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12/12/2007

Pourquoi Victor Hugo a-t-il fini par plaire à tout le monde ?

Devenir consensuel est le drame que redoute tout auteur, car c'est le toboggan irrémédiable vers l'oubli, au mieux prestigieux, au pire indifférent. Victor Hugo en est-il arrivé là ? Est-il tombé à ce point ? Non, je ne crois pas. Et pourtant, il plaît un peu à tout le monde, ou du moins il est rare qu'il dérange ceux à qui il ne parle plus.
 
Qu'est-il donc arrivé ? Que s'est-il passé ?
 
L'effet seulement du temps ? Le rabotage du rabâchage scolaire ? A-t-on trop appris "Mes deux filles" à l'âge de sept ans et "Les Djinns" à celui de douze ? Victor Hugo finit-il par se confondre avec l'ensemble de l'architecture institutionnelle de notre société ? Est-il finalement l'article 0, écrit à l'encre sympathique, de notre consitution ? Peut-être.
 
Est-il en fin de compte victime de son succès ?
 
Trop fort, Victor Hugo ?
 
Disons en tout cas qu'il y a, dans son oeuvre, de quoi plaire à tout le monde : les catholiques adorent ses premiers recueils et même encore les "Rayons et les ombres", véritable joyau de technique poétique où la métaphysique sage, presque vignyesque, se glisse par longues flâneries, et ils retrouvent même matière à contentement dans l'étrange et tardif recueil inachevé, époustouflant par éclairs, "La fin de Satan" ; les autres déistes goûtent la "bouche d'ombre" des "Contemplations", certains passages des "Travailleurs de la mer" voire de "93", ou même de "le légende des siècles" ; les anticléricaux raffolent du sulfureux Claude Frollo de "Notre-Dame de Paris" et ne voient dans le Monseigneur Myriel des "Misérables" qu'une dénonciation de la richesse de l'Église sans d'ailleurs examiner que débarrassée de ses dorures sulpiciennes, l'Église redevient tolérable (malgré lui) par le grand homme ; les conservateurs l'apprécient parce qu'il appartient au passé ; les progressistes, parce qu'il a voulu l'avenir ; les vieux, parce qu'il leur rappelle leur enfance ; les enfants parce qu'il est rythmé ; les anar parce qu'il a été chanté par Brassens (ah, la "légende de la nonne !") ; les humanistes parce qu'il a défendu inlassablement l'être humain contre la machine sociale ; les révolutionnaires parce qu'il a été indulgent pour les Communards ; les francs-maçons parce qu'il défendait la conscience ; les utopistes parce qu'il ne s'est jamais résigné... Bref, tout le monde, à un moment ou un autre, a l'occasion d'un coup de foudre pour Victor Hugo.
 
Et pourtant, que lit-on de lui ?
 
Les poèmes étudiés en classe ("la rose et l'infante" : "tout en ce monde est aux princes, hors le vent", "les Djinns" : "Murs, Villes, Port, Tout dort...", et quelques autres), les extraits du Lagarde et Michard ou équivalents, les pièces des classiques Hachette ou équivalents.
 
Qui lit encore Victor Hugo à l'âge adulte à part Jean-François Kahn et moi? 

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27/08/2007

Rentrée littéraire : youpi !


Tant pis pour les grincheux et les rabat-joie : je suis heureux qu’il n’y ait pas moins de 727 (tout un Airbus…) romans programmés pour la rentrée littéraire d’automne 2007. Et j’aimerais avoir le temps et l’argent de les lire tous.

Hélas, il faudra choisir.

Quelques idées ?

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25/07/2007

Henri Guillemin parmi les ombres de la littérature.

De son vivant, la génération de 1830, dont j’ai beaucoup parlé au début de ce blog, a dû une part notable de son essor et de son envergure à la qualité de la critique littéraire qui l’accompagnait. Le nom de Sainte-Beuve, l’homme qui a par ailleurs cocufié Hugo, vient aussitôt à l’esprit.

Dans sa vie après la vie, la vague de 1830 doit énormément à la patience et au talent d’Henri Guillemin.

Ce savant personnage, qui mourut très âgé, a produit des extraits raisonnés des carnets de Victor Hugo, par exemple. Il a consacré plusieurs textes, tous importants, à ce grand personnage, mais personnellement, celui que je préfère, c’est bien le recueil «Pierres», un kaléidoscope de ces extraits qui fait l’effet d’un long feu d’artifices de ces traits de génie qui font d’Hugo le maître indétrôné de la langue française.

On ne trouve «Pierres» que chez les bouquinistes ; si vous en croisez un exemplaire, achetez-le aussitôt.

18:15 | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : écriture, littérature, poésie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

16/06/2007

Écrire la banlieue.

Me revoici au café du Chat Noir, à Paris, au nord de la Bastille. J'y viens saluer les acteurs du spectacle sur la Brinvilliers que je suis allé voir deux fois.
 
Comme j'ai une heure d'avance dans ma promenade, je m'assieds en commandant un quart Vittel. J'extrais de ma poche une biographie de Balzac et je commence à lire.
 
À ma droite, ma voisine pianote sur son ordinateur portable.
 
Il me semble qu'elle doit surfer sur Internet. Mais non, me dit-elle : pas de wifi au Chat Noir. En revanche, elle tourne l'écran vers moi et je vois des paragraphes séparés par de doubles interlignes, c'est évidemment un roman.
 
- Que faites-vous ? m'interroge-t-elle en réponse à ma question sur le wifi.
 
- J'édite des documents d'histoire bretonne.
 
Les mots "j'édite" ont un effet électrisant sur un auteur en herbe. J'ai beau préciser que je n'édite pas de roman, elle entreprend de me décrire le contenu et le contexte de son oeuvre.
 
En vérité, le tout se résume en deux mots : sa vie.
 
Elle a vingt-sept ans, elle est née d'un père malien et d'une mère haïtienne. Elle n'a été élevée ni par l'un ni par l'autre, mais par la DDASS. Elle fait partie de la statistique résiduelle qui s'en est sortie, sans d'ailleurs s'en extraire vraiment : elle est éducatrice sociale en banlieue.
 
Elle vote à gauche mais comme tous ceux qui s'en sortent peu ou prou, elle juge sévèrement ceux qui zonent. Et son roman (je ne vais pas en dévoiler le pitch, on s'en doute) raconte leur vie, l'aberration d'un système d'institutions locales qui, pour acheter la paix sociale, pratiquent diverses formes de cadeaux qui créent autant de frustration chez ceux à qui ils sont destinés que chez ceux à qui ils ne le sont pas.
 
