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09/12/2008

Pourquoi la politique est-elle si décevante ?

Le traumatisme de la présidentielle de 2002 a été profond. Je lisais récemment des comptes-rendus de prof des années 2003 et 2004 expliquant à quel point, depuis le séisme honteux que représentait la présence de Le Pen au deuxème tour en 2002, les élèves du lycée s'étaient mis à parler de politique. L'émotion les y avait poussés.

Cette émotion a duré jusqu'en 2007. Je me souviens de Quitterie Delmas réagissant à l'arrivée de certains commentateurs sur son blog durant la campagne présidentielle et leur disant "je vous attendais depuis 2002", elle croyait que c'étaient de dynamiques lepénistes, alors que de dynamiques lepénistes il n'y avait plus comme le score l'a démontré, mais peu importe : il s'agissait forcément de ça, elle était à l'UDF pour ça, contre eux, contre l'infâme.

C'est sans doute sur ce terreau que s'est développé le phénomène de la présidentielle 2007, avec sa participation-fleuve et ses affluences-fleuves aux meetings des principaux candidats.

L'autre facteur de ces mobilisations, ce fut sans doute la technique marketing employée, qui repose sur une sorte de locution déclinée en plusieurs slogans : "la libération par le changement unanimiste" est la locution, et les slogans, "Yes we can", "Ensemble tout devient possible", "la réconciliation nationale", etc, trouvés chez divers candidats. Les ingrédients sont partout les mêmes. À l'arrivée, une participation exceptionnelle à la présidentielle, ici comme là.

Mais aussi, à l'arrivée, la déception, forcément, puisqu'on a pousé le lyrisme à un point authentiquement déraisonnable.

Bayrou, n'ayant pas le pouvoir, incarne parfaitement cette séquence illusion-désillusion, mais la désaffection dont souffre Sarkozy dans l'opinion vient aussi de là.

La politique est décevante parce qu'elle ne vaut pas mieux que la vie, qui est dure pour ceux à qui il arrive de placer le plus d'espoir dans leur vote, et parce que ceux qui devraient être les meilleurs, les plus capables, les plus dévoués, les plus intelligents, les plus humains, ne sont pas ceux qui réussissent en politique, du moins en général. Et donc comme citoyens, au moment du vote, nous sommes forcés de prendre parti, et d'être nécessairement déçus.

De plus près, la politique est décevante pour d'autres raisons.

D'abord, parce qu'elle tripote.

Je connais la phrase dite en privé par une présidente de Conseil Général qui a été longtemps UDF (elle habitait dans le XVIe, près du jardin du Ranelagh), une maire d'une ville moyenne sur la Manche, qui disait "mais percevoir une commission sur les marchés publics, c'est normal". C'est normal pour les partis politiques, et je n'ai pas besoin d'en dire plus, sinon que la rumeur veut que le parti le moins cher pour les entrepreneurs soit celui où les intermédiaires individuels ne touchent rien, mais laissent tout l'argent à leur parti.

Les gens qui sont dans les affaires savent cela, ils ne sont pas les seuls, puisque la société tout entière est peuplée de petits cadeaux de fournisseurs, proportionnels aux retours attendus.

On n'aime pas plus son maire véreux que le directeur des achats de la boîte où on travaille et qui pratique le "tombé du camion". Heureusement, ce n'est pas universel, mais...

Maintenant, ne nous emballons pas, je n'ai pas dit que Bayrou, en perdant la présidence du Conseil Général des Pyrénées-Atlantiques, avait perdu une source de financement occulte. Je ne l'ai pas dit et je ne vois pas ce qui m'aurait permis de le dire. Si c'était le cas, on se demande ce qu'il ferait de l'argent.

La politique est décevante, aussi, parce que les gens y font carrière et que, là encore, le carriérisme, ce n'est pas passionnant.

La politique est décevante enfin parce qu'elle est gouvernée par des principes laids, qui sont ceux de la conquête du pouvoir : élimination, infiltration, jeu contre son camp.

Tenez, par exemple, Simone Veil est persuadée que François Bayrou, qui était son directeur de campagne, a torpillé sa campagne européenne en juin 1989 et que le prix de cette trahison a été sa désignation au secrétariat général de l'UDF en 1991.

