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13/02/2007

Au sénat, là où s'asseyait Victor Hugo.

Victor Hugo fut créé pair de France sous la monarchie de Juillet. C'est l'époque où "ver de terre amoureux d'une étoile", il se laissait tenter par les beautés blondes du régime.

C'est aussi à peu près l'époque où l'échec sonore de ses "Burgraves" (les "barbus graves" selon les critiques railleuses du temps) annonçait la fin de la période flamboyante du théâtre romantique.

C'est enfin le moment où, comble d'embourgeoisement, il fut reçu à l'Académie française (et pourtant, il écrivait enragé, mais en privé, "Les quarante fauteuils et le trône au milieu").

À cette même période se place l'une des anecdotes à la fois les plus drôles et les moins glorieuses de sa vie : il eut l'idée gourmande d'une jolie femme mariée à un autre. Il invita donc la dame en question à une conversation très privée dans un boudoir, sur un divan.

Or voici que le cocu s'offusqua de ses cornes. L'adultère, en ce temps-là, était un délit civil, certes, mais surtout un délit pénal. Le commissaire de police requis se déplaça ainsi que les témoins utiles, et voici tout ce beau monde qui fait irruption dans le boudoir.

Aussitôt, Hugo bondit comme un diable, tout échevelé et effaré, il se drappe dans son immunité parlementaire et glapit :

- Je suis le pair de France ! Je suis le pair de France !

Et, se rhabillant, il s'enfuit en criant encore :

- Je suis le pair de France !

Le lendemain, son ami Lamartine se gausse de lui à la une du "Bien public" :

- La France est élastique, on s'y relève de tout, même d'un canapé.

Hélas, l'infortunée adultère, elle, ne put échapper aux foudres de la justice. Farouche inégalité qu'Hugo ne chercha pas un instant à réparer et qui reste l'un de ses rares déshonneurs.

Heureusement, il s'est racheté depuis, ô combien.

La chambre des pairs de la monarchie de Juillet est l'actuel sénat. La place de Victor Hugo y est signalée par une plaque.

Comme la France est le pays qui compte autant de musées que de fromages (ce qui n'est pas peu dire) et autant de commémorations que de saints du calendrier, on aurait pu en faire autant pour celle de Lamartine à l'Assemblée, ou pour celle de quelques autres plumes un jour ceintes d'écharpes tricolores.

Mais Hugo reste le père de la république, à jamais pair de France et à jamais père de la république.

Et si l'on aimerait bien parfois (ne fût-ce que pour la qualité des débats qui souvent écorchent nos oreilles) voir plus de bon(ne)s écrivain(e)s hanter les bancs parlementaires, si l'on aimerait bien retrouver la diversité des esprits de la France dans un milieu devenu très uniforme, aucun, c'est sûr, ne pourra jamais dévisser la petite plaque de laiton, témoin de l'ère de Victor Hugo, que l'on trouve en examinant son pupitre dans le velours du palais du Luxembourg, à l'ombre de Marie de Médicis, quand on a la fantaisie de s'y promener.

Et en ressortant, on se rappellera que la dorure et l'embourgeoisement n'ont pas réussi à empêcher le génie d'écrire plus tard "Les Misérables". Libre.

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12/02/2007

Kessel : le temps des journalistes.

On dit que Kessel aimait à écrire en rentrant de ses nuits agitées et arrosées dans les cabarets russes. Après avoir croqué du verre et fait danser les violons tziganes, il revenait, libéré peut-être de lui-même, s'asseoir à sa table.

Là, de ses puissantes mains, il empoignait ses sujets sans ménagement et les troussait comme des filles de cabaret.

J'ai lu "Le Lion" à l'âge de dix ans, c'est le bon moment. J'ai palpité avec le jeune guerrier en cours d'initiation, j'ai tremblé devant le regard énigmatique de l'animal roi qui sait qu'il va mourir.

Plus tard, j'ai lu "Belle de Jour", une autre affaire évidemment, peut-être son sujet le plus intéressant.