Elle me lit certains passages à voix haute.
 
Et toute ma certitude s'effondre : je trouvais son style un peu trop littéraire, or je comprends qu'elle écrit du rap par longs passages et que sa façon de traverser des paragraphes trop travaillés ressemble à ce que produit le slam ou certaines formes de rap. Son public peut retrouver son goût dans ce qu'elle écrit.
 
Embarrassé, je la prie de m'adresser quelques chapitres par courriel.
 
- Promis, sourit-elle, mais en échange, vous corrigerez mes fautes d'orthographe ?
 
Elle n'en fait guère. Ce n'est pas une promesse coûteuse. Voilà, maintenant, j'attends son texte.
 
Et s'il y avait là le style spécifiquement banlieusard, à la mode d'aujourd'hui, que j'appelais de mes voeux voici quelques mois ?
 
Enfin. 

21:25 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : écriture, littérature, poésie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

13/06/2007

Don Quichotte.

Voici deux ans a été célébré le quatrième centenaire de Don Quichotte de la Manche.
 
Paru en 1605, le roman de Miguel de Cervantès a fixé pour des siècles (déjà quatre, donc) le profil d'un personnage intraitable, fantasque voire fou, en tout cas irréfléchi et gouverné par un mode de raisonnement dominé par l'absurde et l'emphase.
 
L'image du chevalier qui se jette contre les moulins qu'il assaille du haut de sa jument, un bidet famélique, au service d'une princesse de rêve ou de fantasme, est l'une des plus émouvantes, quoique ridicule et grinçante, de la littérature mondiale.
 
Bien sûr, on peut le trouver gratuit, risible, le prendre au premier degré, mais vaincre ses tabous, décider qu'il faut cesser d'accepter l'inacceptable et de tolérer l'intolérable, ce sont des pulsions de Don Quichotte que chacun de nous reconnaît en lui.
 
D'une manière générale, le rapport entre la pulsion, le désir, le caprice et notre relation à la réalité sont les moteurs de la fascination que Don Quichotte exerce sur chacun de nous.
 
S'il va contre les moulins, c'est pour des motifs théoriquement nobles et universels, mais la cause de l'acte qu'il commet n'existe pas ailleurs qu'en lui : de là vient que son geste n'est qu'une pulsion et non un véritable engagement. Don Quichotte est habité par des principes forts et incontestables qui ne rencontrent rien dans sa vie réelle.
 
Cette distance pourrait affaiblir les principes en question et les entraîner dans le ridicule ; c'est tout le contraire qui se produit.
 
Car le paradoxe de Don Quichotte est que sa quête absurde est profondément associée dans notre inconscient à tout ce qui a trait aux vérités douloureuses, aux "choses cachées" dont parle René Girard, à ces moteurs sombres et secrets qui font de la vie humaine un bouillon de culture fétide si l'on creuse un peu. Don Quichotte est l'homme qui veut arrêter la vague de l'océan avec ses doigts. Il n'y arrivera pas, bien sûr, mais s'il n'essaie pas, sera-t-il digne de vivre ?
 
Il est un inusable perdant, un looser indécrottable, mais il fait ce que chacun de nous voudrait oser faire dans sa réalité.
 
Répétons ici la phrase de Gandhi notée par notre blogueuse favorite Quitterie Delmas : "Si tu vois un problème et que tu ne fais rien, c'est que tu fais partie du problème". 

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22/05/2007

Ce soir, repos : parlons de littérature.

J'ai commencé ce blog en janvier avec l'idée que j'y parlerais essentiellement de littérature, d'Histoire (c'est tout de même ma spécialité), et que parfois, ici ou là, je glisserais des allusions fines à mes préférences politiques.
 
Or comme tout le monde, j'ai été emporté par le maelstrom de la campagne présidentielle, toute allusion est devenue un obus de bazooka et mes préférences politiques s'étalent à longueur de mes colonnes.
 
Eh bien oui, j'ai voté Bayrou, j'en suis fier, et je me battrai pour que quelques mauvais génies ne l'empêchent pas de poursuivre sa propre idée de la rénovation politique dont la France à besoin et qui a peu de rapport avec l'hyperprésidentialisation du régime que chacun constate ces jours-ci.
 
J'ai annoncé que je parlerais de littérature ce soir ; eh bien, c'est vrai aussi.
 
La raison pour laquelle j'ai eu à ce point envie de faire cette campagne présidentielle et de me replonger dans la fièvre politique dont je m'étais éloigné depuis 2001, c'est tout ce que Victor Hugo a écrit sur le devoir de ceux qui ont une responsabilité quelconque dans la cité, qu'elle soit intellectuelle, morale, philosophique ou politique : "agrandir les esprits, amoindrir les misères".
 
Et agrandir les esprits, dans la mesure où, comme le dit ailleurs Victor Hugo (phrase que j'ai placée en exergue de ma colonne de gauche), "quand tous ont accès aux lumières du savoir, alors est venu le temps de la démocratie", c'est cultiver la démocratie, la faire vivre, la vivifier, la prolonger, la développer.
 
Oui, il n'y a pas de démocratie sans militantisme du savoir.
 
Or la campagne qui a triomphé était tout l'inverse de ce militantisme-là et, au contraire, celle de François Bayrou en était constamment imprégnée, comme l'a d'ailleurs démontré la structure de son électorat. 
 
C'est pourquoi, si la campagne que j'ai faite a été perdante, elle a cependant été juste et rien ne pourra me la faire regretter.
 
Campagne contre la crétinisation, contre l'utilisation de symboles consternants et parfois abjects, contre la peoplisation, contre la bipolarisation irréfléchie et mécanisante.
 
Campagne pour l'intelligence, pour la sincérité, pour la fraîcheur, pour la vertu, toutes notions que la politique écrase en général. Pour la liberté et pour l'autonomie de l'esprit.
 
Et je crois que le Modem, le nouveau parti de François Bayrou, prolongera cette campagne dans son programme et, espérons-le, dans son fonctionnement.
 
On a lu récemment ma colère contre certains choix que je continue à trouver absurdes. Mais la politique consiste parfois à transformer la colère en acte. Cet acte, ce sera un engagement pour que le Modem prenne les chemins les plus modernes, les plus démocratiques et les plus justes. J'y veillerai, ou plutôt je contribuerai, avec d'autres, à y veiller, car mon chemin reste le livre et je laisse à d'autres le soin de devenir ce qu'ils doivent être : des armes citoyennes.
 
