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22/05/2011

Sexe et politique, DSK et autres omertas

Bien que ce sujet entre peu dans la ligne de mon blog, il m'a paru nécessaire de revenir sur le drame qui s'est refermé sur Dominique Strauss-Kahn, à cause de l'accusation d'omerta qui plane sur les milieux dirigeants français, politiques, journalistiques et autres. On a vu, à cette occasion, que les plus grands pourfendeurs de connivences entre le monde politique et la presse pouvaient succomber à leur tour à cette connivence, lorsque Jean-François Kahn a, en deux jours, affirmé d'abord qu'il était persuadé que DSK avait commis l'acte pour lequel on le poursuivait, puis indiqué qu'au fond, cet acte n'était peut-être qu'un troussage de bonne, fait qui aurait, on ne sait par quelle morale dinosauresque, été moins répréhensible qu'un autre viol. On a appris dans le même temps que la sœur de JFK avait été le témoin d'Anne Sinclair lorsque celle-ci avait convolé avec DSK... Endogamie, connivences, Kahn se retrouvait piégé au cœur même du dispositif qu'il avait l'habitude de dénoncer. L'explication qu'il en a donnée n'efface pas la terrible ignominie de l'expression "troussage de bonne", comme forme d'excuse ou de lénification d'un viol, mais elle témoigne de sa bonne foi et de son cas de conscience, qu'il aurait dû exposer lui-même en toute transparence. En tout état de cause, je trouve qu'il a eu raison d'exprimer son intime conviction sur les actes de l'inculpé.

Le cas DSK démontre très bien la difficulté de dénoncer une "omerta" généralisée de la presse et des milieux dirigeants. Au centre de cette difficulté, le problème de la preuve. La liberté des journalistes leur permet en principe de n'avoir pas à prouver leurs allégations, mais la loi sur la diffamation et celle sur la protection de la vie privée rendent leur liberté très fragile. Les rumeurs peuvent être annoncées, publiées dans la presse, mais elles ne sont pas toujours fondées, l'un des jeux politiciens consiste justement à faire courir des rumeurs sur ses adversaires.

Concernant DSK, on était un peu au-delà des rumeurs avant même le drame du Sofitel, puisque certains journalistes avaient brisé l'omerta, sans cependant rencontrer beaucoup d'écho de la part de leurs confrères. Doit-on condamner là un silence collectif et complice ? Et faut-il désormais exiger de notre presse qu'elle s'enhardisse plus à dévoiler la vie privée de nos dirigeants ? S'il s'agissait de dénoncer tel qui a une maîtresse sans que celle-ci ait le moindre rapport avec ses activités, j'y serais hostile. En revanche, quand on a vu Mme Pingeot devenir juge et partie dans l'affaire de la pyramide du Louvre, un peu de transparence n'aurait peut-être pas fait de mal à la démocratie.

Cherchons donc quel pourrait être le critère d'une exposition de la vie privée, et celui d'une pénalisation de certains comportements, à travers quelques exemples que je vais puiser dans ma mémoire (mais je n'ai pas tenu la chandelle).

Par exemple, lorsque Didier Bariani perdit la mairie du XXe arrondissement de Paris, en 1995, son successeur socialiste annonça que le logement de fonction du secrétaire général de la mairie d'arrondissement avait été détourné de son usage légal pour servir à M. Bariani à recevoir des femmes pour des activités que le nouveau maire estimait aussi ludiques que gymniques. Si ces faits étaient avérés, fallait-il condamner M. Bariani pour abus de pouvoir ? Ce détournement de l'usage d'un local du domaine public à des fins particulièrement privées devait-il au contraire être oublié ? Les citoyens n'avaient-ils pas le droit, plutôt, de savoir à quoi on utilisait un bien dont ils payaient l'entretien avec leurs impôts ?