Il faut le dire, Joseph Kessel est d'abord un écrivain de l'aventure, d'une génération de "trotteurs de globe" (au fond, l'expression est plus jolie traduite en français) qui a découvert toutes les parties du monde alors ouvertes à l'Européen tout-puissant et qui a trouvé une oreille passionnée à ses révélations exotiques.

Des montagnes de l'Afghanistan au soleil de la Mer Rouge, des "Cavaliers" à "Fortune Carrée", Kessel a tout exploré. Ses documents journalistiques lui ont aussi inspiré des recueils en plusieurs volumes et, enfin, la Russie, fausse patrie de ses pères juifs exilés (en fait de Lithuanie), l'a fait écrire sur Raspoutine et sur l'entourage du dernier tsar.

Il a publié parfois trois ou quatre romans dans la même année, comme Simenon, tous écrits trop vite, mais parfois grisants.

Son premier succès fut "L'équipage" par lequel il relatait ses années de pilote durant la première guerre mondiale.

Car il ne s'est jamais contenté du témoignage du journaliste : toujours il fut un homme d'action. Installé à Londres, il participa à l'aventure d'exil du général de Gaulle et fut l'auteur avec son neveu Maurice Druon des paroles de l'inoubliable "Chant des partisans" que j'aime bien fredonner dans mon bain, les jours où je sens notre pays s'enfoncer dans le marasme et le doute.

Hélas, c'est la prise de pouvoir des gaullistes à la fin des années 1950 qui nuit aujourd'hui au souvenir de Kessel : il n'a pas éloigné ses pas de ceux du pouvoir et, au contraire, a incarné ses amitiés politiques dans un clan.

Oh, bien sûr, je connais des gens très bien qui en ont fait partie, mais la trace du clan n'est pas ensoleillée.

Bien sûr aussi, je ne suis pas hostile à l'idée d'une génération qui pousse pour faire sa place et imposer ses nouveautés parmi les vestiges du passé, mais encore faut-il qu'elle ait une rêverie plus grande qu'elle à exprimer.

Or de tous les écrivains chéris du gaullisme, outre Kessel, il ne restera que Romain Gary (d'ailleurs d'un autre clan). C'est peu pour justifier une domination si intense sur une période artistique.

Heureusement, Kessel a écrit la plupart de ses meilleures oeuvres bien avant les années 1960.

Alors vraiment, il m'arrive de relire Kessel avec plaisir car c'est un écrivain de la vie, mais je l'aurais préféré encore plus libre.

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05/02/2007

Albert Cohen et les identités collectives.

L'histoire de Solal, personnage central d'Albert Cohen, s'étale sur plusieurs oeuvres ; on pense en particulier à "Mangeclous" et aux "Valeureux".

Tout commence au soleil des îles grecques, au Levant. Il y a là une communauté juive insulaire, bon enfant et fiévreuse, désordonnée et rêveuse. Tendrement ridicule.

Ces Juifs ont des liens avec la France, traces de l'Histoire. Ils en rêvent, ils en parlent avec de grands mots et force courbettes sincères. Ils finissent par y venir. Et c'est là que tout se gâte : Solal, l'enfant chéri de leur communauté, l'homme plus intelligent que les autres, le malin, doué pour la belle parole et la finance, le cerveau, le dandy aussi, va se diviser entre son appétit mondain et ses racines sans cesse surgissantes, cette famille encombrante et baroque qui horrifie la "bonne société" européenne, qu'elle soit d'ailleurs française ou suisse.

Solal, cyclothymique, dépressif, mais brillant et chanceux, beau aussi, gravit sans cesse les échelons de la fortune, puis reperd tout, s'enfuit dès qu'il voit reparaître ses racines, qu'il a pourtant cherché à enfouir toujours (fût-ce physiquement) dans le sous-sol de sa maison ou dans l'arrière-fond de son cerveau. Avec ses racines, il fuit aussi la femme qu'il aime, qui en est à la fois l'opposé et le miroir.

Finalement, il est question du retour vers la Terre Promise. Libération illusoire ?

Avec Solal, toujours, l'individu qui croit avoir atteint lui-même, et seul, son accomplissement, se retrouve hanté par la pression de sa communauté. Peut-il vivre sans elle ? Mais comment vivre avec elle ? Comment vivre, surtout, à la fois avec elle et avec les autres, ceux qui n'en sont pas ?

