27/09/2011
Un homme et une flamme
En instaurant l'élection du président de la république au suffrage universel direct, comme il l'avait annoncé dès le début de son action politique après la Libération, le Général de Gaulle a créé un mécanisme subtil pour que la vie politique française, qui penchait toujours plus à gauche depuis 1789, se mette à pencher à droite. On néglige les effets culturels et sociologiques des dispositifs institutionnels, et on a tort. Le président de la république, c'est le Sauveur, c'est en direct le mythe très ancien du "sauveur suprême", de l'"homme providentiel", enraciné en France dans les figures de Jeanne d'Arc et de Clemenceau, et bien sûr de De Gaulle lui-même. L'homme providentiel, c'est un mythe de droite. Il n'y a qu'à lire les paroles de l'Internationale pour le comprendre : "Il n'est pas de Sauveur Suprême, ni Dieu, ni César, ni tribun". Pas de Bonaparte ramassant le drapeau au Pont d'Arcole. Pour la gauche, le salut est par principe collectif.
Et l'on ne peut pas s'étonner, dans ces conditions que, jusqu'ici, tous les présidents de la Ve république aient eu une culture personnelle de droite : De Gaulle évidemment, mais aussi d'une façon plus complexe Pompidou, VGE, grand bourgeois marié aux Deux-Cents familles et aux maîtres de forge, qui rêvait de gouverner au Centre (et qui l'a fait parfois), Mitterrand, maurrassien converti à la gauche par la haine de l'argent des autres et par l'appétit d'élimination du communisme, Chirac, radsoc et nationaiste ultra-autoritaire, Sarkozy, dont il n'est pas besoin de rappeler les penchants que tout le monde connaît. Cette fonction d'homme providentiel impose une carrure personnelle, un caractère osseux, que la culture de gauche a du mal à assumer. Souvenons-nous de Jospin laissant la parole à tout le monde, et lisons les commentaires écrits par les socialistes eux-mêmes après le débat des Six, voici quelques jours. Ce qui leur a plu, c'était l'unanimisme, l'esprit collectif qui se dégageait, l'image d'un groupe uni. Dès lors qu'il faut soutenir un candidat, et un seul, le malaise ne tarde pas à s'exprimer, la crainte d'un césarisme de gauche, le réflexe contre le chef. Et cette prévention de la gauche contre la personnalisation du scrutin présidentiel explique très bien pourquoi les Verts, par exemple, ont tant de mal à s'affirmer dans cette élection, elle leur va beaucoup moins bien que le jeu collectif des législatives, du parlementarisme, et donc de la proportionnelle.
Il y a un deuxième mécanisme politique que De Gaulle a enclenché dont on a mal mesuré la portée jusqu'ici : ce deuxième mécanisme, c'est la Françafrique.
La France et ses communautés de destin
La création de la Communauté par la constitution de 1958 n'a pas été très efficace, il a ensuite fallu que De Gaulle charge Foccart de cimenter ce qu'on a nommé la Françafrique, surtout après 1966 et après la sortie du commandement intégré de l'OTAN qui annonçait des turbulences politiques avec les Américains. Sur le papier, l'idée de la Françafrique est bonne : travailler au développement mutuel, faire vivre la francophonie, créer une dynamique de culture et de développement, c'est une bonne idée. Un réseau d'états africains libres, associés à la France pour des projets, protégés par elle de certaines intrusions guerrières ou politiques, ça sonnait bien. Nous aimons l'Afrique et nous serions plus qu'heureux de la voir se développer dans l'harmonie, la paix, la démocratie, avec notre communauté de langage.
Hélas, pour les peuples d'Afrique, le compte semble n'y être pas du tout. En tout cas, pour nous Français, il y a un effet rétro (comme rétrocommission) terrible, dans cette affaire, c'est d'abord que l'allégeance des régimes africains au pouvoir français s'est traduite pendant des décennies par le versement de ce qu'il faut bien nommer un tribut, au sens féodal du terme, un tribut occulte mais substantiel, c'est ensuite que les mœurs désinvoltes de ces régimes en termes de démocratie et d'honnêteté ont déteint sur notre république, c'est enfin que ce réseau a tourné en réseau mafieux, où chacun soutient l'autre sans la moindre considération d'intérêt général ni national. La privatisation rampante de nos services secrets depuis déjà longtemps est l'une des découvertes que le grand public fait en ce moment et qui lui cause un grand malaise qui n'est pas pour rien dans le regard nauséeux que le peuple porte sur le pouvoir actuel. L'amitié des états africains en question n'est pas une amitié pour la France quels qu'en soient les dirigeants, c'est une amitié qui veut choisir les dirigeants de la France qui lui ressemblent le plus. C'est dommage pour l'amitié des peuples entre eux.
