Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16/02/2007

L'école de mon enfance.

Lorsque j'étais élu, j'ai eu l'occasion de retourner visiter l'école où j'ai passé quatre ans, toute l'école primaire, sauf la 7e-CM2 où on nous transférait dans une annexe.

C'est un grand bâtiment de brique fauve à liseré bleu canard.

On y entrait par quelques marches, ils ont dû ajouter une rampe pour les handicapés.

On passait au pied d'un escalier où, en haut des premières marches, mon nom a souvent été affiché au tableau d'honneur. Puis on traversait le préau, décoré d'une fresque représentant Perrette et le pot au lait. De ce côté-là, rien n'a changé.

Dans la cour, une grille nous séparait de l'école des filles. Enfin, de l'ancienne école des filles : j'ai accompagné l'arrivée de la mixité dans les classes au début des années 1970. Et c'était bien agréable. La première fois, en 10e, il n'y avait qu'une fille, très mignonne. On est tout de suite devenu copains et on l'est resté jusqu'au passage en 6e : nous n'allions pas dans le même lycée (on ne disait guère collège et, de toutes façons, il s'agissait là de lycées parisiens regroupant toutes les classes, du collège jusqu'aux prépas).

Cette grille devenue inutile a été ôtée depuis.

Juste après, les latrines. C'est là que, tout gamins, nous comparions nos nombrils et que les circoncis se comptaient. Il faut dire que le samedi matin, pendant Yom Kippour, la classe était à moitié vide.

Les quatre marronniers où nous jouions aux quatre coins n'ont pas bougé, centenaires protecteurs.

Au fond de la cour, au troisième, l'ancienne salle d'étude a été transformée en réfectoire. À mon époque, la cantine se tenait dans le préau. Les instituteurs nous surveillaient en déjeunant sans grand bruit. Nous étions plus remuants. La nourriture était distribuée par la concierge de l'école, une femme sans âge, hirsute, édentée et émaciée, qui traînait un récipient de fer blanc : un chaudron pour le potage, une vaste gamelle pour la viande. Elle déambulait en disant de sa voix usée : "Qui qu'en veut ? Qui qu'en veut ?" et j'étais très choqué que dans une école on écorchât ainsi la langue. Parfois, dans le poulet, on mâchait des plombs et je me demandais pourquoi ils avaient besoin de tuer leurs volatiles à coups de fusils de chasse.

Sur le plus long mur du préau trônait Marianne et, juste au-dessous, Georges Pompidou. J'avoue que, quand il est mort, j'ai été content d'avoir un jour de congé. Il ne faut pas m'en vouloir : j'avais neuf ans et demi. Je ne me souviens pas d'avoir vu la photo de Giscard remplacer celle de Pompon, mais cela a bien dû arriver.

De mes quatre instituteurs, je garde un souvenir précis. Celui de la classe de 8e-CM1 est le plus fort.

Dans les deux premières années de la "grande école", 11e et 10e, ce fut une femme, une grande et longiligne femme très calme, d'allure quelque peu janséniste, une face longue et sèche, pas de joues, le nez impérieux, l'oeil attentif, le sourire discret. Elle portait une blouse bleu pâle. Je lui dois mes efforts d'orthographe.

En 9e, plus de blouse : l'institutrice passait son temps à repoudrer son nez qui, quoi qu'elle fît, luisait comme un pot de beurre. Elle avait le teint cireux sur lequel elle se peignait des ronds rouges un peu clownesques. Ses cheveux trop noirs complétaient un tableau ridicule.

Mais avec elle, j'ai été premier toute l'année et, comme je m'ennuyais, je m'amusais à varier les couleurs d'encre de mes deux stylos. Ou alors, je laissais tous les cancres copier. C'était d'ailleurs le jeu le plus drôle : faire passer mon cahier pour que chacun y picorât. J'avoue que ce n'était pas modeste, mais ça a permis de sauver quelques moyennes.

Bien entendu, et comme d'habitude, il suffisait que l'on indiquât un film à voir à la télévision pour en discuter en cours, pour qu'aussitôt mes oreilles se fermassent. C'est ainsi que, le soir où l'on voulait que je regardasse "Si Versailles m'était conté" de Guitry, on a eu chez moi l'heureuse idée de voir autre chose, une bêtise, ce qui me convint parfaitement : je n'avais rien entendu de l'instruction de l'institutrice. Malgré cette attention en dents de scie, j'étais premier et je m'ennuyais ferme.