Cas plus proche de moi, celui de Jean-Claude Martinez. Nous sommes alors au milieu des années 1980, M. Martinez, député européen du Front National, et également professeur à l'École Nationale d'Administration du Maroc, enseigne comme professeur de droit fiscal et de finances publiques à l'université de Paris 2 Assas, la mienne. Je passe sur ses bonnes formules comme "Le code général des Impôts, on met une semaine à le lire, un mois à le comprendre, et toute la vie à s'en remettre". M. Martinez se promenait ordinairement dans l'université avec de très jeunes femmes à son bras. On disait que c'étaient en général ses étudiantes. On disait aussi que, les jours d'examen, plus la jupe était courte, plus la note était haute. Ces peu jolies pratiques que la rumeur décrivait avec insistance, n'aurions-nous pas dû les dénoncer, ou en tout cas, chercher à les prouver ? Mais comment ? Il n'y avait pas d'internet à l'époque, et quand on est étudiant, on est sous l'œil d'un milieu qui peut vous saquer irrémédiablement pour votre vie professionnelle future. Que fallait-il faire ?

De la même façon, il y a actuellement en Île de France des maires dont on dit (on le sait, on n'en doute pas) qu'ils ont l'habitude de s'intéresser de très près à de jeunes enfants. Que faire ? On dit que des familles d'étrangers ont été expulsées de France après divers attouchements dont on craignait que la rumeur se répandît. Que faire ? Comment mettre fin à ces scandales ? Cela n'est pas facile. Car il y a, autour de ces activités peu ragoûtantes, de véritables réseaux de protection qui, à l'instar des réseaux mafieux, noyautent non seulement le milieu politique, mais aussi des rouages administratifs, judiciaires ou autres.

Pour comprendre ce que ces réseaux peuvent représenter et les conséquences qu'ils peuvent avoir sur notre vie politique et démocratique, imaginons des scénarii (ou des scénarios si vous préférez).

Par exemple, le juge qui s'est attaqué à ce qu'il a estimé être un réseau pédophile de l'affaire dite d'Outreau était un chiraquien, du moins c'est notre hypothèse, disons que c'était un protégé de Jacques Chirac. Posons ensuite qu'il y a quelqu'un qui veut à tout prix éliminer ce Chirac, appelons ce quelqu'un Sarkozy. Pour l'éliminer, ce quelqu'un a besoin d'alliés. Si le réseau d'Outreau est un vrai réseau (ce que je n'affirme en aucune manière, nous sommes, je le répète, dans le domaine de l'hypothèse gratuite, de la construction intellectuelle), cet adversaire de Chirac va utiliser les pouvoirs dont il dispose pour contribuer à discréditer l'enquête du juge d'Outreau. L'affaire d'Outreau débute en 2001. Quelques mois plus tard, ledit Sarkozy devient ministre de l'intérieur et quand le procès a lieu, en mai 2004, il a un allié de poids dans la personne du président des USA qui, depuis la guerre en Irak, a juré la perte de Chirac. En 2004, la position de ministre dudit Sarkozy, augmentée du pouvoir des réseaux du président américain en France pourraient être suffisants pour torpiller le volet judiciaire de l'affaire d'Outreau. Y étant parvenu (c'est toujours notre hypothèse), il se fait des amis puissants et durables parmi ceux qui protégeaient le réseau et qui en profitaient.  Les circonstances, selon ce scénario théorique, rapprocheraient Sarkozy des réseaux pédophiles (qu'il dénonçait pourtant en août 2002 au moment de la parution du roman Rose-Bonbon). Si nous supposons qu'il y ait eu un élu pédophile parmi ceux qui, en 2006, ont rejoint ledit adversaire de Chirac (Sarkozy dans notre hypothèse), on trouvera une logique souterraine dans le fait que cet élu ait trahi sa famille politique d'origine pour ce ralliement. Et quand enfin, trois ans plus tard, en 2009, on signale dans le gouvernement du même Sarkozy un ministre de la Culture dont les écrits laissent entendre qu'il a eu des relations pédophiles, on finit par dévoiler un vrai mycellium politique à base de pratiques sexuelles criminelles.