Or ce réseau mafieux sélectif n'est pas neutre politiquement non plus, il soutient, on le sait maintenant, tout ce qu'il y a de plus à droite en France. Il lui arrive de faire allégeance à la gauche, de s'y créer des points d'appui, mais sa vison du monde est très à droite. D'une certaine façon, c'est le deuxième effet Kisscool du dispositif gaullien : le premier, c'est l'élection du président de la république au Suffrage Universel Direct, le deuxième, c'est le financement des réseaux nationalistes par une source indépendante des magouilles françaises. La première lame tire le poil, la deuxième le coupe avant qu'il ne se rétracte, disait une ancienne publicité. On peut aussi parler d'un effet de ciseau.
Quoi qu'il en soit, on voit bien qu'au point où nous en sommes, une réflexion sur la Françafrique doit précéder la prochaine élection présidentielle, il faut une doctrine sur notre communauté de culture, une doctrine pour ne pas livrer les peuples d'Afrique à des appétits (américains notamment) qui ne sont pas plus nobles que ceux des dirigeants actuels de la Françafrique. Une doctrine pour sortir du système mafieux sans livrer les peuples à d'autres mafias.
Le roi Arthur
L'élection présidentielle. Elle vient de surgir, presque par inadvertance, au milieu d'une phrase. Oui, si j'écris ces lignes, c'est bien entendu en pensant à l'élection présidentielle d'avril et mai 2012.
Il serait terriblement simple, en fait, de trouver Excalibur et de planter cette épée mythique dans un rocher, quelque part entre Ploërmel et Pontivy. Ensuite, on ferait venir les candidats, un par un, et ils tireraient sur l'épée, jusqu'à ce que l'un (ou l'une) d'eux arrive à extraire l'arme de la pierre. Hélas, l'épée, Excalibur, nul ne sait où elle gît, ni dans quel étang. Il faut donc s'en remettre prosaïquement au suffrage populaire. Mais gardons du roi Arthur son profil essentiel : il est l'homme providentiel, providentiel par excellence, puisque par un sortilège extraordinaire, il est le seul à avoir le pouvoir d'extraire l'épée du roc. Il est l'Élu.
Les études arthuriennes sont particulièrement nombreuses. J'en recommande la lecture à tous ceux qui veulent réfléchir à la nature du pouvoir politique dans notre inconscient collectif. Car les traits que la mentatlité poétique et populaire attache à Arthur sont ceux que le peuple, consciemment ou inconsciemment, cherche dans le président de la république : il incarne l'univers, sa façon de vivre favorise la moisson, il est en communion avec les éléments. Lorqu'Arthur, ayant surpris sa femme dans le lit de l'un de ses chevaliers, plante son épée (Excalibur toujours) dans le sol, il blesse la terre, et aussitôt les calamités s'abattent sur le pays, les récoltes périssent sur pied, la famine se répand. Le mélange de colère, d'injustice, de déséquilibre, d'Arthur produit le malheur.
De ce fait, on ne s'étonnera pas si j'estime que les qualités que l'on recommande au chef de l'État (qui ne sont pas forcément celles du candidat hélas) sont aussi celles qu'a développées la culture chevaleresque. Ce sont les quatre vertus du chevalier qui sont apparues, me semble-t-il, sous la plume de Georges Duby : la prouesse, la prodigalité, la tempérance et la loyauté. Deux vertus de faire et deux vertus de ne pas faire.
Les vertus de l'action
La prouesse et la prodigalité sont les deux vertus actives. La prouesse, c'est le courage au combat, c'est aussi le goût de la compétition, la volonté de s'illustrer, le sens de l'honneur, le goût de séduire aussi. Quand Bonaparte ramassa le drapeau tricolore au Pont d'Arcole et s'élança, seul contre tous, il fit une prouesse. Lorsque Mitterrand, d'un ton particulièrement ferme, déclara, dans la campagne présidentielle de 1981, qu'il avait l'intention d'abolir la peine de mort malgré tous les sondages, il fit une prouesse, tout le monde le ressentit comme ça. Il fallait le faire. Quel courage ! Chapeau ! On le dit encore, trente ans plus tard, il a épaté tout le monde. La prouesse. Lorsque Bayrou s'en est pris au système de la barbichette en proclamant son innocence de toutes les corruptions, il a accompli une prouesse, tant ce système est prompt à fomenter des complots punitifs. Quel courage ! Chapeau ! Le président de la république doit être ainsi, excellent joueur de poker, des nerfs d'acier, des convictions intraitables sur l'essentiel, capable de courage, non pas du courage de se battre avec un marin-pêcheur sur le quai d'un petit port breton, mais du grand courage, de celui qui n'est pas donné à tout le monde, car il peut coûter cher. Ce courage-là fait frissonner dans les chaumières, il fait aussi frissonner les adversaires.