Cette question n'est pas que pour les Juifs. Elle concerne tout le monde. L'émancipation de la personne, l'harmonie de sa vie avec ses proches et avec de plus lointains, le malaise identitaire, la pression du groupe sur l'individu, la solidarité aussi, tout cela résonne en chacun de nous.

Et puis, Albert Cohen écrit parfois si joliment. Et "Belle du Seigneur". Et "Le livre de ma mère"...

Pour le soleil, on lira Solal, une plongée dans les eaux turquoise de la Méditerranée qui, de ce point de vue-là, ne peut être comparée qu'avec le "Graziella" de Lamartine. C'est un livre tout simplement délicieux.

Une fois qu'on a goûté à "Solal", on ne peut plus se passer de lire les autres ni de se demander comment on peut espérer vivre libre.

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04/02/2007

Mais si, j'aime les écrivains français !

Qu'on ne s'y méprenne pas : il y a des quantités d'écrivains français et francophones qui méritent qu'on les lise.

Je pense et je dis du bien de Dugain, Gavalda, Anne Goscinny, Caroline Bongrand (ça, ce sont deux copines, en plus), Amette, Queffélec, Patrick Chauvel, Rufin, même Moix (et pourtant...), j'ai beaucoup aimé le livre de Schneider sur Marylin, celui de Bataille sur Grasset (sans rancune pour l'agenouillement actuel de cette maison), je pense du bien même d'écrivains que je n'ai pas lus, comme Marc Lévy ou Amélie Nothomb, parce qu'ils donnent du plaisir à leurs lecteurs et que ça compte beaucoup. Je ferai ici le compliment de beaucoup d'autres. Mais franchement, rien de tout ça n'échappe à l'anecdote.

On pense à Jules Verne. Certains de ses romans furent publiés en feuilletons quotidiens, à la manière de son maître Dumas. Or les correspondants parisiens de journaux américains achetaient des exemplaires des français dès la sortie des presses pour aussitôt télégraphier les textes aux États-Unis, pour qu'ils pussent y paraître dès le lendemain.

Quel extraordinaire engouement. Or Jules Verne a-t-il dansé aux pieds d'un trône ? Jamais : il était très à gauche et aujourd'hui, il voterait sans doute Bové. A-t-il lutté pour écraser ses voisins ? Jamais : ses derniers mots, en mourant, furent : "Soyez bons".

Alors ?

Alors, il a voulu ardemment être un grand écrivain. Il l'a voulu de toutes ses forces. Et il a cherché. Hetzel, la première fois qu'il l'a vu, lui a dit en substance : "Il y a tout, dans vos romans, tout y est, tout est bien, sauf ... un fil conducteur, une intrigue". Verne s'est acharné. Il a creusé. Et c'est seulement parce qu'il était bon, parce qu'il voulait le bien public (expression de Lamartine, d'ailleurs, qui a fondé le quotidien "Le Bien Public" à Dijon), parce que dans son siècle, il voulait comme Dumas, comme Hugo, "agrandir les esprits", qu'il a trouvé une grande place, par ses propres goûts et pour être utile à tous.

Et son oeuvre a joué un très grand rôle dans la fièvre de progrès du XIXe siècle : elle a donné le goût des sciences à des foules d'indécis. Elle a transmis du savoir et donné envie d'en découvrir plus encore. Combien de vocations d'ingénieurs, d'inventeurs ?

Or il n'est révolution que de savoirs.

Seules les "lumières du savoir" (Hugo) enracinent la démocratie dans la multitude.

Voilà pourquoi la sagesse et le sourire de tous nos bons écrivains ne suffisent pas. Parce qu'il y a aujourd'hui un monde qui ressemble à la France et à l'Europe du XIXe siècle et qu'à ce monde, nous ne disons rien, rien qui vaille d'être retenu.

Il faut donc creuser encore. Jusqu'à la liberté.

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03/02/2007

Marc Dugain et la Russie des terreurs.

Le pouvoir dans chaque pays est marqué par un trait particulier. En Russie, c'est une trace de sang.