Bien entendu, je ne dis pas que ce soit la vérité, j'ai inventé ce schéma de toutes pièces, mais si ce schéma-là n'est pas vrai, d'autres le sont, et entrent dans la même catégorie. Comment prouver ce genre de faits honteux ? et, si on ne peut les prouver, comment faire en sorte qu'au moins, ils parviennent à la connaissance du public, voire de la justice ? Y a-t-il omerta ? est-ce si simple ?

Maintenant, examinons des aspects plus souriants du sujets.

Le sexe pour le plaisir

Dans les années 1990, L'Écho des Savanes avait mené une enquête très poussée sur les Universités d'Été (UE) des partis politiques, d'où ce périodique avait bâti un classement très sérieux de celles des UE où on couchait le plus. Dans tous les classements que ce journal fit, les UE des Jeunes Démocrates (JDS puis JD) étaient en tête. C'est dans nos Universités d'Été que les galipettes et autres gaudrioles se multipliaient. C'était assez comique, au fond, étant donnée la référence démocrate-chrétienne affichée par plusieurs de nos dirigeants du temps du CDS, mais c'était indéniable.

Nos UE s'étalaient sur une semaine entière, ce qui permettait de nouer des relations très actives, voire d'en changer en cours de route. Le côté pieux (avec un x) de l'histoire avait toujours été qu'une proportion notable de ces aventures d'été avaient abouti à des noces en bonne et due forme, ce qui sauvait au moins les apparences du point de vue de la morale traditionnelle.

Hélas, les jeunes centristes étaient majoritairement des garçons, ce qui aurait pu provoquer des embouteillages sur le paillasson des demoiselles, mais cet inconvénient était heureusement pallié par le fait qu'une proportion notable des garçons s'amusaient entre eux (c'était leur droit), ce qui laissait de la place à ceux qui, comme moi, penchaient du côté des filles. Cela étant, j'ai toujours été un stagiaire très studieux aux UE auxquelles j'ai participé...

Parmi les jeunes femmes qui venaient chaque année aux UE, on en signalait un petit nombre qui ne militait absolument pas, et dont on voyait bien qu'elles ne venaient là que pour la guilledoux. Parmi elles, il y en avait toujours deux ou trois qui écrivaient le mot guilledoux avec des billets de banque. Je me souviens de l'UE 1997, à Perpignan, où une femme inconnue se mêla à la foule du premier jour et lança, d'une voix suffisamment forte, un chiffre. L'un de nos députés, âgé d'une cinquantaine d'années, attrapa ce chiffre au vol : "Preneur". L'affaire était faite, sa soirée et sa nuit occupées. Faut-il que les journalistes dénoncent ce genre de pratiques ? Non, à mon avis non.

Parmi les cas limite, il y a aussi celui d'un ministre ou député des années 1980 qui fut privé de son droit à l'expédition de courrier gratuit, parce qu'il avait fait passer sous son tampon officiel une pub pour le livre de cuisine de sa maîtresse, en 50 000 exemplaires. La sanction (la privation de tampon) était-elle suffisante ? Pour l'anecdote, ce député et ancien ministre fut plus tard un ardent défenseur de la morale, voire de la famille. Alors ?

Les omertas ne sont pas éternelles

La pédophilie est un viol, car en France, aucun mineur de 15 ans pour les filles et 16 pour les garçons n'est capable de consentir à l'acte sexuel. Les seuls viols dont j'ai eu non pas connaissance mais rumeur avant celui qu'a peut-être commis DSK à New-York sont ceux d'élus pédophiles. Je ne serais pas surpris qu'ils soient la prochaine omerta à sauter, mais en attendant, sachons que la vérité n'est pas toujours facile à dire, parce qu'elle n'est pas toujours facile à prouver.

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Commentaires

Excellent et courageux billet, Hervé !
Tiens, en passant, je ne connaissais pas encore le mot "guilledou" qui sur le Larousse ne prend pas de X... (mais là le sujet s'y prêtant...) ;-)

Oui la question est de savoir jusqu'où peut aller la dénonciation utile entre respect de la vie privée et risque de véritables diffamations.

