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06/04/2007

Ah, "Notre-Dame de Paris" !

J'ai lu le premier roman réussi de Victor Hugo en Allemagne. Je me trouvais en Bade-Wurtemberg, tout près de la frontière française. L'atmosphère y était curieuse : on nous y envoyait pour une immersion linguistique, mais... c'était une ville de garnison de l'occupation française et tous les commerçants, lorsque je m'adressais à eux avec mon allemand de quatorze ans, me répondaient aussitôt en français. On a vu immersion plus efficace... Cela dit, l'année suivante, on m'a envoyé en Souabe, dont le langage ressemble au bavarrois, c'est-à-dire à quelque chose d'incompréhensible. J'y étais hébergé par un vieux juge dont le nom sonnait juif, mais qui récitait le benedicite avant de passer à table ; pour pouvoir se comprendre, on se parlait en latin. Bref...

Dans cet été 1979, j'ai lu "Notre-Dame de Paris".

Rien ne peut ressembler à ce roman.

La première phrase est un coup de canon qui se termine par les mots : "la triple enceinte de la cité, de la ville et de l'université". En quelques syllabes, Hugo fait la synthèse de Paris médiéval. Trois morceaux : la Cité, qui comprend les palais royaux et l'embryon du gouvernement, la chancellerie royale, les cours de justice, superposées aux installations gallo-romaines ; la ville, rive droite, toute l'industrie, le négoce, la part laborieuse et marchande ; l'université, rive gauche, les intellectuels, ce qu'on nomme encore le Quartier latin. Tout est dit.

Puis tout le début est un mouvement vers un événement improbable, l'élection du Pape des Fous, un mélange de fêtes réellement médiévales et parisiennes, l'élection du Pape des Rois et celle du Roi des Fous.

On se promène dans une foule qui marche dans le froid vers le palais royal (la Conciergerie à Paris, dans l'île de la Cité).

On croit les voir. Comme on connaît le cinéma, on pense à un incroyable plan-séquence, digne d'Orson Welles, ou à un travelling géant.

Puis apparaît Quasimodo et on sait que le roman ira très loin. À ce propos, il faut citer une anecdote qui concerne le comédien Jean Saudray, un quatrième couteau très répandu dans le cinéma français des années 1970. Lorsqu'il était sur scène, quand on le rencontrait pour la première fois, tout le monde, d'après les témoignages, lui disait : "oh, quel formidable maquillage tu t'es fait faire" ; or ce maquillage horrible, c'était son visage.

Et semblable aventure arrive à Quasimodo : on le présente comme candidat pour l'élection du Pape des Fous. Moyen du concours : faire la plus belle grimace. D'extraordinaires compétiteurs s'y emploient, tous plus ou moins applaudis. Et voilà que soudain apparaît à travers la lucarne une grimace épouvantable, inimaginable, au point que, d'avis commun, il n'est plus besoin de poursuivre le concours : il a gagné. Or la grimace répugnante que Quasimodo présente, c'est son visage.

Là encore, tout est dit.

La scène la plus incroyable du livre est celle du jugement de Quasimodo. On dit souvent que la justice est aveugle, phrase qu'on prendra avec précaution, mais il se trouve que le juge qui préside est sourd, absolument sourd, et par une coquetterie compréhensible, qu'il cache cette infirmité.

Or Quasimodo, sonneur de cloches de la cathédrale Notre-Dame, a été rendu tout aussi sourd par l'effrayant vacarme du bourdon de bronze qu'il côtoie jour après jour.

Voici donc au sens propre un dialogue de sourds.

Le juge interroge Quasimodo. Celui-ci ne voit pas qu'on lui parle et n'entend pas, forcément. Il ne répond rien.

Mais le juge ignore qu'il n'a rien répondu. Il pose donc une deuxième question, tout aussi inefficace.

Le public commence à s'amuser de la scène et le juge finit par s'apercevoir qu'on se moque de lui. Il s'imagine que Quasimodo le raille. Il le tance.

Or Quasimodo, comprenant finalement où l'on est et ce qu'on y fait probablement, se décide à décliner son identité, réponse à la toute première question du juge, qu'on ne lui pose plus.

Redoublement d'hilarité. La scène est une délectation. Il est heureux que les juges soient meilleurs aujourd'hui qu'en ces temps.

L'autre morceau de bravoure est un tunnel d'une soixantaine de pages intitulé "Paris à vol d'oiseau au XVe siècle". C'est une vision. On se retrouve posé sur le dos de l'oiseau comme dans un dessin animé et on survole Paris, ses toits pentus, ses cheminées fumantes, ses mâchicoulis gothiques. Absolument hallucinant.

Là encore, une synthèse prodigieuse : Paris est enceint d'une chaîne de couvents et dans cette chaîne, un seul maillon sombre : la cour des miracles. Et tout à l'avenant. En lisant, on a envie de se lever pour applaudir.

Et puis, bien sûr, l'histoire est belle, Esmeralda, le tortueux archidiacre Frollo, le lâche poète Phébus, les ruelles sombres, les ponts de bois. On en aurait presque envie de vivre au Moyen Âge. Et pourtant, ça ne devait pas être bien confortable.

Allons, je vous quitte : je cours le relire.

19:50 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : écriture, littérature, poésie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Un grand classique que je n'ai jamais pris temps de lire... Vous m'en avez donné l'envie.

Écrit par : Michaël | 07/04/2007

Moi non plus, je n'ai jamais fait l'effort de l'ouvrir, car j'aime découvrir l'histoire et celle-ci m'était déjà par trop connue. Mais ta façon de raconter est telle qu'on a envie de tout lire... Comme Michaël, je vais m'y mettre...

Écrit par : Laurent | 07/04/2007

Joyeuses Pâques Hervé,
j'ai mis à jour mon blog avec l'étude de Dion Cassius dont j'avais parlé il y a peu.

Écrit par : Michaël | 09/04/2007

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