27/03/2007
Romain Gary et l'identité nationale.
L'oeuvre de Romain Gary contient deux petits bijoux : "La promesse de l'aube" et "L'éducation européenne". j'y ajoute "La vie devant soi" signé Émile Ajar.
Les deux premiers sont des textes vifs, pleins d'humour et de dérision. L'un d'eux contient un portrait de la mère (idéalisée d'une étrange manière) de Gary. On y voit une mère juive dans toute la splendeur de l'expression, folle, folle de son fils en particulier, sans doute plus dans le roman qu'au naturel. Une mère idolâtre.
On croise aussi des réflexions amères du Gary qui finit par se suicider dans la "vraie" vie : "Le véritable drame de Faust, qu'on nous a toujours caché, n'est pas tellement qu'il ait vendu son âme au diable, mais qu'il n'y ait personne pour l'acheter ; il n'y a pas preneur".
Désespoir de tous ceux qui, débutant dans la vie, cherchent un moyen d'ouvrir la porte du succès.
Le Gary de ces premiers livres adresse des articles à des revues à fin de publication, est émerveillé d'y trouver pour la première fois son nom et se cherche inlassablement un pseudonyme ronflant pour se fabriquer une grande carrière. Il imagine toutes sortes d'anagrammes transparentes et évocatrices de la France et de sa culture. Puis il dit (et c'est une des trouvailles les plus drôles) que c'est un jour, en découvrant le nom de de Gaulle, qu'il se frappe le front : comment n'y a-t-il pas pensé plus tôt ? Voilà le nom génial ! le nom idéal ! lol comme on dit sur Internet.
J'aime moins "Les racines du ciel", dont le titre est la meilleure part. Il me semble que ce roman est trop écrit dans l'esprit du jury Goncourt. C'est une copie d'écolier, un texte ad hoc. Trop chargé de détails, trop poussif, trop forcé dans l'action. Il a rempli sa mission, puisque Gary a obtenu le prix cette année-là.
L'imposture de Gary devenant Ajar pourrait être demeurée le plus grinçant et drôle canular de cette époque par ailleurs compassée. Mais elle tourne au tragique quand il apparaît que c'est la personnalité même de Gary qui sombre.
Hélas, sa propre histoire en fournit peut-être l'explication.
C'est lui qui raconte que, dans son enfance en Pologne, les gamins l'insultaient "Sale Juif !" Ses parents déménagèrent, s'installèrent à Paris. Et là, on continua à l'insulter ; cette fois, c'était "Sale Polack !" Ses parents déménagèrent encore, du côté de Toulouse je crois. Et les gosses, cette fois, hurlaient "Sale Parigot !"
Partout où il se déplaçait, il arrivait avec la trace de sa dernière résidence, comme une ombre.
Anecdote qui serait cocasse si elle n'était au fond tragique.
Elle permet de se rappeler qu'on est toujours l'étranger de quelqu'un quelque part.
Une leçon pour notre époque ? Si oui, une leçon très libre.
21:10 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : écriture, littérature | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Il faut lire aussi "Au delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable", méditation amère (sous forme de fiction) sur l'homme vieillissant...
Écrit par : fuligineuse | 28/03/2007
Les oeuvres de la fin de sa vie sont très amères et annoncent son geste final.
Écrit par : Hervé Torchet | 28/03/2007
Je reviens juste sur tes dernières phrases. Mes parents, Normands comme on ne peut l'être davantage, sont venus me voir il y a peu à Paris.
J'ai été frappé par le dépaysement que provoque en eux le fait d'être une journée à Paris. Ils regardent tout, y compris des choses que je n'avais jamais remarquées, tant habitué que je suis à les voir chaque jour. Et tout les angoissait : le bruit (ils habitent à la campagne), les gens (très colorés par rapport à chez eux), les vêtements, les magasins, les attitudes, les immeubles,... Et je me suis dit que mes parents étaient ici comme des étrangers. Rien ne les rattachait à Paris, sinon le fait d'être Français.
Alors je me suis demandé si les africaines en habits africains, et qui ne parlent pas français, ou les arabes en djellabah qu'on voit parfois dans ma rue, ou même les chinois en habits européens mais qui ne parlent pas un mot de notre langue, je me suis demandé donc s'ils se sentaient comme mes parents : des étrangers à Paris. Et je me suis dit : "quelle différence y a-t-il entre mes parents à Paris et ces gens à Paris ?". Aucune, ou assez peu. Mes parents ne parviendraient jamais à "s'intégerer" à Paris. Ils resteraient pour tout le monde "des bouseux". Ils ne seraient jamais parisiens.
Et j'ai mieux compris la détresse de celles et ceux qui viennent à Paris car ils n'ont pas ailleurs où aller. Ils sont toujours des étrangers malgré leur carte d'identité. Et pourtant, certains y arrivent. A quel prix ? Quel combat contre eux-mêmes et contre les autres doivent ils mener pour parvenir à "sintégrer" dans une société qui, comme toutes les autres, vit sa vie, sans voir que certains demandent de l'aide, rien que pour être considérés comme ils sont.
Le communautarisme naît naturellement, et à ce titre il faut le combattre. Mais l'effort à apporter est colossal. Chacun doit céder un peu de terrain à la culture de l'autre, sans se dépouiller de ce qui fait son moi profond. Une vie entière y suffit-elle ?
Écrit par : Laurent | 28/03/2007
Les commentaires sont fermés.