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27/02/2008

Que faire de la fonction présidentielle ?

Interrogé sur le motif de sa baisse de popularité, Nicolas Sarkozy a indiqué qu'elle était, selon lui, due à des événements personnels qu'il n'avait pas prévus et auxquels il avait dû faire face. Pas un mot ni de son activité politique ni des résultats produits par les décisions qu'il a prises. Pour lui, tout réside dans le rapport entre l'égo et la foule. C'est le néant de la politique.
 
Plus encore : le président de la république est celui dont l'égo devrait être le moins important. Car l'être humain, à un certain degré de respnsabilité, doit se mettre tout entier au service de la fonction qu'il exerce. Et chacun sait que pour prendre les décisions cruciales, il faut une distance entre soi et l'objet de la décision ; si l'égo s'en mêle, la décision entre dans l'affect, elle est corrompue par nature et ne peut atteindre le succès que par hasard. Le vrai drame de Sarkozy est là : il est gouverné par son affect. Ce qui fait de lui certes un affectueux, mais aussi un affectif, tout dans l'instant et dans l'épiderme.
 
En fait, un président est comme un maire, mutatis mutandis : il doit être à l'aise aussi bien avec les faibles qu'avec les puissants, mais jamais complaisant. Il doit être capable d'une grande synthèse pour évaluer vite les enjeux d'une décision. Il doit être équitable pour répartir comme il faut les charges et les aides. Il doit... mais que fait-on du gouvernement ?
 
Car le maire est à la fois le président et son gouvernement.
 
Le gouvernement gouverne. Les mots ont un sens : il définit et conduit la politique de la nation. C'est quoi, la politique de la nation ? Ce sont les orientations de l'action de l'État dans les fonctions que le peuple lui assigne au nom de la nation.
 
Ces fonctions varient d'une époque à l'autre. On distingue les fonctions régaliennes : justice, sécurité intérieure et extérieure, et les fonctions sociales : enseignement, solidarité, culture, auxquelles se joint, fait plus moderne, l'optimisation et la régulation de l'économie. Sur tous ces sujets, legouvernement a pour mission de définir et conduire la politique de la nation, donc de commander aux administrations de l'État.
 
Mais alors, le président de la république ?
 
Le président de la république, selon la constitution, est un garant : garant de l'indépendance nationale, du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et de la continuité de l'État. Il exerce donc, au nom de la permanence de la France qu'on nomme la nation, une fonction de contrôle sur l'action des pouvoirs publics et en particulier du gouvernement.
 
On voit bien qu'il y a là une faille : c'est lui qui nomme le premier ministre qu'il est chargé, ensuite, de contrôler. Certes, le premier ministre peut ensuite être investi par l'assemblée (c'est l'usage), mais il tient son autorité du président qui le nomme.
 
Cette contradicition intime du texte constitutionnel avait échappé aux rédacteurs de la constitution de la Ve république, tant il était ancré dans les habitudes que le président se trouvât dans une situation passive et spectatrice pour nommer le premier ministre. On avait voulu renforcer les pouvoirs du président, jugés trop faibles dans le système antérieur (et en partie responsables de la défaite de 1940, faute d'une autorité qui veillât à l'unité et à la continuité de l'action publique), mais en fait, on lui conférait tous les pouvoirs : ses prérogatives de contrôle font du gouvernement l'instrument de son action, au lieu que lui-même en soit le contrôleur attentif.
 
En d'autres termes, le gouvernement (et avec lui l'administration de l'État) devait se retrouver pris en sandwich entre le peuple et le président, mais sous cette pression, le gouvernement n'a pas résisté, le président est seul face au peuple et c'est en fait l'administration qui gouverne (et même légifère). 
 
La fonction présidentielle s'est développée sur ce malentendu, renforcé par la décision de faire élire le président de la république au suffrage universel direct en 1962.
 
Dès lors, le président se retrouve dans la position du maire, d'autant plus que, grâce à la télévision, tout le monde croit le connaître, on le voit tous les jours, on sait chacun de ses faits et gestes publics. Et on projette sur lui l'image que l'on se fait de la fonction qu'il exerce.
 