Il y a un point qui me semble primordial en politique ou ailleurs, c'est celui de la loyauté. Si un homme à un poste important parvient à coucher avec de toutes jeunes filles par exemple, il sait parfaitement qu'il fait un réel abus de pouvoir, et qu'elles attendent bel et bien de lui une faveur en retour. Argent, promotion... Par contre, s'il parvient à séduire une personne à peu près de son âge qui visiblement ne cherche aucun avantage à cette relation, il y a donc égalité, et là ça ne regarde qu'eux évidemment (et les conjoints respectifs éventuellement...).

Écrit par : Françoise Boulanger | 22/05/2011

Merci beaucoup pour ce billet très éclairant.
Je dois avouer que j'aime bien la position de la presse anglo-saxonne sur ce point, qui est moins caricaturale que ce qui est présentée en France.
Ils ne s'intéressent à la vie privée d'un homme publique que si celle-ci s'écarte de celle qu'il cherche à renvoyer dans la presse. Typiquement, si quelqu'un communique sur sa famille, son chien et sa petite maison, ils vont chercher à traquer le moindre détail permettant d'infirmer cette vision. Pas pour le voyeurisme, mais pour vérifier que ce futur décideur publique n'a pas de propension à mentir.
Là où pour nous, rien n'a d'importance concernant la cohérence et le mensonge des élus. Quoique grâce à de nouveaux journalistes tels que Samuel Laurent, le "Fact Checking" commence à prendre, en France aussi.

Écrit par : Fabrice_BLR | 22/05/2011

La conclusion me semble extrêmement juste - et le billet aussi.

Écrit par : FrédéricLN | 23/05/2011

Très bon billet, comme d'hab'... Néanmoins le problème me semble t-il ne se limite pas au manque de preuves qu'ont les médias. D'ailleurs, il existe deux, et malheureusement seulement deux journaux qui osent briser l'Omerta: Mediapart et le Canard.

Sur le reste, on peut être choqués de cette espèce de consanguinité qui règne entre médias et politiques. On peut être choqués par le tutoiement hors plateaux. Et on peut même être surpris de voir autant de journalistes femmes en couple avec des hommes politiques...

Écrit par : JF le démocrate | 23/05/2011

@ M.Torchet :

Je suis d'accord avec vous sur l'omerta française des médias. Elle ne se limite pas aux seules frasques, réelles ou fantasmées, de DSK je pense. Cette affaire illustre le malaise proprement français des liens trop étroits et souvent incestueux qui lient le pouvoir politique au 4ème pouvoir.

J'en profite pour vous demandez votre avis de Breton du 16ème ;-) sur un tout autre sujet, une note que je viens de publier. Peut-être avez-vous participé à cette réunion. Succès ou pas selon vous ?

Écrit par : Antoine | 24/05/2011

@ Antoine

Comme je l'ai écrit sur votre site, je me trouvais en Bretagne au moment de ce fest noz, auquel je n'ai d'ailleurs pas été convié.

Écrit par : Hervé Torchet | 25/05/2011

Le texte s'achève sur une erreur grossière, la majorité sexuelle est à quinze ans révolus, pour les filles comme pour les garçons, parfaitement capables de consentir à des relations à cette âge. Au dessous, effectivement, c'est un abus.

Écrit par : Valdo | 02/06/2011

@ Valdo

"Parfaitement capables de consentir à des relations à cet âge".

Vous avez semble t-il raison. L'âge du consentement sexuel est de 15 ans pour les filles ou les garçons. Ce qui ne pose guère de problème quand c'est un gamin de 18 ans qui a "troussé" une fille de 15 ou 16 ans. Car c'est juste dans la nature des choses...

Maintenant si un type de 50 ans "trousse" une gamine de 16 ans, je ne suis pas sûr que les tribunaux - fort heureusement - ne retiennent que l'âge de la majorité sexuelle. On peut très vite parler "d'atteinte sexuelle", ce qui est autrement plus grave.

Écrit par : JF le démocrate | 03/07/2011

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