Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/02/2007

Internet et la pauvreté.

Lorsque je suis allé pour la dernière fois en Haïti, l'été 2002, j'ai retrouvé un pays en plein chaos.

Vingt ans plus tôt, exactement, en 1982, je m'y étais rendu pour la première fois. Je venais de perdre mon père et de passer mon bac.

Le pays, en 1982, était d'une pauvreté indicible, digne, souriante. On me disait "Ne parle jamais de politique" (je n'avais pas entendu parler des macoutes, mais je ne voyais de toutes façons aucune raison de parler de politique à tous ces inconnus (sauf à ceux qui m'accueillaient, c'est naturel)). On me disait aussi "Si par malheur on écrase un chien sur la route, on ne s'arrête pas, car les villageois seraient furieux". Bon, me disais-je, ça se comprend. J'avais dix-sept ans. On me disait aussi "Si en entrant en ville, on est contrôlé, on s'en sort avec un billet d'un dollar" (ou peut-être cinq). Triste police, songeais-je.

Le paysage était magnifique, on a peu idée de la beauté de ce pays. Les montagnes cultivées en escalier sur la terre rouge rappellent certaines aquarelles chinoises, d'une poésie illimitée. La végétation, quand il en reste, foisonne avec grâce.

Nous sommes montés jusqu'à la citadelle Laferrière, dont Césaire parle dans sa "Tragédie du roi Christophe", un site prodigieux, escarpé, où des canons de Napoléon, énormes, tout en bronze, pesant onze tonnes chacun, attendent l'improbable retour du colonisateur français.

Vingt ans après, y retournant, je lisais le bilan annuel du "Monde", pays par pays, dans l'avion qui me conduisait là-bas via Pointe-à-Pitre. L'article "Haïti" commençait par cette phrase : "L'insécurité est devenue telle que même les cartels colombiens s'en sont retirés". C'était le pays vers lequel je volais. Il n'y a pas de signal d'alarme, dans un avion. Pas moyen de sauter en vol, ni de faire demi-tour. Je crois que j'ai demandé un double cognac. je n'avais plus dix-sept ans.

J'ai donc retrouvé Haïti. Ou plutôt, je ne l'ai pas retrouvé.

J'ai découvert presque dès les premiers tours de roues ce que signifiait pour un pays de n'avoir plus du tout d'état, plus d'administration, plus rien.

Deux articles se vendaient bien, cette année-là : le 4x4 (il n'y a plus de routes) et le fusil à pompe (il n'y a plus de police).

Imaginez ce que peut représenter d'aller chez votre Franprix (ou Super U) du coin et d'y être accueilli par deux hommes un peu assoupis, appuyés sur de menaçants fusils à pompe. Imaginez de ne rencontrer que des gens furtifs, pressés de quitter la rue pour rentrer chez eux.

Oh bien sûr, ceux qui n'ont pas grand chose se tiennent placides le long des murs. Il y a là en particulier une myriade de marchandes de toutes les sortes et de toutes les tailles de fruits et légumes disponibles dans le pays. Des enfants qui vendent des cigarettes. Des marchands d'on ne sait pas bien quoi.

Dans certains endroits, ils urinent devant eux, dans le caniveau.

Les chaussées n'ont plus de forme, les trottoirs s'enfoncent dans la boue séchée qui monte, inexorable. Les ordures s'entassent. Lorsqu'un orage apporte l'une des pluies énormes que ce pays redoute, des flots descendent des parois montagneuses, un mètre, deux mètres d'eau, emportant les monceaux de détritus qui dévalent les pentes et viennent au mieux polluer l'estran, au pire s'accumuler dans la plaine côtière, à Port-au-Prince, ville qui n'a plus de nom.

On va de cloaque en cloaque, sauf à remonter les pentes jusqu'aux quartiers bourgeois, à moins que l'on ne trouve le moyen de filer vers le sud, l'ancienne république de Pétion, qui parvient cahin-caha à conserver sa paix et son harmonie.

Or dans ces immondices, dans ces ruelles bosselées et fangeuses, il arrive que l'on voie une (et une seule) enseigne au néon. C'est toujours un cybercafé, ou du moins une borne internet.

Car ce pays de 8 millions d'habitants compte peut-être trois ou quatre millions d'expatriés et certains experts estiment que l'économie d'Haïti tourne, pour environ 25% de son PIB, sur les rentrées d'invisibles provenant de cette diaspora (États-Unis, Saint-Domingue, France). Et pour faire rentrer cet argent si précieux, si vital, il faut venir là, attendre son tour, payer quelques centimes et se connecter à Internet.

Voici pourquoi ils méritent que l'on les défende, Internet bien sûr, mais aussi les logiciels libres.

20:55 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : internet | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les commentaires sont fermés.