Un photographe de guerre que je connais m'expliquait qu'au Liban, au plus fort de la guerre, dans les années 1980, alors qu'on enlevait à tours de bras et de toutes les nationalités, on n'avait jamais pris qu'un seul Russe (soviétique) en otage. Pourquoi ? Parce que, quelques jours plus tard, ses ravisseurs avaient reçu une cassette vidéo. Sur cette cassette, l'un d'entre eux était aux mains des services russes. Ceux-ci, tranquillement, sous l'oeil de la caméra, le désossaient vivant. Vivant. Geste d'une férocité inouïe.

On repense à ce qu'écrivait Dumas sur les atrocités russes au milieu du XIXe siècle, la sauvagerie d'une culture dont la figure emblématique reste Ivan le Terrible.

Peut-on diriger la Russie sans incarner Ivan le Terrible ?

Marc Dugain a su retrouver la vérité de cette question. Dans un livre très incisif, avec son style élégant, simple, sans la moindre esbrouffe, très dialogué, au plus près de la vie des gens, il brosse le portrait en pied de la Russie de Staline à nos jours.

Et en France ? Faut-il donc être Napoléon ? Louis XIV ? Robespierre ? Danton ? Henri IV ?

Henri IV, au moins, ce serait la réconciliation et la concorde.

On peut en tout cas lire "Une exécution ordinaire" de Marc Dugain chez Gallimard. Et avoir d'autant plus envie d'être libre.

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29/01/2007

Pourquoi pas Blaise Cendrars ?

Finalement, il n'y a que l'intelligence qui compte.

J'ai rencontré mon premier texte de Cendrars à douze ans. C'était "L'or", une histoire incroyable qui promène un Suisse ruiné à travers les États-Unis du XIXe siècle, jusqu'à la Californie. Progressivement, sur son chemin, lui qui a quitté l'Europe après une faillite, il bâtit une fortune. Arrivé en Californie, il rencontre les scories de la colonisation espagnole et transforme sa fortune en empire. Puis les États-Unis acquièrent la Californie et lui promettent qu'il conservera ses milliers d'hectares. Hélas, un passant trouve de l'or sur ses terres et aussitôt, les chercheurs affluent, jaillissant de partout : de tous les États-Unis, bien sûr, mais aussi des quatre coins de l'Europe. Avides de métal jaune, ils envahissent tout, édifient des villes entières, c'est la célèbre "ruée vers l'or". Le Suisse est matériellement dépossédé de sa terre. Durant plusieurs décennies, il la réclame à toutes les justices américaines. En vain. Il meurt ruiné. "L'or m'a ruiné", confie amèrement le personnage de Cendrars.

Le choc pour moi a été de découvrir la structure du texte en le lisant. Jusque-là, j'avais toujours été passif devant ma page. La narration coulait en moi comme de l'eau tiède. Avec ce livre, je réagissais, j'agissais, j'étais là. Je me disais même "Ca, ça, je pourrais le faire". Un roman ordinaire, non, ce n'était pas pour moi. Mais "L'or", c'était un fruit de moi.

Puis je suis retombé dans la même indifférence à la structure des livres que je lisais, sauf bien entendu Victor Hugo, mais c'est une autre histoire.

Je me suis longtemps demandé pourquoi j'éprouvais une telle familiarité avec cette oeuvre. Bien plus tard, en découvrant "La main coupée", un plus volumineux recueil sur la guerre de 14-18, j'ai retrouvé une partie de ma sensation, malgré une nuance : "L'or" est une narration linéaire qui mène à un dénouement, "La main coupée" est une chronique forcément moins rythmée, moins scandée. Mais tout de même, il y a quelque chose.

Je crois que c'est de l'intelligence.

C'est curieux, d'ailleurs, car Cendrars n'a pas été malin à toutes les époques de sa vie, il a dit et écrit des bêtises pendant la seconde guerre mondiale, par exemple, et je n'aime guère son récit le plus connu, "Moravagine", trop grandguignolesque pour moi, trop tape-à-l'oeil, trop ahânant dans l'esprit du "que va-t-il encore inventer ?".

