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20/03/2008

L'économie du livre au seuil d'un cataclysme.

En France, on lit de plus en plus. Mais on achète de moins en moins de livres. Que lit-on ? Internet.
 
Internet, c'est le grand retour de l'écrit : avant Internet, on avait cessé de s'écrire, on se téléphonait. Avec Internet, on s'écrit, on s'écrit dans le double sens : on écrit à l'autre et on écrit sur soi. De mail en blog, en passant par divers formes de messages et de grafiti sur les murs de facebook, on écrit et on lit sans cesse. Des messages souvent courts, certes, mais des textes.
 
Est-ce pourquoi l'on achète de moins en moins de livres ? Peut-être.
 
Quelques segments du marché ont déjà pris plus qu'un énorme coup dans les gencives : le livre de collection, par exemple. D'une part, parce que les gens n'ont pas d'argent, donc pas de fonds pour collectionner, mais aussi parce que des ouvrages jusqu'ici introuvables sont disponibles gratuitement sur Gallica, la version numérique de la BNF.
 
Tant mieux pour les lecteurs, me direz-vous, mais c'est un secteur commercial sinistré : il y avait une bonne demi-douzaine de librairies de livres de collection en Bretagne voici dix ans (outre le "nid" à Bécherel, ville qui s'est dédiée au livre), il n'en reste plus qu'une ou deux.
 
De la même façon, il n'y a plus, dans le Finistère (plus de 800 000 habitants), que deux librairies qui ne soient pas en outre Maisons de la Presse : une à Brest et une à Quimper. Et qu'arrivera-t-il quand les gens auront des journaux électroniques téléchargeables par Internet ?
 
Et qu'arrivera-t-il quand, à force de refuser de s'intéresser au livre numérique, les éditeurs seront complètement dépassés ? C'est ce que leur disait un intervenant lors d'une table ronde lors du Salon du Livre : longtemps, l'industrie musicale a refusé de se pencher sur le numérique et l'évolution qu'il imposerait à leur commercialisation. Un jour, tout leur est tombé dessus en même temps. À force de pratiquer la politique de l'autruche, ils ont fini par prendre tout de plein fouet.
 
Face à un marché en difficulté et à une mutation rampante, les principaux acteurs du marché du livre se sont lancés dans une course à l'autruche : c'est à qui sera le plus autiste.
 
Le livre de classe, à mon avis, ne gardera qu'une très faible part de marché sur papier et se concentrera sur l'électronique, avec d'ailleurs sans doute des formats html, voire combinant différentes technologies vidéo, audio, WiFi, et autres, qui en feront des outils pédagogiques de très haut niveau.
 
Le "beau livre" a beaucoup souffert de la contraction du marché. Sous l'impulsion de Taschen et maintenant de La Martinière, il a dû baisser considérablement ses prix pour conserver une existence. Sans doute y aura-t-il toujours des clients pour de jolies photos sur tous les supports (donc aussi papier). Seul le livre de très haut de gamme, présentant un contenu exceptionnel (comme les miens) durera sur papier sans décliner (voire même en mangeant peu à peu le marché du faux prestige).
 
Certains secteurs du livre, longtemps florissants, ont perdu de la croissance : c'est le cas du livre pour enfants, qui fut une véritable rente, une croissance exponentielle durant une très longue période. Les éditeurs du secteur semblent avoir pris la mesure des choses en se lançant hardiment dans le multimédia et paraissent en être récompensés.
 
Le livre de littérature (essai ou roman) va diversifier aussi ses supports. Je crois que c'est le roman qui subsistera le plus sur papier : difficile de se protéger du soleil à la plage en se couvrant le visage avec un livre électronique ! tandis qu'en ouvrant un roman de gare, c'est divin...
 
Plus sérieusement, l'objet livre est quelque chose en soi, une sorte de fétiche. Mais à une époque où les gens ont de moins en moins de place chez eux, on ne peut pas s'attendre à ce qu'ils n'aient que des livres de papier.
 
On voit donc que je suis plutôt optimiste sur l'avenir. Oui, mais.
 