Or les faits sont les suivants : en 1989, Méhaignerie, président du CDS, lance sous la pression de la base une liste centriste autonome pour les élections européennes. Mais curieusement, au lieu de prendre lui-même la tête de cette liste, il la confie à Simone Veil, qui n'était pas CDS. Lors du congrès de Lille, à cette époque, Jean Lecanuet est copieusement sifflé parce qu'il s'élève contre cette liste qu'il juge bizarre et contreproductive.

En face, Chirac choisit Giscard pour conduire une liste commune au RPR et aux autres composantes de l'UDF (de facto l'UDF n'existait plus,puisqu'elle était incapable d'endiguer sa division en deux listes, c'était encore l'ancienne UDF, avec ses composantes dont le CDS).

L'élection se passe, le score est décevant (8,4 %).

Deux ans plus tard, Lecanuet, qui avait critiqué la liste, quitte la présidence de l'UDF dont il n'avait pu empêcher la division et la laisse... à Giscard (composante PR libérale), à qui il désigne un secrétaire général CDS (composante centriste) ... François Bayrou. Le directeur de campagne d'une liste se retrouve dès lors principal collaborateur de la tête de l'autre liste. En football, quand on voit ce genre de transferts, on sait bien ce que cela veut dire.

En 1993, quand on commença de parler du futur congrès pour la présidence du CDS, la proximité de Bayrou avec Giscard lui était reprochée : Giscard se sert de lui, disait-on. Mais ses proches rétorquaient : non, c'est lui qui se sert de Giscard. Et la seconde version était plus vraie que la première, parce que Bayrou est un malin.

En taillant son chemin à la machette, il finit donc ministre de l'Éducation, puis président du CDS, etc.

Et voilà, ce chemin fait de déloyautés supposées est-il joli ? Non. Permet-il de s'enthousiasmer sur un personnage ? Non.

Et y a-t-il mieux ailleurs ? Non. Car les règles du pouvoir sont les mêmes partout, quelle que soit la forme sociale et politique concernée, qu'il s'agisse d'une ONG ou d'un État, d'une république démocratique ou d'une monarchie autoritaire, les règles sont les mêmes. C'est la loi humaine, qui rend dérisoires les exhortations de la petite voix de Quitterie Delmas, qui d'ailleurs n'est pas si dupe qu'elle le prétend.

Voilà, j'ai assez soliloqué pour cet après-midi. Merci à ceux qui ont le courage de lire cette note d'un qui va s'en retourner vers sa vie civile.

15:23 | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : politique, société | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Bonjour Hervé,

Juste une erreur de ta part à corriger : Jean Lecanuet a laissé la présidence de l'UDF à VGE en 1988, donc, en 1989 (je me souviens bien), à Lille, il n'était plus président de l'UDF. Et VGE avait nommé Michel d'Ornano comme secrétaire général de l'UDF, François Bayrou n'étant que secrétaire général adjoint (c'est à ce moment qu'il a beaucoup travaillé avec le secrétaire général adjoint du RPR pour les états généraux de l'opposition, un certain Nicolas Sarkozy). François Bayrou est devenu en 1991 secrétaire général de l'UDF seulement à la mort accidentelle de Michel d'Ornano (le 8 mars 1991).

Sinon, la société politique est heureusement une société civile, elle n'est ni cléricale ni militaire en France !

Bonne soirée,
SR

Écrit par : SR | 09/12/2008

"elle est gouvernée par des principes laids"

La cause de la déception est de trouver "laid" ce qui est dans l'ordre des choses. Le monde n'est pas un paradis rose.

C'est l'illusion romantique qui provoque la déception, en se trompant dès le départ sur les possibilités.

La politique est décevante parce qu'un certain nombre d'enfants gâtés s'imaginent que la vie doit être rationnelle, juste et morale, oubliant complètement toute la sauvagerie et les rapports de force, qui sont dans l'homme et pas dans tel ou tel système politique.

Sous les apparences du "droit", la politique c'est simplement la prise de contrôle du monde par les plus forts.

Trouver cela décevant c'est un peu comme si une biche trouvait décevant de se faire manger par un lion, et qu'elle lui disait: "tu es laid avec ta brutalité égoiste".