La prodigalité, c'est une autre affaire. D'une façon immédiate, c'est l'obligation morale pour le chevalier de répartir le butin après un moment de combat. Il doit se montrer équitable, pas radin, n'oublier personne parmi ceux qui ont été à la peine. Curieusement, la même règle s'appliquait jadis aux équipages de pirates : une double part pour le capitaine, le reste partagé à égalité entre tous les membres de l'équipage. Le chevalier prend la part du lion (la part léonine), il doit veiller à la justice du partage des dépouilles. Et puis, il doit vivre avec faste. On verra que cette obligation morale-là entre en conflit avec la tempérance, mais le chevalier a le devoir d'honorer ses vassaux, sa cour, ses amis, ses maîtresses, en menant grand train. Il ne doit jamais mégoter, jamais compter son argent (c'est un principe) et ne jamais, surtout, se montrer mesquin, ce qui déshonorerait lui, sa maison, sa suite, ses vassaux et tout le reste. Il ne s'agit pas d'être bling-bling, mais de cultiver la noble apparence. Et il doit le faire non par plaisir, mais pour l'honneur, le sien et celui de ceux sur lesquels le sien rejaillit. Enfin, la prodigalité, par extension, suppose de veiller à la prospérité de tous ceux qui dépendent de soi. Le chevalier se doit d'être attentif aux autres, à commencer par les siens.
Les vertus d'abstinence
Comme je viens de le dire, une partie du devoir de tempérance entre en conflit direct avec celui de prodigalité : comment peut-on vivre à la fois fastueusement et sobrement ? La tempérance est en effet la mesure en tout, l'équilibre, se nourrir sainement, en quantité suffisante, sans la moindre gloutonnerie, sans excès de gourmandise non plus. Boire avec modération et sans jamais s'enivrer. Éviter la colère. Éviter la jalousie. Se montrer longanime, patient, détaché des passions humaines. Une forme de stoïcisme. Préférer le devoir au plaisir, la paix à l'agitation, la simplicité à la volupté. On le voit, c'est d'abord une vertu négative, ou plutôt passive, une vertu d'intériorisation, alors que la prouesse et la prodigalité gouvernaient d'abord des actes vers autrui. Et puisqu'il faut la combiner avec celle de prodigalité, disons qu'il doit offrir le faste aux autres et ne jamais s'en laisser griser, ne jamais le faire par égoïsme, mais toujours dans un but utile.
La loyauté, enfin, est la vertu cardinale, celle sans laquelle l'ensemble n'a pas de sens : le chevalier doit avoir une parole et s'y tenir. Ne promettre que ce qu'il est sûr de pouvoir tenir, et tenir toujours ce qu'il a promis, quoi qu'il lui en coûte. Il doit être fiable. Il doit suivre les règles, en particulier celles du contrat.
Voilà quelques réflexions qui me viennent en pensant à cette élection présidentielle. Je m'y engagerai avec ferveur pour les combats que je crois les plus justes : l'État impartial, la sagesse budgétaire, la répartition équitable des efforts et des récompenses publics, la protection du faible contre les abus de pouvoir du fort, l'éthique, qui sont mes engagements de toujours, depuis bientôt trente ans, dans les JDS, le CDS, Force Démocrate, l'UDF, et le MoDem, la campagne présidentielle de Raymond Barre en 1988 et tous les combats que j'ai menés depuis, et d'une façon plus récente l'orientation de l'émergence du nouveau monde et d'internet vers le partage des savoirs et la neutralité des réseaux. Il y aurait ecore beaucoup à dire, mais je pense que j'ai déjà été un peu long et que j'aurai d'autres occasions de m'exprimer puisque je soutiendrai un candidat qui me semble rassembler à la fois les qualités de caractère nécessitées par le principe de l'homme providentiel, le début d'analyse sur l'insertion de la France dans ses deux communautés de destin (la francophonie et l'Europe), et les quatre vertus chevaleresques, oui, cette fois-ci encore, je soutiendrai à la fois quelqu'un et un programme, un homme et la flamme de ses idées, François Bayrou, sur le chemin de l'accomplissement, jusqu'à ce qu'il trouve le rocher et qu'il en arrache Excalibur.
