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24/02/2007

Les murs de la Bibliothèque nationale de France.

À Paris, la BNF, je ne l'apprends à personne, n'est plus tout à fait dans ses murs : il y a plus d'une dizaine d'années qu'on l'a démultipliée et, quai François Mauriac, dans le XIIIe arrondissement, les choses sont encore plus simples : il n'y a plus de murs du tout, rien que des baies vitrées.

Le vieux bâtiment de la rue de Richelieu, de l'autre côté de la Seine, a conservé les fonds les plus savants et les plus fragiles : manuscrits occidentaux et orientaux, médailles, cartes et plans, estampes.

Aller aux cartes et plans fait faire un bond de plusieurs décennies en arrière, quand tous ces établissements n'étaient visités que par quelques visiteurs très connaisseurs chaque jour. Plusieurs tables sont environnées de rayonnages ornés de reliures prestigieuses et de traités très spécialisés. On y est plus qu'attentif au moindre chercheur égaré. On prend le temps de lui expliquer le maniement de la base numérisée. On commente avec lui les recueils bibliographiques. On se croirait chez un libraire de la rue Saint-André-des-Arts ou de la rue de Seine, rive gauche.

Aux estampes, l'atmosphère est plus studieuse, moins bibliophilique, il y a des panneaux entiers de tiroirs de fiches, des lecteurs de microfilm, la salle est éclairée de néons, on se déplace dans un labyrinthe ou plutôt un apparent désordre. Ca foisonne de meubles, de classeurs et de gens. On se croirait dans une administration. Et comme on a de la chance, les lecteurs-tireurs de microfilms marchent ! Décidément, c'est le paradis, la BNF.

Les manuscrits occidentaux sont mes préférés, mes chouchous. La salle est vaste, ordonnée, ornée de boiseries sculptées et de trésors de reliures, mêlés aux plus savants usuels qui rappellent que l'Europe pourrait être de nouveau un sanctuaire de la culture avec peu d'efforts et de moyens, rien qu'en donnant un bon miroir à son réseau de savoirs. L'Europe, patrie des humanismes.

Il faut arriver tôt : la salle de lecture dispose de moins de places que de lecteurs potentiels. À la rigueur, si on n'en trouve pas, on peut se rabattre sur quelques machines de lecture de microfilm. Ici, pas question d'imprimer soi-même : on lit seulement ; si on veut des tirages, il faut passer par le coûteux et (de moins en moins) lent service photographique.

On a toujours dû montrer patte blanche mais le système des cartes de lecteurs numériques a mis du temps à s'incarner dans des boîtiers informatiques. Longtemps, on a continué à placer les gens avec des feuilles de papier ou des cahiers.

On reçoit une plaque de plastique verte ou bleue numérotée, une clef et un bout de bristol imprimé qui sert à rentrer quand on sort un moment au milieu d'une consultation. La clef est destinée à un casier, hors de la salle, où on est prié de déposer son manteau, son sac, bref, tout ce qui n'est pas un ordinateur portable ou papier et crayons.

À l'autre extrémité de la salle de lecture, près des magasins, on échange la plaque verte ou bleue contre une orange. Ensuite, on consulte le fichier des registres numérisés pour voir si la cote avec laquelle on vient correspond à un exemplaire microfilmé ou non.

Les manuscrits microfilmés sont de plus en plus nombreux, en particulier dans les collections généalogiques où l'appétit des chercheurs de tout poil n'en est plus à fatiguer les reliures, mais à les exploser. Les registres des "Pièces originales" commencent à ne plus ressembler qu'à de vieux dossiers de notaires rapetassés avec des élastiques, presque avec du ruban adhésif. On les photographie donc avant leur ruine définitive, ainsi que les précieux papiers de Chérin et des d'Hozier.

On n'en est pas encore venu à les numériser. Dommage pour certaines pages un peu trop buvard où l'encre traverse le papier et où le microfilm en noir et blanc évoque plus une oeuvre de graphite pur qu'une page de manuscrit.

On s'assied au numéro inscrit sur la plaque orange. Les tables sont plus que centenaires, massives, de style Louis XV. Les bricoleurs astucieux de la maison ont réussi à dissimuler sous leur plateau les prises nécessaires au branchement des ordinateurs portables. On se contorsionne un peu pour trouver le sens de branchement de la prise, mais on y arrive.

