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12/02/2009

"Éden à l'ouest".

Costa-Gavras est le survivant d'une génération de cinéastes qui n'a jamais reculé devant les sujets politques, voire polémiques. "Z" et "L'Aveu" furent deux films qui, juste après mai 1968, dénonçaient les régimes totalitaires ou autoritaires de droite et de gauche. "La main droite du diable" s'en prenait au Ku-Klux-Klan. Avec la disparition des grandes idéologies, il s'est attaqué à l'un des plus délicats sujets historiques du XXe siècle ("Amen"), le rôle du Vatican dans la guerre. Il est ensuite revenu à la politique par en bas, par l'échelon de n'importe qui : un cadre sans emploi qui, constatant que la société économique est un jungle, décide d'y appliquer les lois de la jungle, il se procure la liste des autres candidats à un emploi qu'il vise, et il les abat un à un ("Le couperet").

Avec "Éden à l'ouest", il livre, à soixante quinze ans, un film impeccable, prenant de bout en bout.

Mais c'est paradoxal : Gavras est lui-même un Grec qui a quitté sa terre pour s'installer en France, et le point de vue qu'il adopte pour le faire est particulièrment désabusé. Qu'on en juge : il s'agit d'un clandestin venu d'Asie, on ne sait pas bien d'où, sans doute du Kurdistan, qui veut venir en Europe, atterrit en Grèce, puis en Italie, et enfin à Paris. La critique du comportement des autorités françaises quant à ces clandestins est feutrée, frêle, et c'est surtout le miroir aux alouettes occidental, que le cinéaste fustige.

Si quelqu'un a la "Complainte du phoque en Alaska", c'est le moment de la passer : "Ca n'vaut pas la peine de quitter ceux qu'on aime pour aller faire tourner un ballon sur son nez..." pourrait être à peu près la philosophie générale du film. Mais si l'on détache le fait que Gavras est lui-même d'origine grecque pour s'en tenir au sujet (coécrit avec Jean-Claude Grumberg), alors on trouvera une pure étude sur le témoignage qu'en font les sociologues : c'est la télévision qui véhicule dans les pays pauvres l'image d'une société occidentale noyée sous la profusion et l'abondance.

De fait, le film est hanté par les caméras de la télévision à partir du moment où le fugitif parvient sur le sol français. C'est en arrière-plan mais un peu plus qu'un décor. On voit tout d'abord un homme politique à cheval suivi par une remorque bondée de caméras et de micros (je crois que c'est la dernière campagne présidentielle), puis, lorsque le fugitif débarque gare du Nord, quelqu'un en sort en même temps que lui sous une nuée d'objectifs de caméras. Un peu plus tard, lorsque des gamins sont contrôlés par la police, c'est évidemment sous l'oeil des caméras (ce qui renvoie à la note de Quitterie - obsédante parce qu'elle est restée deux longs mois invariable sur son blog, mais tout de même nécessaire -). Et quand d'autres policiers obligent des SDF à replier leur petites tentes de Don Quichotte sur un trottoir, on voit naturellement des journalistes et une caméra à l'arrière-plan.

Et donc, s'il y a caméra, il y a cette réalité perpétuellement réécrite, qui fait que nous-mêmes ne sommes plus trop sûrs que notre vie est celle que nous vivons ou celle que notre télévision nous raconte. Et si nous n'en sommes pas sûrs, nous imaginons ce qu'elle peut paraître aux yeux de ceux qui vivent loin.

En chemin, le fugitif croise un de ses compatriotes qui, lui, rentre au pays, parce qu'au moins son pays, c'est sa terre, c'est chez lui, c'est sa vie. Mais le fugitif, lui, a un plan, et il lui faudra parvenir à Paris pour reconnaître, là seulement, que ce qui semble magie n'est qu'illusion.

L'Éden qu'il cherche n'a jamais existé, il n'est qu'une folie (être "à l'ouest", c'est bien cette folie), cet Éden est "à l'ouest", l'inverse peut-être du livre de Steinbeck ("À l'est d'Eden"), ou son symétrique qui n'en est peut-être pas l'inverse, mais le miroir, un miroir aux alouettes.