, de la haine, de l'oppression, notre arme, c'est la culture. Alors de grâce, Mme Vallaud-Belkacem, ne tendez pas à nos bourreaux le couteau pour nous égorger : rendez le latin-grec aux enfants de France. Rendez-leur l'éthique de la culture, de la culture pour résister.

08:34 | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les commentaires sont fermés.