Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/04/2009

Hadopi : premier bilan des débats.

J'ai écouté ce soir, tout en travaillant, le match ouais !!!! la séance de l'Assemblée Nationale. L'impréparation du texte est flagrante. C'est une preuve éclatante du vieil adage : "il ne faut pas confondre vitesse et précipitation". La majorité se vautre dans la précipitation.

Et on mesure l'utilité des débats parlementaires : c'est en soutenant leurs amendements que les députés de l'opposition mettent en valeur les failles du texte, pas à pas. De ce fait, en limitant le droit d'amendement et la faculté de soutenir les amendements en séance, l'actuelle réforme institutionnelle en cours fait à la France une promesse de nombreux textes baclés futurs.

Cet après-midi, un intervenant autorisé, à la question de l'effet suspensif du recours en appel contre les décisions de la Hadopi (je mets un h aspiré à Hadopi parce qu'il y en a un à Haute), répondait que, bien entendu, le recours était suspensif. Or pas du tout. Et de ce fait, le délai de sept jours imparti au puni pour réagir est devenu proprement liberticide et, dans son immense magnanimité, la majorité (maladroitement aidée sur ce point par le député communiste Brard bien mieux inspiré en de nombreux moments ce soir) a consenti à prolonger le délai de recours jusqu'à un mois, soit la moitié du délai de droit commun en matière administrative. Hélas pour la majorité, quoiqu'il arrive, le délai du recours pour excès de pouvoir (distinct de l'appel proprement dit) est, lui, de deux mois. On va donc vers des imbroglios juridiques et judiciaires (ou juridictionnels) car, si l'on a bien compris (mais les réponses ont été confuses sur ce point et Mme Albanel ne connaît pas son texte), l'appel se fera devant euh... finalement, je n'ai pas bien compris si ce sera le juge judiciaire ou la juridiction administrative.

Mais reprenons les choses dans leur ordre : d'abord, l'applicabilité du texte.

Une fois voté, ce texte sera charcuté à sa guise par un comité théodule (la commission mixte paritaire, article 45 de la constitution, j'ai eu 15/20 en première année de droit sur la navette parlementaire, bref...).

Puis il sera applicable ? Oh non : il faudra un décret en conseil d'État. Pour ceux qui ne le savent pas, le décret en conseil d'État est le sommet de la hiérarchie des textes de nature réglementaire (on oppose réglementaire à législatif, il s'agit du droit produit par l'exécutif sans contrôle législatif). Un décret en conseil d'État est une chose lente. Il y a un délai incompressible, même si Louis XIV se dressait de sa tombe pour fulminer "nous voulons". On va donc gagner encore au moins deux ou trois semaines, sans doute plus, car il y a de telles failles de rédaction dans le projet de loi que le Conseil va certanement s'arracher les cheveux. On est début avril, il ne serait pas absurde d'imaginer que la loi Hadopi ne soit pas appliquée avant la rentrée de septembre malgré les aboiements du président de la république.

Ensuite, j'ai entendu dire par la gauche qu'en fait, pour des raisons pratiques et techniques, il ne serait en fait pas applicable avant janvier 2011, ce que je veux bien croire, car il y a des procédures lourdes à mettre en place, à expérimenter, des marchés publics (certains sont déjà en cours), des organisations matérielles. Or avant le 1er janvier 2011, si ma mémoire est bonne, le "paquet télécom" sera, lui, applicable. Et comme il est incompatible avec le dispositif Hadopi sur lequel il prime, ouste ! exit Hadopi, on discute pour rien.

C'est d'ailleurs pourquoi la gauche ne s'est pas associée à l'amendement de Dionis du Séjour qui visait à substituer l'amende à la coupure : plus le texte est dans son propre esprit, moins il sera appliqué et, à tout prendre, il vaut mieux ne pas faire courir le risque aux internautes d'une amende qu'ils devraient effectivement payer alors que la coupure, elle, sera forcément abandonnée...

Mais peu importe, nous explique-t-on : le but, c'est la pé-da-go-gie. Envoyer les mails et les recommandés aux internautes pour leur faire comprendre que le téléchargement, c'est mal, hou, c'est pas bien, panpan tutu, pan sur la menotte, il ne faut pas recommencer, donc comme ces recouvreurs de créances qui envoient des lettres comminatoires et menaçantes aux petits vieux, le gouvernement veut pouvoir écrire ON VA VOUS COUPER VOTRE INTERNET SI VOUS CONTINUEZ !!!!!! Na.

Sauf que le texte organise tout sauf la pédagogie.

Et tout à l'avenant, la labellisation des "bons sites", etc.

Et c'est écrit dans un tel charabia qu'on ne peut pas parler d'autre chose que d'un gloubiboulga juridique.