Les ventes de livres ne sont pas bonnes depuis plusieurs années. Pour faire face aux difficultés de trésorerie que cette dégradation leur cause, nombre de maisons d'édition ont choisi la fuite en avant, comme l'indiquait le blogueur Gillou le fou lors de la première table ronde du Salon : faire paraître un livre, c'est le livrer à son diffuseur. Celui-ci le livre à son tour au libraire ; le libraire le paie assez vite. Au bout d'un temps, s'il ne l'a pas vendu, il le rend au diffuseur et celui-ci le rend à l'éditeur qui rend l'argent. Durant le temps qui sépare cette dernière opération de la première, l'éditeur s'est fait de la trésorerie. La fuite en avant consiste à sortir de nouveaux livres pour ouvrir une compensation qui permet à l'éditeur de ne pas avoir à rembourser le libraire. C'est ce qu'on nomme de la cavalerie budgétaire, formellement interdit dans tout autre métier, mais vertement encouragé dans celui de l'édition.
 
Cette fuite en avant, comme toute autre, n'aura qu'un temps : la réalité finit toujours par triompher.
 
Car les premières années, on pouvait imaginer qu'elle eût un sens : gagner du temps en attendant le redressement du marché. Aujourd'hui, on sait que le marché ne se redresse pas et ne se redressera pas tel qu'il a été : entre-temps, il aura changé et, faute de s'y être adaptés, les acteurs du marché subiront de plein fouet et concomitamment l'émergence du nouveau marché et l'aboutissement de leur folie cavalière.
 
Je crois dans l'émergence progressive des acteurs du livre numérique. Les formules de manuscrit.com et de Lulu.com ont certainement de beaux jours devant elles et les autres éditeurs plus traditionnels finiront par s'y mettre, d'autant plus que c'est très compatible avec l'activité du libraire, dont le conseil est la plus-value commerciale, une sorte de critique littéraire de proximité.
 
En revanche, l'émergence du numérique va pénaliser lourdement un acteur et c'est sans doute pourquoi les poids-lourds freinent à l'évolution : ils dépendent de cet acteur. Cet acteur, c'est le diffuseur, celui qui achemine le livre de l'éditeur au libraire.
 
Il a un double rôle : celui de la promotion des livres (à travers des représentants) et celui du routage.
 
C'est un métier qui a déjà changé de nature depuis que les grandes surfaces généralistes contrôlent la majeure part du marché. Car le représentant n'a plus guère d'influence, moins en tout cas qu'auprès du libraire de quartier.
 
Ici comme ailleurs, la concentration excessive du marché vide les organisations commerciales de leur sens.
 
Mais c'est tout de même un métier encore, une branche qui, à l'instar des centrales d'achat du secteur généraliste, est très concentrée et encadrée sur un mode corporatiste. Les éditeurs sont très dépendants des diffuseurs.
 
D'autant plus que grâce à la loi Lang de 1981, le prix du livre reste encadré : s'il était libre, les diffuseurs perdraient leur pouvoir au profit des centrales d'achat et sans doute, les libraires de proximité perdraient une très grande part de marché, soit au profit des hyper ordinaires, soit au profit des structures de type FNAC, Virgin ou Espace Culturel Leclerc.
 
En tout cas, le numérique est le moyen pour les éditeurs de retrouver de fortes marges, parce qu'il permet des coûts très bas et un catalogue très diversifié (qui il est vrai pose le problème de la rémunération des auteurs).
 
Ne pas comprendre cette baisse des coûts et ce pluralisme expose les acteurs du secteur au dépérissement au profit des pionniers que je salue avec gourmandise. 

12:03 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : livre, économie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

De la même veine, vous avez les articles de sylvère de bibliosession (£ sous url). Qui du numérique ou du papier gagnera ?
...des articles sur les bibliothèques aux USA montrent le retour du livre papier; internet et les OS virtuels servant d'attracteurs pour le nouveau public. Des "astuces" semblent avoir réconciliées les générations X et Y avec la Net et la Wirearchy génération autour de la Lecture.

Écrit par : chr!s | 20/03/2008

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