Mais les deux oeuvres que j'ai citées sont des condensés de vivacité, les mots y sont tous liés par la chaîne mystérieuse et électrique de l'intelligence. Même quand le propos est ordinaire, la pensée y trouve des chemins.

Alors, même si l'on n'approuve pas toujours Cendrars, on peut se dire que par cette manière de développer un raisonnement dans l'épaisseur de la narration, il contribue, lui aussi, à "agrandir les esprits".

Du reste, sa vision de la ruée vers l'or est époustouflante : comme dans Lucky Luke scénarisé par Goscinny, on voit les personnages qui au seul prononcé du mot "or" laissent tout, leur casserole sur le feu, leur fer à repasser sur la braise, et qui courent, se précipitent, se jettent qui dans un bateau, qui dans une diligence.

Et enfin, cette Amérique des filons (j'ai bien écrit filons et non filous), cette Amérique où quand un producteur de cinéma fait un gros succès avec un film de pirates, tous les autres producteurs vont se ruer pour faire chacun "son" film de pirates, cette Amérique où du jour au lendemain, une et une seule image va focaliser toutes les attentions, pour retomber vite dans un anonymat total, remplacée par une autre, cette Amérique où l'on peut en quelques années bâtir des empires qu'une frénésie nouvelle pourra détruire en quelques mois, cette Amérique-là, survoltée, dévorée par ses propres engouements, toujours à l'affût d'un rêve de fortune miraculeuse, d'un gisement magique ou providentiel, cette Amérique-là n'est-elle pas l'Amérique de toujours ?

Libre ?

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25/01/2007

Libre, Deniau ?

Je salue Jean-François Deniau aujourd'hui seulement, faute d'avoir été proche de mon ordinateur hier.

Le roman de Deniau que j'ai préféré, c'est "Un héros très discret", l'histoire (adaptée pour le cinéma par Jacques Audiard) d'un faux résistant, un homme qui s'incruste comme un escroc dans un réseau d'ex-résistants juste après guerre et qui, de fil en aiguille, devient ministre du général de Gaulle. Il paraît que c'est une histoire vraie.

Deniau, moins littéraire mais plus historique, avait aussi été à vingt-huit ans l'un des rédacteurs du traité de Rome sur la Communauté Européenne. La construction européenne a prouvé que l'on pouvait remplacer la guerre par l'union des peuples. Hommage donc.

On le voyait à Concarneau, au salon du livre de mer où il venait siéger parmi les écrivains de la Marine. Il accompagnait sa signature d'une ancre et revêtait un pull de grosse laine bleu ... marine.

Il vient de rejoindre son port d'attache. Enfin libre.

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23/01/2007

Tristes livres ?

Livres Hebdo fait le bilan aujourd'hui sur www.livrehebdo.com sur les ventes de livres en 2006.

Elles ne sont pas fameuses. Aucun livre n'atteint le tirage d'un million d'exemplaires. Encore les trois titres à avoir franchi ce cap en 2005 étaient-ils Astérix, Harry Potter et le da Vinci code en format de poche, soit une BD, un livre pour enfants et une édition dérivée.

Les chiffres des cinquante titres les plus vendus (toutes catégories confondues) avoisinent les 10,5 millions d'exemplaires, contre 13,3 millions l'année précédente. On voit que les affaires ressemblent au marasme à s'y méprendre.

Du reste, les dix meilleures ventes sont : Titeuf (BD), da Vinci code (poche) encore, le Goncourt Jonathan Littell ("Les Bienveillantes"), Marc Lévy en poche, un autre Dan Brown, Gavalda ("Ensemble, c'est tout", un berlingot de bonheur à l'état pur pour soirées maussades, un anxiolytique), Guillaume Musso ("Sauve-moi" en poche), Marc Lévy en grand, Lauren Weisberger ("Le diable s'habille en Prada", américain adapté pour le cinéma) et un autre Guillaume Musso.

Somme toute, quatre nouveaux titres "en vrai" : le Goncourt qui a fait l'unanimité de la critique, le Gavalda qu'on mangerait page par page tant ça fait du bien, Marc Lévy et Guillaume Musso. Trois auteurs sont présents deux fois. On ne peut pas dire que la concurrence dynamise le marché.

Alors ? Quelle leçon en tirer ?