Je sais que je viens de parler de politique alors que j'ai annoncé un sujet littéraire, mais voilà, tout cet effort personnel, toute cette vision que j'ai eue et pour laquelle j'ai lutté, elle me vient tout droit, encore une fois, de Victor Hugo qui me l'a, de loin, du fond des "Contemplations" (le livre que j'emporterais sur l'île déserte) soufflée.
 
Alors, de grâce, courez relire les "Contemplations" avant de retourner sur le blog de Quitterie Delmas. 

07/05/2007

Pendant toute la campagne, je pensais à Pagnol.

Bien entendu, c'est "Topaze" qui m'y faisait songer, l'histoire de ce modeste professeur plongé dans le monde demi-sel des politicards véreux vendus aux marchands de balayeuses mécaniques. Une histoire si inusable que Pagnol en a tourné deux versions, l'une entre-deux-guerres, l'autre après-guerre.
 
Le premier livre de Pagnol que j'ai lu était "La gloire de mon père", offert par une prof de math, en classe de quatrième. Cette femme d'une qualité humaine exceptionnelle avait passé une partie de la guerre dans un camp de concentration. Elle en était revenue et n'en montrait aucune trace, rien qu'une sérénité et une imperturbable gentillesse.
 
Pour annoncer son approche et nous inciter à rejoindre nos places du côté de la salle (n° 68 je crois) du lycée Janson, elle agitait devant elle un énorme trousseau de clefs, un vrai attirail de cambrioleur ou de serrurier. Puis d'une petite voix pointue, cette demoiselle, déjà âgée, nous invitait poliment à l'écouter.
 
Dans sa courtoisie, dans son immense gentillesse, elle ne manquait jamais de glisser un encouragement.
 
Et comme j'ai toujours été sensible à la flatterie, ce fut l'une de mes meilleures années dans sa matière : je la terminai persuadé de finir polytechnicien.
 
Et c'est donc au cours de l'un des trois trimestres que, en récompense de son propre travail (car finalement comme élève je n'avais qu'à m'imprégner des raisonnements très imagés qu'avec une pédagogie lumineuse elle nous martelait), elle m'offrit (premier prix du trimestre) "La gloire de mon père".
 
Pagnol, c'est charmant. Ca ne casse pas des pattes aux escargots, comme aurait dit mon grand-père, mais c'est une jolie promenade dans une époque, un monde, des lieux.
 
On oublie que les films de Pagnol doivent beaucoup à Giono, c'est ce qui les rend plus forts que ses livres. Et pourtant, les livres conservent l'intérêt et l'émotion du témoignage sur une France pour qui la République était l'ambition suprême, une France qui s'éloigne.

03/05/2007

Hippodrome d'Auteuil : les paradoxes du Bois de Boulogne.

À l'ouest de Paris se situe le Bois de Boulogne, longtemps proverbial pour certaines activités nocturnes et spécialisées, d'un type artisanal, autrefois féminin, aujourd'hui plus indéterminé. Bref, sans m'étendre sur l'activité de ces dames, un mot du bois.
 
Il a une valeur symbolique : le nom gallo-romain de la paroisse locale, qui englobait Boulogne, Auteuil et Passy, était "Nemetum", où il faut reconnaître le gaulois "nemeton", le bois sacré. Le Bois de Boulogne est le vestige du bois sacré gaulois qui occupait là une boucle de la Seine.
 
Ce bois fut rattaché à Paris par un acte juridique sui generis de l'empereur Napoléon III au XIXe siècle. Je crois en 1857. On en retrancha une portion qui devint le quartier dit des Princes ou du fond des Princes, à Boulogne, un quartier strictement résidentiel où tout commerce était interdit par le texte fondateur. Ce quartier est aujourd'hui dominé comme un donjon par la silhouette imposante du Parc des Princes. Il borde aussi le mythique stade de tennis de Roland Garros.
 
Plus au nord, donc, ce qui reste de l'ancien bois de Boulogne, qui relève du territoire de Paris. Là sont deux hippodromes, celui de Longchamp et celui d'Auteuil. On dit que c'est un peu trop pour le nombre de courses qui se déroulent à Paris (sans compter le troisième hippodrome, celui de Vincennes), mais, il y a dix ans, quand la question fut posée, les deux hippodromes parvinrent à sauver leur existence par ce qui est au moins un artifice ; bref, je ne m'étends pas sur ce sujet un peu délicat où l'on pourrait avoir beaucoup à dire.
 
Voici le paradoxe : le rattachement du bois au territoire parisien n'eut pas pour entière conséquence une attribution des compétences sur le bois à la Ville de Paris, même du temps où celle-ci était gérée comme une préfecture. Les hippodromes qui furent créés ensuite le furent sur décision de l'État, sous la tutelle (rien n'est jamais simple) de trois ministères : celui de l'agriculture (au nom de l'autrefois célèbre "amélioration de la race chevaline") et celui des finances (en raison de la forte redevance perçue par l'État à la fois sur l'hippodrome et sur les paris), auquel s'est joint le ministère des sports.
 
Voici plusieurs décennies, la préfecture de Paris, alors très puissante dans l'État, obtint la dévolution de la tutelle de l'équipement, avec certaines réserves.
 
Aujourd'hui, après la décentralisation, la Ville de Paris est une collectivité comme les autres et la tutelle des hippodromes a retrouvé son régime antérieur, parfaitement absurde, reconcentré, ou plutôt, repartagé entre les trois ministères et la Ville (affaires de gros sous).
 
Je me demande pourquoi la décentralisation a été si absente de la campagne électorale. Mme Royal en a un peu parlé hier soir. Il reste beaucoup de ces situations absurdes à clarifier. Il en résultera des économies substantielles pour le contribuable.
 
Merci d'avoir lu ce message destiné à rappeler qu'une campagne présidentielle est destinée à parler des réalités.

29/04/2007

Brassens, une semaine avant le second tour.

"Parmi les noms d'élus, on verra pas le mien".
 
La proclamation de Brassens, gouailleuse comme toujours, nous rappelle aux réalités de notre propre vie. Foin des élections, foin des grandes masses humaines agglomérées pour les meetings électoraux, foin de tout ça, "le pluriel ne vaut rien à l'homme ; sitôt qu'on est plus de quatre, on est une bande de cons".
 
