19/03/2011
Cantonales : fin de campagne
La veille des résultats électoraux, on se sent comme la veille des résultats d'examen. On se demande si on a bien tout fait comme on devait, si on a fait tout ce qu'on a pu, si on est coupable, ou si on a eu raison. Bref, on balise.
J'ai envie de donner une sorte de corrigé aux candidats, non pas pour qu'ils y comparent leur activité récente, mais pour qu'ils y comparent leur activité future.
J'ai rencontré de vrais politiques depuis trente ans que je milite dans un parti. Les vrais politiques, ceux qui font quelque chose, cela se sent tout de suite. Quand on voyait Jean-Christophe Lagarde à dix-huit ans, on était impressionné, chacune de ses pulsations était politique, chacun des mots qu'il prononçait était politique, il n'avait pas d'autre but que politique, pas d'autre idée, pas d'autre approche. Et quand je dis politique, ej veux signifier par là ce qui dans la politique relève des enjeux de pouvoir. La vie de Lagarde se construisait autour, par et dans le pouvoir.
Pierre-Christian Taittinger, dont j'ai été l'adjoint pendant six ans à la mairie du XVIe, lorsqu'il était maire, ne vivait qu'en ça. Le matin une inauguration, un déjeuner associatif, l'après-midi chez les vieux, le soir pour le vernissage d'une expo à la mairie. Il n'avait pas une minute pour autre chose, sauf pour les cercles huppés qu'il présidait successivement et qui entraient dans la dynamique de son activité politique.
Faire de la politique, au sens où on l'entend dans le monde tel que nous le vivons (et on a le droit de le rêver autre), c'est une façon de vivre, un mode de vie, ou, pour mieux dire, c'est plus qu'une façon de vivre, c'est une façon d'être. Il faut donc avoir ça dans le sang. Cest parce que je me suis aperçu que je n'avais pas le feu sacré de l'activité d'élu que je m'en suis retiré. Et ceux qui ont le vrai feu sacré s'y accomplissent toujours, même s'il y faut parfois du temps.
Quand il avait dix-huit ans, nous considérions Lagarde comme un fou, lui qui se fixait l'objectif de prendre sa ville, Drancy, au Parti Communiste Français qui la tenait depuis des décennies. Pourtant, il n'évait pas trente cinq ans quand il y est parvenu. C'était plus fort que lui, et donc trop fort pour ses adversaires.
Dans le monde tel que nous le vivons, la politique prend donc non pas énormément de temps, mais la totalité du temps, elle ne laisse aucune place à quoi que ce soit d'autre, elle est totalement la vie. De ce fait, elle est très peu compatible avec une activité salariée. La première règle est donc, pour qui veut jouer un rôle en politique, de se doter d'une base logistique : une entreprise à soi, un réseau lucratif, une sinécure juteuse et consonante avec son but politique.
La première activité de Pierre-Christian Taittinger (dont le père avait été président du conseil municipal de Paris) fut au début des années 1950 de créer un club à la fois politique et patronal, lui assurant du poids sur la puissante Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris et, par contrecoup, sur la vie politique parisienne.
Jean-Luc Moudenc, lui, étudiant de troisième cycle, s'empara de la mutuelle étudiante de droite à Toulouse. Il eut ainsi un premier pouvoir, un premier budget (conéquent), et une première occasion d'agglomérer une équipe autour de lui, équipe qui ne l'a jamais quitté en plus de vingt-cinq ans (les fidélités vraies commencent tôt, en politique). Il a été un temps maire de Toulouse et exerce encore d'importantes fonctions politiques dans ce secteur.
Jean-Christophe Lagarde eut un chemin différent : il passa directement par la politique. À l'époque de la campagne présidentielle d'Édouard Balladur, il occupait des fonctions cruciales dans le mouvement de jeunes du CDS, les JDS. À cette époque (c'est d'ailleurs ce qui m'avait dégoûté très vite du balladurisme), la vanne des prébendes était ouverte en grand. Assez curieusement, on se distribuait les postes avant même l'élection, ce qui était une façon de vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué. Très choquante, pour rien au monde je n'aurais fait la campagne de Balladur.
- Qu'est-ce que tu veux ? me disait-on de toutes parts.