Relire Hugo, relire Balzac.

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19/01/2007

Fausse récréation : la génération de 1830

Tout commence en 1817.

Cette année-là, le nouveau régime prend de l'assurance, on ne croit plus que Napoléon puisse revenir de Sainte-Hélène, la Restauration trouve ses marques, Paris se donne de nouvelles couleurs et cherche sa nouvelle atmosphère littéraire.

Dans un contexte international troublé, alors que beaucoup d'ex-émigrés commencent déjà à se souvenir avec une forme de nostalgie des années qu'ils ont passées en Allemagne, en Amérique ou en Angleterre, un éditeur a l'idée de publier la traduction d'un ténébreux jeune poète maudit anglais : Byron. Succès immédiat.

La vie littéraire parisienne suit cependant son cours ronronnant gavé d'emphase et de périphrases. Un autre éditeur se dit : puisque Byron, auteur mort, a si bien réussi, pourquoi ne pas trouver un poète maudit, français celui-là ? Or André Chénier, guillotiné en 1794, fait très bien l'affaire dans le Paris de la Restauration. En 1819, Chénier triomphe donc.

L'année suivante, on s'enhardit encore : pourquoi le poète devrait-il nécessairement être mort ? Voici donc en 1820 Lamartine, premier poète vivant du nouveau style, premier succès. Les romantiques sont nés. En 1821 et 1822, Hugo et Vigny, puis tous les autres. Hugo décrira plus tard cette transition de l'une de ses formules géniales : "Chénier, le plus romantique des classiques ; Lamartine, le plus classique des romantiques".

Sous la férule de l'écrivain adepte du fantastique Charles Nodier, la troupe romantique se développe et prend forme dans les années 1820. Elle s'empare du pouvoir en février 1830 avec la bataille d'Hernani qui sonne les trois coups du lever de rideau de la révolution de juillet 1830.

Parmi les romantiques, quatre têtes émergent : Hugo, Balzac, Dumas et Lamartine. Hugo et Dumas, tous deux fils de généraux de la Révolution, sont les républicains, Dumas surtout. Son père a même quitté l'armée au moment où Bonaparte est devenu Napoléon. Hugo commence à droite et finit tout près des Communards. Balzac est proche des légitimistes, mais il est féministe comme on peut l'être alors, il veut émanciper la femme. Lamartine, poète par hasard plus que par vocation, est surtout un homme politique, j'en ai déjà parlé.

Concentrons-nous un instant sur Hugo et Balzac. Pourquoi eux ? D'abord, parce qu'ils ont fondé la Société des Gens de Lettres. Ils ont par là voulu permettre aux écrivains de défendre les droits d'auteur, surtout les écrivains les plus fragiles face aux éditeurs, alors tout-puissants.

Mais aussi parce qu'ils ont tracé deux lignes parallèles pour servir de perspective à tous ceux qui veulent écrire : Hugo dit pourquoi et Balzac dit comment.

Hugo pourrait dire aussi comment : son style est éblouissant et sa construction rigoureuse. Mais il est tellement atypique et personnel qu'on ne peut pas s'en inspirer, on ne peut que le pasticher. En revanche, sur la mission du texte et de l'auteur, il montre un chemin, le plus grand.

Balzac, en revanche, emploie les mots de tout le monde et s'exprime avec une élégance simple, sans autre effet de style que la construction même de l'intrigue et des portraits. Il met le lecteur sous une pression excitante.

Pourquoi et comment écrire. Si j'ai sonné cette fausse récréation, c'est pour qu'on se rappelle la double leçon que mes contemporains ont trop souvent oubliée.

Il faut le dire : il est plus commode et beaucoup moins dérangeant d'écrire et de publier des livres inconsistants. Ca arrange tout le monde. Tout le monde sauf le lecteur, la vérité et la liberté.

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13/01/2007

Portrait d'Anne Goscinny

Anne Goscinny est un paradoxe. Pour tous ceux qui ne la connaissent pas, elle est surtout la fille de son père et les simples syllabes go-si-ni éveillent si spontanément le sourire et la joie, réchauffent tellement le coeur, que tous ceux qui la rencontrent ont envie de se jeter sur elle pour remercier son père.