Alors il faut le dire. Brassens est un maître à en sourire, un maître à prendre de la distance, un maître ès détachement goguenard. Agitations, fièvres, tout ça demeure dérisoire.
 
Tandis que
 
"cette plage où le sable est si fin
Auprès de mes amis d'enfance, les dauphins",
 
là où
 
"tantôt venant d'Espagne et tantôt d'Italie
tout chargés de parfums, de musiques jolies
le mistral et la tramontane
sur mon dernier sommeil verseront les échos
de vilanelle, un jour, un jour de fandango,
de tarentelle, de sardane"
 
Il reste de la vie le spectacle de la mort et la vertu du sage est de tenir la vie tant qu'elle tient debout.

Le plaisir de la promenade, chacun son coin de forêt ou de rivière, chacun son sentier secret, sa rue écartée, son toit qui penche.

Le plaisir d'un livre.

Le plaisir d'une camaraderie, d'un amour. D'un simple joli regard de jolie môme.

Voilà ce qui fait que l'effroi qui s'empare de nous de temps à autre en examinant les sondages peut encore être conjuré. 

 

28/04/2007

Mon 10 mai 1981.

Il faut parler de mon père.

Il admirait Mendès depuis sa jeunesse au début des années 1950. Il adressait à PMF chacune des tribunes qu'il faisait paraître d'abord dans "Combat" puis dans "Le Monde". Mendès accusait toujours réception de ces envois et les commentait quelquefois.

Logiquement, mon père, membre du Parti Socialiste depuis le congrès d'Épinay en 1971, se retrouvait dans le courant rocardien, qui se rapprochait de son mendésisme.

Le 10 mai 1981, j'avais seize ans depuis quelques mois. Mes parents étant divorcés, j'avais gardé l'habitude de voir mon père le dimanche, quoique ce ne fût plus une obligation légale depuis justement mes seize ans.

Ce jour-là, il était aux anges. Il exultait. Il m'emmena dès mon arrivée et, courant presque, bondit dans sa R20 gris métallisé où je le suivis.

Il votait dans le quatorzième arrondissement de Paris, dont il venait de déménager. À tombeau ouvert, il y courut. Il se gara comme toujours mal, à moitié sur le trottoir, et se rua sur son bureau de vote.

Il était midi, l'endroit était vide ou presque. Mon père salua son président de bureau de vote, qu'il connaissait, et s'engagea dans l'isoloir, toujours aussi joyeux. Il en ressortit aussitôt et se présenta devant l'urne. On le fit voter.

- A voté !

Et c'est alors que sa joie redoubla.

- Viens, me dit-il.

Il me conduisit vers un autre bureau de vote, toujours dans le quatorzième. Là, il sortit d'autres papiers de sa poche : ceux de son frère, Jean Torchet, mort en 1956. Ce Jean Torchet était sorti en petit rang de l'ÉNA, dans la même promotion qu'Édouard Balladur, Jacques Calvet (longtemps président de Peugeot), Jérôme Monod (le dernier homme de réseau du chiraquisme) et quelques autres. Bref, depuis 1956 et la mort (à vingt-six ans) de ce frère fauché par un cancer du fumeur (tabagie passive), mon père n'avait jamais manqué une occasion de voter à sa place.

Au fond, c'était très malsain.

Mais là, je le vis présenter, pouffant et jubilant comme un gosse, la carte d'élève de Sciences-Po de son frère, à qui il ressemblait suffisamment pour la vraisemblance. Le président le connaissait pour l'un de ses électeurs habituels. Il ne fit aucune difficulté.

Et je vis mon père entrer pour la seconde fois dans l'isoloir.

Et pour la seconde fois, il vota Mitterrand.

Je ne l'ai jamais vu plus heureux que ce jour-là.

Mais bien entendu, dès l'élection acquise, comme tant de rocardiens, il passa à la trappe.

Cette phase-là, je l'ai sue mais il ne me l'a jamais racontée : je ne l'ai revu que deux fois après le 10 mai 1981.

Les voici.

Au début de l'automne de cette même année, toujours âgé de seize ans, élève du lycée Janson, une boîte prestigieuse d'un quartier bourgeois de l'ouest parisien, j'avais décidé qu'il devenait impossible de rester neutre. Je m'étais engagé.

Intéressé par la modération et par le talent verbal de Lecanuet, j'avais adhéré au centre, une étiquette que jamais aucun membre de ma famille n'avait portée avant moi (j'avais pourtant le choix, car du radicalisme au nationalisme en passant par le socialisme, l'éclectisme régnait dans mon entourage familial). J'ai donc complété le panel en entrant en centrisme, secte bizarre et peu nombreuse dont il faudra bien que je dise quelques souvenirs cocasses à un moment ou un autre.

Quoiqu'il en soit, j'adhérai début octobre 1981 et à la fin de ce même mois, mon grand-père paternel mourut, certain d'avoir été assassiné par les sbires de Jacques Médecin : officier de marine retraité, grand résistant, il s'était présenté sous une étiquette "poujadiste" aux législatives de 1981 dans les Alpes Maritimes et y avait obtenu un peu plus de cinq pour cent. Un cyclomotoriste l'avait ensuite renversé, lui causant des blessures mortelles et mon grand-père, il est vrai parano de nature, avait conclu à l'assassinat dans une lettre qu'il m'avait adressée. Il mourut donc fin octobre.

Ce fut alors l'avant-dernière fois que je vis mon père, aux obsèques de son propre père.

Moins de deux mois plus tard, entre Noël et le Nouvel An de cette année 1981, il m'appela et me proposa de passer la soirée avec lui, ce que je n'avais jamais fait.

J'acceptai.

Il me donna le choix de son cadeau de Noël : m'offrir "une pute" ou une place au spectacle de Montand à l'Olympia.

Je choisis Montand à son grand désarroi : sûr de ma réponse, il n'avait pas acheté un billet pour le concert.

Nous nous rendîmes donc au plus célèbre music-hall de Paris. La salle était archi-comble. Il fallut parlementer un long moment avec la guichetière pour obtenir de pénétrer dans cet endroit devenu déjà mythique.

Montand était étonnant. Je ne connaissais de la chanson sur scène qu'Anne Sylvestre, amie de ma mère, dont je fréquentais ponctuellement les concerts, et le music-hall, le spectacle insensé fourni par Montand, tout cela fut pour moi un très grand choc artistique. Nous étions assis sur les marches : les sièges regorgeaient de gens assis les uns sur les autres, les strapontins fléchissaient sous la masse, il ne restait que les gradins, au mépris de toutes les lois de sécurité.