19:33 | Lien permanent | Commentaires (10) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
la prodigalité est en fait la "largesse", héritière de la générosité antique, c'est le fait aussi d'attendre des fruits du don (l'investissement plutôt que le fonctionnement!).
Écrit par : FB | 27/09/2011
@ FB
Je pense que c'est Duby qui a traduit la largesse en prodigalité.
Écrit par : Hervé Torchet | 27/09/2011
Très intéressant. Merci.
Écrit par : JF le démocrate | 27/09/2011
Magnifique texte ! Superbe hommage à François Bayrou.
"La loyauté, enfin, est la vertu cardinale, celle sans laquelle l'ensemble n'a pas de sens : le chevalier doit avoir une parole et s'y tenir. Ne promettre que ce qu'il est sûr de pouvoir tenir, et tenir toujours ce qu'il a promis, quoi qu'il lui en coûte. Il doit être fiable. Il doit suivre les règles, en particulier celles du contrat."
La loyauté, n'est-ce pas la qualité principale à avoir en toutes situations ?!
Écrit par : Françoise Boulanger | 28/09/2011
Plus que formidable plume.
Pour le propos de fond, je me sens décalé. En effet, j'ai eu l'occasion d'écrire ceci: http://guillaumed.hautetfort.com/archive/2010/01/01/la-fin-du-mythe-du-sauveur.html .
Et aussi ça:
http://www.generationsengagees.fr/index.php?site=news_comments&newsID=1293
A+, cher Hervé.
Écrit par : GuillaumeD | 28/09/2011
@ Françoise
Merci.
@ Guillaume
Je connais tes opinions, tu sais que j'en partage beaucoup, mais observe que j'analyse la situation telle qu'elle est, non telle que je voudrais qu'elle fût. J'aurais pu exprimer et étayer autrement mon choix, mais il me semble utile d'analyser la situation globale pour l'éclairer sous un jour qui me semble apporter des outils de compréhension à des lecteurs qui ne sont pas familiers de cet angle de vue. D'un certain point de vue, je crois de mon devoir de dire pourquoi certaines candidatures sont vouées à l'échec, et pourquoi d'autres peuvent au contraire réussir. Cette grille de lecture peut être fructueuse à l'observateur.
Écrit par : Hervé Torchet | 28/09/2011
Il y a un mot que je ne connaissais absolument pas, c'est la "longanimité"... et découvrir régulièrement de nouveaux termes, j'adore ! Rien que pour ça, merci aussi Hervé !
Écrit par : Françoise Boulanger | 29/09/2011
@ Françoise
Si j'avais de la patience, je placerais un lien avec la page wikipedia des mots rares, pour que mes (trop rares) lecteurs gagnent du temps.
En l'occurrence, il n'y a pas de page wikipedia, mais voici un lien pour comprendre les différents sens du mot :
http://dictionnaire.sensagent.com/longanimit%C3%A9/fr-fr/
Écrit par : Hervé Torchet | 29/09/2011
Quand on lit ce texte, on comprend d'un coup mieux à quoi sert la littérature et le mythe, à quoi sert la culture, comment se construit l'âme d'un peuple... Bayrou écrit presque en conclusion cette phrase dans son dernier livre: "C'est la magie de l'élection présidentielle en France." Il vient de parler de la fonction, de la transmission, de la responsabilité morale des chefs de file de notre démocratie. "Car c'est tout un pays qui élève nos enfants, pas seulement une famille, des parents, des éducateurs, mais un pays, sa langue, sa culture, le projet qu'il porte sur notre continent et dans le monde."
Je déteste le fantasme et la magie, je ne veux pas être fan, ni disciple, mais j'ai lu L'Obsénité démocratique de Debray, et je crois que Debray et Bayrou et Hervé ont raison et que"au moment où les citoyens entrent en campagne, [...] tout d'un coup plus rien n'existe de ce qui fait écran entre un peuple et sa volonté", et qu'il y a effectivement quelque chose de plus qu'un homme comme un autre dans un président.
On a soupé de la transparence, de la vulgarité et du toc ; le temps, peut-être est venu d'un retour à la hauteur, à la sacralité et au mystère, au vrai mystère... Et donc au sens.
Ce qui ne nous dispense aucunement de faire notre boulot de citoyen, le mystère n'annihile pas l'action, il ne la rend pas caduque, il lui donne son sens et s'en nourrit.
Écrit par : Mapie | 30/09/2011
obscénité oups
Écrit par : Mapie | 30/09/2011
Les commentaires sont fermés.