Je tiens à féliciter Patrick Bloche (j'ai cru entendre François Rollin à certaines de ses intonations), Martine Billard (précise comme un rasoir), Jean-Pierre Brard (je connaissais son humour pince-sans-rire et caustique depuis le temps où j'ai été essistant parlementaire, il s'est bonifié de ce point de vue avec le temps), Maryse Lebranchu, en particulier, Dionis du Séjour est tombé dans la soupière assez vite, peut-être sur injonction gouvernementale, car la flibusterie de l'opposition a été efficace et, au bout d'un moment, pour ne plus conribuer au gain contre la montre réalisé par l'opposition, la ministre et le rapporteur adhoc ont cessé de répondre aux questions qui leur étaient posées, ce qui reste choquant, car ces questions ne portaient pas sur de minces détails.

Je félicite moins le président de séance Laffineur, dont l'élocution piquait nettement du nez à partir de minuit.

Le bilan de tout ça : la majorité semble en mesure de faire passer son texte dans la rédaction cahoteuse qu'elle a choisie, mais de réels motifs d'inconstitutionnalité sont apparus, notamment du fait de certains amendements adoptés par la majorité en cours de séance, voire de ceux adoptés à l'unanimité, comme celui qui concernait les oeuvres des artistes ou ayant-droits résidant à l'étranger, qui sera certainement retoqué par le Conseil Constitutionnel s'il n'est pas évacué discrètement par la CMP. La question des oeuvres non disponibles au téléchargement légal sur Internet a été finalement laissée à l'appréciation de la Hadopi et c'est dommage, car au fond, l'internaure n'a aucune garantie et cette précision du fait que les oeuvres non disponibles autrement ne pouvaient être illégales aurait été une bouffée d'air pur.

Rien n'est dit sur la preuve, rien non plus sur les chevauchements effrayants de contentieux, mais c'est que, dans l'idée pédagogique mise en avant, l'internaute se verra proposer l'exemption de peine s'il promet de ne plus recommencer, et pour cette formule de transaction organisée par le texte, on ne parle plus de contentieux. Tant mieux, sauf que... s'il y a des milliers de gens concernés, croit-on sérieusement que les quelques membres de la Hadopi et les quelques agents publics (fonctionnaires ?) chargés de les assister prendront le temps de cette procédure amiable ? C'est risible. Donc il s'agira soit de la sanction, soit de remplir un formulaire.

Finalement, sur ce point, c'est l'opposition qui a trouvé la formule juste : ce qui est proposé à l'internaute, c'est la méthode catholique de la confession. L'internaute prend conscience de sa faute, il la confesse, et de ce fait, il est pardonné.

Ouarf ! comme si, depuis des sièlces, la confession avait empêché quiconque de récidiver aussi sec ! Et avec deux fois plus de plaisir !

Si l'on parle de contentieux, ouvrons quelques failles du texte : comment faire si un avertissement a concerné une oeuvre dont le téléchargement est ensuite reconnu légal ? Comment annuler le courrier premier ? Et quid des coupures qui seraient faites sur la base d'une illégalité qu'une juridiction aurait ensuite démontrée inexistante ? Et en plus, l'illégalité peut être reconnue en première instance, annulée en appel, rétablie en cassation, réannulée en cour de renvoi, le tout avec une navette de dix ans pendant lequel l'écheveau judiciaire peut se refermer sur l'internaute et l'étouffer. Car si l'appel n'est pas suspensif, gageons que le fait que l'instance soit pendante sera un obstacle au rétablissement de la connexion, ou à la radiation de la "liste noire"...

Pour conclure, IL FAUT LIRE CE DERNIER PARAGRAPHE MÊME SI VOUS N'AVEZ PAS LU LES AUTRES, l'un des motifs les plus forts de rejeter ce texte, c'est, comme l'a souligné Bloche, la double, triple, quadruple peine : suspension de l'abonnement, maintien du coût de l'abonnement, éventualité (dans des hypothèses d'ailleurs imprécises) d'être traîné en justice et en geôle pour contrefaçon, ET, cerise tout en haut du gâteau, d'être condamné même si l'on est innocent. Car dans l'hypothèse pas si improbable où l'on serait coupé à tort, si la procédure judiciaire prouvait que l'on a été sanctionné à tort et privé à tort de la jouissance de son abonnement Internet pendant un an, eh bien, il faudrait encore s'adresser à une instance spécialisée pour obtenir réparation du fait de l'erreur hadopique, nouvelle procédure, nouveau délai, nouveaux frais sans doute, le tout pour 360 Euros d'abonnement par an.

Bref, n'importe quoi, des millions claqués pour du vent. Rideau !

Commentaires

Bien. Cést clair. C'est toi qui es pedagogue dans l'histoire

Écrit par : chauvel | 06/04/2009

Tout lu. Pas seulement le dernier §. Et c'est très bien. L'Assemblée se ridiculise, et je doute que ce constat console.

Écrit par : FrédéricLN | 08/04/2009

Les commentaires sont fermés.