Nous n'avions pas peur. J'étais subjugué.

À l'entr'acte, une banderole fut déroulée sur tout le long de la scène. Elle portait un seul mot, inscrit en rouge sang sur fond blanc : Solidarnosc (avec des accents sur le s et le c), le nom du syndicat Solidarité en polonais. On était quinze jours après le 13 décembre 1981.

Voilà ce qu'était la gauche à cette époque-là.

Puis mon père, en sortant de l'Olympia, comme on était dans le bon quartier, réitéra sa proposition de m'offrir "une pute". J'avais dix-sept ans.

Je refusai de nouveau, un peu déstabilisé.

Il haussa les épaules et me sourit, puis il poursuivit sa route.

Je ne l'ai jamais revu : il est mort deux mois plus tard, âgé de quarante-huit ans. 

27/04/2007

Albert Camus, la patrie du verbe.

"Ma patrie, c'est la langue française", écrivait Camus. On devrait le relire ces jours-ci, ce serait un repos. Il faisait dire aussi à Napoléon dans "Les amandiers" : "Il n'y a que deux forces au monde, le sabre et l'esprit . À la longue, l'esprit l'emportera toujours sur le sabre". Que certains en prennent donc de la graine.
 
Camus, le pessimiste, le pacifiste, le résistant, le directeur de "Combat" clandestin sous l'occupation, l'enfant français de l'Algérie opposé à la guerre, ennemi de ses amis, toujours tourné vers l'exigeance de l'intelligence, est l'un des hommes indomptables qui manquent à notre époque.
 
Jamais dupe, jamais emporté par une autre idée que la sienne, repoussant également toutes les opinions faciles, montrant son long visage et son regard incisif, il ne se laissait pas dominer. Pas assez pour la tranquillité de ses contemporains.
 
Ami des Gallimard, il a représenté pour une génération l'aune de toutes les indépendances d'esprit.
 
Tout le monde a lu "L'étranger" ou "La peste" au lycée. Je préfère "L'étranger", bien qu'il faille le lire un jour où le soleil brille fort et où on vient de gagner un milliard au Loto pour éviter de sombrer aussitôt dans la plus affreuse déprime. Son théâtre ne vaut pas celui de Sartre mais le relatif oubli ou, pour mieux dire, la trop grande négligence dans laquelle il est tenu relève de l'injustice.
 
Huster a repris son "Caligula" voici quelques années, à peu près avec la même idée étrange que Lawrence Olivier interprétant Hamlet à l'âge de cinquante ans. Ce Caligula nous rappelle de quoi est faite l'âme des dictateurs.
 
À méditer donc ces jours-ci. Libre. 

25/04/2007

Littérature de pouvoir.

18,5. Ce n'est pas une si mauvaise note...
 
Reste qu'une fois de plus, la politique des moyens triomphe contre celle des fins. Une fois de plus, l'énergie de la conquête a dévasté l'ordre de la raison.
 
On voudrait croire à une dimension romanesque des personnages qui sont apparus dans le récent scrutin. Or à l'examen, on aura du mal à échapper au stéréotype.
 
Bien entendu, l'idée immédiate, l'homme de pouvoir par excellence, en littérature, c'est Rastignac. Ou si l'on en veut un modèle plus politique (sinon plus républicain), on songera à ce journaliste qui est le personnage central des "Grandes familles" de Druon et dont le nom m'échappe au moment où j'écris.
 
À ces archétypes du cynisme ambitieux s'oppose le roc du Jacques Thibault de Martin du Gard, l'antipouvoir type, le sacrifié de nature, le juste à qui la pulsion mortelle et destructrice donnera toujours tort. Autant dire tout de suite que je n'identifie Bayrou ni à l'un ni à l'autre types. C'est mon ni-ni à moi. Bayrou est un juste sans sacrifice, ou plutôt de sacrifice modéré, un centriste du sacrifice : ni trop, ni trop peu. Toujours le ni-ni.
 
Et s'il est difficile de s'extraire des clichés, c'est parce que la littérature n'a guère traité la matière politique. On y voit peu les rouages de l'autorité, peu les mécanismes de la décision. "Germinal" décrit le militantisme dans sa genèse. "Les Thibault" dans son effervescence. On trouvera des auteurs engagés. On trouvera aussi des fictions documentaires du type "meurtre à l'Élysée" ou "à l'ÉNA". Mais ces livres ont un rapport lointain avec la littérature.
 
Sur le pouvoir et sa conquête, outre les classiques de Machiavel ou de Sun-Tzu, qui ne sont que des traités de tactique, on devra se rabattre sur les excellents "Mémoires" de Louis-Philippe, ou sur ceux, finalement, d'une quantité de grands hommes quand ils ont eu l'honnêteté de s'exprimer sans langue de bois. Un recensement qui reste à faire.
 
Et toi, lectrice, lecteur, qu'as-tu à ajouter à cette liste de littérature de pouvoir ?
 
Moi, je n'ai qu'une phrase que, sans surprise, j'emprunterai à Victor Hugo. Il s'agit là du seul vrai espace de vie où le pouvoir puisse être corrigé par un engagement de tous les instants : le couple. La phrase d'Hugo (je cite de mémoire) est : "Sois ma reine et mon esclave, je serai ton roi et ton esclave".
 
Je connais une jolie môme qui l'incarne bien. 
 
Libre. 

16/04/2007

Vite, le livre d'Azouz Begag.

On ne prend pas toujours facilement un écrivain au vol. Il vaut parfois mieux l'avoir suivi dès ses débuts, l'avoir accompagné, avoir pris le train dès son départ.
 
Je n'avais jamais rien lu d'Azouz Begag jusqu'ici et c'est la seule réticence (modeste, on en convient) que j'éprouve en refermant son livre. Car il parle de lui, de certains événements de son parcours et de sa vie, et on se doute qu'il ne prend pas la peine de s'y attarder parce qu'il l'a déjà fait ailleurs, alors qu'on aurait vraiment voulu les mettre en perspective de ce qu'il raconte : ils y auraient trouvé un écho, neuf pour le lecteur novice, et peut-être neuf aussi pour le lecteur chevronné, qui en aurait découvert un nouvel aspect.
 