Il n'y avait qu'à demander, la manne tombait. Un membre de cabinet ministériel que je connaissais et qui avait passé la trentaine, venait du privé, il savait qu'il lui serait difficile d'y retourner si sa mission de cabinet s'arrêtait. De surcroît, il allait devenir adjoint au maire d'un arrondissement parisien, bref, il voulait une base de repli, une base logistique en quelque sorte, il fut bombardé contrôleur de train de la SNCF, je crois que ce fut par Bernard Bosson, alors ministre des Transports. Autant dire qu'il n'a jamais ceint la casquette, mais il a joui des émoluments et ce fut sa couverture au cabinet (qui n'était pas celui de Bosson), où les effectifs étaient plafonnés.
Les bénéfices étaient distribués en fonction de la position qu'on occupait sur l'échiquier général. Lagarde se trouvait en situation de jouer un rôle relativement important. Il demanda le conseil d'administration d'Air France ou d'Aéroport de Paris et y fut donc nommé (toujours par Bosson ministre des Transports) en tant que personnalité qualfiée. Qualifiée en quoi ? Mystère.
Mais Air France et Aéroport de Paris ont une forte implantation non loin de Drancy, en Seine-Saint-Denis, à Roissy et au Bourget. Lagarde se retrouvait donc généreusement rétribué pour préparer ses campagnes politiques locales (aux frais du contribuable), car la nomination au CA d'Air France ne supposait aucune autre activité que de siéger de temps à autre aux réunions du CA, ce qui n'est ni foulant ni absorbant. Pour compléter sa base logistique, il parvint à faire désigner son ami Vincent Capo-Canellas dans des fonctions administratives puis politiques au Bourget. Tout ceci construisait une base logistique puissante, à la mesure de l'enjeu qu'il se fixait.
On ne peut pas ne pas insister sur cette base logistique, car l'activité politique coûte cher, très cher, même depuis qu'on a plafonné le montant des cmpagnes. Dans la période précédente, l'argent avait rendu les politiques fous.
Je me souviens de l'Université de Printemps que nous, JDS (moi délégué général en particulier), avions organisée à côté de Mûr de Bretagne, au beau milieu de la Bretagne, en 1987. Un atelier concernait le financement des campagnes électorales. Il était animé non pas par le trésorier du CDS (Jean Arthuis à l'époque) mais par le tréosrier semi-officieux de Pierre Méhaignerie (alors président du CDS), un conseiller d'État dont il vaut mieux oublier le nom. Ce conseiller d'État, fils d'ambassaeur de France, haut commis de l'État, fils d'un haut commis de l'État, émanation, quintessence même, des grands corps de l'État, expliquait aux présents, militants en principe (mais quelques journalistes traînaient par là, forcément), que pour trouver de l'argent, c'était tout simple : il suffisait d'aller voir le patron de l'hypermarché de la circonscription, d'indiquer qu'on allait être candidat aux élections et avec quelle étiquette, et qu'aussitôt, on verrait le patron ouvrir le coffre-fort, si bien qu'on repartirait avec un cartable plein de billets de banque.
- Vous verrez, assurait-il, ils financent tout le monde.
C'était tout simple. C'était impensable, et tout simple. J'en suis resté absolument bouche bée, scandalisé. Lorsque, quelques années plus tard, ce personnage a dû démissionner du Conseil d'État après avoir été condamné en correctionnelle pour ses activités financières dans notre mouvement, j'en ai été soulagé, je l'avoue. Il faudrait avoir filmé la scène où la présidente de la Chambre Correctionnelle parisienne s'adressait à lui. Il était tout de même juge administratif, deux bons crans au-dessus d'elle, puisque le Conseil d'État, hiérarchiquement, se compare à la Cour de Cassation, et qu'entre la chambre correctionnelle et la Cour de Cassation, il y a la cour d'Appel, comme entre le tribunal Administratif et le Conseil d'État, il y a la Cour Administrative d'Appel. Bref, donc, cette petite juge qui avait à juger un très haut juge, s'adressait à lui :
- Donc, ce jour-là, vous allez à la banque chercher de l'argent liquide. Pour quoi faire ?
Il ne répond pas.
- Vous ne savez pas, pointe-t-elle avec ironie. Donc, vous prenez 500 000 Francs. Et là, vous vous rendez au siège du CDS ?
- Oui.
- Sur votre mobylette ?
- Oui.
- L'argent dans les sacoches ?
- Oui.
- Mais en arrivant au CDS, surprise, il n'y a plus que 350 000 Francs. Que sont devenus les 150 000 Francs qui manquent ? Ils sont tombés de la sacoche ?
Il ne répond rien.
- Vous ne savez pas, s'agace-t-elle.
Elle l'a lourdement condamné. Il a démissionné. Ils étaient tous devenus fous, avec l'argent. Les valises de billets de banque, ce n'est pas une légende.