Quand on a la chance de consulter l'un des dizaines (centaines) de milliers de manuscrits "in carne oribusque" si l'on peut dire, on savoure son privilège. On déchiffre. On se concentre au milieu d'un cliquetis de claviers d'ordinateurs. On se penche. Le manuscrit est posé sur un lutrin ou, au pire, sur des boudins.

L'été, il arrive que les fenêtres soient ouvertes. On tend alors l'oreille au faux silence de la cour pavée.

Si on se perd, on consulte le (la) président(e) de salle qui trône à l'ancienne au milieu des lecteurs. Il (elle) est toujours disponible et de bon conseil. On se renseigne aussi auprès des magasiniers. Il y en a que je connais depuis plus de vingt ans que je viens là. Leur style, leur "look", a évolué, le mien aussi, j'ai perdu des cheveux au sommet du crâne et, par compensation sans doute, les ai laissés pousser sur les côtés.

Quand vient la fin de la séance, la cloche sonne à un bout de la salle, il faut refermer le manuscrit, le rendre, restituer la plaque orange et recouvrer l'autre, bleue ou verte, présenter son ordinateur ouvert à la présidence de salle, recevoir un bristol blanc dûment signé, ramasser ses affaires dans son casier et enfin, récupérer sa carte de lecteur qu'on a laissée en échange de la précieuse place.

Il ne reste plus qu'à retrouver le square miteux et la pollution de la rue de Richelieu, puis se diriger vers la rue de Rivoli et, s'il fait beau, aller flâner au jardin des Tuileries au milieu des jolies touristes.

Le soir, dégrisé, on se rappellera que le pays va mal et que des gens souffrent. On aura quelques idées de remèdes. Puis on s'endormira. Libre ?

20:05 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : écriture, littérature | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Votre commentaire m'a fait repenser à mon année de maîtrise. Je me levais à 6h du matin pour arriver à Pyramides à 8h. Là, je déambulais mon sac à dos sur le dos, avec mon ordinateur portable dans la sacoche. Je passais la grande porte, je saluais les gardes, tournait à droite dans la cour du vieux bâtiment, montait les quelques marches qui me permettait de rejoindre le hall, montrait mon ticket pour justifier de ma réservation à l'agent de sécurité avant de me diriger vers les casiers et y déposer mes affaires. une fois ce délestage acccompli, je traversais la salle dans toute sa longueur en suivant ce long couloir pour présenter au vacataire la feuille sur laquelle les références de mes cartons d'archives étaient inscrits. Après, un petit moment d'attente, il revenait m'apporter ces traces d'histoires, ces traces qui me permettrait de retracer mais surtout de comprendre certains évènements phares de notre passé.

Écrit par : Michaël | 24/02/2007

Là, vous parlez de l'ancienne salle de lecture des imprimés, qui a maintenant un autre usage. Elle a gardé son allure imposante. Elle est le paradoxe du bâtiment, puisque son centre névralgique.

Écrit par : Hervé Torchet | 25/02/2007

Oui exactement. Même si vous décriviez la salle des Estampes et autres vieilles monnaies, cette description m'a rappelé d'anciens souvenirs d'étudiants. Aujourd'hui, je vais de temps en temps, beaucoup moins, à la nouvelle BNF pour lire quelques oeuvres d'auteurs anciens. J'habite près de Daumesnil, à 10 mn à pieds de ces grands livres ouverts.

Écrit par : Michaël | 25/02/2007

Très intéressante, cette plongée dans les arcanes de la BN Richelieu. Je n'ai pas eu l'occasion de la fréquenter, par contre je viens de faire une recherche à la BN Tolbiac, niveau "rez-de-jardin". C'est amusant de voir que la procédure est toujours aussi complexe, même si elle prend d'autres formes puisque là, tout passe par l'ordinateur évidemment.

Écrit par : fuligineuse | 25/02/2007

Le site Mauriac (ou Mitterrand ou Tolbiac) de la BNF a été victime directe des 35 h : comme l'enveloppe des crédits destinés aux salaires (il y a là peu de fonctionnaires et essentiellement des contractuels) ne pouvait augmenter, on a dû supprimer des postes pour maintenir au même niveau le nombre d'heures travaillées et rémunérées. Encore une des joies et des absurdités de l'administration à la Française.

Écrit par : Hervé Torchet | 25/02/2007

Marrant, je vais souvent à la BNF version Tolbiac... :-)

Écrit par : Artemus | 09/03/2007

Les commentaires sont fermés.