28/03/2008
Question libanaise : une lettre de Jacques Maritain sur l'origine.
Je reprends ici mon cycle de la correspondance officieuse de Jacques Maritain, ambassadeur de France près le Saint-Siège, et Jean Chauvel, secrétaire général des Affaires Étrangères, dans l'immédiat après-guerre.
Il s'agit cette fois de la question libanaise. Pendant la guerre, en 1943, le Liban s'est émancipé du mandat que la Société des Nations avait donné à la France sur la Syrie et le Liban lors de la chute de l'empire ottoman. La France très laïque de la IIIe république avait repris en 1921 la tradition née sous le Second Empire de protection des chrétiens d'Orient... Les Libanais, constatant l'absence de la France, ont donc pris leur liberté en 1943. Il s'agit, après guerre, de décider les équilibres de relations entre le Liban, l'Italie (qui a tenté dès les années 1920 de supplanter l'influence française au Liban), le Vatican et la France. On voit ici très clairement les enjeux et la façon feutrée dont les éventuels conflits sont réglés : le Vatican n'enverra son premier nonce (ambassadeur) à Beyrouth que quand la France y aura envoyé le sien. C'est poser un cadre.
Lettre de Jean Chauvel à Jacques Maritain
Paris, le 26 mars 1946.
Nous vous télégraphions par ailleurs (note : ce télégramme est une correspondance officielle que la correspondance officieuse ici présentée a pour mission d'éclairer) au sujet de la venue à Rome du ministre des Affaires Étrangères libanais.
Il semble que dans cette affaire le Saint-Siège se soit prêté au jeu libanais consistant à déborder Monseigneur Leprêtre (délégué apostolique à Beyrouth), sans doute le cardinal Tisserant (il est à la tête de la Congrégation des Églises orientales auprès du pape) et peut-être le cardinal Tappouni (patriarche de l'église catholique syriaque). Il importe donc que ce dernier soit exactement informé de ce que nous savons. Il est à peine besoin d'indiquer que notre source est très confidentielle.
Nous avons été amenés à Londres, compte tenu tant de la position générale des puissances concernant le système de sécurité collective que de l'opposition des États du Levant, à renoncer à notre base (militaire) à Tripoli (Tripoli du Liban et non de Libye). De ce fait la position que je vous avais indiquée et qui consistait à présenter cette base comme la plus sûre garantie de la protection des chrétiens tombe. Il me semble que désormais les affaires religieuses au Levant soient à considérer pour nous à peu près uniquement sous l'aspect culturel, à moins que, après une période d'incertitude, le gouvernement libanais lui-même, se sentant trop seul dans un monde trop encombré, vienne nous demander notre appui.
Quoiqu'il en soit d'ailleurs de cette éventualité, il me paraît évident que le Saint-Siège profitera des circonstances pour affirmer son autorité sur les rites orientaux de façon beaucoup plus dure qu'il ne le faisait du temps où nous représentions le bras séculier. J'ajoute que le gouvernement libanais sera probablement ravi de s'entendre avec lui sur cette base.
Il nous intéresserait grandement de connaître les réflexions du cardinal Tappouni sur ce sujet. J'ajoute que, s'il plaisait au cardinal de passer par Paris avant de rentrer au Liban, ce voyage, qui permettrait d'utiles échanges de vues, ne présenterait plus, l'accord étant intervenu entre nous et le gouvernement libanais, les inconvénients qu'on pouvait y voir il y a seulement une quinzaine de jours...
Réponse de Jacques Maritain
Rome, le 12 avril 1946.
Mon cher ambassadeur et ami,
Je réponds à votre lettre du 26 mars, les deux télégrammes (officiels) que j'ai envoyés au département (càd au ministère) au sujet des affaires libanaises vous ont déjà informé de l'essentie des événements. Le Saint-Siège a reconnu la République libanaise, le projet d'établissement de relations diplomatiques a été bien accueilli, mais pour sa réalisation nous avons réussi à gagner du temps, en particulier Monseigneur Tardini (secrétaire d'État càd ministre des Affaires Étrangères du Vatican) m'a promis qu'on attendrait en tout cas pour envoyer un nonce à Beyrouth que le gouvernement français y ait nommé un ambassadeur. Il n'a été question d'aucun objet de concordat (le cardinal Tappouni avait fait remarquer à M. Frangié (sans doute Hamid Frangié, frère du futur président du Liban) que la question ne pouvait se poser qu'après l'achèvement de la codification du droit canon des Églises orientales, c'est-à-dire dans quelques mois, et la situation de Monseigneur Leprêtre reste intacte pour le moment (la suite demain)...
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