09/02/2007
Terrains neutres.
Baudelaire avait donné à son salon une allure très altière : dépouillement, pas un livre, rien que l'exception et le vide. Victor Hugo, on s'en rend compte place des Vosges, possédait des meubles très spectaculaires, ressemblant à ses dessins fantastiques et à ce qu'il aimait du clair-obscur de Rembrandt. Balzac se vêtait voyant, un peu tape-à-l'oeil, et son goût du boulle, en avance sur le Second Empire qui l'a beaucoup cultivé, pouvait pencher aussi du côté du clinquant, comme d'ailleurs le décor d'opérette qu'il assembla pour sa nouvelle épouse juste avant de mourir.
Les écrivains, au XXe siècle, se sont plutôt présentés sous un amas de livres, comme Colette (chats en plus) ou Marguerite Duras. Le vernis intellectuel l'a progressivement emporté sur l'intention mondaine. Il est vrai qu'on n'est plus mondain après la guerre de 14 comme avant.
Le bureau, couvert de papiers, est ce qu'on montre le plus volontiers. On l'accompagne de photos de proches, de fétiches de grands auteurs, de quelques accessoires aussi. Quand on possède sa maison, dans une banlieue ou une campagne, on travaille souvent sous les toits, au calme. On a en général un petit lit, un divan, où peut-être viennent s'étendre des admiratrices pâmées, mais où l'on prétend seulement méditer quand on passe la journée à buller et à dormir.
Les résidences des écrivains ne sont pas des terrains neutres, non plus que l'image qu'ils en donnent. Ramener l'oeil sur soi chez soi est comme y ramener une femme (chacun ses goûts).
Personnellement, j'ai toujours du mal à conduire les femmes qui m'acceptent jusque chez moi : c'est un antre et il n'y a rien de confortable pour méditer. Je préfère les terrains neutres. Neutres et gratuits, pas les hôtels trop glauques, ni pour écrire ni pour "méditer". Un terrain neutre, c'est plus libre.
10:40 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : histoire | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Amusant, le fil de la plume qui t'amène des maisons d'écrivains à des considérations plus... intimes. Mais à le relire, peut-être plus concerté qu'il n'y paraît.
Écrit par : fuligineuse | 09/02/2007
Il faut comprendre les failles du miroir pour le traverser.
Au fait, bravo pour ta distinction par l'APA.
Écrit par : Hervé Torchet | 09/02/2007
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