Quoiqu'il en soit, et toujours avant de parler du livre en tant que tel, il faut tout de même noter l'extraordinaire portrait de calvaire qui sert de toile de fond à ce compte-rendu de ministère : celui de Dominique de Villepin, que l'on voit transformé peu à peu en ectoplasme douloureux, décharné, desséché, l'oeil qui se vide progressivement, à peu près tel qu'on l'a vu à la télévision, mais sous l'angle d'un proche qui, certes, ne le voit pas beaucoup, mais a sur lui un regard bienveillant, sincère et libre.
 
Il faut tout de même faire cet aparté, car Villepin a honoré la France par son courage devant l'ONU en se cabrant dans un beau texte contre l'oukaze du mensonge, ce qui lui vaut une reconnaissance éclairée.
 
Ces préliminaires achevés, venons-en au fait : Azouz Begag (c'est là qu'on aimerait en avoir lu un peu plus sur lui, j'avoue ne pas le connaître bien), au fond, fait un portrait naïf de lui-même qui peut rappeler les romans ou les films qui, il n'y a pas si longtemps, narraient la "montée à Paris" d'un petit provincial, tout ébahi, tout benêt, tout gentil, au milieu du vrombissement de la grande ville.
 
Oui, il y a quelque chose du "Fauteuil d'orchestre" de Danièle Thompson, dans le livre d'Azouz Begag, et quelque chose de Cécile de France dans le personnage qu'il met en scène sous l'identité de lui-même.
 
Mais bien sûr, la comparaison s'arrête là, car le film est un bon divertissement, alors que le livre est un puissant témoignage.
 
L'aventure débute d'une façon étrange : il rencontre Villepin à la foire du livre de Brives, Villepin n'est encore que ministre des Affaires Étrangères, et quelques mois plus tard, le même DDV (selon ses initiales) le propulse ministre. Un faux ministre, ou plutôt un vrai, mais un qu'on ne respecte pas dans le milieu politique : un ministre sans administration ni budget.
 
Or chacun sait que ce sont les deux nerfs de la bataille politique, les deux enjeux majeurs des disputes âpres que se livrent les ministres dans les coulisses.
 
J'ai personnellement le souvenir d'un sous-ministre qui, en 1995, se réjouissait d'avoir arraché deux directions d'administration centrale cruciales du ministère de l'Intérieur pour composer son sous-ministère. Résultat : il n'est pas resté six mois, la structure s'est vengée.
 
Là encore, la bonne volonté de Villepin n'est pas, à mon avis, en cause : il avait dû rêver d'une autre vie à Matignon. J'écris ces mots avec le souvenir de confidences faites par Raymond Barre au groupe de jeunes centristes dont je faisais partie, à la fin de l'été 1987 : il expliquait la vie harassante d'un premier-ministre, trois journées de travail en une, celle de l'inaugurateur de chrysanthèmes (disons la journée protocolaire), celle du chef de l'administration de l'État et celle du chef de la majorité politique. Barre avait tordu le cou au protocole pour pouvoir s'en sortir.
 
Le voici donc nanti d'un bureau, c'est un bon début. Le récit de la composition de son cabinet est un poème tragique.
 
Puis vient ce que j'évoquais hier : l'indélicatesse du milieu, un affreux panier de crabes. Donnedieu de Vabres l'invite pour une réunion et le fait poireauter pendant une demi-heure dans l'antichambre. Douste le reçoit au bout d'une heure d'attente après lui avoir bien montré qu'il recevait entre-temps un homme qui était son candidat à lui, Douste, pour le ministère ectoplasmique que lui, Begag, occupait. Et ainsi de suite.
 
Ce qu'on lui reproche ? Être un affidé de Villepin.
 
Car toute la politique en France n'est faite que de coteries, de clans, de féodalités, de bandes, de gangs, et, comme chantait Renaud autrefois, "casse-toi tu pues, t'es pas d'ma bande" dès qu'on déborde du cadre.
 
Or Azouz Begag, je ne crois vraiment pas que ce soit une posture, toujours, partout, déborde du cadre. Pas comme Tapie par sa vulgarité encombrante, mais par sa liberté modeste. Begag est quelqu'un qui se laisse longtemps marcher sur les pieds avant de se venger.
 
Seulement, le jour où il décide de se braquer, il ne change pas d'idée.
 
Le portrait qu'il brosse de Sarko est un flacon de vitriol, on l'a déjà lu dans la presse, mais dans son contexte, c'est encore plus fort.
 
Le goût et le talent de l'écrivain font le reste d'un récit, celui d'un naufrage où le surmenage finit par vaincre l'insurmontable angoisse qui l'étreint dès le début de la période. Naufrage ? Pas sûr.
 
Azouz Begag a beaucoup fait pour la République et pour ses petits frères des banlieues lyonnaises. Il a écrit et il a milité dans les milieux associatifs. Son passage parmi les requins gouvernementaux l'a mis en situation de défi : il veut relever le gant qu'on lui a jeté en l'insultant et en le méprisant. Ses deux vies vont donc coïncider dans un engagement électif, si ce que j'ai entendu est vrai.
 
On dit que l'UDF (ou le parti démocrate) pourrait l'investir pour une circonscription lyonnaise lors des prochaines élections législatives. S'il entre à l'Assemblée, il y aura de quoi se régaler du récit qu'il en tirera. Libre.
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13/04/2007

Victor Hugo, la conscience et le social.

Le XIXe siècle est habité par la double réflexion sur les causes de la Révolution française et de la souffrance du peuple, les deux étant d'ailleurs finalement liées.
 
Plusieurs opinions se confrontent et donnent naissance à des courants politiques.
 
Un premier groupe de courants politiques considère, avec Rousseau, que le mal vient de l'organisation de la société. On peut parler, pour schématiser, d'une explication sociale des misères. Logiquement, ces penseurs jugent qu'il faut modifier l'organisation de la société pour remédier aux maux du peuple.
 
Disons qu'il s'agit des socialismes. Parmi eux, les courants fouriériste, saint-simonien et autres, jusqu'à l'invention marxiste qui bouleverse la donne en proposant une doctrine plus structurée, dont les effrayantes limites sont apparues à l'épreuve des faits.
 
Pour d'autres, l'organisation de la société est en cause, mais pas seulement : il faut y ajouter la dynamique particulière de l'esprit humain.
 
Dans cette seconde catégorie se rangent d'abord les sociaux-chrétiens, disons pour faire simple encore trois noms : Lamennais, Lacordaire et Ozanam.
 
Ils croient que ce sont d'abord les travers humains (voire les fautes) qui causent les maux du peuple. Il faut donc à la fois améliorer l'organisation sociale et pousser les gens à se montrer meilleurs.
 