Image psychanalytique s'il en est : le président est le père commun.
 
Image royale : le président continue la fonction du roi, il a le droit de grâce, il incarne le pays.
 
Image médiatique : le président est une star.
 
À travers les époques, l'imaginaire des Français a composé une sorte de profil-type du président de la république : l'élu doit être fort (Chirac était plus fort que Jospin, Mitterrand que Chirac et que Giscard II, Giscard I que Mitterrand, la règle antérieure étant différente, puisque la télévision ne filtrait pas les choses comme depuis). L'élu doit être un peu déluré (Mitterrand, Chirac).
 
Fort, l'élu doit avoir de la poigne pour résister à la pression des autre nations et se faire bon négociateur au service des intérêts du pays. Il ne doit pas avoir froid aux yeux et être capable d'affronter l'impopularité d'une décision qu'il sait impopulaire mais que les dossiers qu'il a sur son bureau lui réèlent hautement nécessaire. Il doit se montrer capable de calcul pour déjouer les pièges qu'on lui tend et, le cas échéant, en tendre aussi. Il doit avoir su sang-froid.
 
Déluré, l'élu a le droit de s'envoyer en l'air à tire-l'arigot. Il y est même invité et on est flatté de la réputation qu'il répand sur tous les mâles du pays.
 
Pour être élu, hélas, il doit aussi promettre n'importe quoi.
 
Une fois élu, les qualités qu'on lui demande sont autres : déluré toujours, mais sachant se tenir. Ayant de l'aisance, de la prestance, des qualités de danseur mondain, de la faconde si possible (de Gaulle, Pompidou, Mitterrand un peu), de la malice, et de la capacité à faire de l'argent. Il est désormais le reflet de chaque homme du pays. Chacun se voit en lui. Il doit être capable de rassembler le pays et d'en trouver le fil conducteur.
 
Il doit donc se modeler dans une forme de perfection de force et de justice.
 
La fonction présidentielle est désormais juchée sur un piédestal.
 
Sans doute trop. Sans doute y a-t-il, dans l'inconscient collectif plus encore que dans les institutions et dans les dérives des acteurs politiques, une résurgence de notre conception monarchique.
 
C'est peut-être pourquoi, voici quelques mois, lorsqu'elle sortit un volume de mémoires, la veuve de François Mitterrand (sphinx parmi les sphinx) a veillé à signaler que, pour celui-ci, la présidence de la république n'était pas une antre magique, mais un bureau, un bureau comme celui de tout un chacun, où il faisait un travail de bureau. Désacralisation.
 
Cette désacralisation connaît une accélération brutale, c'est le moins que l'on puisse dire, avec les images très destroy données par Nicolas Sarkozy ce week-end.
 
Alors ? que faut-il en penser ? est-ce une bonne chose de se rappeler que le président n'est pas un roi thaumaturge, mais un être de chair et de sang ? Ca le serait s'il ne s'agissait que de cela.
 
Mais le drame va plus loin et vient de plus loin. L'erreur de casting est profonde. Et elle n'est pas due seulement (contrairement à ce qu'il croit) à la personnalité de l'intéressé, elle est le fruit d'un système bloqué et sans doute épuisé.
 
Pour s'en sortir, le pays doit choisir l'électrochoc. 
 
Dans sa brillante note d'hier soir, Quitterie Delmas estime que le président de la république devrait dissoudre l'assemblée nationale pour composer une nouvelle majorité autour d'un nouveau projet. Elle ajoute qu'en fait, comme je viens de le souligner, c'est notre système institutionnel qui est à bout de forces. Et on sent bien que l'assemblée qu'elle voudrait voir convoquer est encore plus une assemblée constituante que législative.
 
Elle a raison. Et c'est pourquoi, comme elle, je souhaite qu'une initiative soit prise pour demander au président de la république de dissoudre l'assemblée nationale.