La déception n'est qu'une erreur de jugement, de regard porté sur le monde.

Écrit par : A | 09/12/2008

En passant, pour tous ceux qui s'imaginaient que l'arrivée d'Obama mettrait fin à l'ère du cynisme, lire ce document intéressant:

http://www.sarkozynicolas.com/robert-m-gates-a-balanced-strategy-reprogramming-the-pentagon-for-a-new-age/


Robert Gates, ministre de la défense de Bush, maintenu en poste par Obama (et par ailleurs ancien directeur de la CIA) annonce son plan pour refaire du Pentagon une puissance majeure.

Cela relativise beaucoup les utopies de certains rêveurs.

Obama, c'est avant tout Wall Street, le Pentagon et la CIA. On est loin de la grande révolution.

Écrit par : A | 09/12/2008

@ SR

Tu as raison pour la chronologie, mais c'est encore plus le mécanisme

Écrit par : Hervé Torchet | 09/12/2008

En Islande, il y a une chute d'eau vertigineuse qui s'appele le Götafoss, vers l'an mil à cet endroit se réunissait pour les fêtes païennes rituelles dont la beuverie faisait partie intégrante tous les hommes et femmes libres de l'ile (les Bondïr).
Saint Olav venait de convertir la Norvège (à coups d'épées...on est chez les vikings...) et les premiers chrétiens venaient s'installer sur l'ile.
Pour l'althing (l'assemblée des hommes libres) le moment était grave, fallait-il tuer les chrétiens? se convertir? ou vivre chacun de son côté?
L'assemblée n'arrivait pas à se mettre d'accord, jusqu'au moment ou un jeune Jarl (noble ou plutôt notable ou chef de clan) ambitieux demanda la parole:
"Si nous tuons les chrétiens, il en viendra d'autre et le roi Olav les vengera. Si nous restons chacun de notre côté tôt ou tard nous nous battrons. La seule chose que nous devons faire c'est de détruire les idoles et de nous convertir"...
"Mais, dit la foule horrifiée, les Dieux se vengeront"
"Oui, vous avez raison, dit le jeune chef, et bien je vais le faire moi-même, et si les Dieux se vengent, ils se vengeront sur moi seul."
Si tôt dit, il jette les idole de bois dans le torrent bouillonnant.
Après quoi il attendit toute la nuit debout, en vrai viking, casqué et l'épée au poing la vengeance des Dieux, et... elle ne vint pas.
Après quoi toute sa vie (...et il vécut très vieux) il fut le Jarl le plus riche, le plus puissant et le plus respecté d'Islande.
Et bien ce jeune chef, arrogant, cynique, interessé, manipulateur, ne croyant en rien sauf en lui même, évita une guerre civile à l'Islande et lui permit de devenir chrétienne sans drames ni remords.
C'est depuis cette époque qu'on appele ce lieu le Götafoss - la chute des Dieux -.
C'est ça la politique.

Écrit par : Jean Marie | 09/12/2008

@ SR

Je vois que tu as compris un peu plus.

Écrit par : Hervé Torchet | 09/12/2008

@ JM

Parce que vous trouvez que c'est un progrès de devenir chrétien ?

Écrit par : Hervé Torchet | 09/12/2008

@A
Comme je trouve dommage que l'on puisse évoquer ce fatalisme : l'homme est mauvais, donc la politique est mauvaise, c'est dans l'ordre des choses. Dont acte.
Fatalisme que je trouve au demeurant bien pratique pour qui préfère se voiler la face et rester assis confortablement sur sa chaise.
Fatalisme que je trouve cynique quand on sait ce que nous allons léguer à nos enfants.

Alors, au contraire de vous, je pense que ce qui nous fait homme et non animal, c'est une certaine volonté et capacité à se modifier, à s'améliorer, à progresser.

Que la chose soit simple, certes non ! Quelle soit vouée à l'échec, peut-être. Mais par respect de soi-même et des autres, il me semble nécessaire de tenter - chacun à son échèle et avec ses moyens - de résister à la pente naturelle de la paresse qui conduit à l'acceptation du plus inacceptable.

