24/02/2007
La triste mort de Balzac.
Toute sa vie, Balzac a vécu dans des rêves de fortunes faramineuses. Et toute son oeuvre est imprégnée de son obsession de l’argent et de la réussite matérielle, par où elle rejoint d’ailleurs la synthèse de son époque.
Quand, dans "La Recherche de l’Absolu", Balzac montre un personnage qui sacrifie tout à sa quête d’une sorte d’alchimie, c’est lui-même qu’il décrit. Quand dans un roman (le "Père Goriot", je crois), il explique comment on peut amasser presque vite une grosse somme d’argent en plantant des parcelles de peupliers, arbres de pousse rapide qu’on pourra couper au bout de quelques années et qui fournissent un bois de chauffe alors très recherché, c’est l’un de ses propres projets d’enrichissement fabuleux et facile, que Balzac dévoile.
Dans sa propre vie, il a tout essayé : les mines, l’imprimerie, les serres à melons sur les coteaux de la proche banlieue parisienne. Il a tout tenté et toujours il a échoué, il est resté, comme eût dit La Fontaine (autre expert en impécuniosité), "Gros-Jean comme devant".
Alors, quand la "princesse lointaine", une richissime veuve russe, a posé ses yeux sur lui, bien sûr il a été flatté de la personnalité, sans doute aussi a-t-il été ému et heureux de l’amour qu’on lui portait, mais surtout, ses yeux se sont exorbités sur les montagnes d’or que son amante pourrait déverser pour alimenter son intarissable moulin à projets industriels, tous aussi faramineux qu’onéreux.
Prudente, la veuve lui envoie des secours sages. Il veut l’épouser. D’abord, elle refuse. Puis elle finit par céder malgré les réticences de sa propre famille à laquelle elle doit concéder des garanties patrimoniales. Il va partir, la rejoindre, ils vont se marier.
En attendant, elle lui envoie une somme énorme pour acquérir et installer l’hôtel parisien où le nouveau couple résidera.
Balzac trouve un endroit incroyable : la chambre à coucher y ouvre par une simple porte sur le balcon intérieur de l’église voisine (détail d'ailleurs d'autant plus piquant que Balzac n'est guère assidu de ce genre d'établissements et que sa promise est orthodoxe). Il y entasse un décor vertigineux : des toiles de maîtres, des meubles uniques, de la dorure, de la soie de toutes les couleurs, des froufrous, des franges, du velours, du taffetas, des tapis précieux, bref, le palais de la poupée Barbie avec cent ans d’avance.
Mais, incorrigible, voulant offrir des somptuosités encore plus phénoménales à sa fiancée, il prend tout l’argent, je crois que c’est cent cinquante mille Francs (environ cinq cents ans de salaire d’un ouvrier), il le joue en bourse et, naturellement, comme d’habitude, il le perd jusqu'au dernier centime.
Oh, ce n’est pas si grave : comme l’écrit Balzac, la Société "se paie avec ce qu’elle donne : des apparences". Il a suffi qu’on le voie jouer cette somme prodigieuse pour qu’aussitôt toutes les portes du crédit lui soient ouvertes partout dans Paris, y compris chez les plus extravagants marchands d’objets exotiques.
En somme, il a meublé sa maison pour le double du montant qu’on lui avait fixé.
Il se met en chemin dès le dernier rideau pendu. C’est une longue route, jusqu’en Russie. En 1850, on voyage encore en diligence. Il faut imaginer l’effet de milliers de kilomètres de cahots sur un organisme usé par les veilles et l’abus du café. Balzac tombe malade. Il est contraint de faire étape, se requinque, puis repart : on ne lui enlèvera pas son mariage de conte de fées.
Il parvient à bon port. La cérémonie est célébrée et les nouveaux mariés prennent le même chemin en sens inverse à travers la Russie puis l'Allemagne.
Deuxième dose de trépidations, de poussière, de fatigues, Balzac rechute. Il n’en peut plus. Quand il passe l’octroi pour entrer dans Paris, il est mourant.
Pourtant, il tient à se lever pour présenter son palais des mille-et-une nuits à son épouse, il pousse la double porte et ...
Le majordome est devenu fou, il a tout saccagé et s’est suicidé au milieu du salon (ou du vestibule).
Cette fois, c’en est trop : Balzac tombe. Il ne se relèvera plus. Son ami Victor Hugo vient le voir chaque jour durant son agonie et donne une description poignante de ce lit de mort dans ses carnets.
Au milieu de l’été, Balssa dit Balzac s’éteint. il a cinquante et un ans à peine. Son oeuvre peut commencer sa propre vie. Libre.
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