J'en parle, parce que l'argent, il en faut dans la politique. Il en faut vraiment, et parce que nous sommes qui nous sommes, il en faut qui soit honnête, non pas extorqué à un hypermarché, ni à quiconque. C'est cela par-dessus tout que j'appelle une base logistique. Ce peut être une organisation qui permette de gagner de l'argent sans risquer les coups de l'adversaire. Bref.
Une fois qu'on a une base logistique, il faut se constituer une base sociologique.
Puis la troisième étape, c'est la crédibilité. Les étiquettes politiques servent souvent à cela, à la crédibilité (on ne peut plus dire à la respectabilité).
Voilà, une fois que l'on a 1° la politique dans le sang, 2° une base logistique, 3° une base sociologique, 4° une crédibilité, on est sur les rails pour jouer un vrai rôle en politique, chacun à son échelle.
Bonne chance à tous ceux qui sont candidats, que dimanche leur soit un bon jour.
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Commentaires
Cher Hervé, ton billet ressemble à "une bombe", dénonçant les pratiques d'une politique qui non seulement officiellement n'existe plus, mais que certains aussi ne voudraient ne plus voir exister. Je passe sur les financements douteux de campagne... Pour me concentrer davantage sur la professionnalisation de la politique. Comment l'éviter? Comment éviter, comme tu le décris, que certaines personnes s'y consacrent à "plus que" plein temps, quitte à ce que ça devienne obsessionnel?
Personnellement, la professionnalisation de la politique me semble quelque chose d'inévitable. Parce que les enjeux de pouvoir sont trop importants. Parce que pour celui qui veut à tout prix que..., il n'y a pas d'autre choix possible... Tout pour la politique et du coup forcément rien pour le reste. Comment faire autrement, à part dire "y aka faukon?" As-tu une idée?
Écrit par : JF le démocrate | 20/03/2011
@ JF
Les faits que je décris appartiennent à une époque ancienne et à des méthodes anciennes. Les choses ne se passent plus de cette façon. Mais des formes de corruption sont quasi-culturelles dans une partie du monde politique, effrayé par le fait que l'adjectif "incorruptible" reste attaché à Robespierre, qui aurait sans doute guillotiné son père et sa mère par esprit de pureté idéologique (inconvénient du rousseauisme).
Pour la professionnalisation, je constate comment les choses fonctionnent, voilà tout. La politique est un métier dans tous les sens du terme, il y a un savoir-faire, des règles implicites. Comment renverser cette logique, cet état de fait ? Dans l'absolu, il suffirait d'interdire qu'une même personne se présente deux fois à la même fonction et/ou au même endroit. D'un autre côté, s'il y a des gens dont le pouvoir est la seconde nature, comment imaginer pouvoir leur résister ? Je pense qu'il n'y a pas de solution systématique, mais sollicitation de la conscience.
Écrit par : Hervé Torchet | 21/03/2011
un bon résumé des choses ...
Écrit par : Le Parisien Liberal | 23/03/2011
Ta description des faits et gestes de certains, Hervé, pourrait être décourageante.
Pourtant, je n'ai pas peur de dire que l'on peut tout à fait faire de la politique autrement. C'est à dire que l'on peut en faire sans argent déjà et que l'on peut imposer la transparence.
Il suffit pour cela de se montrer tout bonnement exemplaire. Quitte à essuyer les quolibets au départ...
Écrit par : Françoise Boulanger | 05/04/2011
Il est excellent, ce billet ! dans sa simplicité, son détail et son résumé.
La politique est incompatible non seulement avec une activité salariée (où l'on vous demanderait de faire vraiment votre travail) mais aussi avec une activité indépendante dans laquelle il faudrait également travailler.
Tout de même d'accord avec Françoise Boulanger sur le fait qu'on peut, effectivement, faire de la politique en amateur, sans argent ou avec peu d'argent. Mais on ne peut le faire que très peu de temps, et avec très peu d'impact.
Simplement parce que acquérir une surface, ou un poids, politiques, demande de voir et revoir des milliers de gens, ce qui bouffe un temps et une énergie considérables. Et je trouve ça normal. Je préfère encore ça au parachutage d'énarques.
Ce qui me contrarie, ce que je n'accepte pas, c'est que cette possibilité pour faire de la politique, ce financement de l'activité politique, puisse venir de fortunes privées (style hypermarchés ou affaire Bettencourt) ou de l'Etat (décharges syndicales détournées, etc.). C'est ça qui biaise, pourrit, abaisse la politique, et rend la classe politique inapte à relever la France.
Écrit par : FrédéricLN | 08/04/2011
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