21/02/2007
Libres en Bretagne au Moyen Âge.
Mes travaux historiques portent surtout sur la Bretagne médiévale.
Si on examine cette région (ce royaume devenu duché) sous l'angle de la liberté, on constate dès le premier regard que le servage y disparaît très tôt, beaucoup plus tôt qu'ailleurs.
Deuxième constat : les nobles y sont beaucoup plus nombreux que dans la plupart des entités politiques de cette époque. On compte au moins 5% de nobles (sans doute 7 ou 8%, c'est un calcul que je n'ai pas fini d'affiner). Eux sont par principe à la fois libres et liés. Libres : ils ne doivent pas l'impôt ; liés : ils doivent souvent l'obéissance dans des cas précis, notamment la guerre, et ils doivent même la préférence d'obéissance s'ils prêtent ce qu'on nomme l'hommage-"lige", c'est-à-dire que si deux liens de fidélité féodale qu'ils ont entrent en conflit l'un contre l'autre à l'occasion d'une querelle, ils doivent se ranger du côté de l'hommage-lige s'ils en ont un. Tout leur conquête de liberté consiste à minimiser les effets de leurs "ligences" et, autant que possible, à jouer des concurrences de ligences pour gagner plus de liberté, ne pas se laisser, donc, enfermer dans un camp ou l'autre mais garder les coudées franches ; ce n'est pas toujours faciles, mais on y arrive.
Un autre élément de liberté est équivalent aux effets du fédéralisme américain : si un prisonnier de Guingamp "rompt" les prisons de cette ville et s'installe dans une paroisse voisine, il n'y sera pas inquiété. Les villes ont d'ailleurs (trait commun dans l'occident) parfois pour atout de libérer leurs habitants : celles du duc abritent les "personnaux" du souverain, gens libérées par l'installation dans ces cités.
Les marins ont toujours été bien sûr libres, seuls maîtres à bord. La Bretagne, terre de mer, est hérissée d'autant de marins que de rochers depuis au moins les temps gaulois.
Enfin, plus libres encore, les charbonniers qui vivent dans les bois, dans des huttes de fougères, et qui fabriquent du charbon de bois qu'ils vendent aux ateliers manufacturiers : forgerons et potiers en particulier. L'image de ces charbonniers, plus ou moins forains, très indépendants, portés sur l'égalité libre, a d'ailleurs, dit-on, inspiré le mouvement des "carbonari" qui se sont illustrés dans l'histoire italienne plus récente.
Dans la Bretagne médiévale, pour y revenir, le statut de la femme est paradoxal : elle peut être tutrice, voire curatrice, ce qui suppose une liberté juridique de principe, elle peut agir dans certaines conditions sans le conseil d'un homme. On voit fréquemment, chez les paysans, des femmes veuves diriger des exploitations et les couples non mariés représentent une proportion significative de la population.
Y a-t-il donc une culture de la liberté en Bretagne ? Il le semble.
18:30 | Lien permanent | Commentaires (12) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Bonjour Monsieur Torchet,
Vos travaux portent sur quelle période médiévale?
Écrit par : Michaël | 22/02/2007
Le début du XVe siècle et ses racines proches.
Écrit par : Hervé Torchet | 22/02/2007
Vous étudiez donc la fin de la période de la guerre de Cent-ans. Dans vos études êtes vous tombé sur des bandes "d'écorcheurs"?
Connaissez-vous Madame Claude Gauvard responsable du département de la recherche sur cette période à la Sorbonne?
Cordialement,
Écrit par : Michaël | 22/02/2007
Le document-fleuve que j'étudie ne concerne que la Bretagne et je n'ai pas encore extrapolé.
Écrit par : Hervé Torchet | 22/02/2007
Cette liberté dont bénéficiaient les Bretons ainsi que le nombre de nobles, expliquerait-elle la révolte des Bretons contre la République et le Jacobinisme ?
Il n'y avait pas non plus de servage en Savoie...
Écrit par : Rosa | 22/02/2007
C'est une question très complexe. La propension des Bretons à la liberté traverse tous les courants, selon l'adversaire que l'on croit donner à la liberté. Partout, l'ambition est la même : rester maître chez soi.
Il me semble que c'est bien ce que chacun fait avec sa page sur Internet et au fond, c'est un argument de plus pour défendre le point de vue développé ci-contre par Quitterie Delmas.
Écrit par : Hervé Torchet | 22/02/2007
Certes mais n'êtes-vous pas tous un peu parano ?
Écrit par : Rosa | 22/02/2007
Pourquoi dites-vous ça ?
Écrit par : Hervé Torchet | 22/02/2007
Bonsoir cher Hervé,
Nous croisons parfois le fer (amicalement) sur des blogs dédiés en matière d'histoire bretonne et plus particulièrement sur la période médiévale. Comme nous avons chacun notre petite "spécialité", la lice où nous nous rencontrons est suffisamment large pour donner de la place à nos cavalcades et à nos foucades respectives...
Mais j'ai un peu de mal à vous suivre sur cette culture de la liberté consubstanciellement, si ce n'est même exclusivement bretonne et sur ses manifestations particulières à la Bretagne médiévale.
Par exemple, en ce qui concerne le pourcentage de nobles [="hommes libres"], certes fort élevé en Bretagne à la fin du Moyen Âge, quand on peut le mesurer pour la première fois, avec d'ailleurs des disparités entre les différents évêchés bretons, comme vous le savez mieux que personne ; mais il s'agit finalement d'un pourcentage comparable à ceux qu'on retrouve dans le Centre et le Midi de la France et bien inférieur à ceux de la Castille ou des Asturies.
Écrit par : André-Yves Bourgès | 22/02/2007
La définition du libre est plus complexe que celle de vos statistiques.
Écrit par : Hervé Torchet | 22/02/2007
J'en conviens ; mais c'est vous qui avez allégué les statistiques de la noblesse bretonne, dans une perspective absolue que je cherche seulement à relativiser...
Je pourrais également vous taquiner sur les marins, hommes libres s'il en fût, mais dont la terre bretonne n'était pas au Moyen Âge la seule ni même la principale pourvoyeuse, loin s'en faut (cf. Jean-Claude Cassard) : les Bretons, peuple de riverains plutôt que de marins ?
Les origines de cette indiscutable culture de la Liberté, que je ne conteste d'ailleurs nullement car elle m'imprègne, ne seraient-elles pas à chercher dans les caractères originaux de la ruralité bretonne (habitat dispersé et solidarité) ?
Cordialement
Écrit par : André-Yves Bourgès | 22/02/2007
C'est une piste.
J'ai été très frappé de la quantité de "bordiers et charbonniers" en étudiant la Réformation des Fouages de 1426 pour l'ancienne circonscription de Tréguier, disponible à plus de 90% sous la forme d'originaux exploitables.
On ne dit jamais leur nombre : "quelques".
Écrit par : Hervé Torchet | 23/02/2007
Les commentaires sont fermés.