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29/01/2007

Pourquoi pas Blaise Cendrars ?

Finalement, il n'y a que l'intelligence qui compte.

J'ai rencontré mon premier texte de Cendrars à douze ans. C'était "L'or", une histoire incroyable qui promène un Suisse ruiné à travers les États-Unis du XIXe siècle, jusqu'à la Californie. Progressivement, sur son chemin, lui qui a quitté l'Europe après une faillite, il bâtit une fortune. Arrivé en Californie, il rencontre les scories de la colonisation espagnole et transforme sa fortune en empire. Puis les États-Unis acquièrent la Californie et lui promettent qu'il conservera ses milliers d'hectares. Hélas, un passant trouve de l'or sur ses terres et aussitôt, les chercheurs affluent, jaillissant de partout : de tous les États-Unis, bien sûr, mais aussi des quatre coins de l'Europe. Avides de métal jaune, ils envahissent tout, édifient des villes entières, c'est la célèbre "ruée vers l'or". Le Suisse est matériellement dépossédé de sa terre. Durant plusieurs décennies, il la réclame à toutes les justices américaines. En vain. Il meurt ruiné. "L'or m'a ruiné", confie amèrement le personnage de Cendrars.

Le choc pour moi a été de découvrir la structure du texte en le lisant. Jusque-là, j'avais toujours été passif devant ma page. La narration coulait en moi comme de l'eau tiède. Avec ce livre, je réagissais, j'agissais, j'étais là. Je me disais même "Ca, ça, je pourrais le faire". Un roman ordinaire, non, ce n'était pas pour moi. Mais "L'or", c'était un fruit de moi.

Puis je suis retombé dans la même indifférence à la structure des livres que je lisais, sauf bien entendu Victor Hugo, mais c'est une autre histoire.

Je me suis longtemps demandé pourquoi j'éprouvais une telle familiarité avec cette oeuvre. Bien plus tard, en découvrant "La main coupée", un plus volumineux recueil sur la guerre de 14-18, j'ai retrouvé une partie de ma sensation, malgré une nuance : "L'or" est une narration linéaire qui mène à un dénouement, "La main coupée" est une chronique forcément moins rythmée, moins scandée. Mais tout de même, il y a quelque chose.

Je crois que c'est de l'intelligence.

C'est curieux, d'ailleurs, car Cendrars n'a pas été malin à toutes les époques de sa vie, il a dit et écrit des bêtises pendant la seconde guerre mondiale, par exemple, et je n'aime guère son récit le plus connu, "Moravagine", trop grandguignolesque pour moi, trop tape-à-l'oeil, trop ahânant dans l'esprit du "que va-t-il encore inventer ?".

Mais les deux oeuvres que j'ai citées sont des condensés de vivacité, les mots y sont tous liés par la chaîne mystérieuse et électrique de l'intelligence. Même quand le propos est ordinaire, la pensée y trouve des chemins.

Alors, même si l'on n'approuve pas toujours Cendrars, on peut se dire que par cette manière de développer un raisonnement dans l'épaisseur de la narration, il contribue, lui aussi, à "agrandir les esprits".

Du reste, sa vision de la ruée vers l'or est époustouflante : comme dans Lucky Luke scénarisé par Goscinny, on voit les personnages qui au seul prononcé du mot "or" laissent tout, leur casserole sur le feu, leur fer à repasser sur la braise, et qui courent, se précipitent, se jettent qui dans un bateau, qui dans une diligence.

Et enfin, cette Amérique des filons (j'ai bien écrit filons et non filous), cette Amérique où quand un producteur de cinéma fait un gros succès avec un film de pirates, tous les autres producteurs vont se ruer pour faire chacun "son" film de pirates, cette Amérique où du jour au lendemain, une et une seule image va focaliser toutes les attentions, pour retomber vite dans un anonymat total, remplacée par une autre, cette Amérique où l'on peut en quelques années bâtir des empires qu'une frénésie nouvelle pourra détruire en quelques mois, cette Amérique-là, survoltée, dévorée par ses propres engouements, toujours à l'affût d'un rêve de fortune miraculeuse, d'un gisement magique ou providentiel, cette Amérique-là n'est-elle pas l'Amérique de toujours ?

Libre ?

20:20 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : auteurs, histoire | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Ah moi aussi je me souviens de "L'or".

J'ai adoré.C'était passionnant.

Écrit par : alia* | 29/01/2007

Record de rapidité battu : je viens à peine de poster ma note et déjà une réponse !

Votre blog (très fréquenté, si j'ai bien compris) est plein d'images et de mots de toutes les formes. Les photos sont belles et les mots, de vous ou importés, ont un sens.

Merci de votre visite.

Écrit par : Hervé Torchet | 29/01/2007

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