Il y a une phrase de Lacordaire que j'aime bien :
 
"Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit". 
 
Elle dit bien le rôle de la loi, donc de l'organisation sociale.
 
Elle met aussi l'accent sur le conflit d'intérêts qui est, dans la réalité, le moteur des maux.
 
À ce moteur, Tocqueville propose un frein : la notion d'intérêt "bien entendu" ; soit ce qu'il y a de mon intérêt dans celui de mon voisin. C'est un pas considérable.
 
Lamartine, comme toujours, glisse alors son grain de sel avec son habituel rationnalisme teinté de christianisme (mais en nette délicatesse avec la hiérarchie cléricale) et c'est finalement Victor Hugo qui, comme toujours, trouve la synthèse :
 
Il s'agit de la conscience.
 
Conscience du chef de l'entreprise, conscience aussi de l'humble lorsqu'il est éclairé. Il ajoute bien entendu que seul le savoir, seule l'éducation, fournit l'éclairage nécessaire qui permet à la conscience de trancher en bonne connaissance de cause.
 
Cet effort de la conscience garantit contre les abus et les préjugés. Il replace les malfaisants (prostituées, voleurs de pain...) en victimes et établit un nouveau paysage économique et moral où l'homme s'épanouit mieux.
 
La conscience contre la misère ? Il fallait y penser. 

11/04/2007

François Villon d'un galop.

Évidemment, on ne peut plus dissocier Villon de Brassens depuis la somptueuse adaptation par le second de la "Ballade des dame du temps jadis" du premier.

Il faut dire que François de Moncorbier, alias des Loges alias Villon, a de quoi réjouir le maître sétois : existence sulfureuse, goût de la luxure et de la mauvaise vie, menus larcins (voire banditisme pur et simple), tout cela égaie le palais anar de Brassens.

Le XVe siècle, époque que je connais un peu par ailleurs, est particulièrement secoué et les carrières doivent y être difficiles. Les petits clercs vivotent et souffrent. Ils se laissent gagner par les idées noires, tout cela est chez Villon.

Ce qui reste évidemment énigmatique, c'est sa double nature d'ami de quelques puissants et d'associé de personnages très obscurs, voire sombres. On croit toucher du doigt certaines vérités de toutes époques sur le goût des relations troubles, sur le rôle ambigu des intermédiaires, peut-être sur des réseaux douteux.

Et si l'on ne savait pas encore l'essentiel sur Villon ? 

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10/04/2007

Un mot de Mauriac.

Il y a des écrivains militants, un peu cerbères, j'en fais partie de temps à autre et Mauriac en son temps aussi.

Pourtant, je n'ai pas envie de parler ce soir, dans cette courte note, de cette partie de son oeuvre.

Je pense au "Noeud de vipères". C'est un pamphlet très violent contre les choses de la famille. J'ai eu l'occasion de le lire il y a déjà longtemps, sans d'ailleurs perdre mon propre goût de la famille.
 
J'ai entendu dire (et c'était mon court propos du soir) que Mauriac avait écrit ce texte après avoir pesté un certain nombre de matin d'affilée devant la porte de sa salle de bains encombrée des différents membres de sa maisonnée. Voilà, c'était ma petite réflexion sur les mécanismes de la création. Mais la famille, moi, j'aime. 

 

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09/04/2007

L'arrivée spectaculaire de Victor Hugo en Espagne.

Le général Hugo dirigeait une province de l'Espagne occupée. Il dirigeait moins sa femme.

Ce couple était en vérité aussi mal assorti que celui du colonel Chabert. La "mère vendéenne", le "père vieux soldat", l'une de l'ouest, l'autre de l'est, l'une attachée aux idées d'Ancien Régime et à un certain Faneau de Lahorie et l'autre à une certaine idée de la République.

De temps à autre, ce couple volcanique se rabibochait. La femme rejoignait son mari.

Ainsi en fut-il en cette année (1805 ou 1806, je ne sais plus). Une garde de plusieurs milliers d'hommes se présenta à la frontière franco-espagnole, côté espagnol, non loin du col de Roncevaux et je crois près d'un poste frontière nommé Torrequemada dont Hugo retrouva le nom pour son inquisiteur.

Les deux fils Hugo (Victor avait un frère, qui périt fou dans un asile) furent déposés dans une immense calèche tirée par huit ou dix chevaux. Puis l'attelage somptueux, digne d'un prince, se mit en branle, au milieu de son armée d'escorte. Déjà dans l'enfance, tout ce qui concernait Victor Hugo virait instantanément au gigantisme.

Évidemment, après ça, on ne peut pas s'étonner... 

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08/04/2007

Pourquoi Monte-Christo est-il mon Dumas préféré ?

Il y a des livres qui traînent sur une table pendant des années. "Le comte de Monte-Christo" m'a fait ça.
 
Il ne s'éloignait jamais, ne disparaissait pas tout à fait, ne s'ouvrait cependant pas, ne me faisait pas de l'oeil, mais il se posait toujours sur une pile ou sur une table.
 
Un soir, n'ayant rien d'autre sous la main, je l'ai ouvert.
 
"Fantomas" m'a fait le même coup.
 
Et je n'ai pas pu le refermer.
 
De l'attente du "Pharaon", ce bateau perdu qui évoque "Le marchand de Venise" de Shakespeare, jusqu'au départ du ténébreux comte de Monte-Christo vers l'Orient, des années plus tard, tout m'a emporté.
 
Comment ne pas s'émouvoir pour Mercedes ? Comment ne pas se lamenter avec le négociant modeste et honnête dont les espoirs s'envolent ? Comment ne pas s'indigner des procédés du procureur Noirtier dit de Villefort ?
 
L'action est sombre et amère, les personnages profondément humains, quelle que soit leur attitude, perfide ou chevaleresque, courageuse ou couarde, cupide ou généreuse, ils vivent car n'importe qui peut comprendre leurs qualités et leurs défauts.
 
Ils n'ont pas les débats de conscience de ceux de Victor Hugo ; ils ne sont pas contrastés comme Javert ou Phébus ou même Quasimodo. Ils sont dominés par un penchant et les actes qu'ils commettent dessinent a posteriori les contours de leur personnalité. Pas de problème cornélien, si cher à Hugo, chez Dumas : rien que la loi qui veut que l'on tombe toujours du côté où l'on penche. Plus de fatalité donc que de liberté.
 
