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15/11/2008

"Mensonge d'État".

Ridley Scott est un cinéaste anglais. Une fois qu'on a écrit ce constat, on s'attend presque à tout sauf à la filmographie qui s'ensuit, qui va de la carte postale gourmande (Une grande année) à l'anticipation féroce (Alien) en passant par le péplum tonitruant (Gladiator), avec des excursions baroques, comme la série télévisée Numb3rs qu'il a coproduite avec son frère (la première saison était vraiment étonnante, depuis ils exploitent leur idée).

Un trait commun dans tous ces films : le sens de l'action, de la tension, du suspense.

À l'époque d'Alien, on disait que Scott avait établi la bande-son du film presque selon une unité musicale, où la bande originale et les sons de l'action se conjuguaient pour haleter au même rythme que le pouls du spectateur, et quand la bande-son haletait plus vite, le spectateur haletait plus vite aussi, la pression montait. C'est le seul film de toute ma vie où j'ai hurlé (une fois, une toute petite fois, mais tout de même).

Avec donc une vision scientifique et totale de l'architecture d'un film, Ridley Scott se détache forcément dans le paysage cinématographique mondial, de plus en plus habitué au formatage des studios.

Son avant-avant-dernier film, "Une grande année", est une délicieuse carte postale pour rentiers anglais, représentant la Provence sage et française ("ici, le client a toujours tort"), mais c'est aussi l'une des dénonciations les plus féroces des milieux financiers que j'aie vu au cinéma ou ailleurs (quelqu'un demande à Russell Crowe, trader à Londres, "qu'avez-vous fait la dernière fois que votre patron a pris une semaine entière de vacances ?", réponse : "J'ai pris sa place").

Cette carte postale (où brille la pétillante Marion Cotillard) avait été précédée d'un grand, très grand, film assez méconnu et boudé par le public en raison de sa complexité sans doute et de sa longueur : "Kingdom of Heaven".

Dans ce film, Ridley Scott développait son troisième sujet historique (après "1492" et "Gladiator"). Troisième époque aussi : le XIIe siècle, la fin des croisades. C'est le moment où la dernière possession "franque" (occidentale) en Terre Sainte tombe aux mains des Arabes, en l'occurrence de Saladin. Sorti en 2005, ce film sonnait comme un désaveu explicite de la guerre d'Irak, raison sans doute pour laquelle une partie des leaders d'opinion le bouda. Sans doute aussi Scott n'aurait-il pas dû accepter les modifications de découpage et les amputations qu'on a fait subir à son oeuvre qui en a été amoindrie.

Quoi qu'il en soit, le propos du film était prémonitoire : une occupation étrangère ne peut qu'échouer et revigorer l'adversaire qu'elle humilie. En faisant tomber la dernière place forte croisée, Saladin promet de lourdes représailles à l'Occident.

Trois ans plus tard, le nouveau film de Ridley Scott, "Mensonge d'État", creuse le même sillon, répétant le même message, comme s'il voulait à tout prix que l'on reconnaisse qu'il avait raison la dernière fois, celle où on l'a boudé.

Sa thèse est explicitée dès le début du film par l'un des deux principaux protagonistes américains de l'histoire : de nos jours, Russell Crowe, chef du département Moyen Orient de la CIA, dicte à son ordinateur un exposé très précis sur les effets nettement contreproductifs d'une occupation étrangère, sous-entendant d'ailleurs aussi bien l'Afghanistan que l'Irak.

Cependant, quoique parfaitement au fait de ces effets hautement pervers, le personnage interprété par Crowe mène sa sale guerre de renseignement en Irak, en Jordanie, en Arabie, en Syrie, avec pour élément de terrain un jeune et prometteur agent interprété par Leonardo di Caprio, qui va expérimenter lui aussi le bon vieil adage selon lequel ceux que l'on frappe finissent toujours par frapper à leur tour.

Un film à cent à l'heure, d'une efficacité rare pour un cinéaste ayant atteint l'âge de 70 ans. Un propos sage et finalement humaniste, donc juste.