Or ce père, elle l'a peu connu. J'ai perdu le mien lorsque j'avais dix-sept ans et je peux témoigner que le puzzle est très incomplet, il y a mille choses que j'ignore et deux mille que j'aurais aimé entendre. Anne avait neuf ans et demi lorsque son père est mort.

Elle est donc dans la situation paradoxale de se voir constamment sollicitée pour un témoignage qu'elle a dû reconstruire.

Lorsque je l'ai rencontrée, au printemps 2004, elle sortait son deuxième roman chez Grasset, "Le Voleur de Mère", un livre sur sa mère, sur toutes les mères, sur toutes les filles aimant éperdument leur mère. Un livre aussi sur le cancer, ou plutôt contre le cancer. Un livre qui devrait être remboursé par la Sécu. Un texte bouleversant construit pour être dit à voix haute. J'ai eu le privilège d'assister à une lecture organisée par elle et nous étions tous au moins au bord des larmes.

Il faut dire qu'Anne cherche l'émotion. Pour elle, un mot ne sert à rien s'il n'exprime pas une émotion.

Son troisième roman, "Le père éternel", s'attaque à la figure paternelle. Il est aussi complexe qu'on peut l'imaginer. Il atteint un grand degré de qualité : bien écrit, bien construit, vivant, clair, émouvant, empli de détours et de tombeaux-gigognes. Et bien sûr, en le lisant, on se demande sans cesse ce qu'elle y a inclus de ses relations avec son père.

Nous avons sympathisé, elle et moi, sur un goût littéraire et sur quelques valeurs intimes. Elle me parlait de l'engagement de son grand-père paternel dans les mouvements qui ont préparé la création d'Israël en Palestine. Or je n'ai pas indiqué dans mes repères biographiques qu'élevé dans une famille de tradition catholique et partiellement pratiquante, je m'étais toujours vu dire que si un jour je voulais me convertir au judaïsme, j'y avais une faculté naturelle, puisque la mère de la mère de la mère de ma mère l'était (il s'agit d'une dénommée Rebecca Suhami, sépharade et londonienne, mariée à un manufacturier de plumes d'autruches, Joseph da Costa Andrade, dont la fille s'était convertie à l'anglicanisme après avoir épousé James Davis, un ashkénaze circoncis sous le nom d'Itzhak HaLevi et bien connu à Londres en 1900 comme librettiste d'opérettes sous le pseudo d'Owen Hall, bref...). Je suis demeuré comme j'étais, c'est-à-dire sceptique du fait religieux, mais j'ai toujours milité contre l'antisémitisme et pour le droit d'Israël à vivre en paix avec ses voisins et pour une paix des braves entre Israéliens et Palestiniens malgré les boutefeux des deux camps. Anne m'expliquait les oeuvres sociales pour lesquelles elle s'investissait et investissait et tout ceci suscitait beaucoup de respect.

Nous avons fait le chemin de l'amitié. Je l'ai découverte franche, directe, non conformiste, généreuse, espiègle, curieuse, bonne mère de deux gamins sautillants et bonne épouse (d'Aymar éditeur fort sympathique du "Petit Nicolas", voir www.petitnicolas.net).

Aujourd'hui, ses amis, dont je suis, sont inquiets de l'avoir vue tant maigrir. Elle en devient impressionnante et frêle.

Elle vient sans doute de refermer un cycle avec son "Père éternel". Peut-être pourrait-elle réfléchir à une corde à ajouter à son arc. Elle hésite à se frotter à la silhouette puissante de son père, mais comme elle est volontiers caustique et mordante sans méchanceté, avec juste le ton de la drôlerie, elle pourrait envisager (j'écris avec prudence pour qu'elle ne me fasse pas les gros yeux) de développer une part de son talent qu'elle avait montrée un peu dans son premier roman, "Le bureau des solitudes" : l'humour. Elle n'est pas obligée de se lancer dans le burlesque, mais elle y gagnerait un degré de plaisir d'écrire, à mon avis, et c'est déjà beaucoup.

Son "père éternel" est en tout cas une bien profonde et jolie musique.medium_Anne_.jpg

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