Il n'y a que trois moments où la dimension morale soit interrogée : le premier quand le procureur de Villefort pourrait libérer Dantès et ne le fait pas après un léger (très léger) temps de réflexion ; le deuxième quand l'ancien ami de Dantès devenu aubergiste (son nom m'échappe au moment où j'écris) pourrait se contenter du diamant apporté par le faux abbé de la part de Monte-Christo (récompense de gestes d'humanité autrefois accordés par l'aubergiste au père de Dantès) et où sa femme le convainc qu'il faut au contraire le détrousser pour sortir des difficultés matérielles qui s'accumulent contre eux ; le troisième quand Mercedes devenue comtesse de Mortserf vient implorer la clémence pour son fils.
 
Trois doutes en mille pages de vilenies et de vengeances, c'est peu. Et pourtant, Monte-Christo n'est pas un roman manichéen. Comme toujours, la complexité, chez Dumas, s'immisce là où on ne l'attend pas, par le simple fait que les personnages sont humains et que leur humanité les rend fragiles devant la vengeance et la punition.
 
Et finalement, Monte-Christo ne savoure pas sa revanche. Il l'accomplit dans une idée de jugement qui est la vraie problématique morale du livre : justice immanente et vengeance ? Quel mélange.
 
Puis il s'éloigne, enfin deux fois libre.
 
Libre ? vraiment ? après toute cette vie gâchée ?
 
Comme "Le Cousin Pons" est le plus noir des Balzac, "Monte-Christo" est le plus noir et le plus pessimiste des Dumas. On croit déjà y lire les phrases désabusées du capitaine Némo, personnage central de Jules Verne, disciple de Dumas.
 
C'est la force du propos du livre, qui libère certaines des tensions que nous subissons devant les duretés de la vie. Un peu comme la BD et le film "V pour Vendetta". Les salauds ne l'emporteront pas en paradis. D'autant moins qu'il n'y a pas de paradis, d'ailleurs.

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07/04/2007

Victor Hugo et les mots de la mort.

Plusieurs idées hantent Victor Hugo : la virginité, la fatalité, les puissances invisibles, la liberté, l'aliénation religieuse, d'autres, et enfin la dernière : la mort.
 
Il ne l'évoque pas toujours d'une façon frontale. On songe par exemple au squelette de Quasimodo retrouvé cramponné à celui d'Esmeralda : lorsqu'on le touche, il tombe en poussière, sorte de mort après la mort.
 
La fin tragique de sa fille lui fait écrire des poèmes déchirants, des espoirs de consolation, des rêveries désolantes.
 
On pense aussi à ses tables tournantes qui, fait curieux, font aussi parler des vivants...
 
Mais en fin de compte, c'est la mise en scène poétique du trépas qui l'habite. On en trouve des versions sublimes dans la Légende des Siècles. On est aussi ému par le quatrain qui termine en épitaphe "Les Misérables" et qui commence, je crois, par "La chose simplement arriva" et se conclut par un très bel alexandrin :
 
"Comme la nuit se fait lorsque le jour s'en va".
 
Y a-t-il trace d'une angoisse de la façon dont lui-même mourra ? Ce roman paraît alors qu'il atteint la soixantaine.
 
Qui sait ?
 
Quant à son tout dernier vers, ses douze derniers pieds de poésie, il est probable qu'il l'a composé très en amont pour qu'on le lui attribue sur son lit de mort : depuis plusieurs années, il est amoindri.
 
Et cependant, les automatismes du génie sont tels...
 
Alors, info ou intox ? Le voici, ce dernier vers somptueux, dernière étoile de la myriade :
 
"C'est ici le combat du jour et de la nuit".
 
De quoi donner presque envie de mourir, juste pour voir si c'est vrai, et qui gagne...

23:05 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : écriture, littérature, poésie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

L'épopée des Rois Maudits.

À l'âge de sept ans, j'adorais déjà l'Histoire. C'est pourquoi on m'a laissé veiller tard pour regarder "Les Rois maudits" à la télévision.

 

Je n'avouerai pas ici que j'étais déjà excité par les douceurs féminines entrevues ici ou là dans la série de téléfilms. On en voyait moins alors qu'aujourd'hui, surtout pour un petit garçon comme moi, et le parfum de l'interdit augmentait le vif plaisir que je prenais au spectacle théâtral et emphatique que nous livraient des comédiens déchaînés revêtus de couleurs presque fluo et faisant cliqueter toute la bimbeloterie de l'imagerie médiévale. 

 

On sait que le flamboyant Robert d'Artois, incarné par un Jean Piat empanaché d'écarlate, tirait toute la couverture à lui, mais on se souvient aussi du mielleux Louis Seigner, de l'âpre et altière Hélène Duc, du marmoréen Georges Marchal, bref de toute une troupe qui déambulait dans des décors à peine ébauchés, faute de moyens, dont le dépouillement aboutissait à l'épure, au rythme de la voix impérieuse d'un narrateur glacé.

 

Réussite telle que les Anglais, peu de temps plus tard, firent le pendant Plantagenêt de cette épopée, en conservant tous les codes visuels.

 

Quelques années plus tard, comme décidément j'aimais le Moyen Âge, on m'offrit les sept tomes signés (on dit qu'il ne les a pas écrits seul, info qu'il dément plus ou moins) par l'inusable Maurice Druon, neveu du grand Joseph Kessel.

 

Les livres ont une grande qualité: la clarté. Ils sont moins grandiloquents que les films (mais la grandiloquence est un des plaisirs du spectacle télévisuel) et exposent avec énergie et autorité des faits, parfois supposés, toujours impressionnants. Les personnages sont taillés dans le granit. On y croit.

 

Rappelons-nous qu'il s'agit de la confiscation des biens des Templiers par le roi de France Philippe le Bel, et de tous les événements qui s'ensuivent jusqu'un peu après le déclenchement de la guerre de Cent Ans.

 

Les rivalités politiques sont à vif, on joue avec l'idée de personnages authentiques, on savoure l'idée qu'ils pourraient avoir ressemblé à leur double de papier.

 

Et il faut reconnaître que l'intrigue est forte et les sentiments violents. On traverse un monde brutal, à vif. On s'y croit. Vraiment une bonne lecture de vacances.

 

On n'est pas sûr que ne se glisse pas dans le texte, ici ou là, des messages pour initiés, mais tant pis, on fait ce qu'on peut et on lit, au premier degré, simplement libre. 

19:55 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écriture, littérature, poésie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook