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29/05/2015

Justice : Washington imite le pouvoir capétien médiéval

Après l'affaire des banques condamnées par la justice américaine pour avoir utilisé des dollars pour des transactions commerciales avec des pays politiquement interdits par les États-Unis alors même que cela ne se passait ni aux USA ni avec des entités de droit américain, voici que la même justice américaine s'en prend à une organisation non gouvernementale, la FIFA, marraine du football mondial, au moment de l'éventuelle réélection du président de cette organisation, dans un but évidemment politique lié au rejet de la candidature américaine, vécue par les autorités des USA comme une désobéissance, c'est-à-dire un lèse-majesté. Ce faisant, Washington utilise une arme qui a longtemps souri au pouvoir capétien et qui a joué un rôle décisif dans la construction de l'unité nationale française.

Tout commence par un personnage que j'ai déjà cité, Fulbert de Chartres, fondateur de l'école de Chartres, proche conseiller du roi Hugues Capet et père-fondateur à la fois de la féodalité et de la science occidentale, donc de notre courant laïc. Fulbert, vers l'an mil, joua un rôle prépondérant dans la théorisation de la féodalité.

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Contrairement à ce que l'on croit en général, le monde féodal n'est pas un univers où la loi du plus fort règne seule. Tout au contraire, c'est un effort de civilisation de la force brutale par le droit. En homme d'Église, Fulbert prêche la paix entre chrétiens, voire entre chrétiens et non-chrétiens, mais ceci est une autre histoire. L'être humain féodal est un être de droit. Il est entièrement encoconné par le droit et par les droits. Tout ce qu'il fait est créateur de droit ou effet du droit. On ne peut pas exiger de lui plus que ce que le droit prescrit. En principe la peine de mort ne lui est pas applicable sur caprice de l'autorité, mais on sait bien que les principes sont définis par leurs exceptions. Principe cependant, et efficace en majorité.

Les droits et devoirs du vassal et de son suzerain, d'en bas et d'en haut, en somme, sont réciproques. Il n'existe pas de lien unilatéral, ni illimité. L'esclavage est aboli en France (principe qui ne connaît qu'une très petite poignée d'exceptions) avant l'instauration de la féodalité, aux temps carolingiens. On ne peut pas tout exiger de quelqu'un, mais ce quelqu'un ne peut échapper à un certain nombre d'obligations supérieures qui s'imposent à lui, surtout dans les terroirs où, comme en Bretagne, l'on ne connaît "aucune terre sans seigneur".

Après Fulbert, les héritiers d'Hugues Capet investissent le Parlement de Paris de la codification du droit féodal. Ce Parlement est sans appel autre que le conseil du roi, le roi étant alors entièrement souverain. Le Parlement statue sur le fond autant que sur le droit, et en dernier ressort. Et tout le Moyen Âge se passe pour lui à s'immiscer dans les terroirs locaux pour "évoquer", c'est-à-dire attirer à lui le plus possible de causes importantes, ce qui renforce l'autorité du roi en court-circuitant la pyramide féodale.

En Bretagne, à partir du milieu du XIIIe siècle, et jusqu'au siècle suivant, le pouvoir royal s'ingénie à déposséder le duc de son autorité en faisant faire appel des décisions du Parlement de Bretagne devant le Parlement de Paris. Le duc interdit cette pratique, le roi feint de la condamner, mais laisse sa cour de justice parisienne instrumenter. La justice devient un instrument politique.

Un peu plus tôt, dans les toutes premières années du XIIIe siècle, lorsque Philippe Auguste a confisqué la Normandie et d'autres provinces plantagenet, c'est au nom du crime commis par le plantagenet Jean Sans Terre dans l'assassinat du jeune duc Arthur de Bretagne, ce crime fait de Jean un félon, l'Anglais est déchu de tous ses droits féodaux par le Parlement de Paris et, tranquillement, Philippe Auguste tire la conséquence logique de cette décision de justice : il confisque l'empire plantagenet en France. La justice a servi sa politique de pouvoir. Et personne ne proteste. C'est seulement lorsque les rois d'Angleterre, au siècle suivant, se prétendront rois de France qu'ils pourront faire croire que leur empire leur revient, avant de le perdre définitivement.

Ainsi procèdent les États-Unis en développant une conception extrêmement extensive de leur pouvoir juridictionnel, conception qui n'existe que parce qu'ils sont les plus forts. Le droit désarmé est un eunuque. Ils sont au-dessus de ce droit, puisque c'est eux qui disent le droit. C'est leur lecture de l'après-Guerre Froide, qui leur permet de se situer toujours dans le bon camp, celui de la justice, en fait de leur justice. Ainsi un pouvoir politique profondément corrompu utilise-t-il la corruption des autres pour s'emparer de leurs avoirs. En d'autres temps, on eût parlé d'un pouvoir mafieux. Mais patience : cela n'aura qu'un temps.

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