Écrit par : marie laure | 09/12/2008

Est ce à ce point décevant ?
Certains ont reproché à Bayrou sa petite phrase "on ne joue pas au rugby avec les règles du foot" (ou l'inverse, peu importe) quand on le mettait devant sa contradiction du cumul des mandats.
Est ce que, si on n'oublie pas ses idéaux, on ne doit pas avant tout viser son objectif ?
alors bien sur, des fois ça tache en route... Le tout est que les taches ne soient pas trop indélébiles.

J'admets, pour ma part, avoir du mal avec cette théorie, mais je peux l'admettre malgré tout.

Écrit par : KaG | 09/12/2008

@ A

Pas faux pour Obama qui devient centriste par la force des choses et de la crise.Son souci prioritaire est de s'entourer de gens d'expérience en nommant d'abord son équipe économique.On va vite s'apercevoir qu'Obama, qui va faire rentrer des républicains au gouvernement, est d'abord un centriste.

Comme je le disais sur un blog Obama le centriste,Obama le consensuel et il y a bien sûr du Chaban chez lui.
Obama est un fin tacticien:son affabilité,son talent pour dépolitiser son image,cachent une féroce envie du pouvoir.
La où Bush s'entourait de béni -oui-oui (les yes men )il préfère bâtir ses équipes en organisant la contradiction.

Barack n'a aucun mal à laisser ses conseillers le critiquer et même lui prouver qu'il a tort.Doté d'une grande capacité d'écoute,il préfère organiser les angles de vue pour pouvoir trancher.

Pierre

Écrit par : ulm pierre | 09/12/2008

Bravo pour cet article qui une fois de plus permet de préparer l'avenir à partir de la compréhension du passé.

N'ayant prêté attention à François Bayrou que fin 2001 ou début 2002, je n'ai pas d'information personnelle sur ces sujets, j'ai lu ses biographies et j'en recommande la lecture - ça ne prend que quelques heures - à toute personne qui projetterait d'en passer bien plus à militer dans le parti qu'il préside.

Je voudrais quand même regretter que la phrase qui tue, à la fin, ne soit pas étayée par ce qui précède. "ce chemin fait de déloyautés supposées", ça ne veut rien dire ; s'il en est fait, c'est qu'elles existent ; si elles sont supposées, on ne peut pas écrire qu'il en fait.

Je lisais il y a quelques jours une citation attribuée à je ne sais plus quel homme politique, selon laquelle on mesure la carrière d'un homme politique au nombre d'amis qu'il a trahis. Je ne connais personne qui dise avoir été trahi par François Bayrou, à l'exception peut-être d'Hervé Morin, et précisément Simone Veil qui, à ce que j'ai lu, avait trouvé que François Bayrou avait mal choisi sa photo sur la profession de foi de la liste européenne en 1989 …

Je suggère aux lecteurs de faire une comparaison rapide avec toutes les personnalités politiques connues.

En France nous avons le Canard… un journal qui parle très peu de François Bayrou. Honteuse censure médiatique … et sérieux indice - car ils font bien leur travail, je crois - qu'ils n'ont rien trouvé de substantiel à lui reprocher. On peut rappeler la comparaison de 2007 entre les déclarations fiscales de N. Sarkozy, S. Royal et F. Bayrou.

J'étais ce matin au journal Chicago Tribune alors que le gouverneur de l'État (Illinois) venait d'être arrêté par la police, dans le cadre d'une enquête pour corruption et tentative de corruption … une de ses cibles étant ce même journal.

Bien que le journal soit généralement pro-républicain, et que la politique américaine soit un festival de corruption, les rédacteurs ont soutenu, apparemment avec la conviction profonde d'agir pour le bien public, la candidature d'une personne "deeply grounded in the best aspirations of this country, and we need to return to those aspirations. He has had the character and the will to achieve great things" : Barack Obama.

Obama, dont la biographie comporte la même liste de manoeuvres tactiques et d'alliés aux réputations diverses, que la biographie de François Bayrou.

Écrit par : FrédéricLN | 10/12/2008

@ FLN

Ma phrase dit bien ce qu'elle dit : c'est l'impression donnée par ce parcours initial qui est celle de la manoeuvre rugueuse.

Concernant Obama, on jugera l'arbre à ses fruits. Wait and see.

Écrit par : Hervé Torchet | 10/12/2008

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