En 8e-CM1, il y eut M. Ledoyen. Ca, c'était quelqu'un. Il portait une blouse grise comme nous avions à l'école maternelle. Il adoptait toujours un ton bougon et sévère. Il possédait une règle de section carrée qu'il surnommait Artémise. Quand un élève disait une bêtise, ce qui arrivait souvent, la règle venait lui cingler le bout des doigts qu'il devait tendre joints. Heureusement, j'étais encore une fois premier, mais à éclipses : une fois sur deux.

Il lui arrivait de nous projeter des films. Je me souviens de "Crin blanc" et du "Ballon rouge", des classiques de l'époque.

J'ai revu M. Ledoyen bien plus tard : comme élu, j'ai eu l'occasion de traiter quelques dossiers avec le cabinet de l'adjoint au maire de Paris chargé des affaires scolaires et, je ne sais comment, le nom de mon instituteur est venu dans la conversation. On me dit qu'il était directeur d'école, ailleurs dans le même quartier. Il approchait de la retraite. J'hésitai à le déranger : que lui dire d'autre que les souvenirs de ses leçons dures et de son ambition pour nos réussites respectives ?

Finalement, c'est comme président de bureau de vote que je le vis un jour. Il n'avait pas changé, ses cheveux blanchissaient. Sachant parfaitement qui j'étais, il me tendit, avec un sourire complice, une vieille carte d'identité, datant de l'autre époque, celle où j'avais été son élève. Nous ne nous sommes rien dit, mais je crois qu'il était content que ses leçons aient servi à quelque chose.

Le dernier de mes instituteurs ne portait pas de blouse et a eu pour seul talent de m'en trouver assez pour me désigner premier de la classe - j'étais blasé - ce qui suffisait pour entrer au lycée Janson.

Et voilà, l'école est toujours là, j'habite à moins de cinq cents mètres de ses murs qui ont été ravalés. Tout le monde y allait, on y trouvait les gamins des concierges et ceux des PDG, le mélange était parfait et nous avons tous cherché à rester fidèles à son esprit, celui de l'épanouissement personnel et du progrès commun. Libre.

10:35 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : savoir | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Monsieur Torchet,
j'ai une question à vous poser qui me trotte depuis que je lis votre Blog. Quelle est cette rédaction frénétique qui vous anime? Je ne peux que vous tirer mon chapeau bien bas... Vos posts sont d'une très grande qualités, et toujours fort intéressants. Sans parler de la richesse de votre vocabulaire... Je vais devenir jaloux... (rires)

Écrit par : Michaël | 16/02/2007

La jalousie est un vilain défaut, mais un très bon moteur littéraire.

Écrit par : Hervé Torchet | 16/02/2007

Simplement pour vous signaler que si les élèves étaient absents le samedi matin, ce n'était en aucun cas à cause de la fête de Yom Kippour qui a lieu une fois par an, généralement fin septembre. Mais plutôt à cause du jour de Chabbat. N'utilisez pas des termes dont vous ignorez le sens. Esther..

Écrit par : esther | 17/02/2007

Fin septembre, nous étions normalement en classe et à l'occasion de cette fête, la moitié de la classe a été absente, deux années de suite au moins, un samedi matin. C'est peut-être une bizarrerie quant aux pratiques habituelles mais c'est ainsi. Le samedi était un jour de classe ordinaire où personne ne manquait d'habitude sauf maladie ou catastrophe interplanétaire. Peut-être a-t-on choisi ces années-là de fêter ça un shabbat.

J'ai expliqué dans l'une de mes premières notes que les conversations que nous avions dans la cour de l'école avaient motivé ma famille à me dire que si j'avais envie de me convertir au judaïsme, j'en avais une faculté naturelle. Mais je ne suis pas religieux et, au fond, c'était amusant d'en parler avec eux, pour connaître.

Du reste, un de mes camarades, je raconterai ça une prochaine fois, m'a attiré au catéchisme catho, d'où la fille dont je parle ici, mon amour d'enfance, m'a tiré en me faisant faire du catéchisme buissonnier qui nous permettait, enfin libres, de nous promener à notre guise en ville. J'y allais par camaraderie, j'en suis parti par l'une de ces amourettes d'enfance qui laissent de si jolis souvenirs.

Il ne s'agit pas pour moi de faire un traité de religion, mais de livrer mes souvenirs, tels qu'ils furent, même surprenants.

Écrit par : Hervé Torchet | 17/02/2007

Les commentaires sont fermés.